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Title: La Bibliothèque canadienne, Tome VIII, Numero 4, Mars 1829.
Date of first publication: 1829
Author: Michel Bibaud (1782-1857) (editor)
Date first posted: Dec. 13, 2022
Date last updated: Dec. 13, 2022
Faded Page eBook #20221226
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La Bibliothèque Canadienne
Tome VIII. | MARS 1829. | Numero IV. |
Cependant, quoiqu’on eût remis aux Iroquois les prisonniers que les Outaouais avaient faits sur eux à Cataracouy, ils ne se montraient pas entièrement satisfaits; ils exigeaient encore une réparation pour ceux qui avaient été tués. De leur côté, les Outaouais ne voulaient plus entendre parler de paix avec eux; tous leurs jeunes gens demandaient la guerre et s’étaient mis en possession de décider dans les conseils. Dans la crainte de voir rallumer un incendie qui avait été si difficile à éteindre, le marquis de Vaudreuil fit partir M. de Louvigny pour Michillimakinac. Cet officier réussit, quoiqu’avec peine, à faire entendre raison aux Outaouais: il se fit rendre quelques prisonniers qu’il trouva encore entre leurs mains, et les conduisit lui-même à Montréal. En les présentant à M. de Vaudreuil, il lui annonça que les principaux chefs des Outaouais le suivaient de près, ce qui engagea ce général à mander ceux des Iroquois, pour les aboucher avec eux et leur remettre leurs prisonniers.
Ils arrivèrent à Montréal dans les premiers jours d’Août, et y restèrent jusqu’au 14, sans que les Outaouais parussent. Le gouverneur général ne pouvant les retenir plus longtemps, les congédia. Ils lui avaient fait beaucoup valoir la déférence qu’ils avaient eue pour lui, en attendant si longtemps à se faire justice des Outaouais, et ils l’avaient fort pressé de se déclarer contre ces sauvages, qui les premiers avaient osé enfreindre le traité de paix; mais il leur fit observer, qu’il n’était obligé, en vertu de ce même traité, de joindre ses armes à celles des offensés, que quand il désespérerait d’obtenir autrement des coupables une réparation suffisante; qu’il ne s’était pas encore endormi sur cela; qu’il avait déjà retiré tous les prisonniers, et qu’il ne doutait pas que les aggresseurs ne fissent le reste d’eux mêmes.
Ce discours avait paru les apaiser, et ils s’embarquaient déjà pour s’en retourner chez eux, quand le sieur de Vincennes arriva de Michillimakinac. Il annonça au gouverneur général qu’il était venu avec les chefs des Outaouais, mais qu’ils les avait laissés hors de l’île de Montréal, parce qu’ils l’avaient prié de prendre les devans, pour savoir de leur père s’il voudrait bien les admettre en sa présence. M. de Vaudreuil le renvoya pour leur dire qu’ils pouvaient venir, et fit rappeller les chefs Iroquois.
Les Outaouais parurent dans un état d’humiliation qui annonçait qu’ils ne prétendaient pas excuser leur faute. “Mon père, dit le chef qui portait la parole, nous confessons qu’en frappant l’Iroquois sur ta natte (c’est-à-dire sur ton terrain,) c’est en quelque façon sur toi que nos coups ont porté: pardonne à des insensés qui n’ont plus de conseil, parce que tous leurs anciens sont morts. Tu peux tirer de nous telle vengeance qu’il te plaira; mais si tu veux bien nous faire grâce, tu n’auras pas lieu de t’en repentir. Tant que nous vivrons nous ne cesserons de t’en marquer notre reconnaissante, et dès à présent, nous sommes prêts à donner à ceux que nous avons offensés toutes les satisfactions que tu jugeras à propos d’exiger de nous.”
Il adressa ensuite la parole aux Iroquois, qui étaient présents, et leur parla de manière à les toucher. Le gouverneur n’eut après cela aucune peine à les reconcilier. Il ordonna aux Outaouais de remplacer les morts: ils le promirent, et commencèrent même à faire quelques présens aux Iroquois. Le général leur en fit aussi de son côté. Il régala ensuite les uns et les autres, et ils s’en retournèrent tous fort satisfaits.
Cette même année, M. de Beauharnois, qui avait succédé à M. de Champigny dans l’intendance du Canada, fut nommé intendant des classes de la marine, et eut pour successeur MM. Raudot, père et fils. Ce dernier, qui avait déjà exercé l’emploi de commissaire ordonnateur à Dunkerque, se chargea de la marine: la justice, la police, les finances, &c. furent le partage du père, lequel s’étant apperçu que les colons commençaient à se ruiner en procès, au grand préjudice de la culture des terres, résolut de retrancher, autant qu’il se pourrait, les procédures, et entreprit d’accommoder lui-même les parties; ce qui lui réussit au-delà même de ses espérances.
L’année suivante, il proposa au conseil du roi de permettre aux habitans, qui, comme nous l’avons dit plus haut, avaient commencé à cultiver le lin et le chanvre, de les employer, ainsi que la laine de leurs moutons, dans le pays, où les toiles et les étoffes de France étaient à un si haut prix, que les gens peu aisés, qui formaient le plus grand nombre, n’y pouvaient pas atteindre; de sorte que la plupart étaient presque nus.
La réponse du ministre fut que le roi était charmé d’apprendre que ses sujets du Canada reconnussent enfin la faute qu’ils avaient faite, en se livrant exclusivement au commerce des pelleteries, et qu’ils s’attachassent enfin sérieusement à cultiver leurs terres, et particulièrement à y semer du chanvre et du lin; que sa majesté espérait qu’ils parviendraient bientôt à construire des vaisseaux à meilleur marché qu’on ne le pouvait faire en France, et à former de bons établissemens pour la pêche; qu’il ne convenait pas au royaume que les manufactures fussent dans les colonies, parce que cela préjudicierait à son commerce, mais que néanmoins on permettrait qu’il s’y fît des toiles et des étoffes grossières pour l’avantage des habitans peu fortunés. Les gens de la campagne profitèrent de cette permission, de manière à pouvoir bientôt se vêtir eux-mêmes depuis les pieds jusqu’à la tête, et se passer presque entièrement des marchandises d’Europe.
Cependant les Outaouais ne se pressaient pas de remplir la condition à laquelle ils s’étaient engagés envers les Iroquois, et ceux-ci, choqués de ne pas recevoir la satisfaction à laquelle ils s’étaient attendus, songeaient sérieusement à leur déclarer la guerre. Il était d’une grande conséquence de les en empêcher, et M. de Vaudreuil fit partir Joncaire pour aller réitérer aux Cantons la promesse d’une prompte et entière satisfaction. Il engagea le P. Marest, qui avait laissé sa mission de Michillimakinac, ans la pensée qu’il n’y pourrait être d’aucune utilité, à retourner à ce poste. Il fit accompagner ce missionnaire par M. de Louvigny, et tous deux, par l’ascendant qu’ils avaient sur l’esprit des Outaouais, obligèrent enfin ces sauvages à tenir aux Iroquois tout ce qu’ils leur avaient promis.
Cette affaire était à peine terminée qu’il en survint une autre, qui, sans la sagesse et la fermeté du gouverneur général, eût pu avoir les suites les plus fâcheuses. Quelque minutieux que puissent paraître quelques uns des détails qui suivent, nous les croyons nécessaires pour faire connaître l’esprit du temps, et la manière dont quelques uns des officiers de la colonie se conduisaient à l’égard des sauvages.
Des Miamis avaient tué, pour une raison ou pour une autre, quelques Outaouais, et leurs anciens, à qui la nation outaonaise en demanda justice, se contentèrent de répondre que la chose était arrivée par mégarde. Quelque temps après, un Outaouais, fort considéré dans sa tribu, fut encore tué par un Miami. On demanda encore justice, et on reçut la même réponse. Les Outaouais s’adressèrent à M. de Lamotte-Cadillac, qui était revenu au Détroit, et ce commandant leur répondit qu’il s’informerait comment la chose s’était passée, et qu’il ferait justice.
Peu de jours après, il partit pour Québec, et en prenant congé des Outaouais, il leur dit, assez inconsidérément, que tant qu’ils verraient sa femme au Détroit, ils pouvaient demeurer tranquilles, mais que si elle en partait, il ne répondait point de ce qui pourrait arriver dans la suite. Au bout de deux mois, madame de Lamotte s’embarqua pour aller joindre son mari à Québec. D’après ce que leur avait dit M. de Lamotte, et le peu de cas qu’il avait paru faire de leur plainte, ce départ ne put que causer beaucoup d’inquiétude aux Outaouais, et leur faire craindre que les Français n’eussent résolu leur perte, pour les punir de ce qu’ils avaient fait aux Iroquois à Cataracouy; car, dit Charlevoix, quoiqu’ils eussent réparé cette faute, comme les sauvages ne pardonnent jamais bien sincèrement, ils se défient toujours de la sincérité du pardon de la part de ceux qu’ils ont offensés.
Sur ces entrefaites, un jeune officier, nommé Bourgmont, arriva au Détroit, pour y relever le chevalier de Tonti, que M. de Lamotte y avait laissé commandant en sa place. Les sauvages étant allés pour le saluer, selon la coutume, lui demandèrent s’il ne leur apportait point quelque nouvelle qui les intéressât. Il leur répondit d’un air courroucé, qu’il ne savait rien, sinon que M. de Lamotte reviendrait, le printemps prochain, bien accompagné.
Cette réponse et plus encore le ton et la manière dont elle fut faite, donnèrent d’autant plus à penser aux Outaouais qu’on ne leur parlait point des Miamis. Un mot qui échappa à Mr. de Tonti, lorsque ces sauvages lui témoignaient le regret de le perdre, augmenta encore leur inquiétude. Il faut, leur dit-il, que la terre soit renversée, puisqu’on me rappelle pour mettre un soldat à ma place. M. de Tonti, capitaine, pouvait ressentir quelque dépit de se voir remplacer par Bourgmont, qui n’était qu’enseigne en second; mais il y avait à le témoigner ainsi à des sauvages une indiscrétion dont son gouvernement ne pouvait pas lui savoir bon gré. Les réflexions qu’ils firent sur tout cela achevèrent du leur persuader qu’on avait formé quelque dessein contre eux, et ils ne dissimulèrent pas leurs craintes.
Bourgmont en ayant été averti, les assembla, et après leur avoir dit tout ce qu’il crut de plus capable de les rassurer, il leur proposa d’aller en guerre avec les Miamis, les Hurons et les Iroquois, contre les Scioux. Cette proposition ne fit que confirmer les Outaouais dans la pensée qu’il ne cherchait qu’à les trahir, et que s’ils se mettaient en route, ils seraient massacrés par les Miamis et les Iroquois.
Leurs soupçons se fortifiant de jour en jour, ils résolurent de prévenir les Miamis. Les plus sages voulaient néanmoins qu’on s’expliquât auparavant avec le commandant du Détroit; mais le plus grand nombre, poussé par un chef que les Français nommaient Le Pesant, fut d’un avis contraire. Ce chef leur rapella tous les sujets qu’ils avaient de se défier de M. Bourgmont, et la résolution fut prise de faire main-basse sur les Miamis, à la première occasion qui se présenterait, mais de faire toujours semblant de se préparer à la guerre contre les Scioux.
Tous étant prêts à partir pour cette expédition, les chefs des Outaouais allèrent trouver Bourgmont, et lui demandèrent s’il n’avait point reçu de nouvelle de Québec ou de Montréal. Par une nouvelle imprudence, cet officier ne parut pas seulement faire attention à ce qu’ils disaient, ce qui les choqua beaucoup. Un moment après, le chien de Bourgmont ayant mordu un de ces sauvages à la jambe, et celui-ci ayant battu le chien, le commandant se jette sur lui, et lui donna tant de coups, qu’il en mourut peu de temps après. Cette violence brutale mit les Outaouais au désespoir. Ils partirent le lendemain, ne respirant que la vengeance, et convaincus qu’elle était nécessaire à leur conservation.
Après qu’ils eurent gagné les bois, ils revinrent sur leurs pas, et, quelque temps après, ayant rencontré six Miamis, ils se jettèrent sur eux, et en tuèrent cinq. Le sixième se sauva dans le fort, et en y entrant, il se mit à crier: “Les Outaouais nous tuent.” A ce cri, les autres Miamis, qui étaient encore dans leur village, accoururent pour se réfugier dans le fort; et comme on apperçut les Outaouais qui les poursuivaient, le commandant fit tirer sur eux, et il y en eut quelques uns de tués.
Le P. Constantin, récollet, aumônier du fort, étant sur le point d’y entrer, avec quelques Miamis qui fuyaient, des Outaouais qui les apperçurent, firent sur eux une décharge de fusils, et ce religieux reçut un coup dont il tomba mort sur le champ. Un soldat français, qui revenait du village des Hurons, fut tué de la même manière, et par le même hazard. Bourgmont fit alors fermer la porte du fort on continua de tirer sur les Outaouais, et trente de ces sauvages périrent, soit par le canon des Français, soit par le feu que firent sur eux de toutes parts les Miamis et les Hurons.
Il y avait tout lieu de croire que ce désordre ne finirait que par la destruction de l’un des deux partis, qui paraissaient pleins d’acharnement l’un contre l’autre, et qui n’écoutaient plus que leur fureur. Mais dans le temps qu’on s’y attendait le moins, les Outaouais se retirèrent dans leur village; les autres sauvages en firent autant de leur côté, et le calme se rétablit partout. La nouvelle de ce fâcheux incident ayant été portée à Québec, le marquis de Vaudreuil se trouva dans un grand embarras, qui fut encore augmenté par une députation qu’il reçut dans le même temps de la part des Iroquois. Les députés lui déclarèrent que les Cantons étaient résolus de faire la guerre aux Outaouais; et qu’après ce qui venait de se passer, ils ne doutaient point qu’il ne leur abandonnât cette nation perfide. Ils ajoutèrent qu’ils avaient déjà donné avis de leur dessein aux Anglais. M. de Lamotte était parti pour retourner au Détroit avec sa famille et un grand convoi d’hommes et de munitions; ainsi le gouverneur n’était plus à portée de concerter avec lui ce qu’il convenait de faire dans une conjoncture si délicate. Il résolut donc de temporiser jusqu’à ce qu’il eût reçu des nouvelles de ce que M. de Lamotte, aurait fait au Détroit; mais en attendant, il déclara aux Iroquois qu’il ne souffrirait pas qu’ils fissent la guerre aux Outaouais, (qui ne paraissaient pas leur avoir donné de nouveaux sujets de plainte) sans son consentement. Il parla sur ce point avec tant d’assurance et de fermeté, qu’il en imposa à la députation. Enfin il résolut de ne point pousser à bout les Outaouais, dont la ruine, ou le désespoir ne pouvait être que très préjudiciable au commerce des pelleteries. Il fut confirmé dans cette pensée par l’arrivée d’un chef de cette nation, qui étant venu le trouver pour lui faire ses excuses de ce qui s’était passé au Détroit, lui apprit que tous les Outaouais de ce poste s’étaient retirés à Michillimakinac, où ils avaient été très bien reçus de leurs frères, et ajouta que s’il leur déclarait la guerre, il n’aurait pas affaire à eux seuls. M. de Vaudreuil reçut les excuses de ce sauvage de manière à lui faire connaître qu’il ne les trouvait pas tout-à-fait satisfaisantes. Il dépêcha en même temps un courier à Lamotte-Cadillac, pour lui mander de se contenter d’être sur ses gardes, et de ne rien entreprendre avant que les circonstances eussent donné quelques lumières pour voir à quoi on devait s’en tenir.
Cet avis arriva trop tard au Détroit. Le commandant ayant appris sur sa route le désordre arrivé à ce poste, et se trouvant proche du canton de Tsonnonthouan, il y prit une escorte de cent-vingts guerriers. Il fit même avertir les autres cantons d’envoyer le plus qu’ils pourraient de leurs gens l’attendre à l’entrée du Détroit, pour être témoins de la manière dont il allait traiter leurs anciens ennemis. Mais arrivé à son poste, au lieu de marcher contre les Outaouais, il se contenta de leur faire dire de lui envoyer leurs chefs. Ceux-ci, de leur côté, alarmés par l’approche des Iroquois, lui firent réponse qu’ils iraient rendre raison de leur conduite à leur père Ononthio, et Lamotte-Cadillac ne jugea pas à propos d’aller plus loin.
Dès que les rivières furent navigables, les chefs des Outaouais partirent pour Montréal. Ils y arrivèrent au mois de Juin, et y trouvèrent le gouverneur général. Le chef de la députation commença par faire un récit exact de ce qui s’était passé au Détroit; et insista beaucoup sur ce qui leur avait été assuré, dit-il, de bien des endroits, qu’ils ne seraient pas plutôt partis pour la guerre des Scioux, que les Miamis iraient égorger leurs vieillards, leurs femmes et leurs enfans. Il fit surtout sentir l’imprudence du commandant du Détroit, qui en faisant tirer sur les Outaouais, avait été cause de la mort du père récollet et du soldat français. Il ajouta que peu de jours après le coup funeste qui les avait rendus criminels à ses yeux, il était allé seul pour faire ses excuses au sieur Bourgmont, mais qu’il n’en avait pu avoir audience; qu’il y était allé le lendemain jusqu’à six fois, et chaque fois avec un sauvage d’une autre tribu, et avec des colliers et des peaux de castor, mais toujours inutilement.
“Enfin, mon père, dit-il en finissant, me voici à tes pieds; tu sais que je ne suis pas le plus coupable, et que je ne me suis jamais écarté de mon devoir, du moins jusqu’à ce malheureux jour. Tu peux être instruit que je suis le fils du premier des sauvages d’en haut qui soit venu trouver les Français au travers des bois. M. de Courcelle lui avait donné la clef de la colonie, et l’avait invité à y venir souvent. C’est le plus cher héritage que j’aie reçu de celui à qui je dois le jour; mais de quelle utilité me sera cette clef, si je ne puis m’en servir dans la seule occasion où j’aie pu en avoir besoin? Que viens-je faire ici? J’y viens apporter ma tête, et te présenter des esclaves pour ressusciter les morts; j’y viens t’assurer du respect sincère de tes enfans. Que puis-je faire davantage? Je vois bien pourtant que tu ne seras pas satisfait qu’on ne t’ait livré Le Pesant; c’est proprement le seul coupable; mais il ne nous est pas possible de le remettra entre tes mains, sans nous attirer sur les bras toutes les tribus dont il est allié.”
M. de Vaudreuil lui répondit qu’il comprenait la difficulté qu’on aurait à lui amener ce chef, mais qu’il voulait néanmoins l’avoir; que toutes les nations étaient instruites de la faute des Outaouais; qu’il fallait qu’elles le fussent aussi de leur repentir, et de la satisfaction qu’ils en feraient; que le mal s’était fait au Détroit, et que c’était là qu’il devait être réparé; qu’il enverrait sur cela ses ordres à M. de Lamotte; qu’ils allassent le trouver, et qu’ils ne manquassent pas d’exécuter tout, ce qu’il leur dirait de sa part.
Il les congédia avec cette réponse, sans vouloir accepter leur collier, et fit partir avec eux M. de St. Pierre, à qui il donna ses instructions pour le commandant du Détroit. A leur arrivée à ce poste, Lamotte-Cadillac leur déclara qu’il n’y avait point de pardon à espérer pour eux, s’ils ne lui amenaient Le Pesant. Ils virent, ou firent semblant de voir qu’il ne leur restait plus d’autre ressource que d’obéir, et ils répondirent au commandant qu’ils allaient chercher le criminel, et qu’ils le lui amèneraient mort ou vif. Ils le lui amenèrent en effet bientôt après. En arrivant au Détroit, Le Pesant fut mis aux fers; mais tous les chefs s’étant jettés aux genoux du commandant, pour lui demander la grâce du prisonnier, elle leur fut accordée sur le champ. Cet acte d’indulgence de M. de Lamotte était propre à lui concilier les Outaouais; mais d’un autre côté, il ne pouvait qu’irriter extrêmement les Miamis, auxquels il avait, dit-on, promis la tête du coupable, et ils ne tardèrent pas à faire voir jusqu’où avait été leur ressentiment.
Les Iroquois se comportèrent, pendant tous ces mouvemens, de manière à ne donner contre eux aucun sujet de plainte, et à leur considération la Nouvelle York continuait à jouir d’une espèce de neutralité; mais les Abénaquis, excités, sans doute, par des conseils aussi cruels qu’impolitiques, continuaient à désoler la Nouvelle Angleterre, M. Dudley n’ayant pas voulu, ou n’ayant pas osé accepter la neutralité qui lui avait aussi été proposée pour cette province. Les cris des habitans, qui ne pouvaient cultiver leurs terres, ou qui les voyaient tous les jours ravagées par les sauvages, commencèrent à l’inquiéter, et il crut que le meilleur moyen de faire cesser les hostilités qui en étaient le sujet, était de chasser entièrement les Français de l’Acadie.
Il s’y résolut donc, et fit ses préparatifs avec autant de secret que de diligence; de sorte qu’on n’avait encore que des soupçons de ce dessein au Port Royal, lorsque le 6 Juin, vingt-quatre bâtimens anglais parurent à l’entrée du bassin. M. de Subercase y avait une garde de quinze hommes, qui n’eut que le temps de se retirer, à la faveur des bois, et elle n’était pas encore arrivée au fort, qu’on en apperçut la flotte ennemie, qui vint mouiller à une lieue de la place.
Le lendemain, elle mit à terre, une lieue plus bas, quinze cents hommes du côte où était le fort, et cinq cents du côté de la rivière; ce qui causa une si grande alarme, que le gouverneur eut bien de la peine à rassurer sa garnison. Il y réussit néanmoins, en témoignant lui-même beaucoup d’assurance. Au moment qu’il avait apperçu la flotte anglaise, il avait fait avertir les habitans de se rendre auprès de lui; mais ceux qui étaient les plus proches ne purent arriver que le 7 au soir. A mesure qu’ils venaient, on les faisait filer, les unes à droite, les autres à gauche, pour aller au-devant des ennemis, et retarder leur marche, en escarmouchant à la faveur des bois; ce qui eut tout le succès qu’on en avait espéré.
Le 8, presque tous les habitans s’étant rendus au fort, le gouverneur renforça les détachemens qu’il avait faits pour harceler les Anglais; mais il les avertit tous de ne pas tellement s’engager, qu’ils ne pussent aisément regagner le fort, au cas qu’ils fussent repoussés. Ils le furent en effet; mais ils ne retraitèrent qu’après avoir tué bien du monde aux ennemis. Le corps de cinq cents hommes fut le premier qui s’ouvrit un passage, et M. de Subercase envoya des bateaux et des canots pour embarquer ceux qui se retiraient devant eux. Il les fit ensuite défiler pour aller joindre les autres, qui avaient à faire au corps le plus nombreux, et qui avaient à leur tête Denys de La Ronde, gentilhomme Canadien, frère de M. de Bonaventure, et enseigne de vaisseau. Il les suivit bientôt lui-même, après avoir pris ses mesures pour arrêter les cinq cents Anglais au passage de la rivière.
Dans l’après-midi du même jour, il y eut un combat assez vif, où M. de Subercase eut un cheval tué sous lui. Il n’eut pourtant qu’un homme de tué, et un autre de blessé. La perte des Anglais fut plus considérable, mais leur grande supériorité obligea le commandant français à retraiter: il le fit en bon ordre, et ne fut point poursuivi. Les Anglais furent même deux jours sans rien faire. Ils s’approchèrent ensuite d’un demi-quart de lieue, et se disposèrent à attaquer le fort. Comme la garnison n’était pas assez forte pour défendre en même temps la place et les maisons voisines, Subercase fit brûler toutes celles qu’il ne pouvait pas garder, et où les assiégeans auraient pu se loger.
La nuit suivante, qui était celle du 10 au 11, la tranchée fut ouverte, sans qu’il fût possible de s’y opposer. Le lendemain, le gouverneur fit sortir quatre-vingts hommes, tant habitans que sauvages, qui se partagèrent des deux côtés de la rivière, et qui s’étant embusqués dans les bois, arrêtèrent tout court quatre cents Anglais, qui avaient été détachés pour tuer les bestiaux. Le baron de St. Castin s’avança même avec six Canibas, à la vue des ennemis, leur tua six hommes, alla ensuite rejoindre sa troupe, et chargea les quatre cents Anglais avec tant de résolution, qu’il les obligea à rentrer dans leur camp en désordre.
Le 16, de grand matin, on remarqua un grand mouvement dans la tranchée, et le gouverneur soupçonna que les assiégeans faisaient quelque préparatif pour la nuit suivante. En effet, vers les dix heures du soir, comme il achevait de visiter les postes, il fut averti qu’on entendait un bruit sourd, comme de gens qui marchaient. Il recommanda partout un grand silence; ce qui fit connaître aux Anglais qu’on était sur ses gardes. Cela ne les empêcha pourtant point de commencer l’attaque; mais ils s’y prirent de trop loin. Néanmoins à la faveur du feu qu’ils faisaient sur les batteries, ils firent avancer cinq cents hommes pour donner l’assaut à la place, qu’ils croyaient en beaucoup plus mauvais état qu’elle n’était. Mais le feu des assiégés, qui fut très vif et bien dirigé, incommoda si fort ces troupes, qu’elles furent contraintes de s’éloigner promptement. Cependant, entre onze heures et minuit, M. de Subercase s’apperçut que le fort était investi de toutes parts; que les ennemis étaient postés dans les ravines et dans les vallons qui environnaient la place; qu’ils y étaient même retranchés et à l’abri du canon. Cette vue l’inquiéta véritablement; il fit toutefois si bonne contenance, que les Anglais furent intimidés à leur tour, et soupçonnèrent en apparence quelque mine. N’osant donc approcher de la place, ils tentèrent de mettre le feu à une frégate et à quelques barques, qui étaient mouillées sous le canon du fort; mais y ayant trouvé trop de résistance, ils se coulèrent derrière quelques maisons qu’on avait laissées sur pied, regagnèrent leurs retranchemens, et rentrèrent, avant le jour, dans leur premier camp.
Ils s’embarquèrent le lendemain, dès que la marée le leur permit, laissant quatre-vingt de leurs gens, qu’on trouva morts en divers endroits, outre plusieurs qu’on découvrit ensuite auprès de leur camp. Ils avaient brûlé toutes les habitations qui étaient au-dessous du fort, et quelques unes de celles qui étaient au-dessus, et ils emmenaient tous les bestiaux; mais les Français en reprirent la plus grande partie.
Le Port Royal fut principalement redevable de sa conservation à soixante Canadiens, qui y étaient entrés douze heures avant que la flotte anglaise jettât les ancres dans le bassin. Les habitans, qui, depuis trois ans, n’avaient reçu presque aucun secours de France, étaient en général assez mal disposés, et M. de Subercase manda au ministre, que si le baron de St. Castin ne s’était pas rencontré parmi eux, il ne savait pas trop quel parti ils auraient pris.
(A continuer.)
Favier (N.) célèbre diplomate, successeur de son père, syndic des états-généraux du Languedoc, emploi que le goût des plaisirs et le désir d’acquérir des connaissances politiques en voyageant, lui fit vendre dès l’âge de 23 ans. La Chetardie, ambassadeur de France à Turin, le fixa auprès de lui, et l’initia dans les secrets de notre ancienne diplomatie. A la mort de cet envoyé, le comte d’Argenson, ministre des affaires étrangères, se l’attacha, et lui inspira avec passion le systême de Henri IV, de Louis XIV, de Richelieu et de Mazarin, contre les puissances rivales de la France, qui nourrissaient depuis des siècles le projet de détruire les restes de la monarchie de Charlemagne.
Favier fit par ordre du comte d’Argenson le fumeux Mémoire contre l’alliance de 1756, devenu, depuis, ouvrage élémentaire, parmi les diplomates européens, intéressés, les uns à le professer, les autres à le maudire et à en poursuivre l’auteur. L’abbé, comte de Bernis, premier destructeur de la politique de Louis XIV, instruit des opinions de Favier, se contenta de l’éloigner de tout emploi pendant son ministère. Le comte de Brolie lui en procura un indirectement auprès du duc de Choiseul, qui l’envoya en secret en Russie, en Portugal et en Espagne. Favier servait le ministère secret de Brolie aux dépens du ministère officiel: ce dévouement à l’ancienne diplomatie fut pénétré, et l’infidèle se crut obligé de se proscrire lui-même pendant les quatre dernières années du ministère du duc de Choiseul. Il passa en Angleterre et en Hollande, vivant avec les plus beaux esprits de ces deux nations, qui le recherchaient à cause de sou génie et de ses connaissances en diplomatie. Il fit à la Haye la connaissance particulière du prince Henry de Prusse, auquel il communiqua son plan inédit d’un nouveau systême d’alliances continentales et maritimes, et ne contribua pas peu, par ses intrigues secrètes, à perdre le duc de Choiseul, et à lui opposer son successeur le duc d’Aiguillon. Plusieurs cours étrangères applaudirez à ses vues à cet égard, et les favorisèrent. D’Aiguillon, qui lui témoigna lui-même sa reconnaissance, au commencement de son ministère, eut recours à ses talens. C’est alors qu’une cours intéressée à les étouffer, et à maintenir la destruction de la Pologne, imagina contre Favier, contre Monteynard, Segur et autres, l’affaire fabuleuse de 1775, et les accusa de travailler à troubler la tranquillité de l’Europe en faveur des puissances que la France avait sacrifiées par les traités de 1756 et 1757. La correspondance de Favier avec le prince Henry ne fut pas interprétée à son avantage. Le grand ouvrage dont le comte de Segur a publié la 3e édition, avec des notes, acheva de le perdre. Il fut mis à la bastille.
Favier n’était point admis à tous les plans du ministère secret; il n’était que l’historien et le rédacteur de ceux qui lui étaient confiés. Il avait publié divers Traités anonymes et plusieurs ouvrages de circonstances aujourd’hui inconnus. Les intérêts des puissances rivales de la France n’ayant pas varié, et les principes de Favier n’étant pas différents de ceux de la France, mériteront à jamais l’attention de nos grands princes. Pendant les minorités et sous des princes faibles, ces principes n’avaient pas cessé, depuis Louis XIV, de faire des victimes.
Le comte de Brolie voyant la politique de l’ennemi triomphante dans le ministère de 1773, et Favier dans les fers, réussit à le délivrer. “Tant d’esprit et tant de pauvreté, disait-il au roi, tant de talents et tant de haines étrangères, prouvent l’état de notre cabinet; ils rappellent ce que fut jadis votre majesté, et où ses alliés l’ont conduite.” Il écrivait en même temps à Louis XV, que si dans le dernier ouvrage qu’il lui avait adressé, il se trouvait quelque observation digne du monarque, elle appartenait à Favier destitué, fugitif, errant, proscrit, accusé et emprisonné pour son attachement aux intérêts les plus chers du prince.
Favier sortit dans peu de temps de la bastille, employant les premiers instans de sa liberté à écrire sur la cause de ses malheurs, sur le génie implacable qui le poursuivait, et sur l’action criminelle des puissances ennemies de la France dans le sein de l’état. Cet ouvrage, proscrit comme les précédents, a été enveloppé en 1794 avec tant d’autres ruines. “La précision des pensées de Favier, dit un écrivain qui en a fait une étude particulière; le laconisme de son style, la liaison de ses idées, la facilité de ses compositions, lui ont assuré un rang éminent dans la classe des écrivains politiques et dans la république des lettres.” Le comte de Ségur a recueilli une partie de ses œuvres en 3 vol. in-8o, avec beaucoup de notes et d’observations. (Dictionnaire Biographique.)
Un voyageur célèbre, le seul peut-être qui ait su donner à ses récits le vrai caractère de l’histoire, Volney, réfléchissant au contraste que présentent les mœurs des Arabes scénites avec celles des peuplades sauvages de l’Amérique, en a attribué la cause à la nature du sol, lequel, formé en majeure partie de plaines rases en Arabie et en Libye, aurait rendu, selon lui, les habitans exclusivement pasteurs, et couvert de forêts en Amérique, les y aurait rendus chasseurs. De ces habitudes contraires, il induit que les Arabes scénites se nourrissant principalement de laitage et du produit de leurs récoltes, ont dû contracter des mœurs douces et sociables, et que les Sauvages de l’Amérique, accoutumés à verser le sang et à déchirer leurs proies, se sont familiarisés avec le meurtre et ont été conduits insensiblement à dévorer leurs semblables. (Volney, Voyage en Syrie et en Egypte, t. II, c. 2.)
J’avoue que ces idées ont, au premier abord, quelque chose de plausible, non par la comparaison que fait Volney de deux états sociaux que l’on ne peut mettre en parallèle, ils n’ont de commun que la vie errante; mais par d’autres qui remontent à des époques antérieures, et qui ne sont pas moins d’accord avec son observation. En effet, si l’on consulte les traditions que l’histoire a laissées sur les mœurs des peuples nomades qui habitaient dans l’antiquité les mêmes lieux que les Scénites actuels, on reconnaît chez ces peuples des mœurs qui prouvent évidemment un état social à peine formé; mais l’on est surpris de retrouver chez aucun d’entre eux l’usage atroce de confondre la chair humaine parmi les alimens, et, quoique infidèles en bien des points aux habitudes qui constatent historiquement la vie pastorale, se nourrir tous et plusieurs exclusivement de laitage et de fruits. Néanmoins, en fournissant ces faits, qui appuient l’opinion de Volney, faut-il l’admettre sans autre examen? Je ne le crois pas; bien plus je me dispose à la combattre.
Tous ces systêmes qui tendent à modeler les penchans de l’homme, soit sur la différence des climats, soit sur les productions ou sur la disposition du sol, ressemblent assez à ces combinaisons ingénieuses qui, divisant la nature par cases ou par échelles, trouvent un certain nombre d’individus qui s’y rapportent; mais on a beau faire, les aberrations viennent déjouer les calculs, la nature triomphe, et ses irrégularités mêmes qui dépitent le faiseur de systêmes, prouvent la filiation imperceptible et harmonieuse de tout ce qu’elle produit.
Ainsi, pour m’en tenir au sujet qui m’occupe, pourquoi les nombreux habitans du mont Atlas ont-ils mené une vie pastorale au sein de leurs vastes forêts, et se sont-ils même abstenus de toute nourriture animale (Hérodote, 1. IV, 184.) Pourquoi ces farouches Garamantes, qui fuyaient toute communication humaine hors de leur peuplade, ont-ils préféré aller chercher au loin de la terre fertile pour en couvrir le sol imprégné de sel qu’ils habitaient, et le rendre, par ce moyen, labourable, plutôt que d’aller faire la chasse aux animaux des forêts voisines de leur canton (Hérodote, 1. IV, 174, 183.) Pourquoi les Asbytes errant sur les terrasses boisées des monts de la Cyrénaïque, se sont-ils nourris presque exclusivement de silphium (Solin. Polysth. c. 44.) et ont-ils transmis aux Grecs le secret de ce mets frugal, au lieu de leur apprendre à poursuivre de leurs traits les timides gazelles et les innocents bubales? Pourquoi les Mayes, qui habitaient primitivement les vallées formées par les prolongemens orientaux de la chaîne atlantique, se trouvant au milieu d’un pays couvert de bois touffus et remplis de toutes sortes de fauves, ont-ils négligé les faciles moyens d’existence que leur offrait la chasse, pour s’adonner entièrement à l’agriculture? Pourquoi ces habitans des forêts se sont-ils même distingués des autres Libyens par leur inclination pour la vie sédentaire, inclination qu’ils manifestaient en se construisant de petites maisons au milieu de leurs champs (Hérodote, 1. IV, 191.) et qu’ils ne perdirent pas même lorsqu’une partie d’entre eux fut remplacer, sur les bords inhospitaliers de la Syrte, les Nasamons fuyant devant les aigles de Rome? En outre, pourquoi les seuls Libyens qui se soient nourris de tems à autres du produit de la chasse, furent-ils ceux précisément qui occupaient les plaines éloignées des forêts, et par conséquent les moins favorables à une pareille ressource, tels que les nomades littoraux de Pomponius (Pomp. Méla, 1. I, c. 8.) et les Africains chasseurs de Lucain (Lucain, Phars. 1. IV, v. 685-687.) Il faut faire remarquer, il est vrai, que les premiers ne recouraient à ce moyen de subsistance que pour épargner leurs troupeaux, et lorsqu’ils étaient privés des baies de l’arak, seul arbrissau à fruit comestible que l’on trouvât dans leurs mapalia; et que les seconds formaient une caste de Libyens à part, dont la profession était de purger les solitudes de leurs hôtes les plus nuisibles, des tigres et des lions, de telle manière que ces chasseurs n’avaient point de demeure en propre et pouvaient s’arrêter, chemin faisant, dans toutes les cabanes des bergers, dont ils protégeaient les troupeaux contre leurs terribles ravisseurs.
Ces exemples auxquels je pourrais en joindre plusieurs autres, prouvent, ce me semble, que l’opinion de Volney est plus spécieuse qu’elle n’est fondée sur la réalité, puisque de nombreuses exceptions viennent détruire ses raisonnemens. Cependant son observation première, séparée des inductions qu’il en a tirées, n’en est pas moins réelle, et elle acquiert même plus de prix par le témoignage de l’antiquité. Cherchons donc quelle en peut-être la cause. Si je ne me trompe, la voici.
Quel que soit le sol que l’homme habite, qu’il soit éternellement couvert de glaces amoncelées, ou brûlé par un soleil ardent; qu’il soit ombragé d’épaisses forêts, ou formé de plaines nues et sans horizon, ce n’est point aux glaces, aux plaines, aux forêts, en un mot, ce n’est point à la nature qu’il doit les heureux penchans de son âme ou ses funestes travers; c’est plutôt à tout ce qui n’est pas elle, c’est aux idées que l’homme se plaît à se forger, c’est à ses bizarres inventions, à ses fantastiques croyances; et plus ces croyances sont dénaturées, plus les mœurs des hommes sont cruelles.
Ainsi, par une inconcevable erreur de l’esprit humain, nous voyons la plupart des plus anciens peuples sauvages de l’Amérique, que nous ayons connus, quoique environnés du spectacle attrayant des dons que leur offrait la nature, se créer néanmoins des croyances funestes, et rendre des honneurs atroces à l’auteur de tout ce qui les entourrait. Nous les voyons abattre les arbres des forêts, les dépouiller de leur belle verdure, pour en façonner eux-mêmes des divinités hideuses, et se tuer ensuite réciproquement, pour arroser de leur propre sang les autels de leurs monstrueux ouvrages.
D’un autre côté, dans les contrées qui nous occupent, contrées en majeure partie d’une aridité affreuse, où l’homme eût été plus pardonnable de se créer des dieux dont l’horreur aurait présidé à l’horreur de ces solitudes, d’arroser leurs autels de sang humain, faute d’en trouver d’autre, et de dévorer son semblable, faute de pouvoir apaiser sa faim; par un contraste non moins étonnant, nous voyons les Lybiens épars dans ces tristes déserts, ne point déshonorer leur raison par des créations mensongères; nous les voyons suivre de temps immémorial un culte raisonnable, le seul même qui paraisse, à défaut de révélation, devoir être inspiré naturellement aux hommes; nous les voyons adorer, tous indistinctement, l’astre qui faisait mûrir leurs rares moissons et celui qui les guidait la nuit dans leurs migrations pastorales (Hérod. 1. IV, 88.). Des sacrifices ensanglantaient aussi quelquefois, il faut le dire, ce culte innocent; mais ces sacrifices, du moins ne furent jamais inhumains; les victimes fuient toujours choisies parmi les troupeaux.
Que si, pour ne pas nous borner à des spécialités que l’on pourrait croire accidentelles, nous confrontons ces observations avec d’autres contrées, nous y rencontrerons des preuves non moins frappantes. Quittons la Libye pour pénétrer en Asie, continent de tout temps parsemé d’un grand nombre de peuples nomades: franchissons d’un seul trait la région montueuse qui sépare la mer Méditerranée du Pont-Euxin, et arrêtons-nous seulement aux plaines qui s’étenpent au nord de la Chersonèse Taurique. Nous voici arrivés dans un pays bien propre, selon le systême exposé, à inspirer à ses habitans des mœurs douces, à les porter vers la vie pastorale; nulle forêt ne peut les détourner d’une impulsion naturelle: nous n’y apercevons, dans toute son étendue, que le petit bois d’Hylée. Cinq fleuves principaux, l’Ister, le Tyras, l’Hypanis, le Borysthène et le Tanaïs, subdivisés en mille canaux, arrosent ces plaines en tous sens, les couvrent d’excellents pâturages, les meilleurs même que l’on connût dans l’antiquité, et durent originairement, là plus que partout ailleurs, inviter les hommes à la paix, à la concorde et à s’entraîmer. Il n’en fut rien pourtant. Ceux qui habitaient cette contrée dans les tems antiques, s’ils ont acquis quelque célébrité, ce n’est pas sûrement par la douceur des mœurs, ni par l’innocence de la vie pastorale; quoique nomade, leur vie fut toute guerrière, et les annales en furent sanglantes: qui ne se rappelle pas les habitudes des Scythes?
Quoique cette nombreuse nation fût divisée en plusieurs peuples, dont les usages offraient entre eux des nuances marquantes, que les uns en aient été surnommés agriculteurs, les autres guerriers, et d’autres encore spécialement nomades; néanmoins nous n’en voyons aucun s’adonner exclusivement, ainsi que les Libyens, à la vie pastorale, et la plupart se distinguer au contraire par une grande répugnance pour cette vie paisible. La raison de cette turbulente inquiétude, nous la trouvons encore dans le culte religieux. Malgré leur éloignement pour les usages étrangers, dont le sage Anacharsis en fut une preuve et une victime, ils avaient emprunté à la mythologie des Grecs, leurs voisins, leurs principales divinités. Mais cette riante mythologie, en émigrant dans leurs camps, avait quitté sa physionomie attique; elle marchait à la tète de leurs chariots, avec des noms barbares et de noires couleurs.
Vesta,[1] sous le nom de Tabiti, ne présidait plus qu’aux grands feux allumés dans les camps; Jupiter, sous celui de Papæus, n’avait conservé de toute sa puissance que le droit de conjurer les orages: Vénus elle-même dépouillée de sa magique ceinture, n’avait d’autres charmes pour eux, que de guider du haut des cieux, sous le nom d’Artimpasa, leurs courses nocturnes. Mars, le terrible Mars, était le seul qui ne se fût point dénaturalisé chez eux; c’était aussi leur dieu suprême, le souverain arbitre de leurs destinées, le seul auquel ils élevassent des statues et des temples: ce dernier trait suffirait pour peindre leurs mœurs.
Faut-il ajouter que les cérémonies du culte répondaient à la barbarie du choix? Le temple était une immense agglomération de broussailles, que chaque nome ou tribu réparait annuellement; la statue, placée au sommet, était un cimeterre, symbole digne du dieu qu’il représentait; et les victimes, outre les chevaux, étaient souvent choisies parmi les hommes, sinon de la nation même, du moins parmi les prisonniers qu’ils faisaient sur leurs ennemis. La manière d’offrir ces perfides offrandes en augmentait l’horreur: le sang de la victime servait à arroser la statue, à la faire luire sanglante dans les airs; les membres en étaient dépécés et dispersés tout autour; la tète seule était réservée pour être cédée au vainqueur: celui-ci en détachait le crâne, et, l’ornant d’or ou d’argent, il le métamorphosait en coupe qui passait de famille en famille, et la peau préparée et garnie encore de ses ongles allait servir de revêtement aux carquois, de tablier aux hommes, ou de harnois aux chevaux!... Mais ces preuves suffisent, il me semble, car l’on ne peut sans dégoût continuer à décrire ce culte sanguinaire parmi des plaines fertiles et riantes, qui auraient dû inspirer de tout autres penchans à leurs habitans, si les hommes tenaient leurs penchans de la terre.
C’est une conséquence naturelle de notre opinion qu’un pareil culte, servant de lien social au plus grand peuple nomade de l’antiquité, et reproduit sous diverses formes parmi les peuplades diverses qui avoisinaient les Scythes, les ait portées à des mœurs non moins barbares et aussi éloignées de la vie pastorale, soit qu’elles habitassent des forêts, soit des plaines dépourvues d’arbres, telles que les Sauromates, les Bodins, les Tyssagètes, les Yrques et autres; et qu’il ait même entraîné une d’entre elles à l’état complet de brute, à celui d’anthropophage, quoique Hérodote, pour revendiquer l’honneur des Scythes, ait pris le soin d’affirmer qu’elle ne faisait point partie de leur nation.
Ce n’est pas ici le lieu de pousser plus loin ces investigations, d’autant plus que pour les exposer avec quelque clarté, il faudrait nécessairement dépouiller la vérité des fables qui l’entourent: on sait que l’antiquité a peint avec l’imagination les hommes et les pays qu’elle n’a pu apercevoir de ses yeux. Ainsi, me bornant à joindre les faits que je viens d’exposer à ceux qui ont suggéré ma première comparaison, nous ne trouverons point surprenant qu’une si grande différence de mœurs ait existé entre des peuples à peu près semblables par les formes sociales, et si différents par le culte religieux; que les uns habitués à faire rougir les autels du sang de leurs semblables, n’aient point hésité à dévorer les restes palpitans de ces atroces offrandes, qu’ils jugeaient agréables à leurs divinités; et que les autres, épurant leurs vœux en les adressant au ciel, à des dieux dont ils éprouvaient sensiblement et chaque jour les bienfaits, n’aient jamais eu l’idée de ces perfides holocaustes et des horribles festins qui les suivaient. La différence des croyances religieuses, et non la nature, fut donc la cause de mœurs si opposées, et les plaines ni les forêts n’occasionnèrent jamais chez leurs habitans, convenons-en, l’innocence ou la perfidie, l’humanité ou la plus aveugle cruauté.
Pacho.
Il me paraît superflu d’employer les noms originaires de ces divinités, préférablement à ceux par lesquels elles font vulgairement connues. Je ferai remarquer en passant que, quoique le culte de Vesta paraisse avoir été plus répandu chez les Romains que chez les Grecs, on ne peut-être surpris de le voir adopté par les Scythes qui habitaient un pays très froid. |
La prise de Varna, suite présumée de la trahison de l’un des chefs de la garnison de cette place, a donné une grande célébrité au nom de Joussouf-Pacha. Une notice exacte sur la vie de cet officier turc ne nous paraît donc pas hors de propos.
Joussouf-Pacha est né en 1787, à Serès, sur la mer de Marmara, 17 lieues N. O. de Salonique. Il est le fils ainé du fameux Ismail-Bey, Ayan de Serès. Joussouf prenait aussi depuis son enfance le titre de Bey; il reçut une très bonne éducation, et annonça de bonne heure une grande imagination et beaucoup d’intelligence. Son père étendait sa puissance sur presque toute la Macédoine; son influence sur les autres Ayans et ses services pendant la guerre lui avaient acquis un grand crédit. Il obtint de la Porte le gouvernement de Salonique avec le titre de musselim pour son fils ainé, à peine âgé de vingt-trois ans. Le port de Salonique était alors une grande place de commerce. C’était un des points par où les Anglais faisaient passer leurs marchandises en Europe, malgré les décrets de Napoléon, qui voulait soutenir le blocus continental: c’était de là précisément que les caravanes françaises partaient pour la Bosnie.
Dans cette espèce de nouveau monde, Joussouf sut connaître les Francs et apprécier leurs arts. Protecteur impartial des négocians de toutes les nations, il trouva, dans l’énorme produit de ses douanes, de quoi satisfaire tous ses projets. Des travaux importans furent entrepris, des usines s’établirent. Un Toulonnais, nommé Richard, devint, d’un seul coup, ingénieur, architecte, ouvrier et chef des fonderies. Des machines, des instrumens, des armes, des livres de toute sorte arrivèrent bientôt à Salonique, de Paris et de Londres. Non seulement Joussouf buvait du champagne, mais encore il s’habillait souvent à la franque. Enfin aucun Turc n’adopta plus que lui les mœurs des peuples civilisés.
En 1813, Ismaïl Bey mourut également regretté par les chrétiens et par les musulmans. Joussouf, remplacé à Salonique, selon la coutume, par d’autres pachas, dut s’en retourner à Serès. Là il continua, comme auparavant l’avait fait son père, à gouverner avec sagesse et humanité. Mais son luxe, ses maisons de campagne, ses harems lui coûtèrent des sommes considérables; il n’avait plus les revenus des douanes, ce fut cause qu’il ne tarda pas à s’endetter. Depuis cette époque ses affaires ne se rétablirent jamais, et la guerre finit par le ruiner entièrement. Dès les premiers tems de la révolution grecque, il accepta le titre de pacha à trois queues que dix fois son père avait refusé.
Joussouf-Pacha leva plusieurs corps d’armée, et occupa divers emplois sans aucun succès, jusqu’au moment où il reçut l’ordre de se rendre à Varna, auprès du Capitan-Pacha, avec ses Albanais. Ce fut là le dernier effort de son patriotisme. Tout annonce qu’il ne reverra plus sa patrie, si ce n’est pour y venir chercher le prix de sa trahison.
Le Crapaud quitte sa retraite dès les premiers beaux jours de printems, pour propager son espèce au bord des fossés, des étangs et des lacs. La femelle pond ses œufs réunis, comme autant de perles, par un filet de nature gélatineuse presque transparente. Au bout de quelques jours, ces œufs se développent en tétards, puis en animaux parfaits: ils quittent alors l’eau et se répandent sur terre, où ils deviennent pour la plupart la proie favorite de plusieurs oiseaux, et même de tels individus de leur espèce qui sont assez gros pour les avaler.
Quoiqu’incapable de supporter un grand froid, le crapaud craint la chaleur et ne choisit jamais sa résidence de jour dans un lieu exposé au soleil; il se place dans quelque retraite bien abritée, où, en sentinelle comme l’araignée dans sa toile, il est prêt à lancer sa redoutable langue sur les insectes qui arrivent à sa portée, et qu’il poursuit même quelquefois jusqu’à une petite distance; mais soit qu’il réussisse ou non à les atteindre, il se retire à son gîte, et souvent en marchant à reculons. Ses yeux sont si proéminents qu’il peut découvrir sa proie dans toutes les directions. Sa langue dans l’état de repos est de forme conique très élastique et susceptible de s’allonger considérablement; elle est enduite d’une salive glutineuse qui retient les insectes au plus léger contact. La base de cet organe est attachée au bord intérieur de la mâchoire inférieure, et sa pointe retourne en arrière vers le gosier. On remarque à la mâchoire supérieure et inférieure une protubérance qui sert à écraser instantanément les insectes, tels que les abeilles, les guêpes, avant de les avaler. Le crapaud se nourrit de petits vers, de chenilles et de toutes sortes d’insectes ailés, excepté de papillons, qu’il mange cependant lorsqu’on les lui présente sans ailes. Il est à la fois capable d’une longue abstinence, et de se gorger de nourriture quand il en trouve l’occasion.
Pour voir un crapaud dans toute l’énergie dé son caractère, il faut, après avoir découvert sa retraite pendant le jour, et en se plaçant si on le peut de manière à ne pas être apperçu de lui, laisser tomber tout auprès une chenille, un petit vers, une grosse mouche privée d’une aile, &c.; à l’instant il sort de sa torpeur apparente, ses yeux brillent, il s’approche assez lestement de sa proie, et s’anime d’une manière qui contraste fort avec la lenteur ordinaire de ses mouvemens. Arrivé à la distance convenable, il s’arrête tout court dans l’attitude d’un chien couchant; il fixe sa victime pendant quelques secondes, puis faisant darder sa langue sur elle, il la prend et la ramène dans son gosier d’un mouvement si rapide que l’œil a peine à le suivre. Un trait particulier dans les habitudes du crapaud, c’est de refuser constamment les insectes morts, lors même qu’on vient de les tuer.
C’est à peu près vers l’époque du départ des hirondelles que les crapauds choisissent leurs retraites d’hiver, dans les trous des vieilles murailles, sous des racines de haies, partout en un mot où ils trouvent de l’abri contre les rigueurs du froid. Quelques uns se creusent dans la terre des trous jusqu’à une profondeur au-delà de laquelle la gelée pénètre rarement. Ils ne se réunissent pas en nombre, comme le font les grenouilles; mais ils s’établissent solitairement.
Les crapauds ne sont pas venimeux. (Philosophical Magazine, Août 1824.)
Un mineur anglais, en ouvrant, au mois de mai 1824, un nouveau puits à houille, auprès de Haughton-Spring, trouva un crapaud vivant au milieu d’un bloc solide de pierre, à une profondeur de 25 à 26 brasses au-dessous de la surface de la terre. Le reptile fut porté au grand jour, tué quatre jours après, et examiné. On reconnut qu’il avait un nombril, mais point de bouche; du reste, il ressemblait au crapaud ordinaire. (Sheffield Mercury, du 22 Mai 1824.)
Ce temple est une des plus grandes merveilles de l’Asie. Quelques auteurs, frappés de la magnificence étonnante qui le caractérise, l’attribuent à Alexandre-le-Grand. Quoiqu’il en soit de son origine, c’est un monument aussi remarquable par sa vaste étendue que par la singularité et le nombre infini de ses détails. Les premiers qui s’offrent à la vue sont deux grands pilastres de vingt palmes[1] de hauteur, dont le premier tiers est carré, le second octogone, et le plus haut, tout-à-fait rond. Leur diamètre est de six palmes et leur distance mutuelle de quinze. Ce portique, situé à huit pieds de la roche, et qui soutient une pierre de quarante-quatre palmes de long, sur huit de large et quatre d’épaisseur, conduit dans une espèce de place large de quarante palmes, et taillée dans le roc même, à l’extrémité de laquelle on trouve trois partes; celle du milieu est la plus grande.
A dix pas vers la droite, on voit une grotte ouverte de deux côtés. Sa longueur est de vingt-quatre palmes, et sa largeur de quinze. Le dôme qu’elle forme a dix palmes de diamètre, et quinze d’élévation avec une corniche carrée. La première idole qu’on y apperçoit est taillée dans le roc, à demi-relief. Sa tête est couverte d’un bonnet qui ressemble à celui du doge de Venise. Près d’elle sont deux statues en posture soumise, dont les bonnets ont la forme d’un pain de sucre. Au-dessus de leurs têtes, on distingue deux petites figures, taillées aussi dans le roc, sous la forme des anges qu’on représente en l’air, et plus bas, deux autres qui tiennent un bâton sur les mains. Deux enfans, les mains jointes, comme s’ils étaient en prière, et lui portent une espèce de bâton sur leurs épaules, sont à ses côtés.
Dans une autre grotte voisine, on trouve un second dôme, d’une seule pierre, et de la même forme que le précédent; mais le sommet en est rompu. Autour de cette seconde grotte, on apperçoit quatre figures de demi-relief, qui tiennent dans la main gauche une espèce d’habillement: les mêmes sortes de bonnets, et de petites figures semblables aux précédentes, sont à leurs pieds et sur leurs têtes.
Vis-à-vis de cette grotte, on en trouve une autre, dans laquelle on voit trois petites figures assises, et six autres fort grandes avec trois moyennes. Les neuf dernières sont debout, et travaillées dans la roche même. Celle du milleu tient un arbre chargé de fruits dans lu main gauche. De l’autre côté, seize figures, toutes assises, coiffées de mêmes bonnets, et ayant les mains croisées sur l’estomac, s’offrent à la vue? Une des seize à près d’elle de petites figures debout, et deux autres au-dessus.
A une très petite distance de cette dernière grotte, du côté du septentrion, on en rencontre encore une autre, de huit palmes dans toutes ses dimensions. Elle contient une espèce de lit de pierre. Sur le façade, on voit une statue assise, les jambes croisées, à la manière des Orientaux, et les mains jointes sur l’estomac; une autre qui tient une branche d’arbre chargée de fruits, et sur la tête de laquelle on distingue deux enfans ailés et debout. Au-delà de cette grotte, et sur la même façade, qui s’étend plus de soixante palmes au-dedans de la roche, on trouve deux statues assises, avec leurs mains sur l’estomac et leurs bonnets sur la tête. Deux autres, qui sont debout, semblent n’être placées là que pour les suivre.
Toutes ces grottes et toutes ces figures, qui sont autant de monumens en elles-mêmes, ne sont en quelque sorte que les avenues du fameux temple du Canarin. Une couverture de quarante palmes, taillée dans une façade de la même pierre, qui en a quatre-vingt de longueur, lui sert d’entrée. Sur la droite de cette ouverture, on trouve une grotte ronde, de plus de cinquante et une palmes de circuit. Des statues, les unes assises, les autres debout, l’environnent. Une seule est plus grande que les autres. Plusieurs caractères, qui semblent inexplicables, se font remarquer sur la façade du dôme qui surmonte la grotte. Le premier vestibule du temple est un carré parfait, de cinquante palmes. On y voit de chaque côté, une colonne de soixante palmes de hauteur, avec ses chapiteaux, et six de diamètre. Celle de droite offre deux lions avec un bouclier à côté, et celle de gauche, deux statues. Ces deux colonnes passées, on apperçoit sur la gauche, à l’entrée d’une grotte, deux grandes statues debout, qui se regardent mutuellement. Plus loin, et du même côté, on voit deux autres statues d’une grandeur prodigieuse, et une troisième sur la droite. Elles sont toutes debout, avec plusieurs petites figures autour d’elles. Du côté droit, où sont les lions, on distingue deux grands vases, sur des pieds d’une grandeur proportionnée.
Trois portes égales, de trente palmes de hauteur, sur huit de largeur, conduisent dans un espace où l’on trouve quatre colonnes travaillées de lu roche même. Leur élévation est de douze palmes, entre l’espace des cinq fenêtres qui donnent du jour au temple. A la droite de l’entrée, on distingue quelques lettres que le temps a rongées ainsi que le reste de l’ouvrage. Indépendamment de diverses petites figures qui se trouvent sur les côtés, on voit deux statues gigantesques qui sont debout, et qui ont la main droite ouverte, tandis que la gauche tient un vêtement. Elles sont coiffées de bonnets pareils aux précédents, et ont des pendans d’oreilles à l’indienne.
A l’entrée même du temple, dont la porte a quinze palmes de haut sur huit de large, on apperçoit sur la droite, quatre statues debout, dont l’une représente une femme avec une fleur à la main; et douze autres plus petites, les unes assises, les autres debout, tenant également quelque chose dans les mains, qu’elles ne laissent pas d’avoir croisées sur l’estomac. A la gauche, sont quatre autres statues, dont deux femmes, avec de grands anneaux aux pieds, et seize autres petites aux côtés, les unes assises, les autres debout, dans la même posture que les précédentes. La porte même en offre deux grandes, et deux autres vis-à-vis, avec trois petites qui sont debout.
Une fenêtre de quarante-quatre palmes de largeur, c’est-à-dire aussi large que le temple, avec une pierre au milieu, en manière d’architrave, et soutenue en-dedans par deux colonnes octogones, est ouverte sur le cintre de la porte. A gauche, dans l’intérieur, on voit encore une inscription en caractères aussi peu connus que la première.
Le temple, qui est vouté, s’arrondit à l’extrémité. Trente-quatre colonnes, sans compter celles de l’entrée, y forment trois espèces de nefs. Dix-sept ont des chapiteaux surmontés par des figures d’éléphans. Les autres n’ont rien de remarquable que leur figure octogone. L’espace qui reste entre les colonnes et la roche, c’est-à-dire la largeur des nefs, de chaque côté, est de six palmes.
Tout ce qui vient d’être décrit est taillé dans le rocher même, sans addition d’aucune autre matière aux statues, et sans la moindre partie qui puisse se détacher. Sur le plan du temple, on voit une grande quantité de pierres taillées, qui servaient vraisemblablement de degrés à quelque édifice.
En sortant de ce lieu mystérieux, on trouve encore une infinité de citernes, de grottes et de divers autres monumens, parmi lesquels on remarque un second temple, dont la hauteur, par une disproportion assez étrange, n’est que de douze palmes. On y voit, comme dans le temple de Canarin, de grandes et de petites statues, les unes assises, les autres de bout, et la plupart coiffées de bonnets pointus. (Merveilles du Monde.)
Le palme grec était de quatre doigts, ou le sixième d’une coudée grecque. |
Jouy. (Les Hermites en liberté)
Je ne sais, mais je parierais qu’un mouvement d’humeur agitait l’aimable hermite auquel j’emprunte mon épigraphe, lorsqu’il laissa échapper une phrase dans laquelle la part de la galanterie ne peut faire excuser la sévérité du jugement. C’est l’auteur spirituel et profond qui a tracé de si gracieuses esquisses de ces femmes qu’il critique, c’est celui qui a peint avec tant de force les vertus et les qualités du cœur chez le sexe charmant, c’est lui qui dit que ces femmes si bonnes, si douces, si fortes par les sentimens vertueux, perdent à se faire connaître. Non, je ne puis le croire, c’est Je caustique écrivain, ce n’est pas l’homme qui a laissé sa plume écrire ces mots coupables de lèze humanité.
Qui peut nier l’influence des femmes? Tout ce qu’elles approchent s’embellit d’un charme nouveau; le doux feu de leurs regards semble donner une vie nouvelle à tout ce qui les entourre. Les lettres, les arts sont tributaires de leur goût, de leurs jugemens; c’est à leurs pieds que nous autres hommes, si fiers et si superbes loin d’elles, venons d’un air soumis atfois dans sa vie, comme Socrate, sacrifié aux grâces?
Le cœur de la femme est tout indulgence et bonté, et si l’âcreté et l’envie y trouvent place quelquefois, c’est à l’éducation qu’il faut s’en prendre: les exceptions sont rares, mais aussi il est vrai de dire que quand une femme est bien réellement méchante, elle l’est plus que dix hommes ensemble.
Un père pardonne à son fils coupable; une mère fait plus, elle le console, le relève à ses propres yeux, lui rend l’estime de soi-même, sans laquelle il est impossible de rien faire de bien, et le courage d’être vertueux, qui est déjà la moitié de la vertu. Rien de doux comme ses reproches! de consolateur comme ses conseils!
Un homme est abandonné de ses amis, la fortune le trahit, le malheur l’accable; mais il lui reste une épouse chérie, il lui cache cependant ses maux suites de sa propre inconduite, mais elle sait lire au fond de son cœur, elle le rappelle doucement à lui-même, l’attendrit, pleure avec lui, ne veut pas d’aveux, mais du courage, de l’espérance, et peu à peu le malheureux, arraché à l’affreuse résignation de souffrir seul, espère et sourit!
Le jeune homme dégoûté de l’existence dès les premiers pas dans la carrière du monde, s’il a encore un sentiment dans le cœur, qu’il aille avant de mourir, voir une sœur, une mère, une amie, en revenant il respirera plus à l’aise, ses idées noires se seront dissipées; il ne verra plus les objets à travers la teinte sombre du découragement, c’est le prisme enchanté de l’espérance et du bonheur qui leur prêtera ses riantes couleurs.
Le vieillard, un pied dans la tombe qui bientôt se refermant sur lui va engloutir pour jamais ses regrets, ses souffrances et ses plaintes, jette autour de lui un regard de douleur, mais une femme, sa fille est là, son regard a rencontré celui du mourant; sa douce voix lui rend le courage ...la mort frappe ...et l’homme meurt, mais consolé ...ses derniers momens sont adoucis; une femme lui a fermé les yeux.
Ainsi dans toutes les périodes de la vie, la femme est là comme un génie tutélaire qui veille sur nous; mais dans le malheur surtout, dans le découragement plus que jamais elle est là ...dans nos erreurs elle nous tend une main secourable; ses paroles affectueuses vont au cœur, et le coupable est déjà repentant quand il l’écoute. Par elle nous sommes plus heureux; par elle nous devenons plus sociables, plus doux, meilleurs enfin. Dans l’égarement, entraîné par les passions, on peut méconnaître la voix d’un ami, mais celle d’une femme!... Je le demande aux jeunes gens comme aux vieillards! je le demande au bon hermite lui-même! Il a répondu: C’est impossible!
La Mort de Henri IV, tragédie de Legouvé, fut acceptée par les comédiens français avec enthousiasme, mais sans espoir de la représenter.—Comment ôser mettre sur la scène un Bourbon, lorsque Napoléon gouvernait la France! Legouvé fut frappé d’une heureuse inspiration. Il osa donc solliciter auprès du vainqueur d’Austerlitz la faveur de lui faire entendre la lecture de sa tragédie; il en reçut une réponse favorable. L’audience était accordée pour midi précis. Legouvé s’y rendit, accompagné de Talma, qui devait lire la pièce. A leur arrivée, les sœurs de l’empereur et les dames de leur suite voulurent se placer au salon où devait avoir lieu la lecture. Chacune d’elles était empressée de voir l’auteur du “Mérite des femmes,” mais elles furent éconduites par Napoléon, qui leur dit que c’était une réunion particulière à laquelle il n’admettait que l’impératrice. Il ferme lui-même la porte à double tour et désignant un siège à l’auteur, il l’invite à s’asseoir. Legouvé hésite un instant, et l’empereur reprend avec une brusque urbanité: “Vous voulez donc que je reste debout?” La lecture commence: à ces pénibles confidences que Henri IV fait à Sully, des tourmens sans cesse renaissants dont l’accablait l’altière Medicis, Napoléon portant un regard sur Joséphine, sembla lui dire qu’il n’avait jamais éprouvé d’elle que tendresse, dévouement, inaltérable bonté. Mais bientôt au récit fidèle de la sainte amitié qui unissait Henri IV et Sully, de ce bonheur si rare pour les souverains, de compter sur un ami véritable, sur un cœur à toute épreuve, l’empereur se lève et regardant de tous côtés, parait chercher le fidèle et brave Montebello. Restant alors debout, appuyé sur le dos d’un fauteuil, il suit la lecture avec la plus scrupuleuse attention; et lorsque Talma prononce ce vers dans lu bouche du Béarnais, qui pressent sa fin prochaine: “Je tremble, je ne sais, quel noir pressentiment ...” Napoléon l’interrompt tout-à-coup, et dit à Legouvé: “J’espère que vous changerez cette expression; un roi peut trembler, c’est un homme comme un autre; mais il ne doit jamais le dire. L’auteur en effet y substitua sur le champ: ‘je frémis, je ne suis etc.’ ”
Enfin, la conspiration s’achève: le meilleur des rois est frappé du poignard que ses plus chers affidés ont mis aux mains du fanatisme. Sully, éperdu de douleur et d’épouvante, vient en faire le touchant récit. “Le pauvre homme!...l’excellent homme!...” prononce plusieurs fois Napoléon très-ému, tandis que Joséphine fondait en larmes. “Vous avez bien fait, ajoute-t-il, de désigner les auteurs de ce crime exécrable. Il faut vous attendre à de nombreux débats littéraires mais vous aurez un grand succès.” Il lui parle alors de ses autres ouvrages, et lui exprime l’intention de donner à son talent la récompense qu’il mérite; mais Legouvé lui répond modestement qu’il en avait recueilli tout le prix, puisqu’il était honoré de l’estime publique et membre de l’institut de France. “Ainsi vous ne voulez rien?” répond Napoléon en jetant sur lui un regard scrutateur: “Quoi, ni pension, ni honneurs ne peuvent vous toucher! vous êtes donc un véritable homme de lettres!” Il le quitte à ces mots: et dès le lendemain l’ordre fut donné au Théâtre—Français déjouer la pièce, qui obtint un cours brillant de représantations.
M. d’Emden.
Powhatan, sachem, ou grand chef des Virginiens naturels, et son intéressante fille Pokahontas; le sachent des Indiens de Pokanoket, auquel les anciens colons anglais ont donné le nom de roi Philippe; celui qu’ils ont appelle Morgan, et plusieurs autres chefs sauvages figurent avantageusement dans la biographie Américaine: les noms de Garakonthié, d’Oureouharé, de Kondiaronk, de Teganissorens, de Ponthiac, &c. fourniraient chacun un article intéressant pour une Biographie Canadienne. Mais une Biographie des Américains naturels, ou une Histoire des principaux guerriers ou orateurs sauvages de l’Amérique du Nord, sans même y comprendre le Méxique, ne serait pas, suivant moi, un ouvrage dépourvu d’intérêt, si l’auteur était doué de quelque talent. Sans la moindre prétention à l’originalité, je vais mettre sous les yeux des lecteurs de la Bibliothèque Canadienne ce que je trouve épars dans différentes productions concernant Técumsé, le dernier des hommes illustres que nous présente la race aborigène de ce continent.
Dans la tribu des Chawanis, dit un correspondant du Canadian Review, qui habitait une contrée située à environ cent milles au sud du lac Michigan, il y avait, quelques années avant la dernière guerre avec les Etats-Unis, deux frères qui avaient obtenu une grande influence parmi leurs compatriotes, par les qualités que les sauvages prisent le plus. L’un, qui avait persuadé à sa tribu qu’il possédait le don de connaître l’avenir, avait reçu d’elle le nom de Prophete: l’autre, nommé Tecumsé, s’était élevé au rang de chef, par un courage éprouvé et par une supériorité de génie qui ne manque jamais de maitriser les esprits, surtout parmi les sauvages.
A l’instigation du Prophète, la tribu commit plusieurs actes d’hostilités, et pendant quelque temps avec succès, contre ses anciens ennemis, les Américains de frontières. Mais à la fin, trompée par sa confiance dans la préscience du Prophète, et oubliant la prudence ordinaire aux sauvages, elle fut surprise de nuit, sur les bords de l’Ouabache, et presque entièrement anéantie.
Je ne saurais dire si c’est avant ou après cet évènement que se rapporte le trait suivant mentionné par un journaliste américain.
“En 1811, au conseil que le général Harrison tint à Vincennes, les chefs de quelques tribus se plaignirent de ce qu’on avait acheté certaines terres des Kikapous. On sait qu’il ne fut rien conclu à ce conseil, qui se sépara abruptement, en conséquence de ce que Técumsé y avait traité le général Harrison de menteur. Ce fut dans le progrès des longs discours qui eurent lieu dans la conférence, que Técumsé ayant fini une de ses harangues, regarda autour de lui, et voyant que chacun était assis, et qu’il n’y avait pas de siège pour lui, un dépit soudain se montra dans toute sa contenance. Aussitôt le général Harrison ordonna qu’on lui donnât une chaise. Quelqu’un lui en apporta une, et lui dit, en s’inclinant, ‘Guerrier, votre père, le général Harrison, vous présente un siège.’ Les yeux noirs de Técumsé parurent étincelants: ‘Mon père!’ s’écria-t-il avec indignation, en étendant ses bras vers le ciel, ‘le soleil est mon père et la terre est ma mère; elle me donne la nourriture et je repose sur son sein.’ En prononçant ces derniers mots, il se jetta à terre, et s’y assit les jambes croisées.”
Quoiqu’il en soit, il paraît que ceux qui survécurent à la défaite étaient trop peu nombreux pour pouvoir maintenir l’existence séparée de la tribu, car Técumsé avec un petit nombre de guerriers, se joignit aux Hurons, peuple ami, et en fut adopté. Quoiqu’il ne fût pas encore âgé de quarante ans, ils l’élirent pour leur chef, tant était déjà grande la réputation qu’il s’était acquise parmi les tribus sauvages, comme guerrier et comme orateur.
Au commencement de la guerre américaine, plusieurs des tribus de l’ouest étaient en guerre avec les Etats-Unis: la plupart de celles qui ne s’étaient pas déclarées leurs ennemies prirent les armes alors, soit de leur propre mouvement, soit à l’instigation des officiers anglais, et dans l’hiver de 1812 à 1813, Técumsé et ses Hurons vinrent trouver le général Proctor, pour lever la hache de guerre, conjointement avec leur père, et les autres sauvages, contre les Grands-Couteaux, comme ils appellaient les Américains. Il devint bientôt évident que Técumsé était, par un consentement tacite aussi rare qu’étonnant, comme un autre Agamemnon, le chef des chefs de ses compatriotes, et qu’il possédait le secret de les amener à tout ce qu’il voulait, bien que son autorité légitime, si l’on peut ainsi parler, ne s’étendît que sur les guerriers de sa tribu adoptive. Au printemps de 1813, le nombre des guerriers sauvages réunis au Détroit, était de près de trois mille, et Técumsé pouvait être regardé comme leur commandant général, comme leur chef politique et militaire. Il comprit qu’en s’établissant dans le territoire de Michigan nouvellement conquis, les sauvages se mettraient à portée d’être secourus par les Anglais; et il n’eut que la peine de proposer la chose aux chefs, pour qu’elle s’exécutât.
Aussitôt que le temps le permit, un petit corps de troupes et de milices, et tous les sauvages furent mis en campagne pour attaquer les Américains, qui s’assemblaient en force au fort Meigs, près des bords du lac Erié. Les sauvages, par leur vigilance à observer tous les mouvemens des ennemis, les obligèrent bientôt à se renfermer dans le fort; et lorsque ensuite ces derniers tentèrent une sortie, à l’aide d’une diversion du dehors, ils essuyèrent une défaite complète, qui fut dûe en grande partie à la bravoure des sauvages, toujours commandés par Técumsé. Mais ce chef, auquel ses guerriers avaient jusqu’alors obéi sans répliqué, ne fut plus leur maître, dès qu’ils se virent chargés de dépouilles et enrichis par les prisonniers qu’ils avaient faits, et pour chacun desquels ils recevaient du commandant anglais une certaine somme d’argent. Quoi que leur pût dire Técumsé, ils s’en retournèrent auprès de leurs familles, et les Anglais furent contraints de lever le siège du fort Meigs.
Les Anglais et les sauvages s’avancèrent de nouveau, dans le même été, contre le fort Meigs, et ensuite contre le fort Sandusky, aussi situé près du lac Erié. Mais les sauvages ne sont pas généralement de bonnes troupes assiégeantes: il leur paraissait dur de combattre contre des gens qui s’enfouissaient, disaient ils, comme des chiens de prairies. Le général Proctor ayant ordonné aux sauvages de faire une attaque contre le fort Sandusky, Técumsé s’y refusa indirectement, en lui disant du ton du mécontentement: “Le général Brock ne parlait pas comme tu fais: tu dis, toi, allez attaquer; mais lui, il disait, allons attaquer.” Les sauvages se retirèrent en effet de nouveau au Détroit, sans vouloir donner l’assaut, et les Anglais furent contraints de les suivre.
Après la défaite de la flotte anglaise du lac Erié, il devint nécessaire aux troupes de terre de retraiter, pour éviter d’être prises entre deux feux. La difficulté était de faire trouver la chose bonne aux sauvages et surtout à Técumsé. Les chefs furent assemblés à Amherstburg, et le général Proctor leur proposa, par la bouche de son interprète, de l’accompagner dans son mouvement rétrograde. Les sauvages, quoique soupçonnant depuis quelque temps que les Anglais avaient dessein de s’éloigner de la frontière, reçurent la proposition du général avec la plus grande indignation; mais lorsque Técumsé se leva pour répondre au discours de l’interprète, le plus grand silence régna dans l’assemblée, tous se montrant disposés à prêter la plus grande attention à ce qu’il allait dire.
La traduction du discours prononcé par Técumsé, en cette occasion, a été, dit-on, imprimée; mais comme je n’ai pas cette traduction sous les yeux, et que je ne me rappelle pas l’avoir vue, je suis obligé de m’en rapporter aux autorités que j’ai sous la main.
Tenant dans ses mains un de ces colliers ou ceinturons de grains de verre, qui par l’arrangement et l’assortiment des couleurs sont pour les sauvages une espèce de mémorial des choses passées, et s’adressant au général anglais, du ton de l’indignation et avec la plus grande véhémence, il commença par rappeller les évenemens de la guerre dans laquelle ils étaient engagés puis faisant allusion à des circonstances datant d’une vingtaine d’années, où les sauvages prétendaient que les Anglais, après les avoir poussés à commettre des hostilités contre les Américains, les avaient abandonnés, à l’heure du danger, il en inféra qu’ils avaient présentement le dessein de les abandonner de nouveau. “Les marques de distinction que tu portes sur tes épaules, ajouta-t-il, (d’après une personne qui m’a dit tenir la chose de l’interprète même), arrache-les, jette-les à tes pieds, et marche dessus. As-tu déjà oublié les promesses que tu nous a faites, en disant que toi et tes soldats vous mêleriez votre sang avec le nôtre pour la défense de ces forts? Il y a longtemps que je m’aperçois que tu ne mettais pas en nous la confiance que tu devais y mettre, et ce n’est pas pour la première fois que je te connais menteur. Tu dois avoir enfin fini de m’étourdir les oreilles, en me disant que notre père (le général Prevost) devait envoyer ici des troupes et des munitions; mais je n’ai pas oublié tes promesses; quoique sauvage, je suis accoutumé de tout temps à dire vrai, et je veux te faire dire vrai à toi aussi; je veux que vous mêliez votre sang avec le nôtre: si vous retraitez, vous êtes morts.”
Le commandant l’interrompit ici, et lui dit qu’il était absolument nécessaire de retraiter, parce qu’il n’était pas possible de trouver des vivres pour l’armée. Técumsé, reprenant la parole, lui dit: “As-tu oublié que mes jeunes gens t’ont dit qu’il y avait des poissons au fond du lac? Si tu m’eusses écouté, quoique je ne sois qu’un sauvage, les choses iraient mieux qu’elles ne vont. Mais le Grand Esprit a donné à nos pères les terres que nous possédons; et si c’est sa volonté, nos os les blanchiront, mais nous ne les quitterons pas.”
Le général se trouva, avec sa poignée de troupes, dans une position très critique; car on avait tout à appréhender de la part des sauvages, si l’on entreprenait de retraiter sans eux. La seule alternative de salut parut être de convaincre Técumsé, dans une entrevue particulière, de la nécessité de la retraite, et l’on y réussit. Dans une chambre, avec le colonel Elliot, on montra au chef une carte du pays, là première qu’il eût jamais vue, et on lui eût bientôt fait comprendre que si l’armée demeurait dans la position qu’elle occupait, elle serait infailliblement enveloppée par les ennemis. Il suffisait de persuader la raison de Técumsé pour obtenir son consentement. Il en entreprit de convaincre ses compatriotes de la nécessité d’une mesure qu’il voyait présentement lui-même être inévitable; et en moins d’une semaine de temps depuis la tenue du conseil, il les détermina à une démarché à laquelle ils avaient parti d’abord invinciblement opposés.
Après avoir retraité quelques jours devant plusieurs milliers d’Américains, le commandant anglais résolut de leur livrer bataille, dans une position avantageuse, le long de la rivière Thames. Les Anglais furent placés en ligne dans un bois clair, et les sauvages à leur gauche, dans un bois plus épais, et de manière à pouvoir prendre l’ennemi en flanc, s’il avançait. Le plan de bataille fut montré à Técumsé, qui en témoigna sa satisfaction, et les dernières paroles qu’il adressa au général anglais furent: “Père, recommande à tes jeunes gens de tenir ferme, et tout ira bien!” Tout aurait bien été probablement, si les soldats de Proctor avaient pu tenir ferme en effet; mais découragés par la retraite, et exténués par les privations qu’ils enduraient depuis plusieurs jours, ils lâchèrent le pied et prirent la fuite au premier feu des Américains.
Tandis que les Anglais reculaient ainsi devant les ennemis, Técumsé, à la tête de ses guerriers, les repoussait avec rapidité. Ignorant le désastre de leurs alliés, les sauvages continuaient à gagner du terrain, lorsque leur heroïque chef, atteint d’une balle de carabine, expira les armes à la main, et par sa mort ôta le courage à ses compatriotes, qui fuirent à leur tour devant ceux qu’il venaient de faire reculer.
Técumsé, dit l’écrivain que j’ai cité d’abord, était d’une taille un peu au-dessus de la mediocre: sa physionomie était agréable, ses yeux pleins de feu et d’intelligence. Dans le combat, il avait le visage et le corps peints, et était habillé comme ses compatriotes sauvages; autrement, son habillement consistait en une jaquette de peau qui lui descendait jusqu’aux genoux, et qui était attachée par un ceinturon, et en des mitas et des souliers de chevreuil.
Dans le temps qu’on équippait la flotille du lac Erié, qui fut un intervalle d’inaction, Técumsé, amené par le colonel Elliot, ou quelque autre officier du département des sauvages, dina plusieurs fois à la table du général Proctor, et il s’y comporta toujours de manière à ne pas donner le moindre sujet de plainte ou de désagrément même à la dame la plus délicate. Il s’accommodait volontiers de toutes les nouveautés de sa situation, et semblait s’en amuser, sans en être du tout embarrassé. Quoiqu’il mangeât volontiers de tous les mets qui se trouvaient sur la table, on ne put jamais le faire consentir à boire d’aucune espèce de liqueur forte. Il disait que dans sa jeunesse il avait été fort adonné à l’ivrognerie, le vice ordinaire des sauvages, mais qu’il avait reconnu qu’elle ne lui valait rien, et qu’il avait pris la résolution de ne jamais boire que de l’eau. Cette résolution dans un sauvage aurait de quoi étonner, si elle ne prouvait qu’il avait des sentimens et des vues qui l’élevaient bien au-dessus de ses compatriotes. Il prévoyait sans doute qu’il devait être le premier homme de sa nation, et il pensait que l’ivrognerie le rendrait indigne d’un tel rang. Técumsé ne prisait pas fort les artifices au moyen desquels le Prophète avait gouverné sa malheureuse tribu, et il ne parlait jamais de lui, que comme de son “fou de frère.” Un dernier trait à l’honneur de Técumsé, c’est que loin d’être brutal ou mal poli envers le beau sexe, il voulait qu’on eût toujours pour lui des égards et de bonnes manières, et on l’a vu une fois tancer ouvertement et fortement un Européen du département des sauvages, pour avoir maltraité sa femme.
Enfin, dit encore le correspondant du Canadian Review, en contemplant la vie et la mort de Técumsé, on ne saurait s’empêcher d’avouer qu’il ne lui a manqué qu’une sphère plus étendue et les lumières de l’éducation pour laisser un nom brillant de renommée dans les annales des nations.
Les circonstances, dit le journaliste américain déjà cité, en imposeront toujours à la presque totalité des hommes; c’est pourquoi ils seront peu portés à avouer que Técumsé était non seulement un commandant militaire accompli, mais encore un grand homme d’état et un grand orateur dans l’état de nature. Mais la fierté de son esprit, sa noble ambition, la grandeur de ses plans, et l’inflexibilité ardente et hardie, mais en même temps prudente et patiente avec laquelle il les suivait, tout indique dans cet enfant incivilisé de l’Amérique du Nord une âme du premier ordre, un génie transcendant.
Je dois dire en finissant, qu’il a été composé à la gloire de Técumsé, un poëme en trois chants, qui a été publié dans le No. 2 du Canadian Review, et qui me parait mériter, par le sens et par la rime, d’être lu ailleurs qu’en Canada.
M. D.
Les morceaux suivants, quoique datant déjà de quelques années, et publiés alors dans une gazette canadienne, nous ont paru mériter d’être reproduits ici, pour plus sûre préservation, d’autant plus qu’ils ne peuvent pas être tombés sous les yeux d’un bien grand nombre de nos abonnés. Au contraire des incidens et accidens ordinaires de la vie, qui ne peuvent intéresser que momentanément un petit nombre de lecteurs, les faits d’histoire naturelle, quand ils sont nouveaux et importants, doivent non seulement être lus d’abord avec intérêt, mais encore être enregistrés, pour ainsi dire, de manière à ne pouvoir être entièrement publiés ou perdus de vue.
Le Dr. Mitchill communiqua, avec quelques échantillons de zoologie, fournis par le capitaine Edmond Fanning, les observations suivantes, qu’à cause de leur importance, nous transcrivons mot pour mot du journal de la séance.
“Outre ces articles, le capitaine Fanning nous a fourni des renseignemens plus détaillés sur cet énorme habitant de l’océan qui paraît surpasser en grandeur toutes les créatures vivantes appartenant au globe terrestre.
“Dans une occasion précédente, j’ai tâché de rassembler tous les faits que fournissait la Nouvelle-York concernant ces énormes productions de la nature. Il parut alors, d’après le témoignage de sept témoins respectables et indépendants, que l’existence de créatures plus grosses que la baleine ne pouvait être révoquée en doute. En comparant cette masse de renseignemens avec ceux qu’a rassemblés de toutes parts Denis Monfort, dans son excellente histoire des Molusques, je fus porté à croire que ce prodigieux animal était le Cœpia Octopus, ou Sèche à huit bras. Ces particularités furent rédigées en forme de Mémoire, et imprimées dans le 16e volume du Dépot Médical.
“Après tout cela, comme pour rendre l’assurance plus certaine, s’il était possible, le capitaine Fanning a écrit dans le journal du navire Volunteer, commandé par lui, et allant dans la mer du Sud, qu’étant par les 36° de latitude méridionale, dans l’océan Atlantique, faisant voile vers la Terre de Feu, il vit un de ces monstres de l’abîme. C’était en Juillet, le vaisseau faisant quatre milles par heure, dans un temps calme. Durant la splendeur d’un beau jour, tandis que le capitaine et les officiers prenaient leur repas en bas, le contre-maître leur donna l’alarme, en criant qu’il découvrait un rocher à quelque distance à l’avant du vaisseau. Ils montèrent tous sur le pont, et s’apperçurent bientôt que le rocher supposé était un corps qui se mouvait, et que son mouvement était spontané et volontaire, et non pas causé par des courons d’eau ou d’air. Etant convaincus que c’était un animal, ils découvrirent qu’il dirigeait son mouvement directement par le travers de la route du vaisseau. Ils continuèrent à s’avancer vers la bête, dans l’espérance de pouvoir passer devant elle; mais sa marche était si rapide, qu’il fallait de nécessité, ou donner dessus, ou s’éloigner pour passer derrière. On détourna le vaisseau, pour éviter l’animal, et après l’avoir dépassé, on vira un peu, afin de l’examiner. Il était presque entièrement sous l’eau, ne tenant au-dessus des flots qu’une petite partie de son corps, en apparence de la grandeur d’une chaloupe renversée. Sa grandeur visible fut estimée d’environ cent pieds d’un coté à l’autre. Cette surface était inégale, comme si elle eût été couverte de mousse, d’herbes sauvages, de bernacles ou de coquilles. Il ne fit aucune attention au vaisseau, et les vagues roulaient sur lui comme sur Un rocher ou un bas-fond. On crut appercevoir ses yeux, et quelque chose de ressemblant à des nageoires et à une queue en mouvement; mais on ne put former aucun jugement déterminé quant à son volume, sa figure, sa manière de nager, tant à cause de son énorme grandeur, que parce qu’il était caché sous l’eau. Après tout, les marins furent bien aises de le laisser là sans le troubler: quelques uns des matelots ne purent de plusieurs jours revenir de la terreur que sa vue leur avait inspirée, tellement qu’ils étaient toujours aux aguets, pour voir s’ils découvriraient quelque Kraken, comme ils l’appellaient, et craignaient de périr tous, s’ils venaient à rencontrer une de ces énormes créatures durant la nuit.”
Le Dr. Mitchill, un des vice-présidens, lut un Mémoire sur les restes fossiles d’êtres organisés, et surtout d’animaux, qui se trouvent dans les environs de New-York. Toute l’Île-Longue (Long Island), la partie méridionale de l’Île des Etats (Staten Island), les couches anciennes et récentes de l’île de New-York, abondent en ces sortes de restes. Le comté de Monmouth, dans la Nouvelle Jersey, est rempli de ces monumens d’anciennes existences. Tel est encore Burlington, et généralement parlant, tout le district au sud de la rivière Raritan. On en a trouvé en abondance dans les comtés de Dutchess, d’Orange, de Rockland, d’Ulster, de Colombia et d’Albany, et enfin dans presque toute la route vers Montréal au nord, et vers Michillimakinac à l’ouest.
L’auteur fit en particulier l’énumération des raisons qui le portaient à croire qu’il avait existé autrefois un Eléphant américain différent de l’espèce transatlantique. Il pensait qu’il y avait eu aussi un Rhinocéros différent de l’espèce actuellement vivante. Il prouva d’une manière satisfaisante qu’il avait existé quelque part un Taurin, espèce entre l’iguena et le crocodile, et ressemblant exactement au fameux reptile de Maestricht. Il avait des dents ou des os de tous ces animaux, lesquels il avait trouvés près de Shrewsbury et de Middleton. Il était prouvé que le Mammoth, ou Mastodonte, avait existé près de Newburg et à Nyack, à 40 milles de New-York. Il avait trouvé des os d’autres animaux sous des couches de huit pieds de terre graveleuse, et quatre pieds de terre labourable. Il croyait qu’environ vingt espèces d’animaux, dont il avait découvert des restes, étaient présentement éteintes, ou du moins n’étaient plus connues comme existant sur la terre.
Deux acteurs retirés, M. et Mme. Fay, croient au magnétisme. Une servante se présente chez eux: on lui demande pourquoi elle a quitté ses anciens maîtres; elle hésite à répondre, et finit par avouer qu’elle a le malheur d’être somnambule. Les nouveaux maîtres, enchantés de posséder un sujet qui pendant son sommeil découvrira les trésors cachés, indiquera des numéros pour la lotterie, se hâtent d’accueillir la postulante, et lui promettent des gages élevés. Il n’est pas besoin de dire qu’ils se proposent de la surveiller à tour de rôle.
Plus d’une semaine s’écoule sans que la nouvelle servante quitte son lit; mais une nuit, ô nuit propice! M. Fay, qui veillait dans une pièce voisine, entend un léger bruit, la porte s’ouvre, et Jannette, dans le négligé le plus complet, paraît une chandelle à la main. Elle parcourt l’appartement; son regard fixe semble chercher à percer l’épaisseur des murs; on dirait qu’elle essaie de découvrir un objet caché. Quelques mots entrecoupés s’échappent de sa bouche: “Je le trouverai ...oui, ce papier ...quatre numéros ...là ... J’ai faim ...demain un poulet ... une bouteille de Bordeaux dans ma chambre.—” Et Jeannette rentre en son lit. On conçoit que le vin et la volaille furent discrètement placés dans l’endroit indiqué, car il est bien reconnu que le seul moyen de mettre à profit les qualités d’une somnambule, c’est de céder à tous ses désirs.
La nuit suivante, Jeannette fait connaître que les numéros, écrits sur un morceau de parchemin, se trouvent dans une partie du salon vers laquelle elle étend la main; puis elle demande un pâté de Lesage et une bouteille de Chablis. Nouvel empressement de la part des maîtres; et comment regarder à une si faible dépense lorsqu’on a un trésor en perspective? Deux autres nuits sont marquées par des scènes semblables, et l’appétit de Jeannette ne diminuait pas; il paraît que c’est un rude métier que celui de somnambule. Cependant on ne connaissait pas encore les numéros, et M. Fay, malgré la forte dose de bonhommie que le ciel lui a départie, commence à concevoir des soupçons qui ne tardent pas à se changer en certitude, lorsque le lendemain on découvre qu’un jeune cousin de la somnambule venait chaque matin l’aider à consommer les vivres produits par ses promenades nocturnes. Nos lecteurs auraient tort cependant de plaindre M. et Mme. Fay! cette mystification ne leur aura pas même été inutile, car leur jeune fille a profité habilement de cette circonstance pour étudier son rôle de somnambule.
Mot d’un ancien.
Que fais-tu sur la terre, illustre Carnéades?
Dans ce vaste hopital qui nous renferme tous,
Je pleure avec d’autres malades,
Ou je ris avec d’autres fous.
Cache ta vie.
Cache ta vie; au lieu de voler, rampe,
A dit un Grec. Je tiens qu’il eut raison;
Du cœur humain il connaissait la trempe:
Bonheur d’autrui n’est pour lui que poison.
L’homme est injuste, envieux sans relâche;
Il souffre à voir son semblable estimé.
Mérite un nom, mais pour être heureux, tâche,
Avant ta mort, de n’être pas nommé.
La vraie liberté.
La liberté n’est pas cette licence impure,
Qui repousse tout frein et qui hait tout pouvoir:
Elle est le droit d’agir comme on doit le vouloir;
La Justice est sa règle, et la Loi sa mesure.
Le brave gascon.
Un Gascon se vantait de braver le tonnerre:
Un faible éclair parut, on vit pâlir ses traits.
Les braves sont nombreux lorsque l’on est en paix;
Mais on les cherche en temps de guerre.
La bravoure italienne.
Un Provençal, au Capitol, un soir,
Se promenait, lu dague par derrière:
Tous les rieurs font cercle pour le voir;
A ses dépens on se donne carrière.
Seigneur Français, dit l’un, apprenez-moi
Si chacun porte ainsi l’épée en France?
Non, monsignor, mais il est bon, je croi,
Qu’où gît l’attaque, on place la défense.
Epitaphe d’un buveur.
Ci-gît un enfant de Silène,
Qui soutint tant qu’il put l’honneur du cabaret;
Il but toute sa vie, et jamais sans sujet.
A vingt ans il buvait pour oublier Climène:
A trente par oisiveté:
A quarante il noyait la sombre inquiétude;
Ce fut à cinquante ans une vieille habitude,
Qui devint à soixante une nécessité.
Un correspondant du Mercury de Charleston recommande la recette suivante pour la guérison de la fièvre.
Prenez une roquille de café très fort mêlé avec une égale quantité de jus de citron. La potion doit être prise au moment où l’on s’attend que l’accès va prendre. Une seule dose a guéri un ami de l’écrivain, qui avait presque oublié la recette, lorsqu’il lui tomba sous la main une critique des Voyages du Dr. Ponqueville dans la Morée, où se trouvait le passage suivant:
“J’ai vu souvent des fièvres intermittentes guéries par un mélange de café et de jus de citron, qui est le remède dont on fait généralement usage dans tout le pays. Les proportions sont les trois quarts d’une once de café moulu très fin, deux onces de jus de citron, et trois onces d’eau. Le mélange doit être pris chaud et tout d’un trait.”
A l’Assemblée anniversaire de cette Société, tenue par permission, au Château, le 12 du présent mois, le Lieutenantcolonel Bouchette, un des vice-présidens, ouvrit la séance par un discours convenable à l’occasion; et les prix accordés par la Société aux productions de mérite, ainsi que les titres de ces productions et les noms de leurs auteurs, ayant été annoncés par le secrétaire, M. Bouchette préluda à la distribution des médailles par l’adresse suivante:
Messieurs.—En conséquence de l’absence de notre habile et digne président, un devoir de la nature la plus agréable m’est aujourd’hui dévolu.—Comme organe de la Société, il m’est donné de distribuer les récompenses honorifiques accordées par elle à ceux qui cultivent la littérature, les arts et les sciences en Canada.
En remplissant une tâche aussi agréable, en présence d’une aussi respectable assemblée, je ne puis m’empêcher d’exprimer les vifs sentimens de satisfaction que j’éprouve, en voyant, à ce second anniversaire de la Société, l’accroissement qu’elle appris, la dignité où elle s’est maintenue, l’importance, sous tous les rapports, qu’elle acquiert journellement, et les avantages permanents qu’elle promet à cette province, surtout lorsqu’elle s’associe l’érudition et les talens éminents qui distinguent la Société littéraire et historique de Québec.
Le gracieux patronage accordé à la Société par son Excellence, Sir James Kempt, notre Gouverneur distingué, a donné une nouvelle énergie à ses membres, les a induits à se trouver plus ponctuellement aux assemblées, et a inspiré à toutes les classes une assiduité et une application, dans leurs départemens respectifs, auxquelles doivent être attribués son avancement et sa prospérité évidente. Qu’elle continue à prospérer sous des auspices aussi favorables, et que conjointement avec les autres institutions florissantes de la même nature établies dans cette colonie, elle réussisse à développer les ressources physiques et intellectuelles de cette partie de l’hémisphère, c’est ce que doivent espérer et désirer ardemment tous ceux qui ont à cœur le bien de l’humanité.
Les prix adjugés sont comme suit:
Une médaille au révérend George Bourne, de Québec, pour un Essai sur les Institutions Littéraires et Scientifiques;
Une médaille honorifique à W. F. Hawley, écuyer, de l’Isle-aux-Noix, pour une production de génie, The Canadian Harp, poëme;
Une médaille honorifique au révérend prébendaire Burton, de Burtonville, pour une production intitulée: An Essay on Comparative Agriculture, &c.
Une médaille honorifique au révérend G. Bourne, pour un Essai sur l’Economie politique;
Une médaille honorifique à Madame Sheppard, de Woodfield, pour un écrit scientifique sur la Conchologie des environs de Québec;
Une médaille honorifique au Dr. Rees, de Québec, pour un écrit sur la manufacture de l’acide pyroligneux.
A la fin du mois de Février dernier, le Canada a perdu un de ses hommes marquants, un homme célèbre, pouvons-nous dire, l’honorable C. M. de Salaberry, C. B.; militaire qui a fait honneur à son pays natal, et dont tout autre pays se serait honoré. La notice suivante a paru dans quelques unes de nos gazettes:—
“Décédé, à Chambly, le 27 de Février dernier, d’une attaque d’apopléxie, dont il avait été atteint le soir précédent, l’Honorable Charles Michel Yrongberry de Salaberry, Compagnon du très honorable Ordre Militaire du Bain, Membre du Conseil Législatif du Bas-Canada, Lieutenant Colonel des Voltigeurs Canadiens: décoré de la Médaille de Chateauguay, Lieutenant Colonel de Milice, Seigneur de Beaulieu, &c. &c. &c., âgé de 50 ans.
“Le Colonel C. M. de Salaberry, fils de l’Honorable Louis de Salaberry, officier de mérite au service britannique, dans la guerre de la révolution américaine, et qui se distingua particulièrement par sa bravoure, à la prise du fort St. Jean, naquit le 19 Novembre 1778. Il entra jeune dans l’armée anglaise, avec ses trois frères, dont l’un fut tué au siège de Badajoz, le second à Salamanque, et le troisième mourut à la suite des fatigues excessives endurées pendant une longue marche: il se trouva à l’expédition de Walcheren, et servit ensuite dans la guerre de la Peninsule, où il obtint le rang de capitaine. Il revint de là en Canada, comme aide-de-camp du général de Rottenburg, et fut peu de temps après nommé Major des Voltigeurs Canadiens: il se distingua éminement en repoussant 7000 Américains avec seulement 300 hommes, près de Chateauguay, le 26 Octobre 1813. Le Major de Salaberry reçut pour ce service les remercîmens des deux Chambres du Parlement Provincial, par le canal de leurs Orateurs, et fut recommandé par son Excellence, Sir George Prevost, à sa présente Majesté, alors Prince Régent, de qui il reçut une lettre de ramercîment écrite de sa propre main, et fut subséquemment promu au grade de Lieutenant Colonel des Voltigeurs. En conséquence de cette action célèbre, le Prince Régent ordonna qu’il fût frappé une médaille d’or, et conféra à la Milice incorporée le privilège de porter des drapeaux.
“L’Honorable C. M. de Salaberry avait épousé Mademoiselle de Rouville, fille de l’Honorable J. B. M. H. de Rouville, Colonel et Membre du Conseil Législatif, et sœur du Lieutenant Colonel J. B. R. H. de Rouville, Membre de la présente Chambre d’Assemblée. Il laisse après lui une famille consistant en quatre garçons et trois filles.”
Indépendamment des faits qui l’ont illustré, la mémoire de l’Honorable C. M. de Salaberry vivra chez ses compatriotes et ailleurs, si les pièces de vers où il est célébré, sont destinées à passer à la postérité, et à pénétrer au-delà de l’horizon canadien. On voudra bien nous permettre de reproduire ici les vers suivants, extraits de la pièce intitulée Chambly, publiée dans le tome IV, No 5, de la Bibliothèque Canadienne, d’audant plus qu’ils nous ont paru peindre admirablement les vertus publiques et privées du personnage distingué dont nous regrettons la perte prématurée.
Là, j’ai vu l’homme heureux qui prêche par l’exemple,
Et chez lui j’ai connu cette pure amitié
Qu’en tout autre pays on ne voit qu’à moitié.
Héros et citoyen, tendre époux et bon maître;
Il est père de tous, sans vouloir le paraître:
Au camp Leonidas, aux champs Cincinnatus,
Themistocle au conseil, à table Lucullus.
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Mis-spelled words and punctuation have been maintained except where obvious printer errors occur.
[Fin de La Bibliothèque canadienne, Tome VIII, Numero 4, Mars 1829. edited by Michel Bibaud]