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Title: La Bibliothèque canadienne, Tome 7, No. 6, Novembre 1828.

Date of first publication: 1828

Author: Michel Bibaud (1782-1857) (editor)

Date first posted: Nov. 17, 2022

Date last updated: Nov. 17, 2022

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La Bibliothèque Canadienne


Tome VII. NOVEMBRE, 1828. Numero 6.

HISTOIRE DU CANADA.

Comme cette lettre, ainsi que la réponse qu’y fit le comte de Frontenac, jettent quelque nouveau jour sur les vues et les prétentions que l’on avait alors de part et d’autre, au sujet des sauvages, nous les transcrirons l’une et l’autre, du moins en substance.

“Je ne fais que d’arriver des frontières, dit le chevalier de Bellamont à M. de Frontenac, où j’ai eu une conférence avec nos cinq tribus d’Indiens que vous appeliez Iroquois. Ils m’ont prié avec instance de les continuer sous la protection du roi, mon souverain, ayant protesté en même temps une inviolable sujétion et fidélité à sa majesté, et s’étant plaints des outrages que leur ont faits vos Français et vos sauvages du Canada, nonobstant le traité de paix dans lequel ils se croyaient compris, en vertu de la fidélité qu’ils doivent au roi, comme ses sujets. Ils m’ont aussi représenté que vos gens ont pris ou enlevé quatrevingt-quatorze des leurs, depuis la publication de la paix; ce qui me surprend d’autant plus qu’on a toujours regardé les Iroquois comme sujets de la couronne d’Angleterre; ce qui se peut faire voir à tout le monde par des preuves solides et authentiques.

“Le roi, mon maître a trop de pénétration dans les affaires et le cœur trop grand, pour renoncer à son droit, et moi j’ai ses intérêts trop à cœur pour laisser faire à vos gens la moindre insulte à nos Indiens, et surtout pour souffrir qu’ils les traitent en ennemis. C’est pourquoi, je leur ai recommandé d’être sur leurs gardes, en cas qu’ils soient attaqués, et de faire main-basse sur les Français comme sur les sauvages, leur ayant fourni tous les secours dont ils avaient besoin. Vous voyez, monsieur, que je ne fais pas difficulté de vous révéler tout mou procédé, dont je suis assuré d’être avoué du roi mon maître.

“Au reste, si vous ne faites cesser les actes d’hostilité de votre côté, on s’en prendra à vous de toutes les suites qui pourront arriver, et je laisserai à juger à tout le monde qui aura le plus de tort, ou de vous ou de moi; vous pour avoir rallumé la guerre; moi, pour défendre nos Indiens contre vos entreprises.

“Ces sauvages voulaient bien me mettre entre les mains tous les prisonniers qu’ils ont faits sur vous pendant la guerre, et dont le nombre était de plus de cent, à condition que je leur assurasse que de votre côté vous relâcheriez tous ceux des leurs que vous retenez; mais je n’ai pas voulu me charger de tout cela que je n’eusse su encore une fois votre résolution. Je vous envoie pourtant quatre prisonniers français, que nos Indiens avaient amenés à Orange, avec mon passeport pour les conduire en Canada. Si vous consentez à un échange de prisonniers de part et d’autre, vous ferez bien de m’en avertir, afin que je fasse assembler ceux des vôtres qui sont entre les mains de nos Indiens.

“L’on me mande que les vôtres ont tué deux Anglais, auprès d’un village nommé Alfiade, comme ils étaient occupés à faire leur récolte sans armes, se croyant en sûreté à cause de la paix. On ne saurait entendre parler de semblables cruautés sans horreur, et toutefois l’on tient que la récompense que vous donnez, à vos alliés, et qu’on dit être de cinquante écus pour chaque chevelure, les y encourage. Vous ne prendrez pas, je crois, en mauvaise part, si je vous dis que cela semble tout à fait contraire au christianisme.

“Deux Onnontagués sont venus m’avertir que vous aviez envoyé deux révoltés leur tribu, pour dire aux cantons supérieurs, qu’au cas qu’ils ne vinssent pas en Canada dans quarante-cinq jours, vous marcheriez dans leur pays à la tête d’une armée, pour les y contraindre par la force. Et moi, de mon côté, j’envoie aujourd’hui mon lieutenant gouverneur avec des troupes réglées pour s’opposer aux hostilités que vous entreprendrez. Je veux même, s’il est besoin, armer tout ce qu’il y a d’hommes dans les provinces de mon gouvernement pour vous repousser, et tâcher de faire représailles du dommage que vous ferez à nos Indiens?”

La lettre de M. de Frontenac, en réponse à celle du gouverneur anglais, est datée du 21 Septembre. Il lui dit:

“Je n’aurais pas été si longtemps sans envoyer savoir de vos nouvelles, et sans répondre aux honnêtetés qu’il vous a plu me faire par MM. Schuiller et Dellius, si les vaisseaux que j’attendais de France fussent plutôt arrivés ici.

“Les dépêches que j’ai reçues de la cour m’ont appris, comme de votre côté vous avez dû le savoir, que les rois, nos maîtres avaient résolu de nommer, chacun de leur part, des commissaires pour régler les limites des pays sur lesquels devait s’étendre leur domination en ces contrées. Ainsi, monsieur, il me semble qu’avant de le prendre sur le ton que vous faites, vous auriez dû attendre la décision que les commissaires eu auront faite, et ne pas vous ingérer de vouloir traverser cette affaire, qui était déjà commencée, et qu’on peut regarder comme domestique, puisque c’est un père qui tâche de ramener ses enfans, par toutes sortes de voies, à leur devoir, en commençant par celles de la douceur, résolu d’user des plus sévères, au cas que les premières n’aient point d’effet. C’est une chose que vous devez regarder comme entièrement séparée des traités de paix et d’amitié que les rois nos maîtres ont faits ensemble, et vous n’y pouvez entrer sans faire connaître qu’au lieu d’employer toutes sortes de moyens pour tâcher d’entretenir la correspondance entre les deux nations, vous cherchez des prétextes pour donner atteinte aux traités qui ont été conclus, et dont je doute que vous fussiez autorisé par sa majesté britannique. Car pour moi, en voulant obliger les Iroquois à exécuter la parole qu’ils m’ont donnée, avant qu’on pût savoir que la paix fût faite entre les deux couronnes, et pour laquelle ils m’ont donné des otages, je ne fais que suivre la route que j’avais déjà prise; mais vous, monsieur, vous vous détournez de la vôtre, en prétextant des prétentions qui sont nouvelles et qui n’ont aucun fondement.

“En effet, vous voudrez bien que je vous dise que je suis assez informé des sentimens des Iroquois, pour savoir qu’il n’y a pas une des cinq nations qui voulût être sous la domination d’Angleterre, et que vous n’avez aucune preuve pour les convaincre de votre droit; au lieu que celles que nous avons, et que l’on remettra entre les mains des commissaires, sont si inconstestables, que je doute qu’on y puisse faire la moindre réplique. Ainsi, monsieur, je suis résolu d’aller toujours mon chemin, et je vous prie de ne point faire de démarches pour me traverser, parce qu’elles vous seraient inutiles, et que toute la protection et le secours que vous me déclarez leur avoir déjà donné, et leur vouloir continuer, contre les termes du traité, ne me feront jamais beaucoup de peur, et ne m’obligeront point de changer mes desseins; au contraire, ils m’engageront plutôt à les presser davantage, quelques suites funestes qu’ils puissent avoir. Ce sera vous, monsieur, qui en répondrez et du côté du roi votre maître, et du côté du ciel.

“On vous a mal informé, lors qu’on vous a dit que les Français et les sauvages habitant parmi nous avaient fait des outrages aux Iroquois. Il est bien vrai que les Outaouais, et en particulier les Algonquins ont fait un coup considérable sur les Onnontagués, parce que cette nation, aussi bien que les autres, s’était déclarée ne vouloir point la paix avec eux. Cependant, j’ai lieu de croire que si les Iroquois ne m’ont point ramené tous les prisonniers qu’ils ont faits sur nous, c’est parce que vous vous y êtes formellement opposé. Lorsqu’ils se rangeront à leur devoir, et qu’ils auront effectué leur parole, je leur rendrai ceux qui sont ici.

“Je m’étais assez expliqué au sujet des sauvages de l’Acadie; et j’ai toujours appréhendé que si on ne leur rendait au plutôt ceux de leur nation qui sont retenus prisonniers à Boston, de si mauvaise foi, ils ne formassent quelque entreprise contre votre colonie. Je suis pourtant fâché du coup que vous me mandez qu’ils ont fait; ce qui m’oblige de leur envoyer un second ordre pour faire cesser tout acte d’hostilité; mais je vous prie de leur renvoyer leurs gens, sur lesquels vous ne m’avez fait aucune réponse. Vous voyez que je vous parle avec autant de franchise et de liberté que vous faites.”

On voit que les deux gouverneurs poussaient loin leurs prétentions au sujet des Iroquois. Mais ce n’était pas seulement, suivant Charlevoix, sur le pays et les personnes de ces sauvages que M. de Bellamont étendait les siennes. On lui avait persuadé, et le ministre Dellius l’avait déclaré en termes formels, au chevalier de Callières, à son passage à Montréal, que les Anglais ayant succédé à tous les droits des Hollandais, lorsqu’ils leur avaient cédé Surinam en échange de la Nouvelle York, Michillimakinac et tout ce que est au sud de ce poste devaient leur appartenir. Le gouverneur de Montréal demanda au ministre sur quoi il appuyait cette prétention, et où il avait appris que la Nouvelle Belgique, avant d’être devenue la Nouvelle York, s’étendit à tous les pays dont il parlait? “Pour nous, ajouta-t-il, il nous sera aisé de mettre dans la dernière évidence que nous avions découvert et possédé le pays des Outaouais, et même celui des Iroquois, avant qu’aucun Hollandais y eût mis le pied, et que le droit de possession établi par plusieurs titres en divers endroits des Cantons, n’a été interrompue que par la guerre que nous avons été obligés de faire à cette nation, à cause de leurs révoltes et de leurs insultes.” M. Dellius vit bien, à la manière dont lui parlait M. de Callières, qu’il était inutile d’insister davantage, et le chevalier de Bellamont ne jugea pas à propos d’incidenter sur cet article, dans ses lettres au comte de Frontenac.

Il réussit un peu mieux du côté de l’Acadie, La chevalier de Villebon, dans une lettre qu’il écrivit à M. de Pontchartrain, le 3 Octobre de cette année, mandait à ce ministre que les Anglais songeaient à rebâtir le fort de Pemkuit, et à peupler les deux bords du Kennebec; qu’il n’avait pas assez de forces pour s’opposer ouvertement à ces deux entreprises, mais qu’il tâcherait de les faire échouer, au moyen des sauvages. Il ajoutait que les Anglais continuaient à faire la pêche le long des côtes de l’Acadie; que les habitans du Port Royal avaient écrit au gouverneur de la Nouvelle Angleterre pour lui demander sa protection, et qu’un nommé Le Borgne, fils ou neveu de celui qui était entré autrefois dans les droits du sieur d’Aunay de Charnisé, se portant pour seigneur de tout le pays, depuis les Mines jusqu’à l’Ile Verte, se faisait donner par les Anglais cinquante écus pour chaque bâtiment qui venait trafiquer dans l’étendue de son prétendu domaine.

On comptait à la cour de France et en Canada, que dans le règlement des limites, auquel on travaillait, on se releverait de ces différentes prétentions. Mais on ne faisait passez réflexion que celui qui possède a un grand avantage sur celui qui ne fait que prétendre à la possession. En effet, quoique les bornes méridionales de la Nouvelle France eussent été fixées antérieurement au Kennebec, et qu’assez récemment les Anglais eussent été chassés de Pemkuit, cependant, comme ils y étaient revenus, MM. de Tallard et d’Herbault, commissaires du roi de France, furent obligés de rapprocher les frontières françaises en deçà de cette rivière, et de les fixer à celle de St. George, située presque à égale distance du Kennebec et de Pentagoët; et cette disposition fut confirmée en 1700, par M. de Villieu de la part de sa majesté Très-Chrétienne, et par M. Soudrick, de la part du roi d’Angleterre.

La Baie d’Hudson demeura toute entière aux Français, parce qu’ils eu étaient Les possesseurs actuels. Mais il ne fut rien réglé quant au pays des Iroquois, parce que ces sauvages protestèrent de leur indépendance, et qu’apparemment on ne voulut, ni d’une part ni de l’autre, s’en faire des ennemis.

Pour revenir à M. de Frontenac, il y avait à peine deux mois qu’il avait écrit au chevalier de Bellamont la lettre que nous venons de rapporter, lorsqu’il fut attaqué d’une maladie, dont le danger se déclara d’abord, et dont il mourut, en effet, le 28 Novembre. Il était dans sa soixante dix-huitième année; mais, dit Charlevoix, dans un corps aussi sain qu’il est possible de l’avoir à cet âge, il conservait toute la fermeté et toute la vivacité d’esprit de ses plus belles années. Il mourut comme il avait vécu, chéri de plusieurs, estimé de tous, et avec la gloire d’avoir soutenu, et même fait prospérer, sans presque aucun secours de France, une colonie ouverte et attaquée de toutes parts, et qu’il avait trouvée sur le penchant de sa ruine. Un esprit qui se laissait facilement prévenir, et qui revenait difficilement de ses préventions; une humeur un peu atrabilaire, et une jalousie peu digne d’une grande âme, contrastaient singulièrement avec le caractère ferme, noble et élevé qui lui mérita l’admiration des Français et des sauvages.

Les Iroquois n’eurent pas plutôt appris que M. de Frontenac n’était plus, qu’ils crurent pouvoir rompre impunément l’engagement qu’ils avaient pris avec lui. Néanmoins ils voulurent prendre quelques mesures avant de se déclarer. Au mois de Mars suivant, ils envoyèrent des députés à Montréal; ils pleurèrent à leur manière la mort d’Ononthio, et ils présentèrent à M. de Callières, qui était chargé du commandement général, trois prisonniers français, en lui promettant que tous les autres lui seraient renvoyés, s’il voulait mettre en liberté tous ceux de leur nation qu’il retenait encore.

Ils le prièrent ensuite de leur donner M. de Maricourt et deux sauvages domiciliés pour aller avec eux à Orange, où se ferait l’échange des prisonniers, et où la paix sc conclurait. Ils lui témoignèrent encore qu’ils désiraient que le P. Bruyas, un de leurs anciens missionnaires, fût de ce voyage, et que le P. de Lamberville revînt de France pour résider parmi eux, comme autrefois. Enfin ils lui représentèrent qu’ils ne pourraient mettre en lui une entière confiance, tant qu’il tiendrait sur le feu la chaudière de guerre, et qu’il n’arrêterait point la hache de ses alliés.

M. de Callières leur répondit que la chaudière demeurerait sur le feu jusqu’à ce que la paix fût conclue; qu’il voulait en traiter à Montréal, et, non pas à Orange, et qu’il n’entendrait à aucune proposition de leur part, qu’ils n’eussent satisfait à toutes les conditions auxquelles ils s’étaient engagés avec le feu comte de Frontenac; qu’alors M. de Maricourt et le P. Bruyas iraient avec eux, et qu’il écrivait en France, pour y solliciter le retour du P. Lamberville. Ils parurent satisfaits de cette réponse, à laquelle pourtant on s’apperçut qu’ils ne s’étaient pas attendus, et ils se bornèrent à demander sûreté pour aller et venir librement. Ils obtinrent soixante jours de trêve, et l’échange de quelques prisonniers, qu’ils redemandaient avec de vives instances, et en partant, ils promirent d’être de retour avant le mois de Juin.

L’arrivée des premiers vaisseaux de France apprit au chevalier de Callières que le roi l’avait nommé pour succéder au comte de Frontenac, et la joie que toute la colonie en témoigna ne le flatta pas moins que le choix de son souverain. Il avait eu un rival dans M. de Champigny, et peut-être ne lui fût-il préféré que parce que son envoyé avait fait plus de diligence que celui de l’intendant. Tous deux étaient dignes de la place, et, dit Charlevoix, il n’est pas aisé de dire lequel aurait été plus agréable aux habitans du Canada. Le zèle, le désintéressement, l’équité, la douceur de M. de Champigny, le rendaient très propre à gouverner une colonie où il y avait assez de bras pour exécuter ce qu’un chef sage et aimé, comme il l’était, aurait résolu dans le conseil; mais le chevalier de Callières joignait aux mêmes avantages celui de pouvoir se montrer à la tête des troupes, qui avaient marché plus d’une fois sous ses ordres, et qui admiraient également son courage, sa prudence et sa sagacité. Le gouvernement de Montréal, qui devenait vacant, par la promotion de M. de Callières, fut donné au chevalier de Vaudreuil, que ses manières nobles et engageantes, son activité, et la confiance des gens de guerre rendaient très propre à occuper un poste de cette importance.

Au commencement de l’hiver, M. de Callières reçut, par lé chevalier de Bellamont, une lettre par laquelle le roi (de France) lui ordonnait de faire cesser tout acte d’hostilité entre les Français et les Anglais. Cette lettre avait été adressée ouverte au général anglais; et le roi d’Angleterre avait adressé pareillement au chevalier de Callières, celle qu’il écrivait, en conformité, à M. de Bellamont. M. de Callières jugea à propos de l’envoyer à Boston par M. de la Valliere, major de Montréal, et de faite accompagner cet officier par le P. Bruyas. Ces députés étaient chargés de retirer tous les Français prisonniers dans la Nouvelle Angleterre; et il leur avait été recommandé de voir dans quelle disposition était le gouverneur anglais au sujet des Abénaquis et des Iroquois.

Ces derniers avaient tout récemment envoyé une députation à M. de Callières, pour le complimenter sur sa promotion au gouvernement général; mais les députés n’avaient point parlé d’affaires. Il paraissait néanmoins qu’en général les Cantons étaient assez disposés à la paix; et qu’ils ne différaient de la conclure que par la considération des Anglais. M. de Bellamont, qui connaissait les engagemens qu’ils avaient pris avec M. de Frontenac; et qui n’avait pas renoncé au dessein de se rendre arbitre de la paix, leur ayant demandé de le venir trouver à Orange, ils le refusèrent. Surpris de ce refus, il leur envoya des personnes de confiance, qui vinrent â bout de leur persuader de trainer l’affaire en longueur.

Ils n’exécutèrent donc point la promesse qu’ils avaient faite tout récemment au Chevalier de Callières d’envoyer des députés à Montréal avant le mois de Juin: ce général n’en fut pas beaucoup surpris; mais pour renverser les batteries de M. de Bellamont, il envoya à Onnontagué une copie de lettre du roi d’Angleterre à ce général; et en cela, il avait pour but, premièrement, de faire connaître aux Iroquois que les Anglais ne les regardaient plus que comme des sujets de leur roi, car ce monarque en parlait sur ce ton dans sa lettre; en second lieu, de leur apprendre qu’ils ne devaient plus attendre de secours de la Nouvelle York, et que, conséquemment, il ne lui serait pas difficile de les réduire par la force, s’ils refusaient de faire la paix aux conditions que son prédécesseur leur avait proposées.

Cette démarche de M. de Callières produisit l’effet qu’il en avait attendu: à la vérité, les Cantons aimèrent mieux dissimuler le ressentiment que leur causaient les prétentions des Anglais que de se brouiller avec eux, et se contentèrent de leur déclarer qu’ils voulaient bien être leurs frères, mais non pas leurs sujets; mais après avoir tergiversé encore quelque temps, et cherché à se venger de leurs pertes sur ceux des alliés des Français qu’ils en croyaient les auteurs, ils songèrent tout de bon à s’accommoder, tandis qu’il était encore en leur pouvoir de le faire avec honneur et avec avantage.

En conséquence de cette résolution, deux députés furent envoyés au gouverneur général. Ils arrivèrent à Montréal le 21 Mars 1700. Ils n’étaient revêtus d’aucun pouvoir; mais ils étaient chargés d’annoncer une députation générale des Cantons pour le mois de Juillet. Ils donnèrent pour ce retardement des excuses dont M. de Callières ne se montra pas très satisfait.

Trois mois après, un bon nombre d’Outaouais débarquèrent à Montréal, où se trouvait alors M. de Callières. Ils lui dirent (ce qu’il savait déjà), que les Iroquois étant venus chasser sur leurs terres, ils les avaient attaqués, et en avaient tué vingt-huit, tant hommes que femmes; mais que les autres leur ayant représenté qu’ils avaient cru pouvoir chasser partout; puisque toute hostilité était suspendue de la part des Français et de leurs alliés, ils leur avaient promis de ne point faire de mal aux prisonniers, jusqu’à ce que la volonté de leur père Ononthio leur fût connue.

M. de Callières, après les avoir écoutés tranquillement, leur dit qu’ils ne lui disaient pas toute la vérité; qu’il était informé qu’après le coup qu’ils avaient fait sur les Iroquois, ils avaient envoyé quelques uns de leurs prisonniers aux Cantons, pour négocier avec eux sans sa participation; que c’était mal débuter avec lui, que d’agir avec cette indépendance dans une affaire aussi importante, et après les assurances qu’il leur avait données de ne rien conclure avec les Iroquois, que de concert avec eux; qu’il espérait qu’à l’avenir ils seraient plus avisés et plus circonspects, et ne le mettraient plus dans le cas de leur faire des reproches bien fondés.

Le 18 Juillet, deux député du canton d’Onnontagué, et quatre de celui de Tsonnonthouan arrivèrent à Montréal. Ils furent présentés par M. de Maricourt au gouverneur général, qui voulut bien leur donner une audience publique. Ils y furent conduits en cérémonie, et en se rendant chez M. de Callières, ils pleurèrent les Français morts pendant la guerre, et prirent leurs âmes à témoins de la sincérité de leur procédé.

Dès qu’ils eurent été introduits dans la salle du conseil, où le gouverneur général était avec toute sa cour, ils déclarèrent qu’ils venaient de la part des quatre cantons supérieurs, dont ils avaient les pouvoirs; que ce n’était pas la première fois qu’ils traitaient sans les Agniers, et que si, parmi eux, il n’y avait personne des cantons de Goyogouin et d’Onneyouth, c’est que Corlar leur ayant envoyé Peter Schuiller, pour les dissuader de descendre à Montréal, les députés de ces deux cantons étaient allés savoir de lui, quelle raison il avait de s’opposer à ce voyage.

Ils se plaignirent ensuite de ce qu’étant allés à la chasse sans défiance, sur ce qu’on leur avait assuré que la paix était faite entre les Français et les Anglais, et que leurs alliés y étaient compris, les Outaouais d’une part, les Illinois et les Miamis de l’autre, les avaient attaqués, et leur avaient tué cent cinquante hommes.

Enfin, ils demandèrent que le P. Bruyas et MM. Maricourt et Joncaire les accompagnassent à leur retour chez eux; rien n’étant plus capable, dirent-ils, de convaincre les Cantons qu’Ononthio voulait sincèrement la paix, que d’avoir pour eux cette condescendance. Ils ajoutèrent que ces trois envoyés ne repartiraient point de leur pays, sans en avoir retiré tous les prisonniers français qui y étaient encore retenus»

(A continuer.)

BIOGRAPHIE.

Burgoyne.—(John), Anglais, lieutenant-général en Amérique, fils naturel de lord Bingley, entra de bonne heure dans le service. En 1762, il eut le commandement d’un corps de troupes envoyé en Portugal pour la défense de ce royaume contre les Espagnols. A son retour en Angleterre, il devint conseiller privé, et fut nommé membre du parlement. Dans la guerre américaine, envoyé dans le Canada en 1775, dans l’année 1777, on lui confia le commandement de l’armée du Nord, qui aurait dû être donné à Sir Guy Carleton, qui connaissait beaucoup mieux la situation du pays.

L’objet de la campagne de 1777 était d’ouvrir une communication entre New-York et le Canada, et par ce moyen de séparer la Nouvelle Angleterre d’avec les autres états. Burgoyne proposa d’abord de se mettre en possession de la forteresse de Ticonderoga, avec une armée d’environ 4,000 Anglais et 3000 Allemans. Il quitta le fort St. Jean, le 16 Juin, et remonta jusqu’au lac Champlain, où il prit terre, près de Crown Point, auquel endroit il rencontra les Indiens et leur donna le festin de la guerres. Il leur adressa un discours qui avait pour objet de s’assurer de leurs dispositions amicales, ainsi que de leur coopération. Il avait également pour objet de mitiger leur férocité naturelle. Burgoyne saisit cette circonstance pour les bien convaincre de la différence qu’il y a entre l’ennemi sur-le-champ de bataille et l’ennemi désarmé, ainsi que celle qui se trouve entre l’ennemi et les habitans sans armes. Il promit des récompenses pour chacun des prisonniers qu’ils auraient respectés, mais aucune pour ceux dont on lui présenterait les crânes, ou dont la figure aurait été balafrée par eux. La tentative et le désir de créer quelques limites et de réprimer la manière de faire la guerre usitée parmi les sauvages; font honneur à l’humanité de Burgoyne; mais il n’est pas facile de justifier ses liaisons avec un allié dont la fureur, une fois excitée, ne pouvait être réprimée que bien difficilement.

Il publia, le 29 Juin, un manifeste qui avait pour objet de jeter l’alarme parmi les habitans des pays à travers lesquels il serait forcé de passer; et le termina en disant; “J’ai la confiance d’être innocent aux yeux de Dieu et des hommes, en dénonçant et en exécutant la vengeance de l’état contre ceux qui en sont devenus volontairement le rebut. Le messager de la justice et du courroux les attend dans le champ de bataille; la famine, la dévastation et toutes les horreurs qui s’attachent à leurs pas, ainsi qu’une persécution militaire qui répugne à mon cœur, mais qui fait partie de mon devoir, les priveront de tous les chemins qui les rendraient à leur domicile.”

Le 1er. Juillet, il commença par investir Ticonderoga, ou la général Saint-Clair, était stationné avec environ 3,000 hommes effectifs dégroupés réglées, parmi lesquels plusieurs n’avaient pas de bayonnettes. Les ouvrages étaient étendus et incomplets; ils auraient exigé dix mille hommes pour leur défense. L’armée anglaise était plus forte qu’on ne l’avait espéré. Quand l’investissement eût été achevé presque en entier, le général Saint-Clair convoqua un conseil de guerre: il y fut résolu qu’on évacuerait le fort le plutôt possible. En conséquence, on se prépara à la retraite dans la nuit du 5 Juillet. Le lendemain matin, Burgoyne se mit à sa poursuite, avec une grande division de l’armée, et se rendit sur deux frégates et dans des bateaux armés, et les suivit jusqu’à la chûte du Skeensborough; mais ayant éprouvé une opposition par les ouvrages qui avaient été construits dans cet endroit, il retourna à la baie du Sud, où il débarqua. Cependant il suivit les Américains à partir de Skeensborough jusqu’au fort Edward, sur la rivière d’Hudson, où, après avoir conduit son armée avec des fatigues et des travaux incroyables à travers des déserts, il arriva le 30 Juillet. S’il était retourné à Ticonderoga, et qu’il se fût embarqué sur le lac St. George, il lui aurait été possible de gagner le fort St. George, où il y avait une route ferrée assez large pour que les voitures les plus lourdes y pussent passer, et qui conduisait au fort Edward. Mais il dédaignait tout ce qui aurait eu l’air d’un mouvement rétrograde, quoique ce moyen fut le seul propre à lui faciliter la route vers le lieu de sa destination, plus promptement et avec beaucoup moins de difficultés.

A son approche, le général Schuyler, qui avait été joint par Saint Clair, vers le banc de l’ouest de la rivière d’Hudson, se retira à Saratoga. Le colonel Saint-Leger avait été destiné à se rendre du Canada à Albany par une route différente. Il devait remonter le fleuve St. Laurent jusqu’au lac Ontario, et de là descendre le Mohawk; en conséquence, il avait atteint la source de cette rivière, et il devait investir le fort Schuyler, nommé autrefois le fort Stanwix, quand lu connaissance de ses opérations fut donnée à Burgoyne, qui s’apperçut aussitôt de la nécessité d’un mouvement rapide vers le bas de la rivière d’Hudson, afin de l’aider dans son projet, et d’effectuer la jonction des deux armées. Mais ce projet ne pouvait être exécuté sans l’aide de bœufs attelés, de voitures de transport et de provisions. Pour se les procurer, il détacha le colonel Baum, avec environ 600 hommes, vers Bennington, ville située a environ 24 milles à l’est de la rivière d’Hudson, où des provisions considérables avaient été déposées pour l’armée américaine du nord. Mais Baum fut défait à Wallon Creek, à environ sept milles avant Bennington, le 16 Août; et le colonel Breyman, qui s’était avancé pour le secourir, à la tête d’environ 500 hommes, fut obligé de faire sa retraite.

Ce fut le premier échec que l’armée du nord éprouva. Ce désastre fut, peu déjoues après, suivi par un autre: le colonel Saint-Leger ayant été abandonné par les Indiens alliés, qui furent alarmés de l’approche du général Arnold, et du bruit de la défaite de Burgoyne, fut obligé de lever le siège du fort Schuyler, avec une si grande précipitation, que l’artillerie, avec une grande partie des bagages, les munitions et les approvisionnemens tombèrent au pouvoir des Américains. Comme il se hâtait de retourner dans le Canada, Burgoyne fut coupé, et déçu de l’espérance qu’il avait d’être renforcé par une jonction; et les forces américaines furent à même de se concentrer, afin de s’opposer à ses entreprises.

Le général Gates arriva le 19 Août, pour remplacer Schuyler, et pour prendre le commandement du l’armée américaine du nord. Sa présence, avec les évènemens récents, fit arriver sous ses drapeaux une milice nombreuse, et inspira à son armée le désir et l’espérance de prendre toute l’armée anglaise. Burgoyne ne put commencer de se mettre en marche, à cause de la nécessité de transporter des provisions du fort St. George, et chaque instant de retard augmentait les difficultés de sa marche. Ayant établi un pont de bateaux sur la rivière d’Hudson, il passa cette rivière le 13 et 14 de Septembre, et alla camper sur les hauteurs et dans les plaines de Sarotoga. Gates s’avança aussitôt vers lui, et campa à trois milles de Stillwater. Burgoyne ne craignait pas de donner une bataille: il s’approcha dans ce dessein, et le 19, il y eut un engagement terrible. L’action commença vers les trois heures, et ne finit qu’à la nuit, quand les Américains, sous le commandement d’Arnold, se retirèrent dans leur camp. La perte du côté des Américains, en tués et blessés, fut environ de 3 à 400; la perte des Anglais fut de près de 600 hommes. Burgoyne connut alors que l’ennemi qu’il avait à combattre était capable de se battre en rase campagne, avec une intrépidité et cet esprit d’ensemble que l’on n’attend que des vétérans.—Comme il avait renoncé à toutes les communications avec les lacs, il s’apperçut alors de la nécessité d’une diversion en sa faveur, par l’armée anglaise de New-York. Il écrivit de suite à ce sujet, à Sir William Howe et au général Clinton, de la manière la plus pressante; mais ils ne lui accordèrent aucun secours effectif. Dans le même temps, il fut abandonné par les Indiens ses alliés; ils avaient été déçus dans leurs espérances de pillage, et leur enthousiasme était refroidi: ces hordes du désert, dont il se vantait, dans ses proclamations, qu’il n’aurait qu’à élever les bras en l’air, et frapper des mains, et qu’ils exécuteraient sa vengeance, étaient maintenant sourdes à toutes les considérations de l’honneur, et ne pouvaient être émues par aucunes considérations que celles de la détresse dans laquelle leur défaite pouvait tout à coup les plonger. Les difficultés s’augmentaient autour; de lui son armée était réduite à environ cinq mille hommes, et ils n’avaient que la demi-ration de vivres, et comme les magazins de fourrage étaient épuisés, ses chevaux périssaient en grand nombre. L’armée américaine était tellement augmentée qu’il lui était devenu très difficile d’effectuer une retraite sûre. Dans cette extrémité, il prit la résolution d’examiner s’il aurait la possibilité d’avancer, ou celle de déloger les Américains, et de les forcer de camper à une plus grande distance, de telle manière qu’il pût faire sa retraite, dans le cas où il se verrait forcé à cette triste extrémité.

Dans cette intention, il détacha un corps de quinze cents hommes, qu’il commanda en personne: il avait sous ses ordres les généraux Philipps, Reidesel et Frazer. Ce détachement, parti le 7 Octobre, était à peine à un demi-mille des Américains, quand il fut attaqué sur sa gauche, d’une manière terrible et furieuse, par les ordres de Gates, qui avait apperçu les mouvemens des Anglais. En même temps, Arnold attaqua vivement la droite, sous les ordres de Burgoyne, qui, après avoir perdu plusieurs pièces de campagne et une grande partie de son artillerie, rentra dans son camp. Les Américains la suivirent, et livrèrent un assaut aux ouvrages qui le défendaient, dans toute leur étendue de la droite à la gauche. Les fortifications se trouvèrent prises vers la fin du jour, et le colonel Brooks, qui avait délogé la réserve, composée de troupes allemandes, occupa tout le terrain qu’il avait gagné. Dans cette action, Burgoyne perdit un grand nombre de ses meilleurs officiers, parmi lesquels étaient Le général Frazer et le colonel Breyman: il y eut beaucoup d’hommes de tués, et plus de 200 furent faits prisonniers, avec neuf canons de cuivre. On lui enleva tous les équippemens et les effets de camp de la brigade allemande. Après le désastre du jour, il profita de la nuit pour changer sa position, et pour se défendre avec avantage, dans un camp très fort, sur les hauteurs. Cependant, dans la crainte de s’y voir attaqué de tous les côtés, dans la matinée du lendemain, il commença sa retraite sur Saratoga, où il arriva le 10. Dans sa marche, il réduisit en cendres toutes les maisons des habitations.

Ce mouvement avait été prévu, et déjà une armée, postée sur ses derrières, était prête à lui couper la retraite. Nul autre moyen de franchir ce mauvais pas ne lui fut laissé que celui d’abandonner son artillerie et ses bagages, et de passer à gué la rivière d’Hudson, pour se sauver au fort St. George, par des routes impraticables pour les voitures de transport. Il fut encore privé de cette dernière ressource par les précautions de Gates, qui avait placé de forts détachemens dans tous les endroits guéables; de sorte qu’il ne pouvait y passer qu’avec de l’artillerie. Dans cette situation embarrassante, quand son armée se trouva réduite à environ 3500 combattans, et qu’il n’y avait aucun moyen de se procurer des provisions, pour renouveller celles qui étaient presque épuisées, il convoqua un conseil de guerre. Il y fut décidé à l’unanimité que l’on entrerait en négociation avec le général Gates. Les troupes de Burgoyne furent d’abord requises de poser leurs armes à terre dans leur camp, et de se tendre volontairement prisonniers de guerre; mais cette demande ayant été aussitôt rejettée, le général américain ne crut pas nécessaire d’insister sur la rigueur de cette proposition. La convention fut signée le 17 Octobre, et l’armée anglaise dans la même journée, sortit de son camp avec tous les honneurs de la guerre. Il fut stipulé qu’elle aurait la liberté de s’embarquer pour l’Angleterre, et qu’elle ne servirait pas contre les Etats-Unis, pendant tout le temps de la guerre. Le nombre total des prisonniers s’éleva à 5752. En juillet, l’armée de Burgoyne était composée de 9000 hommes: l’armée de Gates, en y comprenant 1600 malades, se montait à 13,200. L’armée de Burgoyne fut escortée jusqu’à Cambridge, dans le Massachusets, où elle demeura jusqu’en Novembre de l’année suivante, époque à laquelle le congrès décida qu’elle serait envoyée à Charlotteville, dans la Virginie. Cette détention de l’armée avait pour motif la crainte où l’on était que la convention ne fût rompue, et l’on voulut attendre la nouvelle de sa ratification par la Grande-Bretagne.

Burgoyne lui-même avait obtenu la permission de se rendra en Angleterre, sur parole, où il arriva en mai 1778. Il y fut reçu froidement, et ne put obtenir la permission de se présenter devant le roi, qui lui fit même ordonner de se rendre en Amérique, comme prisonnier; mais le mauvais état de sa santé ne lui permit pas d’obéir. Il finit par obtenir la liberté de sa justifier, par le récit de sa conduite et de ses opérations militaires. Bientôt après cette apologie, il renonça à son traitement militaire, qui se montait à 240,000 francs par année.

Vers la fin de 1781, au moment où la majorité du parlement paraissait déterminée à continuer la guerre, Burgoyne se réunit au parti de l’opposition, et il fit une motion pour que l’on renonçât à une guerre injuste et inutile. Il savait qu’il était impossible de conquérir l’Amérique. “La passion, l’intérêt et la politique, dit-il, peuvent obtenir des succès momentanés et partiels; mais quand nous voyons le triomphe d’un principe s’étendre sur un continent tout entier, et les Américains résolus à mépriser toutes les difficultés, et à envisager la mort sans la craindre, même pendant plusieurs années, ce ne peut être que par la plus étrange vanité et le comble de la présomption, que nous pourrons nous laisser persuader qu’ils ne sont pas en droit de se défendre.”

Depuis la paix jusqu’à sa mort, arrivée le 2 août 1792, Burgoyne continua de mener une vie consacrée aux muses et aux plaisirs. On a de lui la Vierge du Chêne, divertissement; le Bon ton, et l’Héritière, comédie qui a joui pendant quelque temps de la faveur du public. L’intrigue de cette pièce est bien conçue.—(Dictionnaire Biographique.)

HISTOIRE NATURELLE.

LES FOURMIS,

Article extrait en substance des Merveilles du Monde.

Ainsi que les abeilles et les guêpes, les fourmis se réunissent dans une enceinte, où elles se logent, travaillent et vivent en commun. Leur demeure est une ville où les rues aboutissent à différents magazins. Lorsqu’elles vont en maraude, elles y mettent une combinaison qui n’est point ordinaire aux autres animaux. Des coureurs sont envoyés à la découverte, et, sur les avis qu’ils rapportent, des détachemens plus ou moins nombreux, en raison de la quantité et de la qualité du butin, se mettent aussitôt en devoir d’aller s’en rendre maîtres. Ni la distance, ni la difficulté du terrain ne sauraient les rebuter. Si un premier détachement ne suffit pas, on en fait partir un second, et même un troisième. Le premier remet ce qu’il rapporte au second, dès qu’il le rencontre, et le second au troisième; et ce travail continue jusqu’à ce que tout soit conduit dans les magazins publics.

Mais ce qui prouve encore mieux l’intelligence que ces insectes ont reçue de la nature, c’est le soin avec lequel ils éloignent ou approchent leurs petits de la superficie de la terre, selon que le temps est froid ou chaud, sec ou pluvieux. Après la pluie, ils les étalent aux rayons du soleil, et à une douce rosée, après une longue sécheresse. Aux approches de la nuit, de la pluie ou du froid, ils reprennent leurs nourrissons avec leurs pattes, et les descendent si avant en terre, qu’il faut souvent creuser à plus d’un pied de profondeur pour pouvoir les découvrir.

La vie des fourmis est de quatre à cinq ans. Les plus vieilles acquièrent des ailes et vont chercher leur vie sur les arbres.

Outres les fourmis que l’on voit ordinairement en Europe, il en est une autre espèce qui habite l’Afrique, et qui surpasse les abeilles, les guêpes et les castors dans l’art de bâtir. Ces insectes, qu’on appelle termès, fourmis blanches, poux de bois, ou vagvagues, vivent en société, et sont composés de trois sortes d’individus, les mâles, les femelles et les ouvriers, que l’on distingue encore par les noms de travailleurs et de soldats.

On compte cinq espèces de termès, le belliqueux, le mordant, l’atroce, le destructeur et le termès des arbres. Le lieu qu’ils choisissent pour bâtir leurs nids, diffère. Les uns les établissent sur la surface de la terre, ou partie dessus et partie dessous. Les autres les placent sur les branches des arbres.

Les termès belliqueux élèvent des édifices dont la hauteur perpendiculaire est de dix à douze pieds au-dessus de la surface de la terre, et dont la figure extérieure approche de celle d’un pain de sucre. Ils sont si solides, que l’homme, et même des taureaux sauvages ne sont pas capables de les détruire en montant dessus. II est à remarquer que si l’on compare ces édifices avec ceux qui sont l’ouvrage des hommes, on verra qu’ils sont pour ces insectes, qui ont à peine un quart de pouce de longueur, ce que serait pour nous des monumens cinq fois plus grands que la plus haute pyramide d’Egypte. Chacun de ces édifices est divisé intérieurement en un grand nombre d’appartemens, savoir.: la chambre royale, les nourriceries et les magazins. Ces derniers sont toujours pleins de petites masses de gomme ou jus épaissi de plantes. Quant aux pièces qu’occupent les œufs et les petits, elles sont entièrement composées de parcelles de bois unies ensemble par des gommes. Ces chambres sont irrégulières, et la plus grande n’a pas un demi-pouce. Elles sont placées auprès de celle de la mère, qui se trouve directement sous le sommet du cône, à peu près de niveau avec la surface de la terre, et à une distance égale de tous les côtés du corps-de-logis. Toutes les pièces qui l’environnent composent un labyrinthe inextricable. Des galeries plus larges que le calibre d’un gros canon sont pratiquées dans les pièces les plus basses, et aboutissent, en descendant sous terre, à une profondeur de trois ou quatre pieds. C’est là que les travailleurs vont chercher le gravier fin qu’ils convertissent dans leur bouche, en un argile solide, et dont ils construisent ensuite la pyramide, ainsi que tous les bâtimens, à l’exception des nourriceries.

Le nid du termès mordant est d’une forme cylindrique. Il n’a environ que deux pieds d’élévation, et se trouve couvert d’un toit en forme de cône. On l’appelle nid en tourelles. Quant au termès fatal, ses édifices sont moins bien travaillés extérieurement. Ceux du termès des arbres sont sphériques et construits, soit dans les arbres, soit sur les toits des maisons. On en voit quelquefois d’aussi spacieux qu’une barique de sucre. Ils sont composés de parcelles de bois, de gommes et de sucs d’arbres, avec lesquels ces insectes forment une pâte qui leur sert à construire des cellules.

On trouve dans les nids des termès belliqueux cent travailleurs pour un soldat. Les premiers ont à peine trois lignes de longueur, et vingt-cinq pèsent environ un grain. Les seconds sont plus gros et longs d’un demi-pouce. Leur office est de percer et de blesser. Ils s’en acquittent parfaitement.

Mais l’insecte que l’on regarde comme arrivé à l’état le plus parfait est celui qui a des ailes. Cette espèce diffère des travailleurs et des soldats, non seulement par des ailes, mais encore par la forme du corps. Dès qu’il est entièrement développé, il a environ huit lignes de longueur; ses ailes en ont seize et ses yeux sont très saillants. C’est immédiatement après la saison des pluies qu’ils émigrent pour aller fonder d’autres colonies. Ils choisissent toujours un temps humide pour se mettre en route, mais qu’il en est peu qui échappent aux dangers du voyage! Les oiseaux, les insectes, les reptiles carnivores, et jusqu’aux Africains, leur déclarent une guerre ouverte. De plusieurs milliers qui voltigent dans les airs, après avoir quitté le lieu de leur naissance, il en reste à peine quelques couples, que les travailleurs et les soldats sauvent de la rage de leurs ennemis, en les enfermant dans la chambre royale, où une petite ouverture, suffisante pour eux et les soldats, est ménagée. De ce moment rien ne manque à ce couple privilégié. Les travailleurs fournissent à leur subsistance, ainsi qu’à celle de leur grande famille, tandis que les soldats les gardent et les défendent contre toute espèce d’atteinte.

A mesure que la ponte a lieu les travailleurs emportent les œufs et les placent dans les nourriceries, et, dès que les petits sont éclos, ils en prennent un soin extraordinaire, jusqu’à ce qu’ils les aient mis en état de partager les travaux et les charges du gouvernement.

Le désastre que le termès, et particulièrement le destructeur, commet, est au-dessus de toute expression. Ces insectes savent tout découvrir, tout annéantir, et une maison qui a le malheur d’être attaquée par eux, peut être, si l’on n’y prend garde, ruinée, en très peu de temps, de fond en comble. Ils sont d’autant plus dangereux, qu’ils s’avancent sous terre jusqu’aux fondemens des maisons et des magazins, qu’ils y percent tout ce qu’ils y rencontrent, et que souvent on ne s’apperçoit du mal que lorsqu’il n’y a plus de remède. D’après cela, on concevra facilement que lorsqu’ils parviennent à entrer dans un magazin, aucune caisse ni aucunes marchandises ne sont à l’abri de leur dévastation. Les métaux ou le verre sont les seuls objets qui peuvent leur résister.

Ce qu’il y a de vraiment curieux, et même d’infiniment amusant, en prenant toutefois quelques précautions, c’est d’attaquer l’édifice de ces insectes, et d’y faire une brèche. Aussitôt on apperçoit un soldat qui vient à la découverte; deux ou trois autres le suivent de près, et bientôt une armée entière se précipite sur la brèche, pour en défendre l’entrée. Pendant ce temps là, la plus grande agitation règne dans l’intérieur de l’édifice, et les murs en sont fortement frappés dans toutes les directions. Il arrive quelquefois que les plus braves d’entre les soldats se jettent sur les assaillants; et dans ce cas, malheur à ces derniers, car indépendamment de la piqûre des termès, qui est très douloureuse, ils s’accrochent, du premier coup, à leur ennemi, ne lâchent jamais prise, et se laissent arracher le corps par morceaux plutôt que de fuir. Dès qu’on s’éloigne le calme se rétablit, les soldats rentrent dans la ville, et les travailleurs, la bouche remplie de mortier, s’empressent, à l’envi les uns des autres, de refermer la brèche, et ne quittent l’ouvrage que lorsqu’il est entièrement terminé.

Il existe encore une espèce de termès, infiniment plus rare que les belliqueux: ce sont les termès voyageurs. Ils marchent en colonnes serrées, sur douze ou quinze de front. Ces colonnes sont composées de travailleurs au milieu desquels on apperçoit quelques soldats. Pendant qu’ils cheminent de la sorte, avec la plus grande vitesse, d’autres soldats sont répandus des deux côtés des colonnes, à la distance d’un ou deux pieds, faisant des patrouilles, et veillant à ce qu’aucun ennemi ne vienne troubler la marche des travailleurs. Mais ce qu’il y a de bien plus extraordinaire, c’est de voir encore d’autres soldats juchés sur les feuilles des plantes voisines, à douze ou quinze pouces de terre, et placés ainsi en vedettes, afin de pouvoir avertir de tout ce qui se passe aux environs. Chaque fois que cette garde vigilante frappe des pieds sur la feuille, tout le corps d’armée lui répond par un sifflement. Cette marche guerrière, ou si l’on veut, cette marche militaire, se termine toujours par la rentrée de tout le corps de troupes dans la terre, par deux ou trois trous qui ont été vraisemblablement pratiqués par l’avant-garde, lorsqu’ils ne sont pas le commencement du chemin couvert qui conduit à la ville des termès voyageurs.

Il y a aussi, d’après le rapport de Stedman, des fourmis d’un pouce de longueur, et extrêmement noires, qui dépouillent, en très peu de temps, un arbre de toutes ses feuilles, qu’elles découpent ensuite en petits morceaux, de la forme d’une pièce de six sous, pour les emporter sous terre. Rien n’est plus amusant que de voir ces armées de fourmis, chacune avec son morceau de feuille verte, suivre continuellement la même route. Il paraît certain que ces feuilles servent de nourriture à leurs petits.

LE VER DE TERRE ET LE VER A SOIE.

  Il fend l’air, cet heureux reptile;

Il était mon égal; le voilà volatile.

Je l’ai vu tisserand, ce nouvel oisillon,

Qui s’élève aujourd’hui d’une aile triomphante!

Il déploie au soleil sa robe étincelante;

Il fut un ver obscur, ce brillant papillon!

Ainsi le ver de terre, à la douleur en proie,

    De son voisin, le ver à soie,

    Contemplait les destins nouveaux.

Est-ce à toi d’envier le prix de mes travaux,

Reprit l’insecte ailé? Je me souviens sans cesse

Qu’à mériter mon sort j’ai passé ma jeunesse,

Tandis que dans la fange, enfoncé sans pudeur,

Dans un honteux loisir tu mettais ton bonheur.

Je sais qu’à réparer le tort de ma naissance,

    J’employais mes premiers momens;

Par d’utiles sueurs j’épurais ma substance:

Je jouis dans l’été des peines du printems.

Si je ne dois qu’à moi mes dignités nouvelles,

    Crois-tu par-là me ravaler?

    Apprends qu’il est doux de voler,

Et qu’il est glorieux d’avoir formé ses ailes.

INSTITUT de FRANCE.—ACADEMIE des SCIENCES.

NOUVELLES RECENTES DE L’ASTROLABE.

M. Freycinet lit une lettre de MM. Quoy et Gaymart qui referme de nouveaux détails sur la campagne de l’Astrolabe.

Les deux naturalistes commencent par rappeler en peu de mots les détails qu’ils ont donnés dans leurs lettres datées de la Nouvelle-Zélande et de Tongatabou. Ces lettres étant parvenues en leur tems à l’Académie, nous avons donné connaissance à nos lecteurs de leur contenu, et nous y renvoyons pour les détails qu’elles contiennent sur les dangers qu’ont courus nos navigateurs. Les dernières nouvelles datées de Tongatabou nous apprenaient que nos marins paraissaient en sûreté dans cette île, sous la protection des trois grands chefs qui s’y partagent actuellement l’autorité.

Dès que l’Astrolabe fut arrivée au mouillage de Pang Haïmodou, les chefs et leur suite, qui avaient constamment vécu à bord, furent récompensés de leur bonne conduite. Une abondance excessive de toutes sortes de vivres fit oublier à l’équipage ses fatigues. Les insulaires étaient alors très avides de grains de verres, surtout des bleus. Pour trois grains, ils donnaient une poule; pour une bouteille vide, ils en donnaient cinq. La meilleure intelligence régnait entre eux et l’équipage, et tout s’était bien passé le jour qui devait être la veille du départ, au moment où les lettres arrivées en Europe furent expédiées.

Après le départ des lettres, il en fut bien autrement. Les naturels, le matin, avaient tous quitté brusquement l’équipage pour aller, disaient-ils, célébrer une fête sur la petite île voisine de Pang Haïmodou. Un de nos canots, monté par huit hommes et M. Faraguet, élève, y faisait du sable. Ils l’enlèvent, et entraînent de force nos matelots. Ils furent bientôt au travers des rescifs, et il fut impossible au grand canot, armé et envoyé de suite, d’avoir autre chose que l’embarcation, qu’ils ne purent faire passer sur les bas-fonds. Aucun motif n’ayant pu donner lieu à un pareil acte d’hostilité, on ne peut l’attribuer qu’à la légèreté de caractère de ces insulaires, ou bien au désir du chef Toufa d’avoir des Européens auprès de lui pour le servir, comme Palou, qui a des Anglais; car c’était Toufa qui avait ordonné l’enlèvement.

Le départ fut retardé. M. Durville se trouva fort embarrassé pour ravoir les hommes. On ne pouvait agir sur les naturels qui avaient tous disparu; on chercha à les intimider, en envoyant brûler les maisons de la côte. A peine était-on débarqué, qu’on fut reçu à coups de fusil tirés au travers des broussailles. Un malheureux caporal de marine (Richard,) s’étant imprudemment avancé dans le bois, fut environné et percé de coups dès qu’il eut tiré: il expira deux heures après. Ce moyen n’ayant produit aucun effet, le commandant attendit un jour, et appareilla pour aller attaquer à coups de canon le village sacré nommé Mafanga, qui contient les tombeaux des chefs et les temples dédiés aux esprits. C’est un sanctuaire dans une île sacrée par elle-même (Tonga-Tabou,) sanctuaire toujours respecté jusque-là même dans les guerres les plus terribles. Les précautions qu’il fallut prendre pour arriver sans s’échouer dans ce lieu demandèrent deux jours, pendant lesquels les insulaires s’occupèrent à y élever des redoutes bien entendues, sur lesquelles nos canons ne purent rien pendant deux jours, quoiqu’à tiers de portée. Les insulaires ripostèrent par des coups de fusil; tout ce qui pouvait combattre dans l’île se trouvait réuni sur ce point: l’honneur d’une pareille défense y appela même ceux qui se disaient nos amis. La constance à les tenir toujours en armes était le seul moyen à employer pour obtenir nos hommes. Cependant le tems était mauvais, et la position de la corvette si près d’un rescif pouvait n’être pas sans danger d’y échouer, ce qui aurait pu entraîner le massacre de l’équipage. Nos prisonniers, pour lesquels nos navigateurs avaient eu tant de crainte au premier coup de canon, n’eurent aucun mal. “Nous les voyions se promener sur la plage, nous conversions même avec eux à l’aide du porte-voix; mais dès qu’un d’eux s’approchait trop dans la mer, on tirait sur lui pour le faire revenir.” Enfin, l’élève fut rendu, et quelques jours après tous les hommes, moins un, qui se joignit à un autre déserteur.

L’Astrolabe appareilla, et quitta cette île, où elle ne devait séjourner que cinq jours, et où les circonstances malheureuses l’avaient retenu un mois entier. Le plus mauvais tems accompagna l’expédition dans l’île Fidjès. Cet archipel immense compte plus de 200 îles, dont quelques unes, à l’est, sont entourées de rescifs qui s’étendent prodigieusement loin. Nous n’avons, disent les auteurs, apperçu aucun port facile sur toutes celles de ces îles que nous avons approchées, et un naturel intelligent nous a assuré qu’il n’y en avait d’autres que ceux que les chercheurs de bois de sandal trouvaient au milieu des rescifs: aussi y font-ils souvent naufrage. Nous recueillîmes quatre hommes du navire espagnol de Manille, la Conception, qui avait péri il y a trois ans; une vingtaine d’autres, restant de l’équipage, se sont sauvés sur la grande Viti, à Imbao, où ils sont encore avec des Américains. Parmi ces Espagnols était un jeune homme de Guame, qui continue de servir avec nous. Si vous trouvez convenable de publier cette note, elle peut quelque jour être utile à ces malheureux, vivant parmi des peuples féroces toujours en guerre d’île à île, et dévorant leurs prisonniers.

C’est là que cette horrible coutume est portée au plus haut degré. Quoique si près de Tonga, ils n’appartiennent pas à la race polynésienne, et tiennent de celles des Papous, avec de plus belles formes. Ils sont noirs et ont les cheveux touffus comme eux. Ils nomment leurs îles Vitis. Le bois de sandal ne se trouve que dans deux d’entre elles. C’est la géographie la plus périlleuse qu’ait encore faite l’Astrolabe.

“Le mauvais tems, dont l’expédition fut constamment tourmentée dans la Louisiade, força M. Durville de modifier le plan de sa campagne. Il renonça au sud de la Nouvelle-Bretagne opposée à celle qu’avait faite M. D’Entrecasteaux. Les plus grandes contrariétés l’accompagnèrent: il eut constamment le plus mauvais tems.

“Arrivés au détroit de Dampier, malgré le soin de passer à 10 milles dans l’est de l’endroit où D’Entrecasteaux s’était trouvé engagé, nous rencontrâmes encore des hauts-fonds. Nous étions dessus, que le soleil avait empêché la vigie de les apercevoir. La brise était fraîche; en arrivant et lofant, nous passâmes en touchant deux fois. L’Astrolabe resta quelques jours à Dorey. Là, nouvel incident: un homme de l’équipage fut grièvement blessé d’un coup de flèche, non par les paisibles Papous, mais par un des féroces habitans des montagnes, qu’ils nomment Alfaquis, &c ...

“Nous ayons appris à Amboine, où il a plu pendant soixante jours, que le mauvais tems a régné dans presque tout l’hémisphère austral, pendant 1827. Il est heureux que nos relâches s’opèrent dans des lieux où la désertion n’est guère possible; car les circonstances dans lesquelles nous nous sommes trouvés ont singulièrement diminué l’ardeur de beaucoup de nos matelots, &c.

“Nous avons été témoins d’une chose curieuse, c’est une noce de riches Chinois. Elle dure quarante jours aussi après un enterrement: c’est pour eux ce qu’il y a de plus ruineux, &c ...

“Nous voilà partis pour contourner la Nouvelle-Hollande, afin de reprendre le détroit de Torrès par l’est. Après avoir passé Timor, nous avons eu une série de vents d’ouest qui, nous contrariant beaucoup, donnaient quelquefois des envies à M. Durville de tenter le passage dans cette direction. Nous ne doutons pas qu’on ne puisse quelquefois réussir. Quand nous parlons du détroit, ce n’est pas par la route ordinaire, mais le long de la Nouvelle-Guinée.”

Le 16 décembre, l’Astrolabe mouilla dans le canal de D’Entrecasteaux, et, deux jours après, à Hobart-Town, jolie petite ville assise sur la côte ouest de la rivière du nord; c’est le chef-lieu du gouvernement. Elle a beaucoup de rapports avec Sydney, et est peut-être mieux pourvue de denrées et de vivres frais propres aux navigateurs. Derrière elle est une assez haute montagne nommée, comme au cap, la Table. Il en descend des raffales d’une violence extraordinaire qui font fortement incliner les navires à l’ancre, et qui enlèvent de la surface de la mer des tourbillons de vapeur d’eau semblables à ceux de poussière sur la terre. Nulle part nous n’avions encore vu ce phénomène.

L’intention de M. Durville était d’achever, en passant la Nouvelle-Zélande, et de prendre ensuite des vivres au port Jackson pour aller à Torrès; mais les documens recueillis sur le lieu où aurait péri Lapeyrousse le décidèrent à prendre une autre direction. Nous ne reproduirons pas ici les détails déjà si connus des relations faites par le capitaine Dillon. Ce capitaine à conduit à Calcutta l’homme qui a connu à Tucopia ou Malicolo deux vieux Français échappés au naufrage et au massacre des deux équipages; il a de plus rapporté une épée portant un chiffre. Ces renseignements avaient déterminé deux hommes graves, le docteur Tetler et M. Chaigneau, Français, à faire partie de l’expédition du capitaine Dillon. Malheureusement ce capitaine vient de commettre des actes qui doivent le faire considérer à peu près comme fou, celui par exemple d’avoir tourmenté et maltraité le docteur Tetler, placé par la compagnie comme historien de cette expédition philanthropique, au point qu’en arrivant à Hobart-Town, il a été civilement condamné à deux mois de prison et à 50 louis d’amende. Ce que nous vous disons là, nous l’avons lu imprimé, et de plus nous le tenons du grand juge. M. Tetler a débarqué; enfin arrivé à la Nouvelle-Zélande, le capitaine Dillon ne sait plus que devenir, et a écrit que la mousson ne lui permettait pas d’aller aux îles du Saint-Esprit; il allait retourner à Calcutta.

SOCIÉTÉ GÉOGRAPHIQUE.

La société de Géographie, bien convaincue de tout l’intérêt qui s’attache dans le public, au voyage de M. Caillé à Tombouctou, s’est empressée de publier les détails qu’elle a reçus jusqu’à ce jour dans un supplément au No. 66 de son bulletin. Nous le donnons textuellement:

“L’importance des nouvelles suivantes qui viennent de parvenir à la Société de Géographie, la met dans le cas d’ajouter un supplément au bulletin du mois d’octobre. Ces nouvelles sont contenues dans une lettre de M. Delaporte, vice-consul, gérant par intérim le consulat général de France à Tanger, membre de la Société, adressée à M. Jomard, membre de l’Institut, vice-président de la commission centrale, et datée du 27 Septembre dernier, dont voici l’extrait:

“M. A. Caillé, déjà mentionné dans un des numéros du bulletin de la Société de Géographie, a parcouru l’intérieur de l’Afrique depuis le Rio Nugnez jusqu’à Tanger, passant par Tombouctou. Il s’embarque aujourd’hui sur une goëlette de guerre de l’Etat pour se rendre à Toulon. La Société de Géographie prendra sans doute le plus grand soin de ce voyageur, qui a traversé l’Afrique en réclamant partout l’hospitalité que je me suis empressé de lui offrir moi-même.

“Je m’estime heureux d’avoir été le premier qui l’ait embrassé. Il se console des fatigues qu’il a essuyées par l’idée qu’il est le seul Européen qui soit parvenu jusqu’à ce jour à terminer avec succès une entreprise dans laquelle ont succombé tant de courageux voyageurs.”

Extrait de deux lettres de M. A. Caillé à M. le Président de la Commission centrale.

Toulon, 10 Octobre 1828.

“Etant au Sénégal, en 1824, je projetai d’explorer l’Afrique centrale, de visiter les villes de Jenné et de Tombouctou, objet des recherches des Européens, qui a coûté la vie à tant d’illustres voyageurs, enfin de surpasser, s’il était possible, les Anglais qui nous avaient devancés. Je me décidai en conséquence, à partir pour l’intérieur à l’aide de mes seules ressources, persuadé qu’à mon retour le gouvernement saurait apprécier mes services.

“Le 19 avril 1827, je quittai Cacandy sur le Rio Nugnez; je suivis une caravane de marchands Mandingues allant sur le Niger. Grâce au costume arabe et à la religion du pays, que j’embrassai, les nombreuses difficultés attachées à ce pénible voyage ont été aplanies. J’ai franchi sans obstacles les hautes montagnes de la Sénégambie et du Foute-Dhialon, les pays de Cankau, de Wasoulo, &c., et je suis arrivé à Eimé, village habité par des Mandingues mahométans, situé dans la partie sud du Bambara, où je séjournai cinq mois, retenu par une maladie très grave,

“Le 9 Janvier 1828, je repris mon voyage; je visitai l’île et la ville de Jenné, et je m’embarquai sur le Niger sur une embarcation d’environ 60 tonneaux, destinée pour Tombouctou; j’y arrivai après un mois d’une pénible navigation. Cette ville est située à cinq milles au nord de Kabra, dans une plaine de sable mouvant, où il ne croît que de frêles arbrisseaux. J’y séjournai quatorze jours; j’étudiai les mœurs et les usages des habitans, le commerce et les ressources du pays, et je pris toutes les informations que je pus me procurer. Ensuite je me dirigeai au nord pour traverser le grand désert, et j’arrivai à El-Arawan. Cette ville est située a six jours au nord de Tombouctou: c’est l’entrepôt du sel qui est transporté à Sansanding et à Yamina. Elle est situeé sur un sol aride et sans aucun arbrisseau. Le vent brûlant de l’est y règne continuellement. Je continuai ma route au nord, et j’arrivai au puits de Téligue, à huit jours d’El-Arawan.

“De là je m’enfonçai dans le désert, au N.-N.-O. Tout le sol est composé de sable mouvant et de roches de quartz gris jaspé de blanc. Après deux mois de marche et des plus pénibles privations dans cet horrible désert, j’arrivai enfin à Tafilet; je passai à Fez, Mesquinez, Rabat et Tanger, où je fus accueilli par M. Delaporte, vice-consul de France, qui me procura tous les soins qu’exigeait ma position. Peu après je m’embarquai sur une goëlette qui me conduisit à Toulon, où je suis en convalescence.”

Après avoir entendu ces communications, la commission centrale a décidé à l’unanimité, dans sa séance du 17 octobre, qu’il serait envoyé sur-le-champ à M. A. Caillé, une première indemnité pécuniaire.

RECUEIL DE VOYAGES ET DE MEMOIRES,

Publiés par la Société de Géographie.

Le Vénitien Marco Polo, le père de la géographie orientale et de la science des voyages, a reçu les premiers et justes hommages de la Société. Elle publie une traduction de son ouvrage, en français du quatorzième siècle, d’après un manuscrit de la Bibliothèque du Roi: cette copie, la plus soignée et la plus complète de toutes, est doublement précieuse, puisqu’elle intéresse à la fois l’histoire de la géographie et celle de notre vieux langage. On promet un commentaire sur cette édition vraiment nouvelle. Faisons des vœux pour que les géographes, les naturalistes, les navigateurs, les philologues, se hâtent de répondre à l’appel de la Société, qui, pour interpréter ce vénérable reste du moyen-âge, réclame la coopération de leur expérience et de leurs recherches!

Les autres travaux déjà publiés concernent la Cyrénaïque et la Pentapole, quelques récits d’un Marabou sur l’intérieur de l’Afrique, un itinéraire de Constantinople à la Mecque; les pachaliks de Bagdad, d’Orfa et d’Alep, accompagnés d’une notice de M. G. Barbier du Bocage: les provinces méridionales de la Perse, décrites par M. de Hammer, dans un Mémoire traduit par M. de Nerciat, &c. Gardons-nous bien de vouloir donner même une idée rapide de l’importance et de la nouveauté de ces documens géographiques, ornés la plupart de cartes et de plans; imitons plutôt le voyageur qui, dans un pays trop riche en curiosités de la nature et de l’art, réduit à choisir, se résigne à savoir moins, dans l’espérance de savoir mieux, et s’attache presque involontairement à ce qui lui semble plus extraordinaire et plus inattendu. Ainsi, dans cette abondante moisson de descriptions et de faits, il est tout simple que l’antique Orient tienne une grande place: il a son histoire, ses souvenirs, sa longue suite de siècles, ses monumens expliqués par ses annales. Ne trouvera-t-on pas, au contraire, qu’il y a quelque chose de paradoxal à fixer l’attention des gens instruits sur les antiquités de cette jeune Amérique, née d’hier, et qui ne nous paraît avoir véritablement existé que depuis l’expédition de Colomb? Est-il possible que de grands peuples y aient vécu sans nous, qu’on y ait élevé sans nous des villes opulentes, de superbes édifices, et qu’elle ait ses ruines comme l’Europe, l’Afrique et l’Asie, ses aînées dans l’histoire du Monde?

C’est là cependant ce que nous apprennent les autorités les plus imposantes, dont M. Warden, ancien consul des Etats-Unis, a rassemblé les témoignages dans deux notices fort intéressantes, l’une sur les fameuses ruines de Palanqué, l’autre sur les antiquités de divers Etats de l’Union. Ne parlons que de ces faits encore peu connus.

Dans toute la partie de l’Amérique septentrionale arrosée par l’Ohio, depuis le lac Erié et l’Illinois jusqu’au golfe du Mexique, et le long du Missouri jusqu’aux monts rocheux, la terre porte évidemment l’empreinte du passé, et révèle l’existence d’une grande et puissante population, dont l’histoire est perdue pour jamais. D’immenses tertres, dont les Indiens modernes ne connaissent point l’usage, remplis d’ossemens humains, qui paraissent avoir appartenu à des peuplades étrangères; des armes telles qu’on n’en a point fabriqué sur ce continent depuis la découverte; des restes de villes fortifiées de circonvallations en terre, de citadelles construites de briques et de ciment, de vastes murailles où des arbres d’une grosseur prodigieuse ont pris racine depuis des siècles; des constructions régulières, des chambres voûtées, des inscriptions en langage qu’on n’entendait déjà plus au tems des premiers voyageurs, tout annonce l’antique existence d’un peuple très différent de ceux que les Européens trouvèrent dans les mêmes contrées: et ces profondes marques des anciens tems, dont les pays situés à l’est des monts Alleghany n’offrent pas le moindre vestige, semblent nous dire que nous sommes loin de tout savoir sur ce que les hommes ont fait avant nous, et que nos prétendues histoires universelles, malgré tant de recherches curieuses, seront toujours incomplètes.

Ces traces d’antiquité se rencontrent quelquefois jusque dans les provinces maritimes du Nord. Le rocher de Dighton, dans l’Etat de Massachusets, a surtout exercé l’esprit aventureux des savans des deux Mondes. Les uns se sont contentés de reconnaître dans l’inscription la forme des caractères phéniciens, et la preuve des expéditions commerciales des Carthaginois en Amérique; les autres ont été plus hardis, et se sont imaginé qu’ils lisaient fort clairement sur ce rocher le nom de In, fils d’Indios, qui vivait, disent-ils, du tems de l’empereur chinois Yao, l’an du monde 2296, quarante-huit ans après la submersion de l’île Atlantide.

Tout récemment, à Fayetteville, sur l’Elk, non loin d’une fortification en ruines, on a trouvé une espèce de monnaie romaine qui serait du second siècle de notre ère; car elle porte, en fort style numismatique, d’un côté le nom d’Antonin-le-Pieux, et de l’autre celui de Marc-Aurele. Voilà, certes, une médaille qui prouve fort peu de chose, parce qu’elle prouverait trop; mais il n’en est pas moins singulier de l’avoir trouvée là.

Il y a plus d’intérêt encore dans la description des ruines découvertes près de Palanqué, dans la province de Guatimala, restes majestueux d’édifices cachés pendant des siècles sous des forêts impénétrables, et inconnus jusqu’à nos jours à tous les historiens du Nouveau-Monde. Ces ruines témoignent d’un état de société bien plus florissant que celui des peuples qui habitèrent la vallée de l’Ohio. Des aqueducs, qui persistent être de construction romaine; des bas-reliefs, où l’on a cru retrouver des sujets fabuleux de l’antiquité classique; des emblèmes, analogues à ceux de l’ancien Monde, ont fait penser au capitaine Del Rio, un des plus exacts observateurs de cet autre Herculanum, que des Phéniciens, des Grecs, des Romains, avaient pu étendre leurs conquêtes ou leur commerce jusqu’à ces régions éloignées, et y laisser quelques notions affaiblies de leurs arts et de leurs croyances. D’autres ont voulu reconnaître, dans les traits confus de leurs idoles, l’Isis et l’Osiris des Egyptiens, quoique ces bizarres figures me paraissent ressembler beaucoup plus aux dieux de l’Inde, et que cette ressemblance s’accorde mieux avec l’idée probable que l’Amérique a été peuplée par le nord-ouest. D’autres n’ont pas craint de fixer, année par année, et presque jour par jour, l’époque certaine où l’Hercule libyien vint débarquer à l’île Atlantide (suivant eux l’île d’Haïti,) des bords de laquelle il fit partir une nouvelle colonie pour le continent américain. M. Warden ne se prononce pas. Il ne faut pas être bien téméraire pour dire hautement qu’il a raison.

Quelque opinion que l’on adopte sur ces débris d’une civilisation si long-tems effacée, il est certain qu’ils existent, et qu’ils ont été décrits par des hommes dignes de foi. Robertson avait donc tort de croire que la conquête espagnole avait détruit tous les anciens monumens de l’Amérique, et en avait enseveli les ruines mêmes. Les voyages de MM. de Humboldt, Bullock, &c., l’ont réfuté victorieusement, et nous ont appris que le Nouveau-Monde avait aussi ses antiquités. On pense même que plusieurs de ces magnifiques restes, dès l’époque de la conquête, se perdaient déjà dans la nuit des tems, et que la végétation riche et féconde, qui rend aujourd’hui presque méconnaissables les palais, les bains, les temples, les avait déjà recouverts et soustraits à une destruction nouvelle. Ces débris ont quelque chose de plus triste que ceux de notre ancien Monde, et le nom de monumens leur convient à peine, puisqu’ils ne se rattachent à aucun fait connu, et ne sont les représentans d’aucune histoire. Ceux de la Grèce et de Rome ont pour interprètes les immortels écrits de ces deux grands peuples, et nous suivons à travers les siècles leurs longues vicissitudes. Ceux de l’Egypte, ceux de Palmyre ont sans doute des annales plus obscures et plus confuses, mais cependant les traditions du passé ne se taisent pas tout à fait sur leur origine et leurs destinées. Il n’est pas jusqu’aux vieux sanctuaires de l’Inde dont on ne puisse espérer de dissiper un jour l’obcurité mystérieuse. Ici point d’espérance: le peuple qui a bâti ces temples, adoré ces idoles, et non seulement le peuple, mais ses livres, ses annales, tout a disparu. L’Amérique, surtout dans le nord, n’offre plus à l’inutile curiosité du voyageur que des signes d’une langue a jamais perdue, que des ruines sans souvenir.

On sait combien les modernes, depuis Rudbeck jusqu’à Bailly, ont imaginé de systèmes sur l’Atlantide de Platon, île plus grande, dit-il, que l’Asie et l’Afrique ensemble, et qu’il place vis-à-vis les colonnes d’Hercule. Il raconte, dans le Timée, que les rois de ce vaste continent, déjà maîtres d’une partie de l’Afrique et de l’Europe, voulurent conquérir Athènes qui sauva sa liberté par une victoire. “Les siècles, ajouta-t-il, amenèrent ensuite le jour inévitable, la nuit désastreuse où, dans un tremblement de terre, au milieu des inondations, tous les guerriers d’Athènes furent entraînés sous Les abîmes, et l’île Atlantique, recouverte à jamais par les flots. Aujourd’hui cette mer est inaccessible, et la fange du continent englouti arrête les navigateurs qui veulent visiter ces ruines. Voilà le récit que le vieux Critias avait entendu faire à Solon.” Nous voyons dans Proclus que Platon lui-même avait lu ce récit, en caractères hiéroglyphiques, sur les colonnes égyptiennes; Iamblique ajoute que c’étaient celles d’Hermès-Trismégiste. On s’accorde assez à croire que cette tradition n’est pas entièrement fabuleuse, que l’île engloutie a pu exister dans l’Océan Atlantique, et que les Canaries ou les Antilles en sont peut-être des débris. La mémoire de quelque grande catastrophe semblable paraît s’être conservée parmi certaines peuplades sauvages de l’Amérique du nord: sans cesse repoussées dans les déserts par les états civilisés de l’Union, elles s’attendent à voir successivement périr toutes leurs tribus; mais elles se flattent que leurs, ennemis disparaîtront à leur tour, comme jadis les Athéniens périrent avec les Atlantes qu’ils avaient vaincus. “Quand les hommes blancs, disent leurs sages, auront fini de tuer les hommes rouges, le grand Esprit donnera le signal de la vengeance; la tortue gigantesque qui porte sur son dos notre terre, secouera son fardeau, comme elle a déjà fait une fois; les blancs périront dans ce nouveau déluge, et le grand Esprit rendra la terre aux peuples rouges.”

Ces rapports sont singuliers: je pourrais en rassembler quelques autres plus sensibles encore, si j’examinais la question traitée dans un ouvrage dont M. Warden ne parle pas, et qui parut à Boston sous ce titre: L’Amérique connue des anciens. Pour ne pas essayer de tout dire, quand je puis à peine indiquer rapidement quelques faits, je nie borne à un rapprochement qui ne s’est, je crois, présenté encore à personne, et que je livre aux réflexions des savans.

La topographie de Mexico est assez connue: cette ville, dit Robertson, est située dans une plaine entourée de montagnes; les eaux qui descendent des hauteurs se réunissent dans différents lacs, dont les deux plus grands communiquent l’un avec l’autre; c’était sur les bords de l’un d’eux et sur quelques îles voisines qu’était bâtie la capitale du Mexique. On arrivait à la ville par des chaussées de pierre et de terre, d’environ trente pieds de large. Comme les eaux des lacs inondaient la plaine dans la saison des pluies, ces chaussées s’étendaient très loin ...Du côté de l’est il n’y avait point de chaussée, et on ne pouvait arriver à la ville qu’en canot. A chaque chaussée il y avait des ouvertures de distance en distance, par lesquelles les eaux communiquaient d’un côté à l’autre, et sur ces ouvertures des madriers recouverts de terre, qui servaient de ponts. La construction de la ville n’était pas moins remarquable. Non seulement les temples, mais les maisons du monarque, des personnes de distinction, étaient d’une rare magnificence ...

Lisez maintenant le Critias de Platon. Je né puis traduire toute sa description de la capitale de l’Atlantide; en voici du moins quelques traits: “Neptune commença par environner de fossés remplis d’eau le terrain où il fonda sa ville, et il les entrecoupa de langues de terre plus ou moins larges ...Ces bassins furent autant de barrières destinées à rendre la ville inaccessible.... On fit des coupures aux diverses chaussées et on y construisit des ponts, de manière qu’une trirème pouvait passer d’un bassin dans l’autre ...Les rois de l’Atlantide possédèrent de si grandes richesses, qu’elles n’avaient été égalées par celles d’aucun prince, et qu’il serait difficile qu’elles le fussent jamais, &c.” Cette ressemblance est peut-être fortuite; mais n’est-il pas possible aussi que les navigateurs phéniciens aient porté jusqu’en Egypte, quelques notions sur un autre hémisphère, et que, de ces bruits lointains, Platon ait formé sa description poétique d’un continent qui ne se retrouvait plus, et qu’il pouvait croire détruit?

Tout est conjecture dans l’ancienne histoire de l’Amérique, puisque la découverte est récente, et qu’à l’époque même de cette découverte, une immense dévastation a fait périr sur cette terre malheureuse presque tous les témoignages du passé. Mais la conjecture est moins hasardeuse quand elle s’appuie, non sur le rapport de quelques mots, de quelques usages, mais sur la sol même; quand elle peut suivre pour guide le voyageur impartial, éclairé, qui, sous d’épaisses forêts, nous montre encore la trace des villes, des fortifications, des tertres funéraires, et nous transmet l’image des inscriptions, des pierres sculptées, des armes de bronze, ouvrages d’un peuple oublié. Les mœurs changent, l’analogie du langage est trompeuse; mais de grands travaux, de magnifiques débris attestent hautement que l’industrie et les arts ont régné autrefois dans ces solitudes, qui ne sont plus aujourd’hui traversées que par de misérables peuplades, sans annales, sans traditions. C’est à l’aide des probabilités delà science moderne, marchant pas à pas, avec une lenteur scrupuleuse, à travers ces vestiges d’une obscure antiquité, qu’on pourra successivement augmenter les connaissances, ou du moins les vraisemblances historiques.

UNE FAUTE DE GEOGRAPHIE, &c.

Un riche négociant de Paris ayant vu chez un de ses amis servir quelques morceaux d’un fromage raffiné et crémeux, les trouva d’un goût exquis, et s’informa du nom de la contrée qui les produisait. L’ami nomma Neufchâtel. “Parbleu! s’écria le négociant, j’y ai un correspondant; je lui en commanderai un envoi.” Rentré chez lui, il expédie une lettre, où il demandait douze douzaines de ces fromages.

Il les avait complètement oubliés, lorsqu’un jour qu’il traitait une société nombreuse, son maître d’hôtel arrive tout effaré lui dire d’une voix entrecoupée: “Monsieur ... monsieur ... les fromages sont arrivés.—Bon, répond indolemment son maître, servez-en une demi-douzaine sur une assiette, et mettez le reste dans l’armoire.—Comment, monsieur, que j’en mette une demi-douzaine sur une assiette?—Eh! certainement.—Et le reste dans l’armoire?—Ne voulez-vous pas les servir tous?—Dieu m’en préserve, monsieur! des fromages grands comme des meules de moulins!—Que voulez-vous dire! vous perdez la tête.—Regardez par la fenêtre, monsieur; il y en a six charrettes toutes pleines qui viennent d’entrer dans la cour.”

Toute l’assemblée se leva, courut aux fenêtres, et vérifia la justesse du rapport. Notre négociant avait pris Neufchâtel en Suisse, pour Neufchâtel en Normandie. Il quitta la facture, lès frais de transport, se défit à perte de ses fromages, et conclut de ce malentendu qu’il aurait mieux fait d’employer son argent à se donner quelques notions de géographie.—Journal Français.

—L’anecdote qui précède nous appelle une singulière méprise d’un genre à peu près semblable.

Un négociant de New-York avait écrit à son correspondant d’Amsterdam de lui envoyer une certaine quantité de pièces d’étoffe de soie d’une espèce particulière appelée en anglais moleskin (peau de taupe). Le correspondant hollandais traduisit l’ordre littéralement et comprit qu’on lui demandait une égale quantité de peaux de taupes. N’en trouvant aucune à vendre dans toute la ville, il offrit un bon prix aux jardiniers et habitans de la campagne aux environs pour chasser et tuer toutes les taupes qu’ils pourraient trouver. On lui en apporta une quantité suffisante dont il fit enlever les peaux, qui furent préparées avec soin et emballées avec toute la précision hollandaise. L’envoi arriva en cet état à New-York. Qu’on juge de la surprise de notre négociant ici, à l’ouverture des caisses, de les trouver remplies non de pièces de soie, mais de peaux de taupes.—Journal Américain.

VOYAGE EN AFRIQUE.

M. Maffat, le missionaire, a pénétré dans l’Afrique méridionale jusqu’à 300 milles au-delà de Lattakou, où il a trouvé une contrée extrêmement populeuse, gouvernée par un nommé Makabba; voici le récit qu’il fait de cette partie de son voyage:

“Arrivés au sommet de la colline, nous découvrimes à nos pieds la capitale des Wankits, et au Nord une multitude de villes répandues dans la vallée. Notre guide nous conduisit, à travers une rue tortueuse, à l’habitation de Makabba, qui nous attendait à la porte d’une de ses maisons, et nous accueilit avec beaucoup d’empressement; il parut à la fois surpris et satisfait de voir que nous étions sans armes, observant, avec un gros rire, qu’il s’étonnait que nous eussions osé nous avanturer ainsi dans une ville commandée par un brigand tel qu’il passait pour l’être.

“Au coucher du soleil, il nous envoya sa femme favorite, avec un sac plein de lait caillé, en nous promettant pour le lendemain matin le régal d’un bœuf. Je lui fis présent, en retour, de quelques grains de verre et d’autres bagatelles, ainsi que d’un chapeau, qu’un des Oriquas l’engagea à mettre sur sa tête, ce qu’il fit, mais pour l’ôter au même instant et le placer sur celle d’un autre, afin, dit-il, de pouvoir juger de sa beauté. Nous fûmes toute la nuit éveillés et alarmés par le cri des hyènes, dont il y a là trois espèces, des bariolées, des tachetées, et une autre variété très petite.

“Je visitai la ville, qui est fort-grande, et couvre au moins huit fois autant de terrain qu’aucune de celles que j’eusse encore vues parmi les Bechuanas; sa population doit donc être considérable, et les missionnaires trouveraient ici un vaste champ à exploiter. Les femmes de Makabba, qui sont en grand nombre, ont chacune un établissement séparé, consistant en trois ou quatre maisons, une grange à blé et un magasin à provisions. Ces maisons et leurs dépendances sont mieux distribuées et soignées qu’on ne les trouve d’ordinaire; les cours et les planchers sont tenus avec une admirable propreté, et celle de tous leurs ustensiles n’est pas moins remarquable. La place où les assemblées publiques ont lieu forme un cercle de 170 pieds de diamètre, entouré de pieux serrés dont la hauteur est de 8 pieds. C’est en dehors et tout autour de ces pieux que le bétail est parqué; plusieurs milliers de bœufs et de moutons peuvent y être rassemblés.

“Makabba n’est plus jeune, quoique sa mère vive encore; il est grand, fort et bien portant, mais a les traits d’un Hottentot et le regard cauteleux; il est aisé de juger, par sa conversation, que la politique africaine lui est familière. De toutes les tribus environnantes, il ne craint que les Makouas, ou nations civilisées. Il est perpétuellement en guerre avec les Baquéens, tribu populeuse, qui s’étend au N. E. et a l’E....et au-delà de laquelle se trouvent les Mangwattos, peuple renommé par son industrie et sa richesse. Après les Mangwattos viennent les Magaletséliens, qui paraissent dans cette direction, finir la chaîne des aborigènes du pays; car on trouve ensuite une nation d’hommes demi-blancs, qui font usage de linge, et dont les mœurs sont extrêmement féroces.”

DECOUVERTES ET INVENTIONS.

M. Champollion, jeune, qui ta s’embarquer à Marseilles pour l’Egypte, ayant examiné une précieuse collection de manuscrits, en la possession de M. Sallier, habitant d’Aix, a découvert deux rouleaux de papyrus contenant “L’Histoire et les Guerres du règne de Sesostris le Grand.” Ces manuscrits sont datés de la neuvième année du règne de ce monarque! Sésostris Rhames, ou le Grand, suivant les calculs des chronologistes allemans, vivait du temps de Moyse, et était fils, à ce qu’on suppose, du Pharaon qui périt dans la Mer Rouge, en poursuivant les Israélites. Ce document remarquable, qu’après un laps de près de trois mille ans, M. Champollion a découvert, comme par miracle, peut contenir des détails dont on imagine l’intérêt, sur quelques uns des grands incidens de l’histoire sacrée. Le 2 de ce mois, la Société Académique d’Aix a reçu le rapport de M. Sallier relativement à cette découverte. Il a été découvert un troisième rouleau, qui traite ou de l’astronomie ou de l’astrologie, mais plus probablement de ces deux sciences combinées. Il n’a pas encore été ouvert; mais on espère qu’il jettera de nouvelles lumières sur les notions qu’avaient du système céleste les Egyptiens et les Chaldéens, les premiers peuples qui se soient dévoués à cette étude.—Journal Français.

Le Précurseur de Lyon parle, dans les termes suivans, du papier-linge, inventé ou importé avec perfectionnement par M. Montgolfier, de Beaujeu:

“Ce nouveau produit est destiné à opérer une révolution complète dans nos ménages; car peut-être le moment n’est pas éloigné où les tissus de lin et de coton disparaîtront presque complètement, pour faire place au papier de Montgolfier. Nous avons va des nappes et des serviettes damassées, aussi belles que la toile ouvrée, et presque aussi solides. Ces serviettes ne coûtent que cinq ou six centimes, et lorsqu’elles sont salies, on les prend à moitié prix. On voit quelle économie il en résulte, non seulement pour le blanchiment, mais encore pour le capital que nécessite l’approvisionnement. Des draps très grands et tels qu’en eût voulu Anne d’Autriche, pour qui c’était un tourment de coucher dans la batiste, se vendent à un prix proportionné. Mais ce qui passe toute croyance, c’est la fabrication d’un tulle brodé, très propre à faire des rideaux, des draperies, des robes de bal, et qui ne se vend que 20 ou 25 cent, le mètre carré.

“Ces prodiges sont surpassés peut-être par des papiers de tenture, qu’au toucher même on a peine à distinguer des plus riches étoffes de soie. Teints à la cuve, ils ne ressemblent en rien à nos papiers peints, à couleurs terreuses et ternes, et le cylindre les décore d’arabesques gracieux et du meilleur goût. Si le prix de ces papiers n’était pas si modéré (il ne s’élève pas à plus d’un fr. le rouleau de neuf aunes à une ou deux couleurs,) bientôt les boudoirs les plus élégants n’auraient pas d’autres tapisseries.

“A ces produits M. Montgolfier joint la fabrication d’un papier-maroquin uni et gaufré, qui, par la solidité et l’éclat des couleurs, sera inévitablement employé à une foule d’usages, et que nous croyons éminemment propre à remplacer le parchemin pour les actes publics, et le veau, la basane, &c., pour la couverture des livres. Ce papier peut recevoir, au sortir de la cuve, les empreintes les plus élégantes, sans que le prix soit augmenté; l’eau n’altère ni son éclat ni son nerf; et si, comme on nous en a donné l’assurance, il peut-être livré à 50 cent, l’aune carrée pour servir de tapis, bientôt, ainsi qu’en Angleterre, l’on ne verra plus chez nous une chaumière dont le sol ne soit préservé de l’humidité par cette merveilleuse invention. Ce sera un véritable service rendu à l’humanité, et nulle part plus qu’à Lyon on n’aura des grâces à rendre à M. Montgolfier.”

Nouvelle pompe a vent.—Nous avons déjà signalé cette utile invention du capitaine Brownell. D’après un grand nombre d’expériences faites en dernier lieu, en présence d’habiles constructeurs et de marins expérimentés, cette machine a été reconnue comme réunissant l’avantage d’une grande simplicité à celui d’une énergie extraordinaire d’action. Son principe est le même que celui des moulins à vent ordinaires. La partie supérieure, à laquelle s’adaptent les ailes, est mobile, afin de pouvoir toujours la présenter convenablement au vent, dont une force ordinaire est suffisante pour lui faire expulser, quand elle est appliquée aux deux pompes, 7000 galons d’eau par heure.

Une expérience on ne peut plus conclusive eut lieu à bord d’un brick de 130 tonneaux, que l’on perça d’un trou de 18 pouces à fond de cale, et auquel on n’appliqua le jeu des deux pompes que lors que l’eau eut monté de 18 pouces dans le navire: le travail des pompes épuisa cette eau en 5 ou 6 minutes, bien que le trou eût été laissé ouvert.

L’inventeur a aussi adapté une roue à sa machine, pour pouvoir faire usage des pompes, même dans le cas de calme plat, ou d’avaries aux ailes.

Les frais que demande l’établissement de ce système de pompes ne dépasseront pas 500 francs, ou moitié à peu près de ce que tout capitaine ou armateur ne craint pas de donner pour l’ornement de la chambre; et pour cette modique somme on obtient une sécurité additionnelle considérable pour le navire et la cargaison, et surtout pour la vie des braves marins.—Journal Américain.

Experience nautique.—M. Lemaire d’Angerville a fait vendredi le troisième essai de son appareil pneumato-nautique. Le plongeur est resté sous l’eau environ 24 minutes; il y a scié une planche et racommodé une boîte à laquelle on avait simulé une voie d’eau.

L’appareil consiste en un réservoir d’air que le plongeur porte sur le dos, à peu près comme les marchands de tisanne portent leur fontaine. A ce réservoir sont adaptés deux conduits qui aboutissent au masque placé sur la figure; l’un des conduits donne l’air au nez; il se termine par une soupape en taffetas gommé; l’autre permet la respiration par la bouche. Au réservoir sont attachés différents poids en plomb destinés à servir de lest et à maintenir le plongeur dans une situation perpendiculaire; pour revenir à la surface de l’eau le plongeur peut se débarrasser à volonté de tout ou partie du lest. Enfin une espèce de cuirasse, composée de lames de cuivre, se rattache au réservoir et couvre la poitrine; elle est revêtue d’un cuir souple et empêche la trop forte pression de la colonne d’eau. Le masque, attaché par des courroies, couvre le nez et les oreilles et laisse les yeux libres.

Le procédé de M. Lemaire doit, pour être vraiment utile, subir de notables modifications. La masse d’air condensée dans le réservoir nous à semblé s’échapper avec violence. Le réservoir lui-même est trop lourd, trop gênant, et ne permet le travail qu’avec une extrême fatigue.

Le plongeur communique avec l’extérieur par des flotteurs qu’il laisse échapper et sur lesquels il écrit au moyen d’une ardoise ce dont il peut avoir besoin. Un flotteur particulier fait connaître le point où il se trouve et vers lequel on doit diriger les objets qu’il demande.—Journal Français.

Nouvelle espece de tan.—Une commission nommée à Trêves pour examiner des cuirs préparés par un sieur Jean Rapediens, tanneur à Bern Castel, département de la Moselle, a constaté que ces cuirs étaient d’une qualité supérieure, que les chaussures confectionnées avec pourraient durer un tiers de plus qu’avec les cuirs ordinaires; la commission a également reconnu que par le nouveau procédé, on pouvait gagner quatre mois sur le temps nécessaire pour la préparation des cuirs forts.

Tous ces avantages sont éprouvés par une espèce de tan fourni par la plante connue sous le nom de Myrtille. (Vaccinium Myrtillus.) On doit la récolter de préférence au printemps, parce que dans cette saison elle se déssèche et se prépare plus facilement. On ne l’arrache point, attendu que cette plante étant vivace, l’année suivante, on en obtient la reproduction. Quand elle est coupée elle n’éprouve par l’humidité, aucune altération, au lieu que le tan perd 10 pour o-o de sa valeur s’il est mouillé.

Trois livres de ce tan suffisent pour la fabrication d’une livre de cuit: il en faut six de chêne pour obtenir le même résultat. Si tous ces faits sont constants, ils sont de nature à attirer l’attention des industriels, qui trouveraient dans cette découverte une économie sensible et de tems et de matière.—Journal Français.

On nous annonce de Napoli di Romanie que M. Etienne Synetas, natif de l’île de Chio, a découvert l’antidote de la peste. En 1813, étant à Troie pour des affaires de commerce, il fut atteint de cette maladie; il essaya son antidote sur lui et sur trente-sept Turcs, qui étaient également atteints; trente-cinq furent sauvés. Ce résultat lui apprit qu’il fallait administrer le médicament qu’il emploie dans les vingt-quatre heures qui suivent le développement de la maladie. Ses occupations, une certaine timidité, et la crainte des Turcs, l’ont empêché de publier cette précieuse découverte.

Dès qu’il eut appris que ce fléau désolait la Grèce, il présenta rapport au président, et il lui proposait d’essayer de nouveau son remède, et de le publier s’il réussissait, en demandant pour récompense la liberté de sa patrie (l’île de Chio,) qui, d’après les premières dispositions, ne paraissait pas devoir être comprise dans le nouvel état de la Grèce. Le président l’a envoyé à Argos, où se trouvaient cinq malades, qui furent tous guéris. Maintenant M. Synétas parcourt les autres pays infectes. Son remède a toujours le même succès.—Journal Français.

MES PENSÉES.

L’indifférence et l’apathie qui règnent nécessairement, du moins à l’extérieur, dans un état despotique et chez un peuple asservi, sont hors de place sous un gouvernement constitutionnel et chez un peuple libre: si un tel peuple est indifférent sur ses droits, il n’est pas digne de la liberté.

Le peuple canadien n’est vraiment libre que depuis qu’il sait user de ses privilèges. Ceux qui ne jugent de ce peuple que par ce qu’il était il y a cinquante ans, ne peuvent pas lui rendre justice. Il n’y aurait peut-être pas un peuple plus industrieux, plus sensé, plus vertueux, et plus respectable à tous égards, que le peuple canadien, s’il avait l’instruction qui lui convient. Ce peuple, qu’on insultait naguère impunément, on semble le respecter aujourd’hui; et ce respect qu’on a maintenant pour lui, il le doit en grande partie à ses papiers publics.

Les papiers périodiques, pourvu qu’ils soient bien conduits, ne peuvent manquer de produire un bien considérable dans un pays comme le nôtre, où le peuple a besoin d’instruction, et où les livres instructifs sont encore rares. Un bon journal vaut seul un grand nombre de livres.

Il y a partout des hommes qui ont naturellement l’esprit juste et le sens droit; mais généralement parlant, on remarque une grande différence entre l’homme qui lit et celui qui ne lit pas, lors même que toutes choses sont égales d’ailleurs: le premier est ordinairement libéral, officieux et poli; le dernier, égoïste, impoli et revêche. C’est surtout dans la classe des cultivateurs que cette différence se fait le plus remarquer. L’habitant de nos campagnes qui sait seulement lire et écrire, est, pour l’ordinaire, un homme sensé dans ses discours autant que raisonnable dans sa conduite: avec les gazettes et le peu de livres qu’il peut se procurer, il se fait un fond de connaissances qui le met en état de se rendre utile à ses voisins et à ses amis.

“Les enfans des paysans de France,” ai-je entendu dire à des personnes respectables et nullement suspectes sur ce point, “n’ont pas à beaucoup près autant de facilité et d’ouverture d’esprit que les enfans des cultivateurs canadiens.” Mais malheureusement, dans celles de nos paroisses de campagne où il y a des écoles, la plupart des parens en retirent leurs enfans, avant qu’ils soient assez instruits pour continuer à s’instruire d’eux-mêmes. D’autres sont si économes, pour ne rien dire de plus, en fait d’éducation, qu’ils croiraient se ruiner, s’ils dépensaient quelques piastres pour procurer à leurs enfans quelques livres utiles ou agréables, ou la lecture des journaux. De là vient que nombre de jeunes gens n’appercevant pas à quoi l’éducation pourrait leu servir, ne s’en occupent plus après qu’ils sont sortis de l’école, et oublient entièrement ce qu’ils y ont appris. On entend pourtant dire à plusieurs de ces parens, et autres, qu’ils donneraient beaucoup pour savoir ce qu’ils ignorent; mais il y a apparence que c’est plutôt du bout des lêvres que du fond du cœur qu’ils le disent; c’est devant des personnes instruites qu’ils parlent ainsi, apparemment pour leur faire compliment.

On peut abuser de l’instruction comme de tous les autres dons de la nature ou de la providence; mais elle est bonne de soi; et s’il en résulte quelquefois du mal, c’est la faute de l’homme, et non celle de la chose.

L’ignorance est plus passive qu’active: mais elle n’en est pas moins dangereuse, selon les occasions et les circonstances; il suffit souvent d’un exemple, d’un conseil, pour mettre l’homme ignorant hors du sentier de la vertu.

Dire d’un peuple qu’il n’est pas mûr pour la liberté, c’est dire à peu près qu’il doit rester toujours asservi; puisque ce n’est pas sous un régime despotique qu’il pourra se mûrir, ou se mouler pour la liberté. Un peuple qui a une constitution libérale doit être mis au niveau de cette constitution, afin qu’il puisse la priser ce qu’elle vaut, et en jouir saris en abuser; c’est â dire que l’instruction doit aller de pair avec l’émancipation, si elle n’a pu lu devancer.

Ce que Mr. John Lambert dit de l’ignorance de quelques membres canadiens de notre assemblée me paraît fort exagéré: s’il s’était contenté de dire qu’il y avait des membres qui ne savaient que lire et écrire, on aurait pu le croire; mais quand il-dit qu’il y en a qui ne savent ni lire ni écrire, cela passe la vraisemblance.

On a exagéré, en parlant de l’ignorance des habitans de ce pays, comme on a fait en parlant de la rigueur de ses hivers. A en croire certains voyageurs, il fait aussi froid ici que dans la Sibérie, et nos cultivateurs sont aussi ignorants que les paysans russes. L’ignorance est grande, sans doute, dans nos campagnes, mais je ne vois pas qu’elle soit si extraordinaire et si unique dans le monde, même civilisé, qu’elle doive passer en proverbe et apprêter à rire aux étrangers. Y a-t-il beaucoup de pays au monde où les simples cultivateurs soient généralement bien instruits? Ils ne l’étaient point du tout en France, avant la révolution, et ils le sont très peu encore en Angleterre, en Irlande, en Espagne, en Allemagne, &c. Toute la différence qu’il y a entre les paysans de ces contrées et nos agriculteurs, c’est que chez ceux-là l’instruction paraît stationnaire, tandis qu’ici elle fait évidemment des progrès rapides.

Dans tout pays, le peuple, et surtout la classe des paysans, n’a jamais parlé, et ne parlera jamais qu’une seule langue; et c’est dans sa langue maternelle qu’il doit apprendre les premiers rudimens de l’éducation. Le dessein de faire changer de langue à un peuple, ou de l’obliger à savoir deux langues, n’est jamais entré, et n’entrera jamais dans la tête d’un législateur sensé.

Rien ne dépare tant un idiome que les mots et les tours barbares qu’on y introduit mal à propos; et les personnes qui ont à cœur la pureté de leur langue devraient réprouver de tout leur pouvoir, et tourner en ridicule, cette manie d’anglifier le français, qui paraît devenir plus générale de jour en jour. On ne peut s’empêcher d’être surpris, en voyant comme on défigure, dans ce pays, la première comme la plus universelle des langues de l’Europe. Les étrangers se font gloire de bien parler le français; et cette langue est présentement, dans presque tous les pays de l’Europe, une branche essentielle de l’éducation; et nous, qui avons l’avantage de la parler naturellement, nous en faisons assez peu de cas pour la défigurer. Combien de fautes ne remarque-t-on pas dans la manière dont prononcent cette langue des personnes, qui, vu l’éducation qu’elles ont reçue et les maîtres sous lesquels elles ont étudié, devraient la prononcer parfaitement bien. Que de fautes de construction, et d’anglicismes surtout, d’autres ne font-ils pas, en écrivant?

M. D.

WOLFE ET MONTCALM.

Lorsqu’une rivalité interminable entretient l’inimitié entre deux nations, leurs guerres sont sanglantes, opiniâtres, et les deux partis cherchent à se distinguer par des actions héroïques. La bataille de St. Abraham en Canada, en offre l’exemple. Les Anglais, jaloux de la prospérité dont la colonie française jouissait dans cette partie de l’Amérique Septentrionale, résolurent d’attaquer Québec. Cette ville était défendue par cinq à six mille hommes, sous les ordres du marquis de Montcalm. Le général Wolfe assiégea la place avec huit mille hommes de troupes, une artillerie formidable, et se rendit maître des hauteurs qui dominaient la ville du côté où elle était le moins fortifiée. Le marquis de Montcalm voyant le danger auquel il allait se trouver exposé, se décida à livrer bataille, et elle eut lien.

Les deux armées combattirent avec une égale valeur. Le général Wolfe d’abord blessé au poignet, ensuite à l’aine, se tint constamment à la tête de ses troupes, et ce ne fut qu’au moment où il reçut un coup de feu dans la poitrine, qu’il consentit à se faire transporter sur les derniers rangs. Près d’expirer, il ne pensait point à la mort, et n’était occupé que du succès de la journée. Tout à coup ces cris répétés, ils fuient, ils fuient! retentissent à son oreille. Il soulève sa tête, et demande avec inquiétude qui sont les fuyards. “Ce sont les Français, lui dit-on. Les Français! répondit-il, avec l’accent de la joie, je meurs content.” Un moment après il n’éxistait plus.

Cependant le combat continue avec un acharnement incroyable. Monckton succède à Wolfe; mais atteint comme lui à la poitrine, il est forcé de céder le commandement au général Townsend. Alors le marquis de Montcalm reçoit une blessure mortelle, et la victoire si long-tems incertaine se décide pour les Anglais. Montcalm apprenant cette fatale nouvelle, s’applaudit de sa blessure, et s’écrie: “Je rends grâces à la providence, je ne serai pas témoin de là reddition de Québec.” Il mourut en effet avant que cette ville ne tombât au pouvoir de l’ennemi.

Le corps du général Wolfe fut porté en Angleterre, et enterré à Westminster, dans la sépulture des rois. Celui de Montcalm resta en Canada, et fut déposé dans un trou que fit une bombe dans l’église des Ursulines de Québec; l’Académie des Belles-lettres de Paris, composa l’inscription qui fut placée sur sa tombe.—Beautés de l’Histoire Militaire.

LE BIBLIOMANE.

C’est elle... Dieux! que je suis aise!

Oui... c’est... la bonne édition:

Voila bien, pages neuf et seize,

Les deux fautes d’impression

Qui ne sont pas dans la mauvaise.

EPIGRAMMES.

Bas à quelqu’un, tout le long d’une allée,

Certain auteur sa pièce récitait,

Dont l’autre ayant la cervelle troublée,

Bas contre lui de son côté pestait;

Lorsqu’un passant, coupant leur promenade,

Au devant d’eux fit un grand bâillement:

Paix! à l’auteur souffla son camarade,

Un peu plus bas, cet homme vous entend.

En grasseyant, la divine Chloé

Disait un jour: Qu’importe un œil, un né?

Est-ce le corps, c’est l’âme que l’on aime;

L’étui n’est rien. Voilà dans l’instant même

Que de l’armée arrive son amant;

Taffetas noir étendu sur sa face

Y couvre un né qui fut jadis charmant,

Ou bien plutôt n’en couvre que la place.

Il voit Chloé, veut voler dans ses bras:

Chloé recule et sent mourir sa flamme.

Mon dieu! dit-elle, est-il possible, hélas!

Qu’un né de moins change si fort une âme!

MARIAGES ET DECES.

MARIÉS:

A Québec, le 12, par l’archidiacre protestant de Québec, le révérend E. W. Sewell, fils de l’honorable J. Sewell, à Dlle. Susan, fille de l’honorable M. J. Granville Stewart, nièce de l’évêque protestant de Québec;

Au même lieu, le 20 par Messire Fortier, J. Haller, M. D. de St. Antoine, à Dlle. Marguerite Blumhart, de Québec;

A Montréal, par Messire Roux, V. G., le 17, W. C. H. Coffin, écuyer, Prothonotaire pour le district des Trois-Rivières, à Dlle. Luce Guy, fille de Louis écuyer;

A Chambly, le 24, par Messire Mignault, Mr. Aug. Demers à Dlle. Marie-Anne Antoinette Breux, fille de Noël Breux, écuyer.

DÉCÉDÉS:

Le 15, à Lachenaie, Mr. L. J. Beaumont, âgé de 76 ans;

Le 16, à Québec, Pierre Casgrain, écuyer; Seigneur de la Rivière Quelle, &c.

Le 23, à Montréal, Mr. George, enfant de W. D. Selby, écuyer, M. D.

Le 27, à la Pointe-Claire, Pierre Valois, écuyer, Capitaine de milice.

TRANSCRIBER NOTES

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Mis-spelled words and punctuation have been maintained except where obvious printer errors occur.

[Fin de La Bibliothèque canadienne, Tome 7, No. 6, Novembre 1828. edited by Michel Bibaud]