* A Distributed Proofreaders Canada eBook *
This eBook is made available at no cost and with very few restrictions. These restrictions apply only if (1) you make a change in the eBook (other than alteration for different display devices), or (2) you are making commercial use of the eBook. If either of these conditions applies, please contact a https://www.fadedpage.com administrator before proceeding. Thousands more FREE eBooks are available at https://www.fadedpage.com.
This work is in the Canadian public domain, but may be under copyright in some countries. If you live outside Canada, check your country's copyright laws. IF THE BOOK IS UNDER COPYRIGHT IN YOUR COUNTRY, DO NOT DOWNLOAD OR REDISTRIBUTE THIS FILE.
Title: La Bibliothèque canadienne, Tome VIII, Numero 1, Decembre 1828.
Date of first publication: 1828
Author: Michel Bibaud (1782-1857) (editor)
Date first posted: May 30, 2022
Date last updated: May 30, 2022
Faded Page eBook #20220565
This eBook was produced by: John Routh & the online Distributed Proofreaders Canada team at https://www.pgdpcanada.net
La Bibliothèque Canadienne
Tome VIII. | DECEMBRE 1828. | Numero I. |
M. de Callières répondit aux députés iroquois, qu’il n’avait rien à ajouter à ce que le chevalier de Bellamont leur avait dit au sujet du traité de paix conclu entre les couronnes de France et d’Angleterre, et qu’il était surpris que les députés d’Onneyyouth et de Goyogouin fussent allés trouver ce gouverneur, au lieu de venir avec leurs frères, pour satisfaire aux engagemens qu’ils avaient pris avec lui et avec le comte de Frontenac;—qu’il avait agi auprès de tous ses alliés pour les porter à ne commettre aucune hostilité pendant qu’on traiterait de la paix; mais que les délais affectés des Cantons, et l’irruption de quelques Iroquois sur les Miamis leur avaient attiré les malheurs dont ils se plaignaient; qu’il en était pourtant fâché, et que pour prévenir de pareils accidens, il avait fait dire à toutes les tribus de lui envoyer des députés; que si c’était sincèrement qu’ils voulaient la paix, ils ne devaient pas manquer de lui envoyer dans trente jours des ambassadeurs de tous les Cantons; qu’alors les chaudières de guerre seraient renversées, le grand arbre de la paix affermi, les rivières nétoyées, les chemins applanis, et que chacun pourrait aller et venir en toute sûreté, où bon lui semblerait;—qu’il consentait que le missionnaire et les deux officiers qu’ils demandaient allassent avec eux chercher les prisonniers, mais à condition qu’ils amèneraient aussi des ambassadeurs munis de pleins pouvoirs pour établir une paix solide et durable; qu’à leur arrivée à Montréal, il rendrait la liberté à tous les prisonniers iroquois, mais qu’il voulait que quelques uns d’eux restassent comme otages, jusqu’au retour des trois personnes qu’il leur confiait. Quatre députés s’offrirent à rester, et furent acceptés.
En congédiant les autres, M. de Callières déclara qu’il attendrait les ambassadeurs jusqu’au mois de Septembre. Le P. Bruyas et M. M. de Maricourt et Joncaire partirent avec les députés iroquois. Ils furent reçus à Onnontagué avec des démonstrations de joie auxquelles ils ne s’étaient pas attendus. Du lac de Gannentaha, où l’on était venu à leur rencontre, on les conduisit comme en triomphe jusqu’à la grande bourgade du canton. Ils y entrèrent au bruit de plusieurs décharges de mousqueterie: ils furent ensuite régalés avec profusion, et, le 10 Août, ils furent introduits dans le cabanne du conseil, où ils trouvèrent les députés de tous le cantons supérieurs.
Quand tout le monde eu pris sa place, le P. Bruyas, qui était chargé de porter la parole, commença un discours qui roula principalement sur trois points, qu’il appuya de trois colliers. Par le premier, il exhortait les Cantons à se souvenir qu’Ononthio était leur père, et que leur devoir et leur intérêt les engageaient également à lui demeurer obéissants et soumis, comme il convenait à des enfans, soit qu’ils fussent en bonne intelligence avec le gouverneur de la Nouvelle York, qui n’était que leur frère, soit qu’ils eussent quelque chose à démêler avec lui.—Par le second, il témoignait son regret de la perte que la nation iroquoise avait faite de plusieurs de ses chefs, et il l’assurait de la part des missionnaires qu’ils n’avaient rien perdu de leurs premiers sentimens à son égard, malgré lés maux qu’elle avait faits à plusieurs d’entr’eux.—Par le troisième, il leur déclarait-que le nouveau gouverneur général était sincèrement porté à la paix, et qu’il la leur accorderait volontiers, pourvu que de leur côté ils la voulussent aussi de bonne foi; et il leur exposa les conditions sous lesquelles il était disposé à traiter avec eux.
Il fut écouté avec une grande attention, et, suivant les apparences, avec plaisir. Quand il eut fini de parler, M. de Maricourt fit aussi un discours où il n’oublia rien pour faire comprendre aux Iroquois tout ce qu’ils avaient à craindre du ressentiment de leur père, s’ils n’acceptaient pas la paix qu’il leur offrais à des conditions aussi raisonnables que celles qu’on venait de leur expliquer, et ce qu’ils pouvaient espérer de lui et de tous les Français, s’ils ouvraient une bonne fois les yeux sur leurs véritables intérêts.
Le lendemain, comme ils délibéraient entr’eux sur ce qu’ils répondraient aux députés français, un vieil Onnontagué et un jeune Anglais arrivèrent d’Orange, et leur dirent, de la part du chevalier de Bellamont, qu’ils se donnassent bien de garde d’écouter les Français, et qu’il les attendait dans dix ou douze jours à Orange, où il leur ferait savoir ses volontés. Cette manière impérieuse de parler choqua le conseil: “Je ne comprends pas, dit Teganissorens, comment mon frère l’entend, de ne vouloir pas que nous écoutions la voix de notre père, et de chanter la guerre dans un temps où tout nous invite à la paix.”
Le P. Bruyas profita de cette disposition, pour faire observer à l’assemblée que le général anglais traitait les Iroquois en sujets, et ce qu’ils auraient à souffrir d’une domination si haute et si dure, quand une fois ils s’y seraient soumis; ce qui ne manquerait pas d’arriver bientôt, s’ils laissaient échapper l’occasion qu’ils avaient entre les mains de se reconcilier, d’une manière durable, avec le gouverneur de la Nouvelle France. M. Joncaire ajouta que les Anglais, en s’opposant à cette reconciliation, ne pouvaient avoir d’autre vue que de les laisser se consumer peu à peu par la guerre, au du moins s’affaiblir de manière à n’être plus en état de refuser de subir un joug dont ils reconnaîtraient peut-être trop tard la pesanteur.
Cet officier partit le même jour pour le canton de Tsonnonthouan, où il avait sa cabanne, c’est-à-dire où il était adopté, comme M. de Maricourt et toute sa famille l’étaient à Onnontagué. Il y fut reçu avec distinction, comme député, et avec amitié, comme enfant de la nation; on lui accorda la liberté de tous les prisonniers français qu’il y avait dans la canton; mais la plupart, accoutumés à la vie sauvage, ne purent se résoudre à y renoncer, plusieurs se cachèrent, et d’autres refurèrent absolument de suivre le sieur Joncaire.
Tandis que cet officier négociait avec les Tsonnonthouans, on assembla à Onnontagué un conseil général de toute la nation iroquoise: le jeune Anglais, envoyé par le chevalier de Bellamont, y fut admis, et Teganissorens y parla au nom de tous les Cantons. Il adressa d’abord la parole aux députés français, et commença par les assurer que toute la nation était disposée à écouter la voix de son père, c’est-à-dire, en style sauvage, à lui obéir. Il ajouta que chacun des cantons lui enverrait deux députés pour savoir ses volontés, et qu’ils partiraient incessamment. Puis, se tournant vers l’Anglais: “Je ne fais rien en cachette, lui dit-il; je suis bien aise que tu connaisses la disposition où je suis. Tu diras à mon frère Corlar, qui t’a envoyé ici, que je vas descendre à Québec, pour me rendre à l’invitation de mon père Ononthio, qui a planté l’arbre de la paix: j’irai ensuite à Orange pour savoir ce que mon frère me veut.” En achevant ces mots, il mit cinq colliers aux pieds des députés. Le P. Bruyas les releva, ce qui était la même chose que les accepter, et dit qu’il ne doutait pas de la droiture des intentions de l’orateur; mais que si ceux qui devaient aller trouver le gouverneur général voulaient se rendre auprès de lui, et ne point faire attendre les députés des tribus d’en haut, qu’on savait devoir arriver bientôt à Montréal, il n’y avait pas de temps à perdre.
Rien n’arrêtant plus les envoyés français à Onnontagué, ils en partirent pour retourner à Montréal, avec les députés de ce canton et de celui de Goyogouin. Ils furent reconduits jusqu’à Gannentaha avec les mêmes honneurs qu’on leur avait faits à leur arrivée, et ils s’y arrêtèrent quelque temps, pour attendre les députés d’Onneyouth, qui ne vinrent point: ce canton se contenta d’envoyer un collier, en s’excusant sur ce que le chef de la députation était tombé malade. On sut par la suite que ce n’était qu’un prétexte pour ne pas rendre les prisonniers. Joncaire y arriva bientôt après, avec les députés du canton de Tsonnonthouan, et trois Français, qu’il avait délivrés et engagés à le suivre. On n’avait pu en rassembler que dix dans tous les Cantons; mais Teganissorens se chargea de chercher les autres et de les faire conduire à Montréal.
Les envoyés de M. de Callières et ceux des Iroquois, qui devaient les accompagner, étaient sur le point de s’embarquer, lorsqu’un Tsonnonthouan arriva à Gannentaha, et dit que le gouverneur de la Nouvelle Angleterre, irrité de ce que, malgré ses défenses, les Cantons persistaient dans la résolution de faire la paix avec les Français, avait fait mettre aux fers un Onneyyouth, accusé d’avoir tué un Anglais, saisi tout le castor qui s’était trouvé à Orange appartenant aux Iroquois, levé le pavillon rouge, pour leur faire entendre qu’il était déterminé à leur déclarer la guerre; qu’il avait ordonné aux Mahingans de la commencer, et qu’il menaçait les Cantons de venir l’année suivante en personne leur apprendre à respecter ses volontés. Ce récit fut écouté fort tranquillement, et n’occasionna parmi les députés qu’un mouvement d’indignation, qu’ils ne firent pourtant que laisser entrevoir. Ils se mirent en route, au nombre de dix-neuf, et à leur arrivée à Montréal, on les reçut an bruit d’une décharge de boîtes, ce qui causa quelque jalousie aux alliés de la colonie: on entendit quelques uns d’eux demander si c’était là la manière dont les Français recevaient leurs ennemis. On les laissa dire sans réfléchir assez peut-être, comme le remarque Charlevoix, qu’on s’exposait à perdre des amis, en voulant regagner des ennemis, par une conduite qui pouvait les rendre encore plus fiers et plus difficiles.
L’orateur des Cantons parla en peu de mots et avec modestie. Il fit surtout valoir la prompte obéissance de la nation, en ce que deux cents de ses guerriers étant sur le point de se mettre en campagne pour aller tirer vengeance des dernières hostilités commises contre elle, on les avait arrêtés, sur la simple défense qui leur en avait été faite par le P. Bruyas et ses deux collègues: il fit ensuite connaître toute l’indignation qu’avaient excitée parmi les députés les ordres et les menaces du gouverneur de la Nouvelle Angleterre: il ajouta que comme le peu de cas qu’ils avaient fait de ces ordres et de ces menaces pourrait bien leur attirer la guerre de la part des Anglais, il espérait que les Iroquois trouveraient à Catarocouy, non seulement les marchandises qu’ils ne pourraient plus tirer d’Orange; mais encore les munitions et les armes dont ils auraient besoin, afin de pouvoir se passer des Anglais, ou se défendre contre eux, supposé qu’ils en fussent attaqués.
Le jour fixé pour répondre à ce discours, le chevalier de Callières répéta d’abord aux députés ce qu’il avait dit aux premiers envoyés, qu’il avait appris avec douleur les hostilités qui s’étaient commises de part et d’autre dans la dernière campagne; que les pertes des Iroquois l’avaient extrêmement touché, quoiqu’ils ne dussent les imputer qu’à eux mêmes, et qu’il mettrait désormais si bon ordre à tout, qu’il n’arriverait plus rien de semblable.
Il leur dit ensuite qu’ils avaient fait fort sagement d’arrêter leurs guerriers; qu’ils ne devaient plus rien craindre de la part de ses alliés, dont ils voyaient les principaux chefs, qui étaient tenus pour écouter sa voix: qu’il leur savait bon gré de lui avoir ramené une partie de leurs prisonniers français; qu’il s’attendait qu’ils lui rameneraient incontinent tous les autres, comme ils s’y étaient engagés, et qu’ils rendraient aussi à ses alliés ceux de leurs frères qu’ils retenaient encore captifs; qu’il leur donnait terme jusqu’au mois d’Août de l’année suivante; que les députés de toutes les nations se rendraient alors à Montréal; que l’échange des prisonniers s’y ferait de part et d’autre, et que les choses seraient remises dans le même état où elles étaient avant la guerre.
Comme le terme qu’il leur donnait était un peu long, pour les prévenir sur les accidens qui pourraient arriver dans l’intervalle, il leur déclara que s’il survenait quelque différent, ou si de mauvais esprits donnaient lieu à quelque hostilité, il voulait que la partie lésée s’adressât directement à lui, sans entreprendre de se faire justice elle-même, et qu’il la lui ferait, sans aucun égard pour qui que ce fût; que si l’aggresseur refusait de se soumettre à la satisfaction qu’il lui prescrirait, il se joindrait à ceux qui auraient reçu le tort, pour l’y contraindre, et le ferait repentir de sa désobéissance; qu’il ne tiendrait pas à lui que le gouverneur delà Nouvelle York n’en usât de même, et n’agît de concert avec lui, et que telle était l’intention des deux rois leurs maîtres; que ce qu’ils demandaient au sujet du fort de Catarocouy ne dépendait pas entièrement de lui, mais qu’il en écrirait au roi, et qu’en attendant sa réponse, il enverrait à ce poste un officier avec des marchandises.
Les députés Iroquois applaudirent à ce discours, et avouèrent qu’on ne leur avait jamais mieux parlé raison. Kondiaronk, qui avait été député par les Hurons, prit ensuite la parole, et dit: “J’ai toujours écouté la voix de mon père, et je jette nui hache à ses pieds; je ne doute point que tous les gens d’en haut n’en fassent de même: Iroquois, imitez mon exemple.” Le député des quatre tribus outaouaises parla à peu près sur le même ton: celui des Abénaquis dit qu’il n’avait pas d’autre hache que celle de son père; et que son père l’ayant enterrée, il n’en avait plus. Les Iroquois chrétiens firent la même déclaration. Il y eut néanmoins quelque altercation entr’eux et les députés des Cantons; mais tout fût bientôt calmé par la sagesse du gouverneur; et l’on signa une espèce de traité provisionnel.
M. de Callières signa le premier, ensuite l’intendant, puis le gouverneur de Montréal; le commandant des troupes, et les supérieurs ecclésiastiques qui se trouvaient à l’assemblée. Les sauvages signèrent ensuite en mettant chacun la marque de sa tribu au bas du traité. Les Onnontagués et les Tsonnonthouans tracèrent une araignée; les Goyogouins, un calumet; les Onneyouths, un morceau de bois en fourché avec une pierre au milieu; les Agniers, un ours; les Outaouais, un lièvre, et les Abénaquis, un castor. Les Agniers et les Onneyouths n’avaient pas de députés à l’assemblée; mais ils avaient donné à quelques uns de ceux des autres cantons la commission de signer pour eux. Ce traité est daté du 8 Septembre 1700.
Cette affaire ainsi terminée à la satisfaction de toutes les parties, le chevalier de Callières dépêcha aux tribus du nord et de l’ouest M. de Courtemanche et le P. Anjelran, pour engager celles qui n’avaient pas envoyé de députes à Montréal à acquiescer au traité, et pour lui amener les chefs de toutes ces tribus, afin que l’assemblée indiquée au mois d’Août de l’année suivante fût générale. Il leur recommanda en outre de ne rien négliger pour faire cesser la guerre qu’il y avait entré les Scioux et les alliés de la colonie.
Il écrivit ensuite à M. de Pontchartrain, pour lui tendre compte de ce qu’il venait de faire, et lui manda qu’il pensait qu’on devait profiter de la disposition présente des Cantons, pour régler avantageusement les limites entre les Anglais et les Français; que si par ce règlement, on ne pouvait pas obtenir la propriété du pays des Iroquois, il fallait au moins faire en sorte qu’il fût déclaré neutre, et stipuler qu’il ne serait permis ni aux Français ni aux Anglais d’y faire des établissemens. Quant à la religion, il jugeait qu’on devait laisser à ces peuples une liberté entière de choisir ou des missionnaires catholiques ou des ministres protestants, persuadé qu’ils préféreraient toujours les premiers aux seconds.
Depuis la publication de la paix, les Anglais ne disputaient plus aux Français la possession de l’Acadie; mais cette province n’était pas pour cela dans un état beaucoup plus florissant. Sur les représentations qui furent faites au conseil du roi de la nécessité de s’y fortifier, l’établissement de Naxoat, où le gouverneur faisait sa résidence, fut transféré au Port Royal; mais on négligea encore de mettre ce poste en état de se soutenir contre les Anglais, s’ils s’avisaient de l’attaquer.
Cependant les députés iroquois étaient à peine de retour dans leur pays, qu’on y eut nouvelle que les Outaouais étaient tombés sur un parti de leurs chasseurs, en avaient tué quelques uns, et avaient fait prisonniers le plus considérable de la troupe. Les Iroquois firent beaucoup de bruit, et l’on craignit qu’ils ne reprissent les armes. Néanmoins, comme leurs députés avaient donné parole au gouverneur général, que, quoiqu’il arrivât, ils n’useraient d’aucune voie de fait, ils se piquèrent de fidélité à leur engagement, et lui envoyèrent faire leurs plaintes de l’attentat des Outaouais. Ceux qu’ils en avaient chargés arrivèrent le 2 Mars 1701, à Montréal, où ils trouvèrent le général. Ils lui parlèrent avec beaucoup de modération, et après avoir exposé le fait sous le jour le plus odieux qu’ils purent pour les Outaouais, “c’est sans doute, ajoutèrent ils, quelque étourdi qui a fait ce coup; mais tandis que sa nation ne la désavoue point, elle est censée l’autoriser. Cependant, comme tu nous as ordonné de nous adresser à toi, s’il arrivait quelque chose de semblable, nous venons te prier de commencer par nous faire rendre le chef qui a été mené prisonnier à Michillimakinac.”
M. de Callières leur répondit que les Outaouais, lorsqu’ils avaient attaqué leurs chasseurs, n’étaient pas instruits du traité conclu l’automne précédente; qu’il aurait soin de leur faire rendre leur prisonnier, et qu’ils ne perdraient rien à lui remettre tous leurs intérêts. Cette réponse, accompagnée de beaucoup de marques d’amitié, les satisfit; mais le 5 de Mai, Teganissorens arriva, suivi de plusieurs autres chefs iroquois, et renouvella les plaintes des Cantons, au sujet de l’hostilité de l’hiver précédent, et sur ce qu’ils avaient entendu dire que les Français se proposaient de faire un établissement au Détroit.
Le gouverneur lui fit, au sujet de l’hostilité des Outaouais, la même réponse qu’il avait faite aux premiers députés; et pour ce qui concernait le Détroit, il lui dit qu’il ne voyait pas pourquoi cet établissement inquièterait les Cantons; que son dessein dans cette entreprise était de conserver le paix entre toutes les tribus; qu’il avait déjà recommandé à celui qu’il avait choisi pour y tenir sa place, d’accommoder tous les différens qui surviendraient entre les Français et leurs alliés, avant qu’on se fût porté à quelque extrémité fâcheuse; mais avant tout, de laisser
Teganissorens lui dit que les Anglais ayant déjà en le même dessein de s’établir au Détroit, les Cantons s’y étaient opposés. Le général lui répondit qu’il savait bon gré aux Iroquois de s’être opposés a ce dessein des Anglais; mais qu’il aurait bien su empêcher ceux-ci d’usurper un pays qui ne leur appartenait pas. “Pour moi, ajouta-t-il, je prétends être le maître chez moi; mais je ne veux l’être que pour le bonheur de mes enfans: c’est pour eux que je travaille en m’établissant au Détroit; il n’y a que de mauvais esprits qui puissent prendre ombrage de ce dessein, et je suis persuadé que vous me remercierez un jour de l’avoir exécuté.”
(A continuer.)
Rigas, connu par la révolution qu’il a tenté de faire en Grèce, pour détruire le dynastie turque, naquit à Valestino en Thessalie, (anciennement Cholcos, Solcus, patrie de Solon.) Il avait à peine seize ans quand ses parens quittèrent leur pays, pour venir s’établir à Bucharest, en Valachie. C’était une circonstance très favorable pour le jeune Rigas, attendu que le gymnase de Bucharest étant soutenu par les largesses du prince Aléxandre Ypsilanti, et ayant pour professeurs les fameux Néophyte et Théodore, passait pour le meilleur de tous ceux de la Grèce. Rigas fréquenta ce gymnase pendant quelques années, s’y perfectionna dons le grec ancien, et suivit avec succès tous les cours de littérature et des sciences qu’on y enseignait. Il apprit en outre l’italien, le français et l’allemand, qu’il parlait très bien.
Après avoir fini ses études, pour ne pas être à charge à ses parens, qui n’étaient pas riches, Rigas s’occupa d’affaires civiles, remplit dignement quelques emplois subalternes, et fut quelques années secrétaire du premier des boyards, Brungawano. Il publia en grec moderne un petit livre de physique, et traduisit du français quelques ouvrages amusants, pour inspirer à ses compatriotes le goût de la langue française. Dès sa tendre jeunesse, ayant conçu le projet de délivrer sa nation du joug turc, il en parlait continuellement avec ses amis. La nature, en lui accordant tous les avantages du corps, ne lui avait refusé aucun des dons de l’esprit. Son éloquence persuasive embrâsait les cœurs et subjuguait les esprits. Ou ne doit donc pas s’étonner si, en si peu de temps, Rigas eut tant de partisans. Il en avait, non seulement à Bucharest, mais aussi dans toutes les villes de la Grèce. Les uns devaient prendre les armes au premier signal; les autres contribuer par de grandes sommes d’argent.
Ce plan étant organisé, Rigas se rendit à Vienne, en Autriche, vers l’an 1793, mit dans son parti les plus savans et les plus riches Grecs qui s’y trouvaient; conjointement avec eux, il entreprit la traduction du Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, traduisit lui-même le volume dans lequel il est question de sa patrie, et y ajouta quelques notes très importantes. Il fit imprimer aussi la carte de la Grèce en 12 feuilles et d’un très grand format, la plus exacte peut-être jusqu’à cette époque, sans négliger le moindre village, la moindre colline: outre un grand nombre d’anciennes monnaies qu’on y voit aux anciens noms, il ajouta les modernes. Rigas et ses partisans étudièrent la tactique; plusieurs d’entr’eux servirent quelques mois dans l’année autrichienne, pour s’accoutumer aux travaux de la via militaire. Parmi ses adhérens, il comptait un imprimeur grec de Vienne et rédacteur d’un journal où il insérait de petits poëmes patriotiques, pour alimenter le zèle de ses partisans répandus dans toute la Grèce, et enflammer tous ses compatriotes par le désir de la liberté.
Vers l’an 1797, croyant que le moment d’exécuter son dessein était arrivé, il fit imprimer en vers grecs son Manifeste, rempli de pensées philosophiques, et qui atteste la profondeur de sa politique. Il partit pour Trieste, emportant quelques caisses remplies d’exemplaires de ce Manifeste, pour les disséminer dans sa patrie, en y arrivant. Ses principaux affidés devaient incessamment quitter Vienne, et se répartir dans différentes provinces de la Grèce, où les corps que chacun d’eux allaient commander devaient s’assembler. Pour stimuler plus efficacement l’enthousiasme, ils s’étaient pourvus des habits faits sur le modèle de ceux que portaient les anciens soldats grecs. C’était sous ce costume qu’ils devaient se montrer aux yeux de leurs partisans.
Tel était l’état des choses, quand l’ambassadeur turc près la cour de Vienne, instruit de cette affaire, en fit part au gouvernement autrichien, et demanda que Rigas et ses partisans fussent arrêtés pour être envoyés en Turquie. Sur le champ, sept des plus connus furent envoyés en prison; les sujets autrichiens qui étaient complices furent bannis des états héréditaires, et le malheureux Rigas, au moment de s’embarquer, fut arrêté à Trieste. Tous les huit furent envoyés à Belgrade et mis entre les mains des Turcs. La cour de Vienne ne consentit à livrer ces malheureux aux Turcs, qu’à condition qu’ils ne seraient pas punis de mort; mais dès qu’ils arrivèrent à Belgrade, on les mit à la torture pour les forcer de nommer tous leurs partisans, et quand on vit que la cruauté des supplices ne pouvait tirer aucun mot de leurs bouches, on se hâta de les étrangler et de les jetter secrètement dans le Danube, parce que les Turcs craignaient un soulèvement parmi les Grecs, habitans de Belgrade, pour arracher de leurs mains Rigas et ses partisans.
Ainsi périt vers la fin de l’année 1797, ou au commencement de la suivante, à l’âge d’environ 45 ans, ce courageux descendant des anciens Grecs, à qui sa patrie, un jour délivrée de l’oppression avilissante sous laquelle elle gémit, érigera des statues. (Dictionnaire Biographique.)
Dieu, être sur l’existence duquel ou dispute depuis le commencement du monde, sans en être plus savant, mais sur lequel le sens intime nous en apprend plus que tous les raisonnemens de la métaphysique. On ne se propose de présenter ici qu’un tableau général des erreurs humaines sur cet être incompréhensible.
Selon les mahométans, Dieu est un corps rond et immense. Suivant le Qôran, il est froid nu point que s’étant appuyé sur l’épaule du prophète, il lui avait glacé les os. Si quelqu’un, ajoute le docteur arabe, lui donnait un égal, il souffrirait les mêmes peines qu’un homme qui, tombant des nues, serait dévoré par les oiseaux, ou anéanti par la fureur des aquilons. La Nature était la Divinité des anciens habitans des îles Canaries.—Strabon dit, en parlant des anciens Ethiopiens: “Ils croient un Dieu immortel, principe de toutes choses, et un Dieu mortel, qui n’a point de nom, et qui est inconnu. Ils regardent comme dieux leurs bienfaiteurs, les rois et les grands.”
Les Chinois n’ont point, dans leur langue, de mot particulier qui désigne clairement l’Etre-Suprême. Ils le nomment Chang-ti, qui signifie souverain maître. Les missionnaires se servaient ordinairement du mot Tien-chu, c.-à-d. seigneur du Ciel. Il est cependant probable que, dans les premiers siècles de leur empire, ils ont reconnu l’existence d’un seul Dieu. Leur histoire fait mention que Fohi le premier empereur de la Chine, qu’elle fait contemporain de Noé, offrait des sacrifices à l’esprit souverain qui règne dans le ciel et sur la terre. Plusieurs savans prétendent que Fo fut le premier qui corrompit la religion des Chinois. Ils soutiennent qu’avant lui l’on ne voyait à la Chine ni statues ni idoles, quoique, longtemps auparavant, quelques empereurs eussent fait rendre les honneurs divins ans grands hommes, et qu’il fût même d’usage d’offrir des sacrifices aux anges tutélaires. Les partisans de Laokun, docteur chinois, admettent une succession de Divinités qui règnent tour à tour, et usurpent les unes sur les autres l’empire des cieux.
Les Siamois n’ont, sur ce sujet, que des notions obscures et confuses. Ils ne peuvent se former l’idée d’un être pur et immatériel. Dieu, tel qu’ils se le figurent, n’est qu’un homme doué de qualités qui paraissent fort au-dessus de la condition ordinaire des hommes; qualités qu’il a acquises par la sainteté de sa vie. “Les Siamois, dit le P. Tachard, dans son Voyage de Siam, croient un Dieu composé d’esprit et de corps, dont le propre est de secourir les hommes. Ce secours consiste à leur donner une loi, à leur prescrire les moyens de bien vivre, à leur enseigner la véritable religion et les sciences qui leur sont nécessaires. Les perfections de ce Dieu sont la réunion de toutes les vertus morales dans un degré éminent, acquises et confirmées par un exercice continuel dans tous les corps par où il a passé. Ce Dieu est exempt de passions: il ne ressent aucun mouvement qui puisse altérer sa tranquillité; mais avant de parvenir à cet état, il s’est fait dans son corps un changement si prodigieux que son sang en est devenu blanc.”
Ce Dieu possède encore plusieurs autres qualités: il peut se dérober aux yeux, lorsqu’il le juge á propos. Son agilité est telle, qu’il peut, d’un instant à l’autre, se transporter où il lui plaît. Sa science est universelle; son œil pénétrant embrasse le passé, le présent et l’avenir; il pénètre dans le sein de la nature; en un mot, rien ne lui est caché. Son corps répand une lumière plus éclatante que celle du soleil, et, partout où il se trouve, les ténèbres disparaissent. Mais, tant qu’il reste sur la terre, il ne jouit pas d’une félicité parfaite; il faut qu’après un certain nombre de transmigrations, il meure et disparaisse à jamais, pour que son bonheur soit accompli. Le règne de chaque Divinité ne dure pas éternellement; il est fixé à un certain nombre d’années, c.-à-d. jusqu’à ce que le nombre des élus qui doivent se sanctifier par ses mérites, soit rempli, après quoi il ne paraît plus au monde, et tombe dans un repos éternel. Alors un autre Dieu lui succède et gouverne le monde en sa place. Les Siamois pensent que ce n’est pas assez pour qu’un homme devienne dieu, que dans tour les corps successivement habités par son âme, il ait acquis, par ses bonnet œuvres, une sainteté consommée; ils exigent encore qu’à chaque bonne action, il se soit distinctement proposé pour but de s’élever à la divinité; que, dans ses prières, il ait spécifié cette intention, qu’il en ait pris à témoins les génies qui président aux quatre parties du monde, et qu’il ait versé de l’eau en l’honneur de l’ange gardien de la terre.
On pourrait peut-être conclure de toute cette croyance que les Siamois ne reconnaissent point d’autres divinités que leurs héros et leurs saints; mais cette conclusion souffrirait encore quelque difficulté; car ils distinguent un état de sainteté différent de l’état de divinité, dont les propriétés sont les mêmes, à l’exception que Dieu les possède dans un degré bien plus éminent que les saints.
Les peuples de Camboye, dans la presqu’île au-delà du Gange, ont à peu près les mêmes idées que les Siamois. Les habitans du Pégu reconnaissent au Etre-Suprême; mais ils ne le représentent sous aucune forme, et ils sont persuadés que les prêtres seuls sont dignes de lui rendre des hommages. Les laïques ont d’autres divinités inférieures, dont les figures sont exposées dans les temples à la vénération du peuple.
Certains idolâtres des îles Philippines donnent à la Divinité un nom qui signifie le Temps. Carpin assure, que les Tartares idolâtres reconnaissent un Etre-Suprême, qui a créé le monde, et qui distribue aux hommes des châtimens et des récompenses, d’une manière proportionnée à leurs mérites; mais ils ne lui rendant aucun honneur. Les Tartares Czérémisses qui habitent les environs du Volga, admettent deux principes, l’un auteur du bien qui est Dieu; l’autre, auteur du mal, qui est le Diable; et ce dernier est bien plus honoré que le premier. Les Indiens gentils se représentent la Divinité sous une forme ovale. Plusieurs suspendent à leur cou des cailloux de cette figure; et, dans leurs prières, s’en frappent rudement la poitrine. On voit aussi dans les temples un caillou oval, transporté des bords du Gange, et qu’on révère comme une image de la Divinité.
Les Hottentots ont l’idée d’un Etre-Suprême, créateur du ciel et de la terre: ils reconnaissent que ses perfections sont infinies, qu’il gouverne le monde à son gré; qu’il fait gronder le tonnere et tomber la pluie; qu’il pourvoit à leurs besoins, leur fournit les alimens qui soutiennent leur vie, et la peau des bêtes sauvages dont ils se couvrent. Ils croient qu’il a fixé son séjour au-dessus de la lune, et lui donnent le nom de Gounja-Tiquoa: mais, contents de le reconnaître, ils ne l’honorent par aucune espèce de culte.
Les Galles, peuple sauvage répandu dans l’Ethiopie, ne reconnaissent point d’autre Dieu que le ciel qui frappe leurs sens, et qui, par sa forme, leur paraît embrasser tout l’univers; mais ils ne lui rendent aucune espèce de culte. Ils n’honorent d’ailleurs aucune idole, et l’on n’apperçoit parmi eux presque aucune trace de religion.
La plupart des habitans de la Côte d’Or reconnaissent un seul Dieu supérieur à leurs fétiches, et lui attribuent une puissance sans bornes; mais comme presque tous les peuples de l’Afrique, ils ne lui rendent aucune espèce de culte, et n’implorent jamais son secours dans leurs besoins. Lorsque les Européens leur demandent quelle est là nature de cet Etre-Suprême, ils répondent qu’il est noir comme eux, et ne se plaît qu’à faire du mal. Ils ne regardent point comme des bienfaits de Dieu les productions de la nature et les fruits de la terre; ils ne s’en croient redevables qu’au travail de leurs mains, et se tiennent quittes de toute reconnaissance.
Les habitans de Benin ont, a plusieurs égards, des idées assez justes de l’Etre-Suprême; mais ils reconnaissent un grand nombre de Divinités subalternes, qui servent à entretenir une certaine correspondance entre les hommes et le grand Dieu. Le Diable est aussi regardé chez eux comme une Divinité, qu’ils honorent avec d’autant plus de soin qu’ils redoutent le mal qu’elle peut faire, mais ils ne rendent aucun hommage à l’Etre-Suprême, persuadés qu’il est de sa nature de ne faire que du bien.
Les Quojas, qui habitent l’intérieur de la Guinée, révèrent un Etre tout-puissant, qu’ils nomment Cannon; mais ils ne le croient pas éternel. Ils pensent qu’après lui, un nouvel être, plus parfait encore, régnera dans le ciel, et se distinguera par sa justice, en récompensant les bons et punissant les méchants.—Les Nègres mahométans qui habitent les deux bords de la rivière de Gambie, reconnaissent un Etre-Suprême, qu’ils regardent comme incompréhensible, et qu’ils nomment Allah. Ils ne le représentent sous aucune forme, et n’honorent ni peintures ni images.
Les habitans de l’île de Madagascar admettent l’existence d’un Dieu, lequel a créé le ciel et la terre, tous les hommes, et un nombre prodigieux d’anges, dans l’espace de sept jours; mais ils ne lui rendent aucun hommage, parce qu’ils ne le craignent pas. Ils adorent, au conduire, un certain diable qu’ils nomment Taivaddu, chef d’une légion nombreuse de démons; qui ne s’occupent qu’à tourmenter les hommes. Ils lui présentent des offrandes pour détourner sa colère. Ils sont persuadés que tous les maux de la nature viennent de lui, au lieu qu’ils croient que Dieu est l’auteur de tout bien.
“Parmi les sauvages les plus grossiers du Canada,” dit le P. Hennepin, on trouve des sentimens confus de la Divinité. Les uns prennent le soleil pour Dieu, d’autres, un génie qui domine dans l’air; quelques uns, le ciel même. Les nations du sud semblent croire à un esprit universel. Ils s’imaginent que chaque chose, et même les substances inanimées, renferment un esprit. Les Virginiens croient en un Dieu bienfaisant, qui demeure dans les cieux, et dont les influences bénignes se répandent sur la terre. Il est éternel, souverainement heureux, parfait et tranquille. Il verse les biens sur les hommes sans s’embarrasser de leurs affaires. Cette indifférence absolue est cause qu’ils ne lui rendent presque aucun hommage. Mais ils servent avec beaucoup de ferveur un mauvais esprit; ce qui revient à peu près au culte que les peuples du Mississipi et du Canada rendent au mauvais génie. “C’est lui, disent les Virginiens, qui se mêle des affaires de ce monde; il nous visite, il trouble l’air, il excite les tempêtes.” On trouve à peu près le même systême chez les habitans de la Floride.
Dieux.—Jamblique en admet huit classes: dans la 1ère il place les grands Dieux invisibles et présents partout; dans la 2e, les archanges; dans la 3e, les anges; dans la 4e, les démons; dans la 5e, les grands archontes, ou ceux qui président au monde sublunaire et aux élémens; dans la 6e, les petits archontes, ou ceux qui président à la matière; dans la 7e les héros; et dans la 8e, les âmes. La division la plus ordinairement reconnue, est en Dieux naturels et Dieux animés; grands Dieux et Dieux subalternes; Dieux publics et Dieux particuliers; Dieux connus et Dieux inconnus; ou enfin, suivant la division usitée chez les mythologues modernes, Dieux du ciel, de la terre, de la mer et des enfers. Il est à remarquer que Dii s’emploie ordinairement en latin pour les Dieux du 1er ordre; et Divi pour ceux du 2e et du 3e.
Naturels, c.-à-d., le Soleil, la Lune, les Etoiles, et les autres êtres physiques.
Animés. Ce sont les hommes qui, par leurs grandes et belles actions, avaient mérité d’être déifiés.
Grands. Dii majorum gentium: Les Grecs et les Romains reconnaissent 12 grands Dieux, dont les noms, dit Herodote, étaient venus d’Egypte. Une des folies d’Alexandre fut de prétendre être le 13e de ces grands Dieux, dédaignant d’être associé à la foule des Divinités.
Sabalternes, ou des moindres nations, Dii minorum gentium. Ce sont tous les autres Dieux après les 12 Consentes. Le nombre en était presque infini, puisqu’on les porte à 30,000 pour l’empire romain. Non contents, en effet, de la foule de Divinités que la superstition de leurs pères avait introduites, les Romains embrassaient le culte de toutes les nations subjuguées, et se faisaient encore tous les jours de nouveaux Dieux.
Publics, ceux dont le culte était établi et autorisé par les lois des 12 tables; par exemple, les 12 grands Dieux.
Particuliers, ceux que chacun choisissait pour l’objet de son culte. Tels étaient les âmes des ancêtres, qu’il était permis à chaque particulier d’honorer à son gré. Cette dernière espèce de culte existe encore en Chine.
Connus. Varron range dans cette classe tous les Dieux dont on savait les noms, les fonctions, les histoires, comme Jupiter, Apollon, le Soleil, la Lune, &c. Inconnus. Dans cette 2e classe étaient placés ceux dont on ne savait rien d’assuré, et qu’on ne voulait pas cependant laisser sans autels et sans sacrifices. Plusieurs auteurs parlent des autels élevés aux Dieux inconnus en plusieurs endroits, et en particulier chez les Athéniens, le plus religieux peuple de la terre.
Du ciel: Cœlus, Saturne, Jupiter, Junon, Minerve, Mars, Vulcain, Mercure, Apollon, Diane, Bacchus, &c.
De la terre: Cybèle, Vesta, les Dieux Lares, les Pénates, les Dieux des jardins, Pan, les Faunes, les Satyres, Palès, les Nymphes, les Muses, &c.
De la mer: l’Océan et Téthis, Neptune et Amphitrite, Nérée et les Neréïdes, Doris et les Tritons, les Naïades, les Sirènes, Eole et les Vents, &c.
De l’enfer: Pluton, Proserpine, Eaque, Minos, Rhadamante, les Parques, les Furies, les Mânes, Charon, &c. (Dictionnaire Mythologique.)
La muse qui parfois m’inspire
Une épigramme, une chanson,
D’Horace me prêtant la lyre,
M’ordonne de hausser le ton,
Pour chanter dignement la gloire
Du héros qui, dans notre histoire,
S’est fait un immortel renom.
Quel est ce guerrier magnanime
Qu’on remarque entre six héros,[1]
Que l’amour de la gloire anime,
Et porte nus exploits les plus beaux?
Iberville, nom que j’honore,
Qui mérite de vivre encore,
Inspire-moi des chants nouveaux.
Honneur de la chevalerie,
Cherchant la gloire et le danger,
Il court partout où la patrie
Succombe aux coups de l’étranger:
Les forets, l’élément liquide,
Le pole, la zone torride,
Ne le sauraient décourager.
Du chevalier suivons les traces
Dans les tristes climats du nord;
Région de neige et de glaces,
Lugubre image de la mort:
Tantôt marinier intrépide,
Tantôt fantassin homicide,
Tout succombe sous son effort.
Souvent, dans son abord rapide,
Chez les ennemis de son roi,
Son nom, comme celui d’Alcide,
Porte la terreur et l’effroi:
Et dans leurs paniques alarmes,
Se troublant, jettent bas leurs armas,
Ils se remettent sous sa loi.
Si l’ordre du roi ne l’appelle
Dans les camps, parmi les soldats,
Soudain, entraîné par son zèle,
Il vole au milieu des combats:
Il entend alors la patrie,
Qui d’une voix forte lui crie:
“Guerrier, ne te repose pas.”
Les guerriers n’ont plus rien à craindre,
Quand Iberville est avec eux;
Ah! que ses rivaux sont à plaindre,
S’il est au milieu de ses preux!
Deux fois aux rives acadiennes,
Avec ses bandes canadiennes,
Il demeure victorieux.
Autre théâtre de sa gloire,
Lu grande Ile Anglaise[2] le voit
Courir de victoire en victoire,
Entasser exploit sur exploit:
A l’aspect seul de son épée,
La Ville,[3] de terreur frappée,
Du vainqueur reconnaît le droit.
La plage septentrionale
Le voit pour la troisième fois;
Mais, las! la tempête fatale
Le semble réduire aux abois:
Il n’a plus qu’un vaisseau sur quatre,
Et le sort l’oblige à combattre
Ses ennemis, seul contre trois.
Faut-il que le héros succombe,
Victime d’un malheureux sort?
Qu’il soit captif, ou que la tombe
Pour lui se trouve sur son bord?
Du combat quelle fut la suite?
L’un périt, l’autre prend la fuite,
Et l’autre entre captif au port.
De son roi le vœu pacifique
L’éloignant du sein des combats,
Pour le bien de la république,
Il paraît en d’autres climats:
Se transportant de plage en plage,
Notre héros devient un sage,
Et fonde de nouveaux états.
Ce grand homme comblé de gloire,
Iberville, était Canadien;
Mais pour honorer sa mémoire,
Son pays encor n’a fait rien:
De ses bienfaits reconnaissante,
Ailleurs,[4] une ville naissante
A pris son nom, et le retient.
Les six autres fils de M. Lemoyne. |
Terre-Neuve. |
St. Jean, capitale de la parti a anglaise de l’île de Terre-Neuve. |
Dans la Louisiane. |
Après des lectures sur divers sujets et plusieurs propositions, l’Académie allait se former en comité secret pour la formation d’une liste de candidats pour la place de feu M. Bosc, lorsque M. Thenard a demandé la parole pour une communication sur les diamans réputés artificiels. Ce célèbre chimiste rappelle en peu de mots les découvertes toutes récentes de M. Gannal et de M. Cagnard-Latour; il a soin d’observer que les procédés de ces deux savans diffèrent entièrement; puis il ajoute: “M. Cagnard-Latour ayant désiré répéter ses expériences à l’école Polytechnique, nous y avons assisté, et même participé, M. Dumas et moi. M. Cagnard nous à montré deux produits différents: de la poudre noire que nous n’avons pas encore analysée, et des cristaux dont plusieurs échantillons ont été soumis à l’Académie. Nous avons examiné ces cristaux: ils sont assez durs pour rayer le verre, mais ils sont eux-mêmes rayés par le diamant. Nous avons ensuite recouru à la principale expérience, qui est la combustion; si cela eût été du diamant, ces cristaux eussent brûlé sans aucun résidu, et nous aurions obtenu en retour du gaz acide carbonique en proportion concordante avec le carbonne brûlé car le diamant est de carbonne pur; mais nos cristaux n’ont point brûlé. Certains alors que cette substance, nonobstant son éclat, n’était pas le vrai diamant, nous l’avons soumise à l’action de divers réactifs, acides et alcalis, et nous avons trouvé que ce n’était qu’un silicate, c’est-à-dire une matière qui, au lieu de tenir de la nature du charbon ou du diamant, a au contraire pour base une substance analogue aux cailloux ou pierres à fusil; en d’autres mots, c’est une sorte de composé de silice, substance qui, comme on sait, sert aussi à former le verre ordinaire.”
Il faut bien faire attention que ces résultats annoncés par M. Thénard, ne s’appliquent nullement à la découverte de M. Gannal, qui reste ainsi le seul possesseur des séduisantes mines de Golconde et de Visapour.
M. Arago parle aussi sur le même sujet. Il avait promis de faire des expériences de catoptrique sur les cristaux de M. Cagnard; niais ces pierres n’étant ni assez brillantes ni assez polies pour être soumises à des assais de polarisation, M. Arago a retardé de quelques jours ses expériences. D’ailleurs il était prudent pour la physique de ne point s’exposer à voir démentir ses assertions par la chimie.
Nous ne devons pas finir cet article sans rendre hommage à la noble conduite de M. Cagnard. C’est par loyauté, c’est dans la crainte de compromettre des fortunes et de fomenter des défiances dans un grand commerce, que ce savant a voulu que le public fût promptement instruit de la vraie nature de sa découverte.
Maintenant attendons le rapport sur M. Gannal.
A l’occasion de la séance de l’Institut, où il a été question de cristaux ou diamans artificiels, on nous communique la note suivante:
Depuis les tems les plus reculés jusqu’au 15e siècle, ce fut seulement aux terrains d’alluvion anciens des Grandes-Indes qu’on alla demander tous les diamans du commerce. En 1728, on découvrit des mines de diamans au Brésil, dans le district de Serro-do-Frio. Dans les Grandes-Indes, connue au Brésil, on trouve des diamans disséminés dans une sorte de poudingue formé de fragmens arrondis de quartz, réunis par un ciment ferrugineux. Cet aggrégat est connu sous le nom de cascalho. Le cascalho se tire principalement du lit des rivières. C’est sous un hangar de forme oblongue qu’a lieu le lavage, au moyen d’un courant d’eau que l’on fait arriver dans de grands baquets inclinés, à chacun desquels est attaché un nègre laveur. Des inspecteurs placés sur de hautes banquettes surveillent l’opération. Lorsqu’un nègre a trouvé un diamant, il avertit aussitôt l’inspecteur en battant des mains. Il y a des récompenses, des primes établies en faveur des nègres qui les découvrent. Ces primes sont proportionnées à la grosseur du diamant. Pour un diamant de 17 karats et demi, un nègre obtient sa liberté. Malgré ces mesures, la contrebande a toujours lieu, et c’est par la contrebande que les plus beaux diamans arrivent dans le commerce.
Les anciens qui connaissaient le diamant (Pline décrit sa forme la plus ordinaire,) ne savaient pas le tailler, et n’employaient jamais que des diamants bruts, dont la surface est toujours plus ou moins terne. Ce ne fut qu’au 15e siècle que l’on imagina d’employer à la taille du diamant sa propre poussière; le premier diamant taillé par ce moyen fut acheté par Charles Le Temeraire, duc de Bourgogne, qui donna une récompense considérable à Louis de Berquin, inventeur du procédé.
Les diamans sont, comme on sait, en général d’un petit volume. Jeyffries, jouaillier anglais, a donné une règle pour en former le tarif: elle consiste à multiplier le carré du poids de la pierre qu’on veut estimer par le prix d’un karat de diamant. La karat vaut quatre grains. Lorsque les diamans sont d’une grosseur remarquable, leur prix augmente suivant une proportion beaucoup plus rapide.
Il existe quelques diamans connus, et qui doivent leur célébrité à leur volume.
Le diamant du grand Mogol, au tems de Tavernier, pesait deux cent soixante-dix-neuf karats et neuf seizièmes. Il était d’une belle eau, et taillée en rose. Son épaisseur était de treize lignes, et son diamètre de dix-huit. Tavernier le compare à un œuf qui aurait été coupé par le milieu. Il l’évalue à 11,700,000 fr.
Le plus beau diamant de l’empereur de Russie pèse cent quatre vingt quinze karats, ou une once deux gros cinquante deux grains. Il est de forme ovale aplatie et de la grosseur d’un œuf de pigeon. La personne qui l’a cédé a l’impératrice en 1772, a reçu en échange 2,250,000 fr. comptant, 100,000 fr. de pension viagère, et un titre de noblesse.
Le Régent, qui appartient à la couronne de France, pèse cent trente six karats trois quarts. Il est taillé en brillant, et n’a aucun défaut; aussi passe-t-il pour le plus beau diamant connu. Il a coûté 2,250,000 fr. à la couronne, et vaut beaucoup plus. Sa longueur est de quatorze lignes, sa largeur de treize, et son épaisseur de neuf un tiers. Il vient des mines de Partéal, à quarante cinq lieues au sud de Golconde. Il est aussi nommé le Pitt, du nom de celui auquel le Régent l’avait acheté.
Le diamant est le plus dur, le plus limpide, et le plus brillant des minéraux. Le diamant raye tous les corps et n’est rayé par aucun; mais il est en même temps très fragile; un léger choc suffit quelquefois pour le briser. L’éclat du diamant taillé est tellement caractéristique, qu’il est désigné par le nom d’éclat adamantin. Le diamant acquiert par le frottement une électricité qui est toujours vitrée; mais il la conserve peu de tems. Il devient phosphorescent lorsqu’on l’expose aux rayons du soleil.
Pline regardait le diamant comme inattaquable par la chaleur; selon lui, le feu ne parvenait pas même à l’échauffer.
Newton reconnut que le diamant devait être une substance inflammable, longtemps avant que ce fait ne fût constaté par des expériences. Il avait remarqué que les corps réfractaient d’autant plus fortement la lumière, qu’ils étaient plus combustibles, et que la grande puissance réfractive du diamant le plaçait à côté de l’huile de thérébentine et du succin.
La conjecture de Newton fut vérifiée par les académiciens de Florence, qui, ayant exposé des diamans au foyer d’une grande lentille, les virent diminuer peu à peu de volume et disparaître entièrement. Lavoisier, le premier, chercha à déterminer la nature chimique du diamant, eu le brûlant à vases clos, et recueillant le produit de la combustion, qu’il reconnut être de l’acide carbonique. Après lui, Smisthson, Guyton-Morveau, Allen et Pepis, et dans ces derniers temps H. Davy, ont prouvé que le diamant n’était que du carbone pur et cristallisé.
Une immense révolution semble menacer les destinées du diamant, et il serait possible que dans quelques années ces parures si estimées pussent même orner à peu de frais la fiancée de village. Les choses n’en sont pourtant pas encore arrivées à ce point que le commerce de diamans soit déjà menacé et inquiet.
Toutefois, MM. Cagnard de Latour et Gannal viennent de faire à ce sujet des expériences nouvelles. Les chimistes jusqu’ici n’étaient parvenus qu’à reconnaître la nature du diamant. MM. Cagnard de Latour et Gannal viennent de tenter de le fabriquer par des procédés chimiques.
Les petits cristaux obtenus par le procédé de M. Cagnard de Latour ont été soumis à l’examen d’une commission nommée par l’Académie des Sciences, et l’analyse a prouvé que ces petits cristaux, au lieu d’être des diamans, n’avaient au contraire pour base qu’une substance analogue aux cailloux, aux pierres à fusil.
Le procédé de M. Gannal diffère entièrement de celui de M. Cagnard de Latour; ce procédé de M. Gannal consiste à introduire sous l’eau du phosphore dans du carbure de soufre. Le soufre se combine au phosphore, et le carbone pur mis à nu se précipite, dit-on, sous la forme de poussière de diamant, dont plusieurs parcelles présentent des cristaux distincts. Cette expérience est fort longue à s’accomplir. M. Gannal a mis huit mois à obtenir les résultats qu’il annonce.
Une commission nommée par l’Académie des Sciences, et composée de MM. Vauquelin et Chevreul, doit aujourd’hui répéter cette expérience de M. Gannal à l’amphithéâtre du Jardin du Roi, et pour que les résultats soient évidents on doit opérer sur huit onces de carbure de soufre.
Nous nous empresserons de faire connaître avec précision les faits importans qui seront constatés par cette nouvelle épreuve dont dépendent les intérêts d’un commerce assez important et quelques fortunes particulières.
Il est néanmoins probable que, lors même qu’on arriverait à fabriquer des diamans, ces diamans artificiels n’auront jamais autant de dureté que les diamans naturels, parce que leurs molécules auront été trop brusquement rapprochées.
Lors même qu’on n’obtiendrait que de la poussière de diamant, ce serait cependant aussi une découverte d’une grande importance pour les arts et pour le commerce.
Le nom de fossiles est spécialement réservé par les naturalistes français aux corps organisés qu’on trouve enfouis dans les couches de la terre, depuis un temps dont l’ancienneté ne saurait être exactement déterminée. De toutes les espèces de fossiles qui proviennent de ces corps organisés, les coquilles ou autres productions marines sont les plus multipliées. Elles se divisent en anciennes et récentes. Les premières ne se trouvant que dans les couches calcaires qui reposent immédiatement sur les roches primitives, ne contiennent qu’un très petit nombre de coquilles qu’on y voit éparses ça et là, et qui sont ou des carnes d’ammon, ou des bélemnites, ou des griphites, ou des térébratules. Les individus de ces deux premiers genres ne se trouvent plus parmi les êtres vivants: ce sont des familles éteintes, et on n’en a jamais vu qu’un seul de la troisième, dans la mer des Indes. Quant aux térébratules, il en existe encore plusieurs espèces dans les mers d’Europe, ainsi que dans celles des tropiques. Parmi celles qu’on trouve en Europe, et particulièrement en France, la térébratule dorsale est la seule dont l’analogue vivant soit connu. Il habite le détroit de Magellan.
Il est établi par des preuves qu’on ne peut révoquer en doute, que divers genres de coquilles ont existé dans le temps où la mer couvrait les plus hautes montagnes du globe. Des coquilles ont été trouvées à la hauteur de plus de quatorze mille pieds perpendiculaires, au-dessus du niveau actuel de l’océan, dans le voisinage de la mine de Guama-Vélica, au Pérou. Les plus hautes sommités des Pyrénées en sont également couvertes, ainsi que le sommet de Diablerets, dans le voisinage de Bex en Suisse.
C’est dans les couches les plus récentes qu’on rencontre le plus grand nombre de coquilles dont les analogues existent encore. On a reconnu dans la montagne de Maëstricht quarante et une espèces qu’on pêche encore aujourd’hui dans les différentes mers. Vainement voudrait-on soutenir que cette montagne, entièrement composée d’un grès très friable, n’est pas un des derniers dépots de l’océan, des restes d’amphibies qu’on y déconvre, en fournissent la preuve la plus évidente.
Les dépots marins et les couches coquillières, plus ou moins abondantes, qu’on trouve dans les deux hémisphères, prouvent également que la surface entière du globe en a été couverte. M. de Bougainville a vu, dans le détroit de Magellan, un cap élevé de plus de cent cinquante pieds au-dessus de la mer, composé en entier de couches de coquilles fossiles.
Il est à remarquer que les coquilles fossiles, et particulièrement celles auxquelles on a donné le nom d’univalves, parce qu’elles ne sont composées que d’une seule pièce, se trouvent dans trois états différents, dans la même couche. Les unes sont vides; les autres remplies de la matière qui compose la couche où elles se trouvent; d’autres enfin sont converties en silex (ou pierres à fusil). On a observé que, dans les deux premières, l’animal était mort et décomposé, lorsque la couche qui a recouvert les coquilles a été formée, tandisque celles dont le noyau est siliceux ont été ensevelies sous le dépot terreux, l’animal vivant encore, ou du moins n’étant pas encore détruit. Il résulte de là que c’est à une opération chimique de la nature que cette substance animale doit sa conversion en silex, et non son remplacement en une matière quartzeuse, comme plusieurs personnes s’obstinent à le supposer.
Il n’en est pas ainsi de la coquille proprement dite, qui n’étant presque totalement composée que de matières terreuses, n’éprouve d’autre changement que celui qui vient de la décomposition; où, s’il arrive qu’elle soit convertie en spath calcaire, sa contexture est alors entièrement changée. Car au lieu d’être formée de grandes lames parallèles au corps de l’animal, comme on l’observe dans les coquilles qui se décomposent, la coquille proprement dite ne présente plus que de petites lames rhomboïdales, disposées d’une tout autre manière, et qui, loin d’être parallèles aux surfaces de la coquille, leur sont, au contraire presque perpendiculaires; de sorte que c’est l’épaisseur des coquilles qui détermine la grandeur des lames. Dans des oursins, tirés es craies de Champagne, la coque présente cette structure, et a pris environ une ligne d’épaisseur. L’intérieur est rempli d’une craie friable, comme celle qui l’enveloppe. La bélemnite est la plus disposée à recevoir cette modification.
Dans les plaines de la France où coulent aujourd’hui l’Oise, l’Aisne, la Vesle et la Marne, on trouve des couches qui contiennent des coquilles fluviatiles (ou d’eau douce), surmontées par d’autres couches où l’on voit des coquilles marines. Ce fait, embarassant au premier aspect, peut s’expliquer, en disant qu’un golfe de l’océan qui s’est comblé par les atterrissemens rapportés par ces rivières qui venaient s’y jetter, rivières alors incomparablement plus puissantes qu’elles ne le sont de nos jours, occupant jadis la place de ces plaines, il en est résulté que ces rivières, en se répandant dans les campagnes voisines, dans les marais et dans les tourbières, ont entrainé les végétaux, soit vivants, soit à demi décomposés, pêle-mêle avec les coquilles d’eau douce qui se trouvaient dans les marais et dans le lit des ruisseaux voisins, et transporté ces productions continentales jusqu’à leur embouchure dans le golfe, dont les eaux tranquilles ont permis à ces diverses matières de se déposer successivement, suivant leur degré de pesanteur, et de manière que les substances de la même nature formassent chacune des couches distinctes.
Le fait du dépot de ces couches fluviatiles éclairci, il est aussi naturel de les voir recouvertes par des couches marines, que de trouver, comme il arrive dans le voisinage de plusieurs volcans, des bancs alternativement composés de coulées de laves et de couches calcaires coquillières. Quant aux coquilles marines brisées, qu’on rencontre également dans quelques unes de ces couches, il est certain qu’elles sont d’une date très antérieure à celles qui se trouvent là dans leur pays natal. Ces coquilles, qui, selon toute apparence, ont été détachées d’anciennes coures des montagnes du continent, et transportées à la mer par les rivières, se trouvent souvent mêlées avec des ichtyolithes, ou poissons fossiles, des amphibiloïthes, ou restes d’amphibies devenus fossiles, des phytolithes, ou végétaux fossiles, des enthomolithes, ou insectes fossiles, des quadrupèdes vivipares fossiles, des ornitholithes, ou oiseaux fossiles, des œufs fossiles, des ossemens humains fossiles, et enfin, des restes de quadrupèdes fossiles.
Des révolutions terrestres ont fait éprouver à ces divers fossiles des déplacemens extraordinaires, c’est-à-dire que des animaux ayant été ainsi transportés d’un continent à l’autre, des ossemens fossiles d’animaux américains ont été trouvés en Europe. Plusieurs savans ont cherché à expliquer ces révolutions; mais, malgré toutes les hypothèses qu’ils ont faites à ce sujet, le résultat seul de ces déplacemens est demeuré certain.
(Merveilles du Monde.)
Monsieur Bibaud:—Comme je lis et relis souvent les mêmes morceaux de littérature qui me plaisent, et que votre intéressante Bibliothèque Canadienne me fournit, dans mes momens de loisir, des passages qui, suivant votre motto, ont le mérite de joindre l’utile à l’agréable, je lisais dernièrement, au moins pour la dixième fois, (cela vous prouvera, je pense, qu’on ne relègue point vos feuilles avec celles de la Sybille,) je lisais donc dans le Tome III, No. V, page 172 de votre B. C. au mois d’Octobre 1826, l’effet du mirage sur les rives du Cap d’Espoir, ou Cap Désespoir, comme disent avec vérité les habitans du lieu: ayant eu occasion de voir ces lieux par moi-même, comme on dit communément, je m’en voulais du mal de n’avoir pas eu l’œil assez perçant pour appercevoir ce joli matelot et l’intéressant soldat à guêtres aux boutons d’étaim, ni l’oreille assez fine pour entendre les concerts harmonieux de leur flûte aquatique; mais c’est ma faute, je l’avoue; mes facultés poétiques ne s’élevaient pas assez pour atteindre à ce nouvel ordre du genre merveilleux.
Il n’en est pas moins vrai cependant que le vaste horizon d’une mer calme, éclairé des rayons d’un soleil sans nuage, laquelle ressemble à un miroir onduleux et agité qui réfléchit tous les objets sous mille rapports différents; que ce rocher de la Vieille, si connu des marins de la Baie des Chaleurs, qui semble se cacher sous les eaux et en ressortir tout à coup, comme pour guetter et surprendre les vaisseaux qui passent dans son voisinage; que ce fameux rocher du Cap Percé, qui paraît avoir été arraché des montagnes voisines, et placé par la main des géans avec ses vastes portes, qui de loin ressemblent à celles d’une ville, pour servir de bornes à l’empire de Neptune; enfin cette chaine de montagnes si élevées, et qui paraissent avoir été coupées du haut en bas dans toute leur longueur, par quelque catastrophe inconnue de notre globe; que toutes ces choses, et mille autres encore non moins surprenantes, transportent l’âme enthousiasmée dans la vaste région des idées fantastiques; mais je veux vous parler aujourd’hui, Mr. Bibaud, si vous avez la patience de m’écouter, d’une autre merveille, qui n’en aura pas moins l’air d’une fable, et qui cependant peut avoir, non seulement son degré de probabilité, mais peut-être même de certioreté.
Je veux parler de cette voix surnaturelle qui se fait entendre depuis plus de vingt ans sur l’île St. Jean, aujourd’hui île du Prince Edouard; mais on me dira que cela n’apprètera qu’à rire à ceux qui ont tâté tant soit peu de l’étoffe du philosophe. Qu’il en soit ce qu’il pourra, je ne parlerai ici que des faits; et chacun pensera ce qu’il voudra sur les causes. Cette voix, qui est d’accord avec celle des chantres, mais très distincte de la leur, s’est fait entendre à différents intervalles dans l’église de la mission de Malpec, et quelquefois dans celle de la mission de Rasticot, aussi sur l’île St. Jean. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que tous ne l’entendent pas également; de trois personnes qui sont dans un banc, deux l’entendront; dans un autre, une seule personne; en sorte qu’il n’y a toujours que le tiers ou la moitié des assistans qui reconnaissent l’avoir distinctement entendue. Tantôt cette voix est plus claire et plus sonore que celle des chantres; tantôt elle est plus sourde et plus majestueuse: quelquefois, elle paraît sertir de dessous les planchers de l’église; d’autres fois, elle paraît se tenir dans la voute de la chapelle. Le défunt Evêque de Québec en parle dans son Itinéraire de ces missions; il paraît convaincu que les habitans du lieu l’entendent réellement; mais il déclare qu’il ne peut rien décider à son sujet. C’est encore une tradition, qu’il n’y a que les Acadiens d’origine qui soient dans le cas de l’entendre: aucun missionnaire du lieu, ni même aucun prêtre qui avait entrepris le voyage exprès, ne l’avaient entendue; mais on rapporte que depuis un respectable missionnaire de cette île a eu plusieurs fois cet avantage. Moi, qui jusqu’à présent n’ai point été accusé de croire mal-à-propos aux choses surnaturelles, sans connaissance de cause, j’aurais peut-être pu attribuer cette voix à quelque ventriloque; mais je n’en suis plus, quand je sais que tous n’entendent pas également la voix; ce qui est, je crois, au-dessus de la capacité physique d’un ventriloque. Je conclurai donc: que cette voix se fasse entendre, je le crois; j’ai connu des personnes très respectables et de bonne éducation, lesquelles n’étaient point sujettes aux rêveries, qui m’ont assuré l’avoir entendue, sans même s’en douter, n’étant dans le lieu qu’en passant, et ne l’ayant su que parce qu’on leur avait demandé, à l’issue de la messe, s’ils l’avaient entendue. Mais cette voix est-elle vraiment surnaturelle? Encore une fois, c’est là la question. La chose vaudrait-elle la peine qu’on fît là-dessus une enquête juridique, d’après le témoignage des anciens du lieu? Mais enfin, dira-t-on, cui bono?
Votre,
&c. J. M. B.
Dans une maison de campagne appellée le Genetay, située près de Rouen, et dans une grande cour plus large que longue, terminée, dans le fond, par la face du château, et environnée, de tous les autres côtés, de murs en forme de demi-cercle, se trouve un écho extraordinaire. La personne qui chante, au lieu d’entendre la répétition de l’écho, n’entend que sa voix, tandis que celles qui écoutent n’entendent que la répétition de l’écho, mais avec des variations surprenantes. Tantôt l’écho semble s’approcher d’elles, et tantôt s’en éloigner. La voix s’entend très distinctement, ou elle parvient à peine à l’oreille. L’un n’entend qu’une voix, l’autre en entend plusieurs. Pour les uns l’écho est à droite, et pour les autres à gauche. Enfin, la manière dont la voix et l’écho se font entendre, dépend des différentes places que la personne qui chante et celles qui écoutent occupent dans la cour.
Il paraît certain que la véritable cause de ce phénomène se trouve dans la figure du lieu où cet écho se fait entendre. On assure même que c’est une invention qui fut jadis apportée d’Italie en France par M. de Tilly, président au bureau des finances de Rouen. (Merveilles du Monde.)
Dans l’automne de l’année 1782, un chirurgien de Calais nommé Louis Thevenet reçut l’invitation écrite, mais sans signature, de se rendre le lendemain dans une maison de campagne, située sur la route de Bairs, et d’apporter avec lui tous les instrumens nécessaires pour une amputation. Thévenet était alors fort connu comme un opérateur fort distingué, et il n’était même pas rare qu’on le fit appeler au-delà du détroit pour faire usage de ses talents. Il avait longtemps servi dans les armées, et avait conservé quelque rudesse dans ses manières, mais quand on le connaissait, on ne tardait pas à l’aimer à cause de sa bonté naturelle.
Thévenet s’étonna de ce billet anonyme; le temps, l’heure et le lieu y étaient indiqués avec la plus grande exactitude, mais comme je l’ai dit, il ne se trouvait pas de signature. Il craignit que quelque plaisant ne voulût se jouer de lui, et il ne se rendit pas au lieu indiqué.
Trois jours après, il reçut une semblable invitation, mais plus pressante que la première, et dans laquelle on lui annonçait que le lendemain à 9 heures, une voiture viendrait le prendre pour le transporter au lieu où il était attendu.
En effet, le lendemain, au dernier coup de neuf heures, une élégante calèche se présenta devant sa porte. Thévenet n’hésita plus, et prit place dans la voiture.
En montant il demanda au cocher: Chez qui me conduisez vous?
Celui-ci répondit: Things unknown to me, I am not concerned for. (Ce qui ne me regarde pas, ne m’inquiète guère. Proverbe anglais.)
— Ainsi, c’est un Anglais, se dit Thévenet, et il se laissa conduire.
La voiture s’arrêta enfin devant la porte indiquée.—Qui demeure dans cette maison? Quel est le malade que je vois visiter? demanda de nouveau Thévenet, en descendant. Le cocher lui répéta la réponse qu’il lui avait déjà faite, et le chirurgien impatient se hâta d’entrer dans la maison.
Il fut reçu à l’entrée du vestibule par un jeune homme d’environ vingt-huit ans, d’une belle figure, qui le conduisit à l’étage supérieur, dans un vaste sallon. Son accent indiquait un habitant de l’Angleterre. Thévenet lui parla la langue de son pays, et ils eurent ensemble cette conversation.
“Vous m’avez fait appeler,” dit le chirurgien.
— Je vous suis fort obligé de la peine que vous avez prise en vous rendant ici, reprit le Breton. Veuillez vous mettre à cette table; vous y trouverez du chocolat, du café ou du vin, à votre gré, dans le cas où vous voudriez prendre quelque chose avant que de commencer l’opération.
— Montrez-moi d’abord le malade. Je dois examiner avant tout, si l’opération est nécessaire.
— Elle est nécessaire, M. Thévenet. Assayez-vous ici, j’ai toute confiance en vous, écoutez-moi seulement. Voici une bourse de cent guinées, je vous la destine comme paiement de l’opération que vous allez entreprendre, qu’elle ait ou non un heureux résultat. Dans le cas où vous refuseriez de vous rendre à mes désirs, vous voyez ce pistolet chargé, vous êtes en mon pouvoir, Dieu me damne si je ne tire sur vous!
— Sir, je ne crains nullement votre pistolet; mais qu’exigez-vous de moi? parlez sans préambule. Que dois-je faire ici?
— Il faut que vous me coupiez la jambe droite.
— De tout mon cœur et la tête aussi, s’il le faut. Seulement, si je ne me trompe votre jambe est saine; je vous ai vu descendre les marches avec toute là légèreté imaginable. Que manque-t-il à cette jambe?
— Rien. Je désire qu’elle me manque.
— Sir, vous êtes un fou!
— Cela ne vous regarde pas, M. Thévenet.
— Quel mal a donc fait cette belle jambe?
— Aucun. Mais êtes-vous décidé à me la couper?
— Sir, je ne vous connais point. Donnez-moi la preuve que votre raison est bien saine.
— Voulez-vous vous rendre à ma demande, M. Thévenet?
— Dès que vous me donnerez un motif vraisemblable pour accomplir cette mutilation.
— Aujourd’hui, je ne saurais vous dire la vérité; dans un an peut-être. Mais je parie, Monsieur, je parie qu’alors vous conviendrez que le motif que j’avais de me débarasser de cette jambe, était de la nature la plus noble.
— Je ne ferai rien, si vous ne me faites connaître votre nom, votre demeure habituelle, votre rang et votre famille.
— Vous apprendrez tout cela un jour, mais rien maintenant. Je vous prie de grâce, de me tenir pour un homme d’honneur.
— Un homme d’honneur ne menace pas son chirurgien, le pistolet à la main. J’ai des devoirs à remplir, même envers vous qui m’êtes inconnu; je ne vous refuse pas sans raison. Etes-vous jaloux de devenir le meurtrier d’un père de famille innocent; tirez donc!
— Bien, M. Thévenet, dit l’Anglais en prenant le pistolet. Je ne tirerai pas, mais je saurai vous forcer à me couper cette jambe. Ce que vous ne ferez pas par complaisance pour moi, par amour du gain, ou par crainte d’une balle, vous le ferez du moins par humanité.
— Et comment cela, Monsieur?
— Je vais me briser la jambe avec cette arme, et sous vos yeux même. L’Anglais s’assit, prit le pistolet, et appuya l’embouchure sur son genou. Thévenet s’élança vers lui pour l’arrêter.—N’approchez pas, dit tranquillement l’Anglais, sinon je tire. Répondez-moi seulement à cette question: Voulez-vous augmenter ou prolonger inutilement ma souffrance?
— Sir, vous êtes un fou. Que votre volonté se fasse; je suis prêt à vous obéir.
Tout fut bientôt prêt pour l’opération. Dès que le chirurgien prit ses instrumens, l’Anglais alluma sa pipe, et jura qu’il fumerait jusqu’au bout. Il tint parole. La jambe reposait déjà sur le parquet, privée de mouvement, que le Breton fumait encore.
Thévenet fit son opération en maître. En peu de tems, grâce à ses soins, le malade fut rétabli. Il récompensa son chirurgien, qu’il estimait chaque jour d’avantage, le remercia, les larmes aux yeux, de la perte de sa jambe, et fît voile pour l’Angleterre avec une jambe de bois.
Environ deux mois après le départ de l’Anglais, le chirurgien reçut d’Angleterre la lettre suivante:
Vous recevrez dans cette lettre un témoignage de ma reconnaissance infinie, une lettre de change de deux cent cinquante guinées, sur mon banquier de Paris. Vous m’avez rendu le plus heureux des mortels, en m’enlevant un membre qui était un obstacle à mon bonheur.
Apprenez donc maintenant les causes de ce que vous nommiez ma folie. Vous prétendiez alors qu’il ne pouvait exister aucun motif raisonnable d’une mutilation semblable à la mienne. Je vous proposai une gageure, et je pense que vous avez bien fait de ne pas l’accepter.
Après mon second retour des Indes Occidentales, je fis la connaissance d’Emilie Harley, la plus accomplie de toutes les femmes. Je recherchai sa main; sa fortune, sa famille, convenaient à mes parents; moi, je ne songeai qu’à sa bonté céleste. Ah! mon cher Thévenet, je fus bientôt assez heureux pour lui plaire; elle ne me le cacha pas, mais elle refusa obstinément de se rendre à mes vœux. En vain la suppliai-je d’accepter ma main, en vain ses parents, ses amies se joignirent-ils à moi; elle demeura inébranlable.
Longtemps je ne pus découvrir la cause de son éloignement pour une union, qui, elle l’avouait elle-même, eût fait son bonheur. Enfin, une de ses sœurs me découvrit ce fatal secret. Miss Harley était une merveille de beauté, mais elle avait le malheur de n’avoir qu’une jambe; et elle s’était condamnée à un célibat éternel.
Ma résolution fut aussitôt prise. Je voulus être semblable à elle. Grâce à vous, mon cher Thévenet, je le devins.
Je revins avec une jambe de bois à Londres. Mon premier soin fut de m’informer de Miss Harley; on avait répandu le bruit, et moi-même j’avais écrit en Angleterre, que je m’étais brisé la jambe en tombant de cheval, et qu’il avait fallu me faire l’amputation. On me plaignit généralement. Emilie tomba sans connaissance, la première fois qu’elle me revit. Elle fut longtems inconsolable, mais enfin, elle consentit à m’épouser. Ce ne fut que le lendemain de notre mariage, que je lui avouai par quel sacrifice j’étais parvenu à la posséder. Elle ne m’aima qu’avec plus d’ardeur. O mon brave Thévenet, si j’avais dix jambes à perdre, je les donnerais sans sourciller pour Emilie!
Tant que je vivrai, comptez sur ma reconnaissance. Venez à Londres, restez quelque tems avec nous, apprenez à connaître ma charmante Emilie, et puis osez encore me dire que je suis un fou!
Chs. Temple.
Le chirurgien communiqua cette lettre et cette aventure à ses amis, et il riait à gorge déployée, abaque fois qu’il la racontait.
— Et ce n’est pas moins un fou, ajoutait-il toujours.
Il répondit en ces termes, à la lettre de son ami d’Angleterre:
Sir, je tous remercie de votre généreux présent. Je dois nommer ainsi ce que vous m’avez envoyé; car j’étais déjà payé magnifiquement de ce que vous appeliez ma peine.
Je vous souhaite beaucoup de bonheur dans votre union, ainsi qu’à votre charmante épouse. Il est vrai que donner une jambe pour une femme belle, tendre et vertueuse, ce n’est pas trop, si le bonheur dure. Adam a payé d’une de ses côtes la possession de son épouse: et il est plus d’un homme à qui la possession de sa maîtresse a couté la tête.
Malgré tout cela, permettez-moi de m’en tenir à mon ancienne opinion. Sans doute, pour l’instant vous avez raison: car vous êtes en ce moment dans la lune de miel. Mais je n’ai pas moins raison de mon côté, avec cette différence que mon droit se fera sentir à la longue, comme toutes les vérités qu’on se refuse à reconnaître.
Faites attention à ceci, Monsieur! Je crains que dans deux ans, vous ne vous repentiez de vous être fait couper la jambe au-dessus de l’articulation. Vous trouverez que vous auriez pu la faire couper plus bas. Dans trois ans vous serez persuadé que c’est assez de faire le sacrifice d’un pied; après quatre ans, vous penserez que le gros orteil eût suffi; après cinq, vous vous en tiendrez au petit doigt, et enfin, vous en viendrez à trouver que de perdre un seul ongle, sans nécessité, est une folie insigne.
Tout ceci soit dit au reste, sans porter atteinte au mérite de votre séduisante moitié. Dans ma jeunesse j’aurais donné chaque jour ma vie pour ma maîtresse, mais jamais ma jambe; car j’aurais craint de m’en repentir le reste de mes jours. En effet, si je l’avais fait, je me dirais à chaque instant: Thévenet, tu es un fou!
J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très-obéissant serviteur,
L. Thevenet.
En l’année 1793, durant l’époque de la terreur, le chirurgien de Calais, accusé de sentiments aristocratiques, par un de ses jeunes confrères, qui enviait sa clientelle, se sauva à Londres, pour préserver son cou de la guillotine.
Il était désœuvré, sans connaissances; il s’informa de Sir Charles Temple.
On lui indiqua son hôtel; il se fit annoncer, et fut admis aussitôt. Dans un grand fauteuil, auprès d’un flacon de vin de Porto, se trouvait un gros personnage, placé devant la cheminée. Son obésité était telle, qu’il put à peine se soulever.
“Eh! soyez le bienvenu, Monsieur Thévenet! s’écria le gros Anglais, qui n’était nul autre que Sir Charles Temple. Ne vous formalisez pas que je vous reçoive assis, mais ma maudite jambe ne veut rien faire. Ami, vous venez voir sans doute si à la longue vous avez eu raison?”
— Je viens en fugitif, et je cherche un asile parmi vous.
— Vous resterez avec nous, car en vérité, vous êtes un homme sage. Vous me consolerez; savez-vous, Thévenet, que je serais peut-être amiral du pavillon bleu, si cette abominable jambe de bois ne m’avait rendu inutile à mon pays. Je passe ma vie à lire les gazettes, et à jurer de ce que je ne suis nulle part, lorsqu’on agit partout. Restez ici, vous me consolerez.
— Votre charmante épouse vous consolera sans doute mieux que moi.
— Oh! pour cela, non. Sa jambe de bois l’empêchait de courir et de danser, elle s’est adonnée aux cartes et à la médisance. Il n’y a pas moyen de vivre avec elle; au reste, c’est une brave femme?
— Quoi, j’avais donc raison?
— Oh! mille fois, mon cher Thévenet; mais silence là-dessus, j’ai fait une sottise. Si j’avais encore ma jambe, je n’en donnerais pas la rognure d’un ongle! Entre nous, j’étais un fou! Mais gardez cette vérité pour vous.
M. Bertrand m’engage souvent à aller diner chez lui, et je n’y vais jamais, car je me défie un peu de ces offres qui ne vous sont faites que dans la rue, ou lorsqu’on se rencontre chez un tiers. Et puis, M. Bertrand a dans toute sa personne un laissez-aller qui n’engage pas à partager son diner; toujours mal-propre, quoique portant d’assez belles choses; ayant un jabot couvert de tabac, un habit taché, avec un pantalon neuf, un gilet sale avec une cravate blanche, le désordre que je remarque dans la tenue de M. Bertrand, me semble d’un mauvais augure pour son ménage, et en général, j’ai remarqué que l’on dine mal chez les gens qui n’ont pas soin d’eux.
Je ne connaissais pas la famille de M. Bertrand, mais une affaire me forçant dernièrement à lui parler; je me rendis chez lui. Il était midi, je pensais que je le trouverais et qu’il aurait déjeuné.
Je pars. Il loge dans un beau quartier, au second étage; il doit avoir un bel appartement. Je monte, je sonne, j’attends un peu, on ouvre enfin; c’est une petite fille de cinq à six ans, qui tient une tartine de pain et de raisiné à la main, qui m’ouvre dans me regarder, puis va courir après un petit garçon de sept à huit ans, qui fouillé dans un buffet où il paraît puiser en toute liberté.
Je regarde un moment autour de moi; n’apercevant personne autre, et ne sachant de quel côte me diriger, je me décide à m’adresser aux enfans, qui ne m’écoutent pas.
“Mademoiselle: M. Bertrand, s’il vous plaît?
“Ah! Coco, donne-moi du fromage, j’en veux.—Tiens cette gourmande; n’as-tu pas du raisiné?—C’est égal, je veux du fromage, ou je dirai à maman que tu as pris du pâté qu’on gardait pour diner.—Je m’en moque bien!”
J’étais toujours là, écoutant le dialogue des enfants; lorsqu’une dame paraît enfin, à demi-habillée, en bonnet de nuit, en camisolle, tenant un corset d’une main, et un lac de l’autre. Elle jette un cri en m’apercevant, “Ah! mon Dieu, c’est quelqu’un, et ces enfants n’avertissent pas. Pardon, monsieur, je croyais que c’était le porteur d’eau. Julie!...comme je suis faite, Julie, ma robe.—Madame, c’est à M. Bertrand que je désire parler.—Oui, monsieur, vous allez le voir. Julie! mais où est donc la bonne?—Maman, elle n’est pas encore revenue du marché.—Ah! mon Dieu, deux heures pour acheter un poulet! c’est une chose affreuse, et je n’ai personne pour m’habiller! C’est égal, monsieur, donnez-vous la peine d’entrer par ici—vous allez trouver M. Bertrand.”
Je passe dans une autre pièce, enjambant par-dessus les tabourets, les plumeaux, &c., car l’appartement n’est pas encore fait. Je trouve enfin M. Bertrand, en robe de chambre, au milieu qui s’amuse à repasser ses rasoirs.
“Eh! c’est vous, mon cher ami, me dit-il, en venant à moi, le rasoir à la main; mais c’est charmant de venir nous surprendre ainsi. Vous déjeunerez avec nous.—Comment, vous n’avez pas encore déjeuné à midi!—Oh nous n’avons pas d’heure, nous autres, et puis, on a des jours où l’on se lève tard.—J’ai déjeuné, et je voulais seulement vous demander un renseignement.—Je suis à vous, permettez que je me rase.—Faites, je vous en prie.—Madame Bertrand, voilà deux heures que je demande de l’eau chaude pour ma barbe.—Eh! monsieur, Julie a dû en mettre au feu. Adèle, allez voir s’il y a de l’eau chaude pour votre papa.—Ah! oui, maman, il y eu avait, mais mon frère a renversé la cafetière avec son polichinelle. Allons, c’est égal, je ne ferai ma barbe que demain. Ma femme, fais servir le déjeuner.—Ah! vous êtes bien pressé aujourd’hui! Il n’y a encore rien de prêt; Julie n’est pas revenue du marché.”
Si vous vouliez toujours me donner la note que je vous demande, dis-je à M. Bertrand, qui s’était remis à repayer ses rasoirs, quoiqu’il ne dût plus se faire la barbe; c’est au sujet de cette maison à vendre dont vous m’avez parlé—Ah! oui j’ai votre affaire. Attendez, le papier doit être-là.
M. Bertrand cherche, furette dans divers cartons et ne trouve rien. “Ma femme, n’as-tu pas vu un papier plié en quartre, je crois l’avoir laissé avant-hier sur la cheminée.—Un papier, attendez donc, oui, je m’en suis servie pour allumer mon feu; est-ce que c’était précieux?—Eh! sans doute, madame; que diable, on brûle tout ici!—C’est votre faute, monsieur, il fallait me prévenir.”
“Allons, dis-je à M. Bertrand, puisque mon renseignement est brûlé, je ne veux pas vous déranger davantage.—Restez donc à déjeuner; on va faire bouillir le lait, je vais moudre du café, ce sera bientôt fait.—Bien obligé, ce sera, pour une autre fois.—Quand vous voudrez; nous dinons toujours à cinq heures précises, car j’aime qu’on soit ponctuel, mais vous savez le chemin, venez, nous causerons d’affaires; j’en ai de superbes en train?”
Après avoir cherché mon chemin à travers les chaises, les joujoux et les balais, je souhaite le bonjour à M. Bertrand.
On commence au village des Mahas, à 300 lieues de l’embouchure du Missouri, à trouver un fruit que lés voyageurs ont nommé graisse de bœuf, soit par dérision, soit par la reconnaissance de ceux qui l’ont découvert, et auxquels il a peut-être servi de ressource dans la famine. Il a la grosseur, la couleur et presque la forme d’une gadelle: il n’en diffère que par quelques taches grises sur la peau, qui s’en détachent facilement. C’est un acide qui, dans sa parfaite naturité, perd assez de son aigreur, pour devenir très agréable au goût. Il ne croît pas par grappes; mais chaque grain, presque collé l’un contre l’autre, est attaché à l’écorce du tronc, des branches, et des épines mêmes. Comme tous ces grains se touchent, que les feuilles sont rares et très petites, on ne voit que le fruit seul; ce qui représente un arbrisseau et des rameaux d’un beau rouge. L’arbre est touffu, et ses branches, entrelacées et épineuses, commencent presque au pied. Il a depuis trois jusqu’à sept et huit pieds de hauteur. Le bois est fort roide, et les sauvages en font leurs meilleures flèches. Il croit toujours auprès de l’eau, et cependant j’ai observé que ceux dont le pied avait été longtemps baigné ne rapportaient point de fruit. Les deux rives du Missouri en sont bordées, depuis la Rivière qui court jusqu’aux villages des Mandanes.
La raquette a toute la forme et la couleur d’un aloès. C’est une racine qui ne montre ni tige ni feuilles. Des espèces de gâteaux de couleur verte, de deux ou trois pouces de large, et de cinq à six lignes d’épaisseur, de figure presque ovale, sortent de terre, et forment un cercle rampant de deux ou trois pieds de circonférence. Cette plante, garnie d’épines fortes et aigües, est dangereuse, ou au moins très incommode dans les grandes prairies, où elle est si commune que les hommes et les chiens en sont souvent piqués. Les voyageurs sont obligés de doubler leurs souliers d’une forte peau crue. Le fruit, que l’on appelle pomme de raquette, de la grosseur d’une olive, ovale et d’un rouge pâle, est toujours placé entre deux épines, et forme une très jolie bordure tout autour de la raquette. C’est un acide de fort bon goût, et qui, comme la graisse de bœuf, ferait des gelées délicieuses.
La nécessité a fait découvrir aux sauvages ambulants beaucoup de racines nourrissantes, qui les préservent souvent de la mort, dans les fréquentes famines auxquels ils sont exposés. Ils en connaissent quantité que je n’ai pas eu occasion de voir, et dont ils parlent comme d’une grande ressource dans la disette. Mais la pomme de prairie, qui est la plus commune, n’est pas réservée pour ces occasions seulement: on en fait grand usage dans l’abondance même. Cette racine, ordinairement de la grosseur d’un œuf, a toute la forme d’un navet. Elle est couverte d’une peau noire, dure et fort épaisse, mais qui se détache facilement, et que l’on enlève toujours, soit qu’on la mange crue ou bouillie. Les femmes la coupent par morceaux qu’elles font sécher au soleil, qu’elles broient ensuite, et réduisent en une farine avec laquelle elles font une bouillie sucrée, nourrissante et de bon goût. Toutes les tribus errantes laissent avec peine les cantons où elles se trouvent en abondance, et ce n’est qu’après en avoir séché de grandes provisions.
N.B. L’auteur parle, à l’article des animaux, d’une autre racine remarquable, et infiniment précieuse, sous un autre rapport: c’est celle à laquelle les voyageurs canadiens ont donné le nom de bois-blanc de prairie. Cette racine mâchée et appliquée sur la blessure, est un remède prompt et efficace contre la morsure du serpent à sonnettes, contre la piqûre extrêmement venimeuse d’une grosse araignée noire commune dans ces quartiers, et même, au dire des sauvages, contre la morsure d’un chien ou autre animal enragé.
Ayant oublié de placer, en leur lieu, dans l’Histoire du Canada, les anecdotes suivantes, que le P. de Charlevoix n’a pas consignées dans son Histoire de la Nouvelle France, mais qui se trouvent dans son Journal d’un Voyage fait dans l’Amérique Septentrionale, nous réparons, autant qu’il est en nous, cette omission, en les mettant ici sous les yeux de nos lecteurs.
En 1690, ces barbares (les Iroquois) ayant su que madame de Verchères était presque seule dans son fort, s’en approchèrent, sans être apperçus, et se mirent en devoir d’escalader la palissade. Quelques coups de fusil, qu’on tira fort à propos, au premier bruit qu’ils firent, les écartèrent, mais ils revinrent bientôt: ils furent encore repoussés, et ce qui leur causait plus d’étonnement, c’est qu’ils ne voyaient qu’une femme, et qu’ils la voyaient partout. C’était madame de Verchères, qui faisait paraître une contenance aussi assurée que si elle eût eu une nombreuse garnison. L’espérance que les assiégeans avaient conçue d’abord d’avoir bon marché d’une place qu’ils savaient être dégarnie d’hommes, les fit retourner plusieurs fois à la charge; mais la dame les écarta toujours, avec une bravoure et une présence d’esprit qui auraient fait honneur à un vieux guerrier, et elle contraignit enfin l’ennemi à se retirer, de peur d’être coupé, bien honteux d’être obligé de fuir devant une femme.
Deux ans après, un autre parti de la même nation, beaucoup plus nombreux que le premier, parut à la vue du même fort, tandis que tous les habitans étaient dehors, et la plupart occupés dans la campagne. Les Iroquois les trouvant ainsi dispersés et sans défiance, les saisirent tous lès uns après les autres, et marchèrent ensuite vers le fort. La fille du seigneur (mademoiselle de Verchères,) âgée de quatorze ans au plus, en était à deux cents pas. Au premier cri qu’elle entendit, elle courut pour y rentrer. Les sauvages la poursuivirent, et l’un d’eux la joignit dans le temps qu’elle mettait le pied sur la porte; mais l’ayant saisie par un mouchoir qu’elle avait au cou, elle le détacha, et ferma la porte sur elle. Il ne se trouva dans le fort qu’un jeune soldat, et une troupe de femmes, qui, à la vue le leurs maris, qu’on garottait, et qu’on emmenait prisonniers, jetaient des cris lamentables. La jeune demoiselle ne perdit ni le jugement ni le cœur; elle commença par ôter sa coëffure; elle noua ses cheveux, prit un chapeau et un juste-au-corps, enferma sous la clef toutes ces femmes, dont les gémissemens et les pleurs ne pouvaient qu’inspirer du courage a l’ennemi, puis elle tira un coup de canon et quelques coups de fusil, et se montrant avec son soldat, tantôt dans une redoute et tantôt dans une autre, et changeant de temps en temps d’habit, et tirant toujours fort à propos, dès qu’elle voyait les Iroquois s’approcher de la palissade, ces sauvages se persuadèrent qu’il y avait beaucoup de monde dans le fort; et lorsque le chevalier de Crisasi, averti par le coup de canon, parut pour secourir la place, l’ennemi avait déjà levé le camp.
J’ai déjà dit qu’on ne compte guère à Québec que sept mille âmes; mais on y trouve un petit monde choisi, où il ne manque rien de ce qui peut former une société agréable. Un gouverneur général avec un état-major, de la noblesse, des officiers et des troupes: un intendant avec un conseil supérieur, et les juridictions subalternes: un commissaire de marine, un grand-provôt, un grand-voyer, et un grand-maître des eaux et forêts, dont la juridiction est assurément la plus étendue de l’univers: des marchands aisés, ou qui vivent comme s’ils l’étaient; un évêque et un séminaire nombreux; des récollets et des jésuites; trois communautés de filles bien composées; des cercles aussi brillants qu’il y en ait ailleurs, chez la gouvernante et chez l’intendante. Voila, ce me semble, pour toutes sortes de personnes, de quoi passer le temps fort agréablement.
Aussi fait-on, et chacun y contribue de son mieux. On joue, on fait des parties de promenade, l’été en calèche ou en canot, l’hiver en traîne sur la neige, ou en patins sur la glace. On chasse beaucoup; quantité de gentilshommes n’ont guère que cette ressource pour vivre à leur aise. Les nouvelles courantes se réduisent à bien peu de choses, parce que le pays n’en fournit presque point, et que celles de l’Europe arrivent toutes à la fois, mais elles occupent une bonne partie de l’année: on politique sur le passé, on conjecture sur l’avenir: les sciences et les beaux arts ont leur tour, et la conversation ne tombe point. Les Canadiens, c’est-à-dire les créoles du Canada, respirent en naissant un air de liberté qui les rend fort agréables dans le commerce de la vie, et nulle part ailleurs on ne parle plus purement notre langue. On ne remarque même ici aucun accent.
On ne voit point en ce pays de personnes riches, et c’est bien dommage, car on y aime à se faire honneur de son bien, et personne ne s’amuse à thésauriser. On fait bonne chère, si avec cela on peut avoir de quoi se bien mettre; sinon, on se retranche sur la table, pour être bien vêtu. Aussi faut-il avouer que les ajustemens font bien à nos créoles. Tout est ici de belle taille et le plus beau sang du monde dans les deux sexes; l’esprit enjoué, les manières douces et polies sont communs à tous, et la rusticité, soit dans le langage, soit dans les façons, n’est pas même connue dans les campagnes les plus écartées. (Charlevoix, Journal d’un Voyage dans l’Amérique Septentrionale.)
Deux joueurs, l’un bossu, l’autre à la jambe torse,
S’escrimaient ensemble au trictrac,
Jouaient loyalement, tous deux d’égale force.
D’abord le bossu gagne, et gagne gros; mais crac,
La chance tourne, et sa déroute est prompte.
Arrive alors certain vicomte,
Lui demandant par forme de propos,
Comment va la fortune? est-elle toujours vôtre?
Elle m’a, répond-il, en plein tourné le dos;
Et moi la jambe, ajoute l’autre.
Amans rivaux d’une perfide amante,
Deux cavaliers, pour finir leur débat,
Tenaient déjà, d’une main menaçante,
Le pistolet, instrument du combat:
Ca, dit l’un d’eux, moins sûr de la victoire,
Parlementons, si vous voulez m’en croire:
—Par le menton? Soit, lui dit son rival;
Et subito, lâchant le coup fatal,
Au pauvre diable il cassa la mâchoire.
Chloé, belle et poëte, a deux petits travers;
Elle fait son visage, et ne fait pas ses vers.
Printer errors have been corrected. Where multiple spellings occur, majority use has been employed.
Mis-spelled words and punctuation have been maintained except where obvious printer errors occur.
[The end of La Bibliothèque canadienne, Tome VIII, Numero 1, Decembre 1828. edited by Michel Bibaud]