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Title: La bibliothèque canadienne Tome IX, Numero 19

Date of first publication: 1830

Author: Michel Bibaud (1782-1857)

Date first posted: July 20, 2022

Date last updated: July 20, 2022

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La Bibliothèque Canadienne


Tome IX. 1er AVRIL 1830. Numéro XIX.

HISTOIRE DU CANADA.

(CONTINUATION.)

Le Canada eût probablement passé sous la domination anglaise, dès l’automne même de 1759, si l’armée du général Amherst eût pu pénétrer dans le pays. Ce général fit embarquer ses troupes dans des bateaux, sur le lac Champlain, le 11 Octobre; mais une tempête furieuse l’obligea de relâcher dans une baie, et d’y faire débarquer ses troupes. Dans l’intervalle, le capitaine Loring, qui commandait une flottille de brigantins, donna la chasse à la goëlette et aux xebecs, que le marquis de Montcalm avait fait lancer sur le lac, au commencement de l’été. La goëlette se sauva, mais les xebecs, à la veille d’être pris, s’échouèrent sur des bas-fonds, et les équipages s’échappèrent à travers les bois. Amherst fit rembarquer ses troupes, au bout de quelques jours; mais assailli de nouveau par une tempête, et voyant la saison trop avancée pour commencer une campagne, il prit le parti de reconduire ses troupes à la Pointe à la Chevelure.

Le mois de Novembre fut principalement employé, du côté des Français, à mettre les troupes en quartier d’hiver: une partie des soldats de la colonie fut envoyée à Montréal; le reste demeura dans les environs de Québec. Le régiment de Languedoc fut cantonné dans le gouvernement des Trois-Rivières; les autres dans celui de Montréal, de la manière suivante: le régiment de Bearn dans l’île de Montréal; celui de la Sarre, dans l’île Jésus; celui de Guienne, à Sorel et à Varennes; le Royal Roussillon, à Boucherville et à Laprairie; et les deux bataillons de Berry, à Terrebonne et à Berthier. Deux frégates et autres vaisseaux furent aussi envoyés à Sorel pour y passer l’hiver.

Avant la clôture de la navigation, le gouverneur et l’intendant préparèrent leurs dépêches pour le ministre des colonies. Le munitionnaire, M. Canon, qui en fut chargé, devait partir du 12 au 15 Novembre, avec les frégates ou corvettes et les navires qu’il commandait; mais il fut retardé jusqu’au 22 par les expéditions de M. de Vaudreuil. Il descendit alors jusqu’à trois lieues au-dessus de Québec, pour être à portée de tenter le passage devant la ville. Un coup de vent accompagné d’un épais brouillard y assaillit la flottille française; quatre des vaisseaux s’échouèrent et furent perdus; les autres, sur l’un desquels était le sieur Canon, passèrent devant la ville sans être apperçus et arrivèrent en France sans accident. Deux jours après le naufrage, les Anglais envoyèrent une quarantaine d’hommes sous le commandement d’un capitaine et d’un lieutenant, dans une goëlette armée, pour piller les bâtimens échoués, et les faire brûler. Le capitaine ayant fait allumer une bougie sur l’un des navires, afin d’en visiter l’intérieur, quelques extincelles tombèrent sur de la poudre, qui y avait été laissée par hazard ou à dessein; le vaisseau sauta, et le capitaine (Miller), son lieutenant et une trentaine d’hommes y périrent.

Presque aussitôt après la reddition de Québec le général Townshend était parti pour l’Angleterre, avec la flotte, laissant, le général Murray à Québec avec une garnison de cinq mille hommes. De son côté, le général Amherst était allé passer l’hiver à New-York, après avoir laissé de fortes garnisons aux forts de St. Frédéric et de Carillon.

Dans le mois de Décembre, les Acadiens de Miramichi, de Richibouctou, et autres lieux, le long du golfe St. Laurent, envoyèrent des députés au colonel Frye, qui commandait au fort Cumberland, pour lui annoncer qu’ils se mettaient sous la protection de l’Angleterre.

Aussitôt que la nouvelle officielle de la reddition de Québec fut parvenue en Angleterre, la ville de Londres et plusieurs autres corporations du royaume présentèrent au roi des adresses de congratulation; et dès que le parlement fut assemblé il résolut unanimement qu’il serait présenté une adresse au roi, priant sa majesté d’ordonner qu’il fût érigé un monument à la mémoire du général Wolfe, dans l’abbaye de Westminster: il fut en même voté des remercimens aux généraux et aux amiraux employés dans l’expédition contre Québec. Enfin il fut ordonné par proclamation royale, qu’il serait célébré un jour d’actions de grâces générales dans tous les domaines de la Grande-Bretagne.

Dès l’automne, les provisions de bouche devinrent extrêmement rares et chères dans la colonie; et il fallut des efforts extraordinaires de la part du gouverneur et du chevalier de Lévis, pour pourvoir à la subsistance des troupes durant l’hiver. Suivant M. Smith, le bled se vendait de trente à quarante francs le minot; ce qui n’était pas un prix extraordinaire, comparé à ceux des autres comestibles; car, dit-il, une vache se vendait neuf cents francs; une paire de bœufs, de quinze cents à deux mille livres; un mouton, de deux à trois cents francs; une douzaine d’œufs, neuf francs; une livre de beurre, de douze à quinze francs. Il est vrai que ces articles se pavaient ordinairement en ordonnances; mais on ne pouvait pas se les procurer à beaucoup meilleur marché, même en offrant de l’or ou de l’argent.

Dans le mois de janvier, le capitaine St. Martin, de la marine, fut envoyé dans les paroisses situées au sud du fleuve, au-dessus de Québec, avec un parti de quatre cents hommes, afin d’en faire passer dans les gouvernemens supérieurs autant de bêtes à cornes qu’il en pourrait obtenir. Cet officier s’avança jusqu’à la Pointe Lévy, afin d’empêcher les Anglais de traverser en bateaux sur la rive du sud, et de le troubler dans ses opérations. Ils ne le troublèrent pas en effet, tant qu’il ne fut pas possible de traverser le fleuve autrement qu’en bateaux, et il eut le temps d’assembler et d’envoyer au nord une grande quantité de gros et de menu bétail; mais au commencement de Février, la glace ayant pris devant Québec, le général Murray fit marcher un gros détachement à la Pointe Lévy, afin d’en déloger les Français. Après quelques escarmouches, où il y eut quelques hommes de tués, de part et d’autre, St. Martin se retira à travers les bois, et passa la rivière du Sault de la Chaudière. M. Dumas, qui commandait sur cette frontière, lui envoya un renfort, avec l’ordre de demeurer sur les bords de cette rivière pour en défendre le passage. Quelques jours après, un parti de cinquante Anglais s’étant avancé pour reconnaître la position de St. Martin, cet officier traversa la rivière, attaqua les ennemis en ambuscade, fit quelques prisonniers, et tua ou dispersa le reste.

Les Anglais n’ayant laissé qu’un détachement assez peu considérable à l’église de la Pointe Lévy, on crut qu’il serait possible de les en chasser. On fit marcher du monde du gouvernement des Trois-Rivières, et M. de Bourlamaque, qui arrivait de Montréal, devait exécuter divers mouvemens autour de Québec, afin de faciliter l’expédition contre la Pointe Lévy.—Mais M. Dumas, au lieu de marcher lui-même de suite, ou de faire marcher le sieur St. Martin droit au poste anglais, envoya d’abord cet officier avec un gros détachement, se poster à la Pointe des Pères, vis-à-vis de la ville, afin de couper la communication entre la garnison et le poste de la Pointe Lévy. Les Anglais firent une sortie considérable; le sieur St. Martin fut contraint de se retirer à travers les bois, à son poste sur la rivière de la Chaudière. M. de Bourlamaque, voyant qu’il était impossible de rien tenter avec succès contre les postes de l’ennemi, s’en retourna à Montréal.

Au commencement de Mars, des découvreurs qu’on avait envoyés du côté de St. Frédéric, donnèrent avis qu’ils avaient vu des traces d’un parti ennemi, et même cru appercevoir près de la baie de Missiscouy, un détachement d’environ trois cents hommes. On craignit que les Anglais n’eussent formé le dessein de s’avancer vers Sorel, pour brûler les frégates qui y étaient en hivernement: on fit partir du monde pour renforcer ce poste, et l’on envoya des sauvages à la découverte du côté du lac Champlain; mais ces derniers ne virent rien; ce qui fit croire que les premiers découvreurs s’étaient mépris.

Les Anglais avaient un piquet de deux cents hommes à Ste. Foi, et un autre de quatre cents à Lorette. Vers le milieu du mois, ils envoyèrent des partis vers la rivière du Cap Rouge, et jusqu’à St. Augustin, où ils brûlèrent des moulins, et enlevèrent la garde avancée des Français, forte de soixante hommes. Ces mouvemens firent craindre à ces derniers que les Anglais n’eussent dessein d’enlever leur poste de la Pointe aux Trembles, et même d’attaquer les ouvrages qu’ils avaient commencés à l’embouchure de la rivière de Jacques-Cartier. Ils firent descendre un corps de miliciens du gouvernement des Trois-Rivières et un détachement de deux cents vingt-cinq hommes du régiment de Languedoc. Mais la crainte de voir les Anglais s’avancer avec des forces considérables, s’étant trouvée mal fondée, les miliciens des Trois-Rivières furent renvoyés; mais le détachement de Languedoc fut cantonné à la Pointe aux Trembles.

Vers la fin du même mois (de Mars,) M. de Bougainville partit, accompagné de M. de Lotbiniere, ingénieur, pour prendre le commandement à l’Isle aux Noix.

Le dessein de prendre Québec, au moyen d’un siège, avait été formé dans le camp des Français, dès le mois de Novembre, et une partie du mois suivant avait été employée à en faire les préparatifs. Ces préparatifs, discontinues pendant quelque temps, à cause des grands froids qu’il fit, et de la difficulté des communications, qui ne permit pas d’amasser les provisions de bouche nécessaires, avaient été recommencés dans le mois de Janvier. On avait compté pouvoir mettre le siège devant Québec, à la fin de ce mois, ou au commencement du suivant; mais de nouveaux obstacles, dont le principal était toujours le manque de vivres pour la subsistance des troupes, firent qu’il ne fut pas possible de tenter l’expédition avant le départ des glaces; ce qui conduisit jusque vers le milieu d’Avril.

De son côté, le général Murray n’avait rien négligé pour mettre sa place en état de soutenir un siège. Dans le cours de l’hiver, il avait fait construire en dehors des murs huit blockhouses, ou redoutes de bois; fait faire des espèces de trottoirs le long des ramparts, ouvert des embrasures, érigé des batteries de canon, barricadé les avenues des fauxbourgs, formé un magazin de quatre mille fascines, et fait enmagaziner pour onze mois de provisions de bouche, dans la partie la plus élevée de la ville. Il avait fait en outre réparer par ses troupes quatre ou cinq cents maisons endommagées par le canon des Anglais. Mais la maladie diminua un peu le nombre de ses troupes; de sorte que lorsque les Français arrivèrent devant Québec, la garnison était de moins de cinq mille hommes en état de combattre.

(A continuer.)

CHRONIQUES BRETONNES.

MORT D’OLIVIER DE CLISSON.

C’était le 23 Avril de l’an de grâce 1407; le soleil venait de paraître et commençait à éclairer les tourelles du bon château de Josselin; la sentinelle, immobile à l’un des créneaux, regardait le jour se lever, et quelques pauvres serfs, à demi-vêtus, paraissaient déjà sur les portes des chaumières. Au château, tout était encore tranquille; mais, dans l’un des appartenons principaux, l’on apercevait, au travers des volets de toile écrue, une lampe qui brillait, et comme des ombres qui passaient par instans.—Là, sur un lit garni de plumes d’ailes de perdrix, gissait un vieillard malade; sur son front, pâle et cicatrisé, tombaient quelques mêches de cheveux blancs, et l’œil unique qui lui restait brillait déjà de cet éclat vitreux qui annonce les derniers momens. Il était étendu sur le dos, comme dans un cercueil, l’un de ses bras robustes pendant nu hors de sa couche. A son chevet, était suspendue une épée à riche poignée; autour de lui, deux femmes et deux gentilshommes pleuraient en silence; un peu plus loin, un chapelain priait dans un missel, et, aux pieds du lit, un clerc relisait un parchemin qu’il venait d’écrire.—C’était le connétable Olivier de Clisson à son lit de mort!...

Il venait de dicter ses dernières volontés, et l’effort qu’il avait fait pour parler l’avait épuisé; après un repos de quelques instans, il essaya pourtant encore à se retourner sur le côte. Le jeune vicomte de Rohan l’y aide; et, dans cette posture, il dit au scribe qui était près de son lit: “Allons, clerc, fais ton devoir;” et le clerc, relevant la tête, se mit à lire d’une voix grêle et monotone ce qui suit:

“Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

“Moi, Olivier de Clisson, connétable de France, sire de Clisson et Belleville, recommande premièrement mon âme à Dieu, notre père créateur, à la bienheureuse Vierge, à M. St. Michel et à toute la dévote compagnie du Paradis; veux et ordonne ce qui suit:

“Je lègue à l’église de Clisson une image d’argent de Notre-Dame, du poids de 20 Marcs.

Item, à l’église de Josselin, 8 Marcs d’or, pour faire des calices et douze patènes. En outre, je lui donne ma plus belle croix avec ses reliques?

“Je lui lègue aussi deux de mes bréviaires, qui seront enchaînés sur mon tombeau pour l’usage des chapelains qui y viendront dire leurs heures,

Item, je lègue à l’église paroissiale de Blein, 50 livres pour mettre des vitres à ses fenêtres.

“Je donne aux églises de Nantes, Rennes, Saint Brieuc, Saint-Malo, 300 livres à chacune, afin qu’il soit fondé un anniversaire solennel qui se composera de vêpres et vigiles à neuf leçons et messe à note; le tout célébré par chanoines, pour le repos de mon âme.

“Je veux que toute seigneurie, moulins, hôtels, etc., que j’aurai pris aux églises ou à tout autre par droit de guerre, soient restitués avec les rentes à leurs anciens propriétaires.

Item, je donne aussi à ma fille, sœur aînée du comte de Penthièvre, 4000 livres, en cas que le mariage s’accomplisse entre elle et Jean de Rieux.”

A cet endroit de la lecture, l’une des femmes qui écoutait laissa échapper un léger cri et se jeta sur le bord du lit du connétable. Elle saisit la main du vieillard et la porta à son cœur avec un mouvement inexprimable de douleur et d’amour. Olivier laissa aller sa tête contre celle de sa fille ... Une grosse larme coula le long de sa joue flétrie ...Il y eut un instant de silence, pendant lequel on n’entendait que les plaintes étouffées et les larmes des assistans ...Enfin, le vieillard parut le premier reprendre sa fermeté:—“C’est bien, Béatrix, dit-il, que Dieu te bénisse; mais laisse-moi écouter, car mes instans sont courts désormais.” A ces mots, il déposa sur son front un baisser froid qui fit tressaillir la jeune femme, et il fit signe au scribe, qui continua d’une voix aussi claire et aussi impassible.

“Je donne à ma cousine de Rex une petite croix de perles et ma Bible en français.

Item, à l’évêque de Saint-Malo, 3000 livres, ma grande haquenée noire et un anneau d’or que la reine de Sicile me donna.

Item, à Bertrand de Dinan, mes armes et mon roussin fauve.

Item, au duc d’Orléans, six chiens de chasse bien dressés et mon faucon. En outre, je veux et ordonne que l’on envoe à Saint James en Galice, un pèlerin à pied et à mes dépens, pour qu’il rachète le pardon de mes fautes et obtienne le salut de mon âme.

“Je donne au sire de Beaumanoir, mon ami, 4000 livres et mon petit cheval blanc. En outre, je charge le dit sire de Beaumanoir de rendre au roi de France mon épée de connétable.”

Ici, le clerc s’arrêta pour tourner un feuillet, et Olivier de Clisson fit un effort pour se lever sur son séant. Sa main s’étendit vers l’épée de connétable suspendue à son chevet: il la saisit; et, la regardant avec un mélange de joie et de regret, il baise dévotement sa poignée en croix, puis, se détournant vers le vieux chevalier qui était debout à coté de son lit:—“Tiens, Beaumanoir, dit-il, rends-la à notre bien aimé roi de France, et dis-lui qu’elle sort de mes mains pure et fidèle comme elle y est entrée ...Sur mon âme, j’aurais voulu encore l’employer à son service pour marteler quelques têtes anglaises; mais je suis un homme fini.”

Il s’arrêta épuisé; après un long silence: “C’est aujourd’hui, ajouta-t-il, la fête de Saint-Georges, le même jour où j’ai été nommé chevalier; où, plus tard, j’ai reçu cette bonne épée de connétable ...On m’avait prédit que je devais mourir ce jour-là.” A ces mots, le vieux guerrier pencha la tête du côté de la ruelle; il murmura encore, pendant quelque tems, des paroles interrompues que l’on ne pouvait comprendre; et son œil se fermait et s’entrouvrait péniblement, comme s’il eût voulu lutter contre un sommeil qui s’emparait de lui. Tous les assistans s’étaient mis à genoux: le chapelin seul était debout, penché près du lit et les regards fixés sur la figure du vieillard.

Le clerc avait allumé deux cierges, bénis à Notre-Dame-de-Josselin, et qui jettaient au milieu de l’appartement, où le jour commençait à pénétrer, une lumière pâle et vacillante; l’on entendait à chaque instant l’haleine oppressés du mourant faiblir et s’éteindre; bientôt elle devint si légère, qu’on ne l’entendit plus ...Tous les yeux étaient tournés vers le chapelain ... Tout à coup il fit un mouvement, ses jambes fléchirent, il tomba à genoux près du lit du connétable, et à voix basse il se mit à murmurer une prière ...c’était la prière des morts.

Revue de l’Ouest.

HARMONIE DES LANGUES.

J’ai connu plus d’un Anglais et plus d’un Allemand qui ne trouvaient d’harmonie que dans leurs langues. La langue russe, qui est la slavonne, mêlée de plusieurs mots grecs et de quelques uns tartares, paraît mélodieuse aux oreilles russes. Cependant un Allemand, un Anglais, qui aura de l’oreille et du goût, sera plus content d’ouranos que de heaven ou de himmel, de Theos que de God ou Gott; d’aristos que de good. Les dactyles et les spondées flatteront plus son oreille que les syllabes uniformes et peu senties de tous les autres langages.

Toutefois, j’ai connu de grands scholiastes qui se plaignaient violemment d’Horace. Comment! disent ils, ces gens là qui passent pour les modèles de la mélodie, non seulement font heurter continuellement des voyelles les unes contre les autres, ce qui nous est expressément défendu; non seulement ils vous allongent ou vous racourcissent un mot, à la façon grecque, selon le besoin; mais ils vous coupent hardiment un mot en deux; ils mettent une moitié à la fin d’un vers, et l’autre moitié au commencement du suivant:

Redditus Cyri solio Phraaten

Dissidens blebi, numero beato-

rum eximit virtus, &c.

C’est comme si nous écrivions dans une ode en français:

Défions-nous de la fortu-

ne, et n’en croyons que la vertu.

Horace ne se bornait pas à ces petites libertés; il met à la fin de son vers la première lettre du mot qui commence le vers qui suit:

    Jove mon probante u-

        xorius amnis.

    Ce dieu du Tibre ai-

    mait beaucoup sa femme.

Que dirons-nous de ces vers harmonieux:

  Septimi, Gades aditure mecum, et....

  Cantabrum indoctum juga ferre nostra, et...

  Septime, qu’avec moi je mène à Cadix; et

  Qui verrez le Cantabre ignorant du joug, et...

Horace en a cinquante de cette force, et Pindare en est tout rempli.

“Tout est noble dans Horace,” dit Dacier dans sa préface. N’aurait-il pas mieux fait de dire: Tantôt Horace a de la noblesse, tantôt de la délicatesse et de l’enjouement, &c. Le malheur des commentateurs de toute espèce est, ce me semble, de n’avoir jamais d’idée précise, et de prononcer de grands mots qui ne signifient rien. Monsieur et madame Dacier y étaient fort sujets, avec tout leur mérite.

Je ne vois pas quelle noblesse, quelle grandeur peut nous frapper dans ces ordres qu’Horace donne à son laquais, en vers qualifiés du nom d’ode. Je me sers, à quelques mots près, de la traduction même de Dacier:

“Laquais, je na suis point pour la magnificence des Perses. Je ne puis souffrir les couronnes pliées avec des bandelettes de tilleul. Cesse donc de t’informer où tu pourras trouver des roses tardives. Je ne veux que du simple myrte sans autre façon. Le myrte sied bien à un laquais comme toi, et à moi qui bois sous une petite treille.” Ses vers contre de pauvres vieilles et contre des sorcières me semblent encore moins nobles que l’ode à son laquais.

Mais revenons à ce qui dépend uniquement de la langue. Il paraît évident que les Romains et les Grecs se donnaient des libertés qui seraient chez nous des licences intolérables. Pourquoi voyons-nous tant de moitiés de mot à la fin des vers dans les odes d’Horace, et pas un exemple de cette licence dans Virgile? N’est-ce point parce que les odes étaient faites pour être chantées, et que la musique faisait disparaître ce défaut? Il faut bien que cela soit, puisqu’on voit dans Pindare tant de mots coupés en deux d’un vers à l’autre, et qu’on n’en voit pas dans Homère. Mais, me dira-t-on, les rapsodes chantaient les vers d’Homère. On chantait des morceaux de l’Eneide à Rome, comme on chante des stances de l’Arioste et du Tasse en Italie. Il est clair par l’exemple du Tasse, que ce ne fut pas un chant proprement dit, mais une déclamation soutenue, à peu près comme quelques morceaux assez mélodieux du chant grégorien.

Les Grecs prenaient d’autres libertés qui nous sont rigoureusement interdites; par exemple, de répéter souvent dans la même page des épithètes, des moitiés de vers, des vers même tout entiers; et cela prouve qu’ils ne s’astreignaient pas à la même correction que nous. Le podas okus Achilles, l’olympia domata ekontas, l’ekibolon Apollona, &c. flattent agréablement l’oreille, mais si, dans nos langues modernes, nous faisions rimer si souvent Achille aux pieds legers, les flêches d’Apollon, les demeures celestes, nous ne serions pas tolérés. Si nous faisions répéter par un personnage les mêmes paroles qu’un autre personnage lui a dites, ce double emploi serait plus insupportable encore.

Si le Tasse s’était servi tantôt du dialecte bergamasque, tantôt du patois du Piémont, tantôt de celui de Gènes, il n’aurait été lu de personne. Les Grecs avaient donc pour leur poésie des facilités qu’aucune nation ne s’est permise; et de toue les peuples le français est celui qui s’est assujéti à la gène la plus rigoureuse.

La plus ancienne langue connue doit être celle de la nation rassemblée le plus anciennement en corps de peuple. Elle doit être encore celle du peuple qui a été le moins subjugué, ou qui l’ayant été, a policé ses conquérans. A cet égard, il est constant que le chinois et l’arabe sont les plus anciennes langues que l’on parle aujourd’hui.

Il n’y a point de langue mère (proprement dite): toutes les nations voisines ont emprunté les unes des autres; mais on a donné le nom de langues mères à celles dont quelques idiomes conçus sont dérivés. Par exemple, le latin est langue mère par rapport à l’italien, à l’espagnol, au français; mais il était lui-même dérivé du toscan, et le toscan l’était du celte et du grec.

Le plus beau de tous les langages doit être celui qui est à la fois le plus complet, le plus sonore, le plus varié dans ses tours et le plus régulier dans sa marche, celui qui a le plus de mots composés; qui par sa prosodie, exprime le mieux les mouvemens lents ou impétueux de l’âme; celui qui ressemble le plus à la musique. Le grec a tous ces avantages: il n’a point la rudesse du latin, dont tant de mots finissent en um, ur, us. Il a toute la pompe de l’espagnol et toute la douceur dé l’italien; il a pardessus toutes les langues vivantes du monde l’expression de la musique, par les syllabes longues et brèves.

De toutes les langues de l’Europe la française doit être la plus générale, parce qu’elle est la plus propre à la conversation: elle a pris son caractère dans celui du peuple qui la parle. Les Français ont été depuis près de cent cinquante ans, le peuple qui a le plus connu la société, qui en a le premier écarté toute la gène, et le premier chez qui les femmes ont été libres et même souveraines, quand elles n’étaient ailleurs que des esclaves. La quantité prodigieuse de livres agréablement frivoles que cette nation a produits est encore une raison de la faveur que sa langue a obtenue chez toutes les nations. Des livres profonds ne donneront point de cours à une langue; on les traduira: on apprendra la philosophie de Newton; mais on n’apprendra pas l’anglais pour l’entendre.

Ce qui rend encore le français plus commun, c’est la perfection où le théâtre a été porté dans cette langue: c’est à Cinna, à Phèdre, au Misanthrope, qu’elle a dû sa vogue, et non pas aux conquêtes de Louis XIV. Elle n’est ni si abondante ni si maniable que l’italien, ni si majestueuse que l’espagnol, ni si énergique que l’anglais; et cependant elle a fait plus de fortune que ces trois langues, par cela seul qu’elle est plus de commerce, et qu’il y a plus de livres agréables chez elle qu’ailleurs: elle a réussi, comme les cuisiniers français, parce qu’elle a plus flatté le goût général.

(Dict. Phil.)

LE PORT DE LONDRES.

Le ciel était sans nuages, et le soleil, quoique sans chaleur, donnait par la gaité, un air animé au tableau qu’offrait dans l’éloignement la forêt de mâts que la marée montante faisait balancer sur le fleuve? J’abordai, j’envoyai dire à mon cocher de partir, et je revins à Londres par l’espèce de rue à la vénitienne, que forment, dans une étendue de trois milles, les vaisseaux de toutes les nations rangés par cinq ou six de front sur les deux côtés de la Tamise. Je ne connaissais point encore ce spectacle; je ne m’en étais formé nulle idée; celui des différents ports de mer que j’avais visités n’en était pas même une esquisse. Deux mille navires, variés par leur force, leur coupe, leurs agrès, le costume des équipages, placés avec un ordre presque symétrique, dans un canal d’un mille de large, et sur une lieue de prolongement; une multitude de canots se croisant légèrement pour le service des vaisseaux; les deux rives chargées de navires sur le chantier, ou au radoub, occupant tout un peuple d’ouvriers; tel fut, pendant près d’une heure, le monde nouveau pour moi, dans lequel s’égara mon imagination exaltée par l’idée d’audace attachée à chacun de ses habitans, et par celle de puissance empreinte sur son ensemble. Aussi me fut-il impossible de supporter la solitude de moi-même, lorsque je fus rentré dans mon cabinet; je ne m’apparcevais, au sein du calme silencieux qui m’enveloppait, que dans la proportion d’un atôme flottant dans le vide.

CLOVIS,

Tragédie en cinq actes et en vers, par M. Lemercier.

Ce Clovis, quel est-il, et comment M. Lemercier a-t-il conçu ce grand caractère? Il n’est plus question de l’acteur, mais du personnage lui-même. M. Lemercier ne dissimule pas qu’il a voulu peindre en lui le Tartuffe politique. Il l’a pris à une de ces époques de son règne de trente ans, qui furent marqués par des cruautés atroces envers les membres de sa famille, et envers ses nombreux concurrens à la souveraineté des Gaules. Les crimes de Clovis n’ont été dissimulés par aucun des historiens les plus intéressés à en affaiblir l’horreur. Gregoire de Tours est le premier qui les ait signalés dans un temps ou les libéralités du prince envers l’église semblaient ne lui imposer que le langage de la reconnaissance. Le jésuite Daniel, convient que “si Clovis avait su modérer son ambition, sa réputation en aurait été plus nette, la fin de sa vie plus innocente; et l’on n’aurait point blâmé, dans Clovis chrétien, des cruautés si opposées à la douceur et à l’humanité qu’on avait d’abord admirées dans Clovis encore payen.” C’est à peu près dans les mêmes termes que s’explique, sur ce prince, l’abbé Feller, dont l’autorité, en pareille matière, n’est pas suspecte; et pour en ajouter une autre d’un genre différent, mais qui a aussi sa gravité, je citerai le grand nom de Montesquieu. “Clovis forma le dessein d’exterminer toute sa maison, et il y réussit. La loi séparait sans cesse la monarchie; la crainte, l’ambition, la cruauté voulaient la réunir.”

Que les mœurs barbares d’un chef de conquérans autorisassent alors ces meurtres qui nous révoltent, et dont nous trouvons des exemples même aujourd’hui dans presque tout l’Orient, ce serait la seule excuse que l’on pourrait admettre en faveur de Clovis, si le christianisme dont il avait embrassé les doctrines n’était la pour lui enlever le prétexte même du pardon. Qu’un poëte tragique se soit emparé de cette partie de l’histoire, pour livrer le coupable à la vengeance de la postérité, c’est un droit qu’il exerce, et que personne ne lui contestera. Le crime, quoiqu’agrandi par des motifs d’ambition, ou, si on le veut même, par des raisons élevées d’utilité générale, ne cesse pas d’être crime. Cependant, morale à part, et à ne raisonner que d’après les principes de l’art, je soupçonne qu’il y aurait eu plus d’adresse à présenter confondus ensemble et les crimes et les inspirations politiques; que le poëte s’est fourvoyé en les divisant de manière à ne laisser entrevoir que le côté odieux et la bassesse dégoûtante d’un scélérat vulgaire; certainement, Clovis fut plus d’une fois criminel, et il le fut avec hypocrisie. Ne cherchons pas à l’absoudre; mais à expliquer sa conduite.

Après avoir enlevé presque toutes les Gaudes à la domination romaine, après avoir défait et tué de sa propre main Alaric dans les plaines de Vouglé, il ne voyait plus d’obstacles à la fondation d’une vaste et puissante monarchie, que dans cette foule de petites principautés sans consistance individuelle, et dont les prétentions rivales ne cesseraient d’être nuisibles que lorsqu’elles auraient été anéanties. Les résistances, bien légitimes sans doute, des possesseurs irritèrent un prince fier et victorieux. Il fit la guerre dans le but de rester seul le maître, et, suivant les idée de son époque, la victoire l’entraîna dans un système d’extermination; système affreux, et que rien ne peut justifier, mais à travers lequel on aperçoit en perspective la grandeur future de la France, et quatorze siècles de monarchie. C’était bien quelque chose, pour la mémoire du fondateur; c’était beaucoup, j’ose le croire, pour les intérêts du poëte tragique, Romulus tue son frère; mais il avait créé Rome; Rome en fit un dieu. Clovis massacre ses parens; mais il fonda la monarchie française; il y fit règner l’Evangile qu’il méconnut, qu’il outragea par ses cruautés. Eh bien! montrez-nous l’homme cruel, j’y consens; mais ne négligez pas le grand homme. C’est du héros de la tragédie qu’il est vrai de dire comme de celui de l’épopée:

Qu’en lui jusqu’aux défauts tout se montre héroïque.

C’est sur ce plan, le seul propre à nous intéresser, que Voltaire a conçu son Mahomet; scélérat sublime, objet d’admiration et d’horreur, pour qui le crime n’est qu’un moyen de parvenir au but le plus élevé qu’aucun mortel se soit jamais proposé sur la terre, celui de fonder une religion nouvelle sur les débris des antiques croyances.

Ce grand projet était aussi celui de Clovis. La religion chrétienne, il est vrai, l’avait précédé; il n’avait pas à l’établir, mais à la répandre, tentative non moins difficile, aux yeux de ceux qui ont étudié l’esprit de nos premiers aïeux, et qui ont pu lire, dans l’abbé Dubois, ou dans les Martyrs de M. de Chateaubriand, leur attachement au culte de Teutatès et aux cérémonies des Druides.

Au lieu de représenter Clovis marchant dans un chemin sanglant à la propagation de la foi et à l’unité de la monarchie, M. Lemercier, n’obéissant qu’à une seule idée, rapetissant et resserrant à la fois les limites de son sujet, ne nous a montre qu’un assassin couronné, un ignoble meurtrier, violant, comme Macbeth, les lois de l’hospitalité confiante, et condamnant à périr de la main de son propre fils, un vieux roi désarmé, qui l’a reçu dans son palais, sur la foi d’un mariage concerté entre ce fils et une fille d’un prince visigoth ou espagnol, qui a péri sous la francisque du monarque français.

Ce fait, ainsi isolé, est d’une atrocité mesquine. Qu’importe au spectateur, réduit à l’impuissance d’embrasser l’ensemble des vues de Clovis, que lui importe la réunion du prétendu royaume de Cologne à ce que l’on est convenu d’appeler le royaume de Soissons? Que lui fait ce Sigebert, dont l’histoire ne parle qu’à l’occasion de sa mort tragique et d’une blessure qu’il avait reçue en combattant pour Clovis, à la bataille de Tolbiac?

Faîtes choix d’un héros propre à m’intéresser.

Mais Duncan, allés vous dire, est-il beaucoup plus intéressant pour les Ecossais que Sigebert ne peut l’être pour nous? Infiniment plus, vous répondrai-je; lisez les Lettres de Walter-Scott sur l’histoire d’Ecosse. C’est à l’aventure de Macbeth, c’est à l’assassinat de Duncan que se rattachent ces vieilles traditions, répétées d’âge en âge, et comme d’échos en échos, à travers les montagnes de la Calédonie. Duncan est la tige des Stuarts; Sigebert n’est rien pour les Français. Son nom ne réveille en nous aucune sympathie, il ne parle point à nos souvenirs: c’est une victime de Clovis, comme Cararic, roi des Morins, comme Ranacaire, roi de Cambrai, comme Renomer, roi du Mans. M. Lemercier, on le voit, avait le choix. Il n’a pu préférer Sigebert que parce que son nom est un peu moins anti-harmonique que celui des autres. Mais un peu plus, un peu moins d’harmonie est une raison pour un faiseur d’opéras; ce n’en est pas une pour un poëte tragique.

Ne pourrait-on pas aussi reprocher à M. Lemercier, puisqu’il empruntait son sujet à l’histoire, de l’avoir défiguré, au point de le rendre entièrement méconnaissable. Dans l’histoire, le fils de Sigebert assassina réellement son père à l’instigation de Clovis, qui lui avait promis le trône pour prix de son parricide. Il obtint de son crime une récompense plus méritée: Clovis le fit assassiner au moment où il baissait sur ses coffres, pour en extraire les trésors qu’il avait promis à son séducteur.

M. Lemercier a compris très judicieusement qu’un parricide commis de sang-froid soulèverait les spectateurs, et il a mieux aimé présenter dans Clodoric un modèle de piété filiale, et de dévouement religieux à ses devoirs. La licence est un peu forte, et je ne croirai jamais qu’il soit permis ni d’innocenter, ni de calomnier au théâtre les personnages historiques. Il y a trop de danger à travestir ainsi du blanc au noir, ou du noir au blanc, des hommes vertueux ou des individus coupables. Sans doute M. Lemercier se retranchera derrière l’obscurité dont sont couvertes les premières pages de notre histoire. Il dira encore, et non sans quelque raison, que de la métamorphose de Clodoric, de l’innocence de ses amours, incompatible avec la férocité d’un parricide, de ses projets de vengeance contre Clovis, il a fait ressortir des beautés qu’une fidélité scrupuleuse à l’histoire lui aurait interdites. J’en conviendrai facilement, je dirai même que, sans cette altération du caractère de Clodoric, les belles et très belles scènes du quatrième acte devenaient impossibles. Ce n’est pas le public qui chicanera le poëte sur des excuses déjà sanctionnées par de nombreux applaudissemens. Mais le lecteur, mais M. Lemercier lui-même, en y réfléchissant, sera peut-être plus sévère que le public!

(Journal des Débats.)

ANECDOTES MODERNES.

Bonaparte, à son retour d’Italie, aimait à s’environner de toutes les illustrations contemporaines. Sa maison était le rendez-vous des savans et des artistes. Tout alors était modeste et sans faste chez celui qui devait bientôt subjuguer l’Europe et habiter le Palais des Rois. Sa table était frugale, et une femme pleine de grâces en faisait les honneurs; lui-même cherchait à plaire il avait des éloges pour tous les talens, et chaque trait de sa louange renfermait une pensée!

Dans une de ces réunions, Ducis, Colin-d’Harleville, Bernardin de Saint Pierre, recueillirent tour-à-tour les plus flatteuses paroles. Bonaparte parla de ses campagnes d’Italie. Il raconta ses actions les plus glorieuses avec une énergique concision, mais froidement, comme s’il eut entretenu ses auditeurs des actions les plus communes: en prodiguant la louange il y paraissait insensible; cependant quelques traits heureux épanouirent son visage. On avait pris le café; madame Bonaparte, s’approchant de son mari, lui frappa doucement sur l’épaule, en le priant de conduire ses convives dans le Salon. “Messieurs, dit Bonaparte, je vous prends à témoin ma femme me bat.”—Tout le monde sait, reprit vivement Colin-d’Harville, “qu’elle seule a ce privilège.” Ce mot eut les honneurs de la soirée et fut fort applaudi.

Au mois d’Octobre 1800, le général Moreau, de retour d’Allemagne à Paris, se trouvait dans le salon de Napoléon, alors premier consul, lorsque le ministre de l’intérieur entra apportant une superbe paire de pistolets, d’un travail parfait et entourrés de diamans. Le directoire les avait fait faire pour être donnés en présent à un prince étranger, et depuis ils étaient restés chez le ministre de l’intérieur. Ces pistolets furent trouvés très beaux. “Ils viennent bien à propos,” dit Napoléon, en les présentant au général Moreau, et se retournant vers le ministre, il ajouta: “Faites y graver quelques unes des batailles qu’a gagnées le général; ne les mettez pas toutes, il faudrait oter trop de diamans; et quoique le général Moreau n’y attache pas un grand prix, il ne faut pas trop déranger le dessein de l’artiste.”

Cette anecdote est également honorable pour Napoléon et pour le général qui était alors son plus dangereux ennemi dans l’opinion publique. Pourquoi faut-il que le dernier ait trouvé la mort dans les rangs des ennemis de la France?

Un matin, l’ex-princesse Murat, avec la reine Hortense et autres personnes de rang, se trouvaient rassemblées chez l’impératrice. Stéphanie Beauharnais était du cercle, et prit un fauteuil des mains d’un hussier. A cette époque, elle n’était pas encore unie au grand-duc de Bade. Caroline, blessée de cette lésion de l’étiquette, et de ce qu’un si petit personnage osât s’asseoir devant sa principauté, lui fît transmettre l’ordre de se tenir de bout. Stéphanie, mortifiée au-delà de toute expression du ton dur avec lequel cet ordre lui avait été donné, se retira dans une embrasure de l’appartement pour y cacher ses pleurs. Sur ces entrefaites, on bat aux champs, on annonce l’empereur. Son œil de lynx apperçoit Stéphanie; aucun homme n’eut un regard plus rapide; il s’informe, il apprend le motif de ses larmes furtives. “Ah! ce n’est que pour ça,” dit-il à voix haute, “bagatelle; assiez-toi sur mes genoux,” ajouta-t-il, en prenant la main de Stéphanie; “tu ne blesseras le rang de personne.” Ce trait est charmant; il est empreint de finesse, de malice et de bonté.

PARALLELE.

Il y a dans les deux sexes un admirable partage de qualités, dans la distribution qu’en a fait l’Etre Suprême à chacun d’eux, avec une sagesse qui attire en tout notre admiration. L’homme est fort, la femme est belle; l’homme est hardi et entreprenant, la femme est timide et circonspecte; l’homme est grand dans ses actions, la femme dans les souffrances; l’homme brille au-dehors, la femme dans sa maison; l’homme parle convaincre, la femme pour persuader et plaire; l’homme a un cœur dur, la femme un cœur doux et tendre; l’homme prévient la misère, la femme l’adoucit; l’homme a de la science, la femme du goût; l’homme a du jugement, la femme de la sensibilité; l’homme est un être juste, la femme un être miséricordieux.

COURS D’HISTOIRE DES SCIENCES NATURELLES,

PAR M. CUVIER,

Fondation de l’Ecole d’Alexandrie.

M. Cuvier analysant les ouvrages d’Aristote sur l’histoire naturelle, expose les règles données par ce philosophe sur le corps humain, généralement bonnes pour les parties extérieures, mais souvent erronées sur sa structure intérieure.

Aristote a connu l’organisation de l’éléphant et ses habitudes beaucoup mieux que Buffon lui-même qui le contredit à tort sur ce point. Il parle du buffle venu en Europe à la suite des expéditions lointaines: il décrit les deux espèces de chameaux, les singes, les crocodiles, &c. Ses observations sur les oiseaux fournissent tous les matériaux de nos règles actuelles de l’ornithologie. Sur les poissons il est encore plus étonnant.

La Grèce est entourée de détroits, d’anses, d’îles, de rochers. De tout temps les Grecs se sont livrés avec succès à la salaison. Les pêcheries du Pont-Euxin, de Bysance et de l’Archipel étaient innombrables. Ils paraissent avoir étudié un grand nombre de poissons qui nous sont encore inconnus. Aristote en compte 117 espèces et donne une quantité prodigieuse de particularités sur leurs mœurs qui n’ont pu encore être toutes vérifiées par les modernes.

Il a examiné et suivi la métamorphose des insectes et ses trois degrés: il regarde leur génération comme spontanée. Cette doctrine, admise par toute l’antiquité, n’a pu être réfutée qu’à l’époque où le microscope permit d’observer les germes. Il a connu très bien l’économie des abeilles, des guêpes, des frelons, &c. Il a suivi le développement du poulet dans l’œuf, opération très difficile avant la découverte de la loupe. En ce qui concerne l’homme, son enfance, sa croissance, sa reproduction, il est aussi exact que le comportait la médecine de son temps.

Mais l’influence d’Aristote ne s’est pas restreinte à celle qu’ont dû exercer ses ouvrages. Ses rapports avec les hommes les plus puissants de son siècle l’ont étendue sur de vastes régions et pendant une longue suite d’années. Il avait inspiré le goût des sciences à Alexandre et à ses principaux officiers.

Loin de ressembler aux invasions des peuples barbares chez les peuples civilisés, les conquêtes d’Alexandre répandirent sur les vaincus d’abondantes lumières, et firent refluer vers la Grèce les connaissances et les productions de l’Asie orientale. Ce prince conduisait avec lui plusieurs philosophes qu’Aristote lui avait donnés pour explorer ces pays lointains, notamment Callisthene, qu’il fit mettre à mort dans un de ses accès de fureur. A la suite de ses conquêtes, l’éléphant et le perroquet furent apportés en Grèce, ainsi que le paon, le premier animal qu’on ait montré pour de l’argent. Alexandre mourut 323 ans avant Jesus-Christ. Son empire s’étendait depuis les rives de la mer Adriatique jusqu’au-delà de l’Indus, et il l’avait fait visiter dans toute son étendue. Il nous reste la relation d’un voyage à l’embouchure de ce fleuve par Nearque, où se trouvent décrits pour la première fois la baleine, le tigre et d’autres animaux, le coton, &c.

Les capitaines d’Alexandre démembrèrent ses états et les partagèrent en trois grands royaumes: celui de Macédoine, dont les souverains, en tyrannisant la Grèce, y ralentirent l’étude des sciences; celui de Syrie, qui se subdivisa bientôt; celui d’Egypte, le plus riche et le plus indépendant des trois, et dont les rois protégèrent toujours les sciences.

Ptolomée, fils de Lagus, le premier d’entre eux, avait été élève d’Aristote. Il acheta la bibliothèque de ce philosophe pour fonder celle d’Alexandrie. Ce prince régna depuis l’an 321 jusqu’à l’an 385; il était lettré et celui de tous les capitaines d’Alexandre qui nous a donné la meilleure relation de ses conquêtes. Une foule de savans de toutes les parties de la Grèce furent appelés dans sas états, et pour demeure commune, il leur assigna un palais nommé le Musée, où ils étaient libéralement fournis de tout ce qui était nécessaire à leur entretien. A cette occasion, on doit remarquer que les Grecs portèrent alors en Egypte beaucoup plus de connaissances qu’ils n’y en trouvèrent.

Son fils et successeur Ptolomée Philadelphe, eut pour précepteur un élève d’Aristote, Straton de Lampsaque, surnommé le Physicien. Il cultivait lui-même l’histoire naturelle et fut le premier prince qui posséda une ménagerie formée d’animaux tirés en partie de l’intérieur de l’Afrique et des Indes.

La possession de tous ces animaux réunis dut être extrêmement favorable aux progrès des sciences naturelles. D’un autre côté, le commerce de l’Inde et celui de l’intérieur de l’Afrique devint immense, et toutes ces marchandises traversaient Aléxandrie avant d’être transportées sur les côtes de la Méditerranée. Les naturalistes, établis sur ce lieu de passage, étaient donc là comme à poste fixe pour y faire leurs observations.

Avant la fin de la séance, M. Cuvier revient à Athènes et y reprend l’école du Lycée, continuée par Theophraste, qu’Aristote lui-même avait désigné comme son successeur.

Ad. G.

LITHOTRITIE, &c.

—L’établissement d’une salle spécialement destinée à la lithotritie, tout en fournissant la preuve de la sollicitude de l’administration des hospices pour le soulagement des malades a pu faire croire que les chirurgiens qui sont à la tête des hôpitaux étaient opposés au procédé du broiement de la pierre. Une telle supposition serait injuste; loin qu’ils puissent être accusés, de préventions défavorables, nous les voyons, animés de l’amour de la science, exercer un noble patronage et confier le traitement des malades chez lesquels la lithotritie est praticable, aux jeunes médecins qui se livrent à l’étude de cette méthode. Pendant les cinq derniers mois, six malades ont été guéris publiquement à l’Hôtel-Dieu, à Saint-Côme et à la Charité; dans ce nombre se trouvaient deux enfans du sexe masculin, l’un de six ans et l’autre de quatre; un jeune homme a été délivré de sa pierre en cinq jours à la Charité; un autre l’a été à Saint-Côme en deux séances.

—M. Théodore Leclercq vient de publier de nouveaux proverbes dramatiques, Nous avons surtout remarqué parmi les charmantes comédies qui composent ce volume les Préventions ou le bon oiseau se fait lui-même, et la Disgrâce, où il n’y a pas deux espèces d’antichambre. Nous prédisons à ce nouveau volume un succès égal à celui des précédens. Nous en rendrons compte.

—Les premiers numéros de la Gazette médicale de Paris réalisent déjà les espérances qu’on a fondées sur un journal qui a compris les besoins de l’époque médicale actuelle. Plus que toute autre science, la médecine réclame cet esprit de conciliation ou d’éclectisme, qui pénètre partout aujourd’hui, et qui dirige particulièrement les rédacteurs delà Gazette médicale.

Gustave Adolphe, tragédie de M. Lucien Arnault, a obtenu un succès très honorable à la Comédie-Française.

ANCIEN CANAL.

Les louables efforts que fait présentement la Législature pour améliorer les communications intérieures de la province, out induit Mr. Hyacinthe St. Germain, arpenteur de Ste. Rose, à nous envoyer le détail suivant d’une découverte qu’il a faite, il y a environ dix-sept ans, sur le côté sud du fleuve St. Laurent.

“Notre bataillon étant campé, en 1813, au bas du lac St. François, justement au-dessus des rapides de Beauharnois, et presque vis-à-vis du Côteau du Lac, je rodais un jour dans les bois, en quête de gibier, lorsque je trouvai, non loin du rivage, un ancien canal, ou grand fossé dégradé, passant par un terrain bas et marécageux, couvert ça et là de pins ou île sapins rabougris. Cette savanne s’étendait au-delà de la portée de ma vue. Ce canal, qui n’est pas exactement parallèle aux rapides, va du sud-ouest au nord-est, se rapprochant de plus en plus de la direction de l’Est, à mesure qu’il descend à peu près en ligne droite. Il paraît qu’il a été fait il y a très longtems, pour joindre les eaux du lac St. François à celles de la rivière de Beauharnois, qui se décharge au-dessous des Cascades; mais si ce fut afin d’éviter les rapides, où les Français n’avaient point d’écluses, et où la navigation était difficile, lente et dangereuse, ou afin de fournir plus d’eau pour les moulins érigés ou à ériger sur la dite rivière de Beauharnois, c’est ce que je ne saurais dire. Il est étonnant que je n’aie pu obtenir aucun renseignement des habitans de l’endroit, concernant cet ouvrage, que j’ai suivi longtems sans en pouvoir trouver le bout.”

SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE ET HISTORIQUE.

A l’Assemblée tenue hier au soir, au vieux Château, il a été présenté une petite collection de fossiles qui avait été envoyée du township de Shipton.—Il y a été lu une description intéressante d’une petite tribu de sauvages appellés Têtes de Boule, qui habitent les bois et les marais situés vers les sources de la rivière St. Maurice. Cette tribu ne se compose pas de plus de quinze ou vingt familles, et quoiqu’elle réside dans les limites du Bas-Canada, elle est restée dans le dernier état de la barbarie.—On y a continué la description populaire des plantes et des arbrisseaux les plus communs du Bas-Canada, commencée et continuée à diverses assemblées précédentes. Après l’exhibition de divers échantillons intéressants, on y a donné la description du sucre d’érable, et indiqué les propriétés qui le distinguent du sucre de cannes.—Enfin, on y a lu un mémoire sur ce qu’on appelle les Noirceurs du Canada, et nommément sur celles du 16 Octobre 1785, et du 3 Juillet 1814. La première s’est fait remarquer principalement à Québec (et à Montréal), et la dernière dans le Golfe et sur les côtes de Terre-Neuve, où, pendant une partie du jour, l’obscurité fut aussi grande que celle qu’il fait à minuit, lorsqu’il n’y a pas de lune.

(Star.)

RÉGISTRE PROVINCIAL.

Décédés:—À Montréal, le 16 de Mars dernier, à l’âge de 65 ans, François Amable Trottier Desrivieres, Ecuyer, Négociant, Juge de Paix et Lieutenant Colonel du premier bataillon de la milice de Montréal;

Le même jour, à Québec, Julie Louise Antoinette, enfant de G. B. Faribault, écr. Avocat, âgée de 4 ans;

À Montréal, le 18, Mr. Jean Bte. Tribotte dit L’Africain, âgé de 78 ans et quelques mois;

À Québec, le 19, dans un âge avancé, Dame Louise Philippe Badelart; Veuve de feu l’honorable J. A. Panet, Orateur de la Chambre d’Assemblée.

À Montréal, le même jour, Madame Veuve Marie Major, ancienne accoucheuse, âgée de 95 ans;

À la Peinte Olivier, le 21, Ovide Malvina, enfant d’Eustache Soupras, écuyer, âgée de deux mois;

Le même jour, (noyé en traversant la Rivière des Prairies), Mr. Dominique Dubois, de Lachenaie, fils cadet de Pierre Dubois, Ecuyer, Négociant de Montréal.


Commissionné:—Mr. Remi Godin de Lapotherie, Notaire Public.

Érratum:—Dans le dernier numéro, à la première page, ligne 23 et 24 de l’Histoire du Canada, lisez comme suit: «quoiqu’il ne tînt qu’à Montcalm de combattre le général anglais avec des forces supérieures, au moins du côté du nombre.»

TRANSCRIBER NOTES

Printer errors have been corrected. Where multiple spellings occur, majority use has been employed.

Mis-spelled words and punctuation have been maintained except where obvious printer errors occur.

[The end of La bibliothèque canadienne Tome IX, Numero 19 by Michel Bibaud]