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Title: La Bibliothèque canadienne, Tome VIII, Numero 6, Mai 1829.

Date of first publication: 1829

Author: Michel Bibaud (1782-1857) (editor)

Date first posted: Dec. 20, 2021

Date last updated: Dec. 20, 2021

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La Bibliothèque Canadienne


Tome VIII. MAI 1829. Numero VI.

HISTOIRE DU CANADA.

(Continuation.)

Vers la mi-septembre, étant de retour à Montréal, M. de Ramsay fut informé par un Iroquois nouvellement arrivé du camp des ennemis, que deux mille cinq cents hommes étaient en marche pour aller bâtir un nouveau fort à l’extrémité du lac du St. Sacrement, et qu’il s’en était détaché six cents pour s’emparer d’un poste sur le lac Champlain, d’où ils pourraient venir en deux jours à Chambly. Il fit aussitôt partir ce même sauvage pour Québec, où M. de Vaudreuil était retourné, et ce général, qui ne voyait plus aucun lieu de craindre d’être assiégé dans sa capitale, s’embarqua sur le champ pour Montréal, et y assembla un corps considérable de troupes et de milices, avec lequel il alla se poster à Chambly, où il demeura quelque temps sans entendre parler des Anglais. Il fit ensuite deux détachemens de cinquante hommes chacun, sous les ordres de Montigny et de St. Ours, pour les aller observer. Quelque temps après on eut nouvelle qu’ils avaient brulé leurs canots et leurs forts, et qu’ils s’étaient retirés en maudissant Vesch, l’auteur de l’expédition.

Le bruit courut d’abord que les Anglais avaient craint d’avoir sur les bras M. de Vaudreuil avec toutes les forces de la colonie; et ce ne fut que quelque temps après qu’on fut informé de la véritable cause de leur retraite précipitée. On a vu plus haut que quatre des cantons iroquois s’étaient déclarés en faveur des Anglais; mais il ne prétendaient nullement les aider à chasser les Français du Canada. Dans un grand conseil, qui fut tenu dans le temps, à Onnontagué, un des anciens se leva et dit: “Ne vous souvenez-vous pas que nous trouvons placés entre deux nations puissantes, capables de nous exterminer, et intéressées à le faire, quand elles n’auront plus besoin de notre secours? Nous devons donc faire en sorte de les mettre toujours dans l’obligation de nous ménager, et par conséquent emempêcher que l’une ne prévale sur l’autre.”

En effet, les Iroquois n’eurent pas plutôt joint l’armée anglaise que la croyant assez forte avec eux pour prendre Montréal, ils ne pensèrent plus qu’aux moyens de la détruire, ou du moins de la mettre hors d’état de rien entreprendre, et ils s’y prirent de la manière suivante: l’armée était campée sur les bords d’une petite rivière; les Iroquois, qui passaient presque tout le temps à la chasse, s’avisèrent d’y jetter toutes les peaux des bêtes qu’ils écorchaient, un peu au-dessus du camp, et bientôt l’eau en fut infectée. Les Anglais, qui ne se défiaient point de cette perfidie, continuèrent à boire de cette eau, et elle en fit mourir un si grand nombre, qu’ils se virent obligés de quitter un lieu si funeste, où ils comprirent qu’ils ne pouvaient éviter d’être entièrement défaits, si l’on s’avisait de les y venir attaquer.

C’est ainsi que Charlevoix raconte la chose. Un autre historien dit qu’il est possible que l’eau ait été infectée; mais que les Iroquois peuvent bien aussi n’avoir pas eu l’intention qu’on leur suppose. “Les historiens, ajoute-t-il, sont aussi peu scrupuleux à prêter des intentions qu’à établir des conjectures.” Quoiqu’il en soit, les Anglais se retirèrent, et l’on apprit bientôt que les vaisseaux destinés à faire le siège de Québec, avaient été envoyés à Lisbonne.

Pendant l’hiver, les Onnontagués envoyèrent des députés à M. de Vaudreuil, pour le prier de les recevoir en ses bonnes grâces. L’état des affaires de la colonie ne permettait pas au gouverneur de rejetter les excuses d’un tel suppliant, au risque de s’en faire un ennemi irréconciliable. D’ailleurs la nation iroquoise avait toujours désapprouvé la guerre que se faisaient les Français et les Anglais, et dans une seconde audience que ses députés curent du général, après que celui qui portait la parole eut témoigné son chagrin de ce que deux peuples qu’il estimait, disait-il, étaient presque toujours occupés à s’entre-détruire, il ajouta, avec la franchise particulière aux sauvages: “Etes-vous donc ivres les uns et les autres, ou est-ce moi qui n’ai point d’esprit?” Il proposa ensuite un échange de prisonniers entre les Français et les Anglais, qui fut accepté, et exécuté de bonne foi de part et d’autre.

A peine les Onnontagués étaient-ils partis, qu’on vit arriver des Agniers, qui parlèrent sur le même ton et protestèrent qu’ils ne lèveraient jamais la hache contre les Français.

La joie qu’on avait ressentie en Canada, de voir les grands projets de M. Vesch déconcertés, et les Iroquois se reconcilier avec les Français, fut un peu troublée par la nouvelle qu’on y reçut du mauvais succès d’une entreprise du sieur Mantet sur le fort Ste. Anne de la Baie d’Hudson. Cet officier y fut tué, de prime abord. Il paraît qu’il s’était approché de la place, avant de l’avoir fait assez reconnaître, et qu’il ne fut pas secondé autant qu’il s’y était attendu, par ceux qui l’accompagnaient.

Le printemps suivant, on apprit à Québec que l’Acadie était menacée de nouveau, et qu’il se faisait de grands préparatifs à Boston pour attaquer le Port-Royal. En effet, au mois d’Août de cette année 1710, un vaisseau anglais de soixante canons, et une goëlette, s’approchèrent du Port-Royal, et le tinrent bloqué, de manière qu’il n’y put entrer aucun secours; et le 5 Octobre cinquante, bâtimens anglais entrèrent dans le bassin et jettèrent les ancres vis-à-vis du fort. Il y avait dans cette flotte quatre vaisseaux de soixante pièces de canon, deux de quarante, un de trente-six et deux galiottes à bombes; le reste se composait de bâtimens de charge et de transport; le tout sous les ordres du général Nicolson, qui commandait en chef toutes les troupes de la reine d’Angleterre dans le continent de l’Amérique.

Le 6, les Anglais firent leur débarquement des deux côtés de la rivière. M. de Subercase ne s’opposa point à leur descente, et ne fit point occuper divers passages difficiles, où il aurait pu les arrêter, ou leur dresser des ambuscades, et cela, parce qu’il ne pouvait compter ni sur les soldats ni sur les habitans, et qu’il était persuadé qu’aucun de ceux qu’il aurait fait sortir de la place n’y rentrerait. Aussi désespéra-t-il d’abord de la pouvoir conserver. Il n’eut plus d’autre vue que de tâcher d’en sortir lui-même avec honneur, d’autant plus qu’il n’avait que trois cents hommes effectifs, et que les assiégeans étaient au nombre du trois mille cinq cents, sans compter les matelots.

Les troupes débarquées ne trouvant point d’obstacle à leur marche, allèrent droit au fort; mais lorsque le gouverneur les vit engagées sous son artillerie, il fit faire un si grand feu, qu’il les arrêta, leur tua beaucoup de monde, et les contraignit même de reculer, pour se couvrir d’un rideau, à la faveur du quel elles entrèrent dans le bois, et contiuèrent leur marche. Le lendemain, elles passèrent un ruisseau qui donnait de l’eau à un moulin, où deux cents hommes auraient pu les arrêter, et peut-être les tailler en pièces; mais M. de Subercase n’avait pas cru qu’elles entreprissent de le passer ce jour-là, parce qu’elles paraissaient occupées à placer leur artilerie, et à appuyer une galiotte, qui avait commencé dès la veille à jetter des bombes. Quelques habitans et quelques sauvages escarmouchèrent d’abord contre les premiers qui passèrent, après quoi ils se retirèrent à la faveur des bois.

Le soir, la galiotte recommença à bombarder le fort; mais avec peu d’effet. Le général anglais en tira néanmoins cet avantage, que pendant ce temps-là il fit passer devant la place vingt-deux bateaux plats chargés de toute son artillerie et de munitions de guerre. Le 8, M. de Subercase, ayant remarqué l’endroit où les Anglais voulaient établir des batteries, fit tirer si à propos de ce côté-là, que M. Nicolson, après avoir perdu bien du monde, crut devoir faire sonner la retraite.

Le lendemain, on se canonna jusqu’à midi: les assiégés jettèrent quelques bombes dans le camp des Anglais; ce qui y causa beaucoup de désordre. La pluie, qui survint et qui dura jusqu’au soir, interrompit le feu de part et d’autre. Dès qu’elle eut cessé, les deux galiottes s’approchèrent du fort, et tirèrent quarante-deux bombes du poids de deux cents livres. Les assiégeans essayèrent aussi de tirer des carcasses, mais elles crevèvent toutes au sortir du mortier. Ils en avaient un bâtiment chargé; mais il périt à l’entrée du port, avec tout l’équipage, qui était de quarante hommes.

Le 10, ils travaillèrent à leurs tranchées et à leurs batteries, et vers le soir, ils recommencèrent à jetter des bombes; mais ils n’y en eut que deux qui tombèrent dans le fort. Quelques unes ayant crevé en l’air, un éclat blessa dangereusement un officier nommé Latour, et un autre emporta un coin du magazin du roi.

Cette même nuit, cinquante habitans et sept à huit soldats désertèrent, et le lendemain, tout ce qui restait des premiers présentèrent une requête au gouverneur, pour le prier de faire attention à l’état où ils étaient; et qu’étant depuis si longtemps sur pieds jour et nuit, ils se voyaient sur le point de succomber à une fatigue si excessive. M. de Subercase leur répondit qu’il examinerait leur requête; mais s’étant apperçu que le mécontentement n’était pas moindre parmi les soldats, dont la plupart menaçaient ouvertement de déserter, il assembla le conseil de guerre. On y conclut tout d’une voix qu’il ne fallait plus penser qu’aux moyens d’obtenir une capitulation favorable, et aussitôt le sieur de la Perelle, enseigne, fut député au général anglais.

La Perelle resta dans le camp des Anglais, et M. Nicolson envoya un de ses officiers à M. de Subercase, qui lui fit connaître qu’il désirait de s’aboucher avec son général. M. Nicolson envoya au fort le colonel Reddin, chargé d’un plein pouvoir. Le gouverneur le reçut sur le glacis, le conduisit à son logement, et demeura longtemps enfermé avec lui dans son cabinet. Au sortir de là, il dit d’une voix haute à ses officiers, que tout était réglé, et le jour suivant, le colonel Reddin, et un capitaine nommé Mathews, qui avait servi d’otage pour La Perelle, retournèrent au camp anglais, où le général signa la capitulation.

Le 16, la garnison, qui n’était plus composée que de cent cinquante-six hommes tout délabrés, sortit du fort avec armes et bagages. L’artillerie, qu’elle aurait pu emporter, fut vendue au général anglais, pour acquitter les dettes publiques. Il ne se trouva aucunes provisions dans le fort, et le lendemain, M. Nicolson fut obligé de faire distribuer des vivres aux Français; ce qui le fit reprentir de s’être tant pressé de composer avec des gens que la famine lui aurait bientôt livrés à discrétion.

Peu de temps après l’évacuation du Port-Royal, MM. Nicolson et de Subercase envoyèrent au marquis de Vaudreuil, l’un M. Livingston, et l’autre, le baron de St. Castin, pour lui faire part des articles dont ils étaient convenus: mais le premier les entendant à sa manière, déclara au général français que, suivant le traité, tout le pays, excepté ce qui était à la portée du canon du Port-Royal, demeurait à sa discrétion. Il ajoutait que par représailles des cruautés inouies exercées sur les sujets de sa majesté britannique par les sauvages alliés de la Nouvelle France, si, après, la réception de sa lettre, les Français et leurs alliés continuaient leurs hostilités directement ou indirectement, il ferait sur le champ les mêmes exécutions militaires sur les principaux habitans de l’Acadie ou Nouvelle Ecosse. Il proposait enfin un échange de prisonniers, menaçant, en cas de refus, de livrer aux sauvages alliés de l’Angleterre, autant de Français qu’il y avait d’Anglais prisonniers en Canada.

M. de Vaudreuil lui écrivit en réponse, qu’il le croyait trop instruit des lois de la guerre, pour ignorer qu’elles ne lui permettaient pas d’user de représailles contre des hommes qui s’étaient rendus à lui sur la parole expresse qu’il leur avait donnée de les bien traiter; qu’il n’avait pas tenu à lui de faire cesser, il y avait longtemps, une guerre si malheureuse, et que tous les maux dont elle avait été suivie ne devaient être imputés qu’à ceux qui avaient refusé la neutralité entre les deux colonies; que quant à l’échange des prisonniers, il y donnerait volontiers les mains; mais qu’il fallait commencer par savoir combien il y en avait de part et d’autre; qu’il n’était pas le maître de ceux qui étaient entre les mains de ses alliés, et que la menace de livrer les habitans de l’Acadie aux sauvages de la Nouvelle Angleterre, supposé que ceux de la Nouvelle France refusassent de rendre les leurs, était contraire à toutes les règles de la justice et de l’humanité; que si elle s’exécutait, il serait obligé d’en faire autant de tous les Anglais qu’il avait en sa puissance. Les sieurs de Rouville et Dupuys furent chargés de sa lettre à M. Nicolson. Il nomma en même temps par provision, et jusqu’à ce qu’il eût reçu les ordres qu’il avait demandés à sa cour, le baron de St. Castin, qui commandait déjà à Pentagoët, son lieutenant en Acadie, et lui envoya ses instructions pour maintenir les Français qui étaient restés en ce pays dans l’obéissance de sa majesté très chrétienne. Il fit partir, quelque temps après, deux Français et deux sauvages sur les neiges, avec des lettres pour les missionnaires de ces quartiers, par lesquelles il les exhortait à redoubler de zèle pour maintenir leurs néophytes dans l’alliance de la France; et il enjoignit à ces mêmes envoyés de visiter tous les établissemens français de l’Acadie, de s’instruire exactement de la disposition où étaient les habitans, et de les assurer qu’il ferait tout ce qui dépendrait de lui pour ne les laisser manquer de rien.

Il eut aussi nouvelle que le gouverneur de la Nouvelle York faisait tous ses efforts pour engager les Cantons à reprendre les armes; ce qui l’engagea à envoyer à Michillimakinac des personnes de confiance, pour exhorter ses alliés à venir incessamment lui donner des preuves de leur fidélité et de leur attachement. Il fit partir en même temps le baron de Longueuil, accompagné de Joncaire et de La Chauvignerie, pour le pays des Iroquois, afin d’engager parleur moyen ces sauvages à garder la neutralité. Ces envoyés furent bien reçus partout où ils se montrèrent, et amenèrent à Montréal, où se trouvait M. de Vaudreuil, des députés d’Onnontagué et de Tsonnonthouan. Ces sauvages dirent au gouverneur que les Français avaient plusieurs amis parmi les Iroquois, mais que le plus grand nombre penchaient du côté des Anglais, gagnés par les présens qu’on leur prodiguait, et persuadés que les Français succomberaient à la fin sous les grands efforts que leurs ennemis se disposaient à faire de toutes parts, pour les accabler.

Sur ces entrefaites, Tonti, St. Pierre et les autres, qui avaient été envoyés aux tribus supérieures, arrivèrent à Montréal, avec quatre ou cinq cents sauvages. Comme les députés iroquois n’étaient pas encore partis, le gouverneur profita de l’occasion pour accommoder les différens qui existaient encore entre les Cantons et quelques uns des alliés de la colonie.

Le 4 Août 1711, M. de Vaudreuil reçut une lettre du P. Felix, récollet, missionnaire en Acadie, qui lui mandait que quarante sauvages, envoyés par le baron de St. Castin, pour faire une irruption du côté du Port Royal, après avoir défait un parti d’Anglais beaucoup plus nombreux, s’étaient joints à des Français, avaient investi le fort, où les principaux officiers et la plus grande partie de la garnison étaient morts pendant l’hiver, et qu’ils demandaient un prompt secours.

Sur cet avis M. de Vaudreuil nomma le marquis d’Alognies, commandant des troupes, pour marcher de ce côté-là: il lui donna douze officiers des plus braves et des plus expérimentés, et deux cents hommes choisis. Tout cela fut prêt en deux jours; mais dans le moment que ce secours allait se mettre en marcha, il arriva des nouvelles de Plaisance qui obligèrent le gouverneur à contremander le marquis d’Alognies.

M. de Costebelle lui écrivait qu’il avait appris d’un prisonnier anglais, que le 10 ou le 12 de Juin, le général Nicolson était arrivé à Boston avec deux vaisseaux de soixante-dix pièces de canon; qu’il devait être suivi de six autres de soixante, de trois galiottes à bombes et de trente bâtimens de charge, portant depuis vingt-quatre jusqu’à trente canons, auxquels devaient se joindre à Boston deux vaisseaux de cinquante canons, et cinq bâtimens de transport, qui porteraient trois mille hommes des milices de la Nouvelle Angleterre; qu’on n’attendait plus que la flotte d’Angleterre pour mettre à la voile, et que cette dernière flotte avait été vue, le 5 Juin, à soixante lieues de Boston, par un corsaire de la Martinique arrivé à Plaisance le 8 Juillet, lequel s’en était approché de fort près, et y avait compté trente-cinq voiles.

Cet avis fut confirmé, peu de temps après, par un Onnontagué, que Téganissorens avait envoyé à M. de Vaudreuil, pour lui faire savoir que la flotte anglaise était partie de Boston; qu’il y avait à Orange deux cents bateaux tout prêts et qu’on y en attendait encore cent; et qu’Abraham Schuiller, frère du gouverneur d’Orange, avait parcouru tous les Cantons, pour les solliciter à prendre les armes contre les Français.

La première chose que fit le gouverneur général fut d’assembler les députés iroquois que Longueuil avait amènes, pour leur rappeler leur traité de paix que la nation avait si sollemnellement juré d’observer, sous son prédécesseur, ainsi quel les promesses encore récentes de ses envoyés, et les exhorter à demeurer tranquilles sur leur nattes, nonobstant que les circonstances l’obligeassent à envoyer des partis de guerre du côté de la nouvelle York. Le lendemain, il fit un grand festin de guerre, où il invita les sauvages domiciliés, et ceux des tribus du nord et de l’ouest, qui étaient descendus à Montréal. L’assemblée fut de sept à huit cents guerriers: Joncaire et La Chauvignerie levèrent la hache et chantèrent la guerre au nom d’Ononthio. Tous les sauvages domiciliés y répondirent avec de grands applaudissemens: ceux d’en haut eurent quelque peine à se déclarer, parce qu’ils étaient presque tous en commerce avec les Anglais, et qu’ils y trouvaient mieux leur compte qu’avec les Français. Mais les Hurons ayant pris la hache, tous suivirent leur exemple, et assurèrent le général qu’il pouvait disposer d’eux comme de ses propres sujets.

Il les renvoya néanmoins presque tous chez eux, ainsi que les députés iroquois, parce que lu saison était avancée, se contentant d’en retenir quelques uns de chaque tribu auprès de lui, pour faire voir aux Anglais et aux Cantons qu’il avait une autorité entière sur ses alliés. Il partit ensuite pour Québec, où sa présence était devenue nécessaire; et il y fut suivi de près par les Abénaquis de St. François et de Békancour, qui avaient envoyé leurs femmes et leurs enfans aux Trois-Rivières, pour faire voir, disaient-ils, qu’ils n’avaient pas d’autre intérêt que celui des Français. Le P. de la Chasse y amena aussi d’autres Abénaquis du voisinage de la nouvelle Angleterre.

En arrivant à Québec, le gouverneur général trouva tous les ordres qu’ils avait donnés à M. de Beaucourt, en partant pour Montréal, très bien exécutés. Cet officier, non content défortifier le corps de la place, de manière à la mettre en état de soutenir un long siège; avait pris de bonnes mesures pour empêcher que les ennemis ne débarquassent du côté de Beauport, comme ils avaient fait en 1690, et jamais peut-être dans aucune ville, ajoute Charlevoix, on ne remarqua plus de résolution et de confiance, tous jusq’aux femmes étant disposes à contribuer de leur mieux à la plus vigoureuse défense. Chacun, dans la ville et aux environs, avait son poste marqué, et toutes les côtes, au-dessous de Québec, étaient si bien gardées, que l’ennemi n’aurait put mettre pied à terre, dans aucun endroit habité, sans être obligé de livrer un combat que la situation du terrain lui aurait rendu très désavantageux. Enfin tout paraissait si bien disposé qu’on était dans une espèce d’impatience de voir paraître la flotte anglaise, lorsque, le 25 Août, à huit heures du soir, un habitant vint donner avis que le 9, il avait vu de Matane, de quatrevingt-dix à quatrevingt-quinze voiles, qui portaient lé pavillon d’Angleterre; sur quoi chacun se rendit à son poste.

Quelques jours après des pêcheurs de Gaspé rapportèrent qu’ils avaient compté quatrevingt-quatre vaisseaux qui descendaient le fleuve, et faisaient route comme pour relacher à Gaspé même. Le 7 Octobre, M. de Beaumont, qui commandait le Héros, mouilla devant Québec, et dit qu’il n’avait rencontré aucun bâtiment dans là partie du nord, qu’il avait presque toujours suivie; et un autre navire, qui arriva, peu de jours après, et qui avait tenu la route du sud, assura qu’il n’avait rien apperçu.

Ces avis firent résoudre le gouverneur général à renvoyer sur le champ M. de Ramsay à Montréal avec six cents hommes qu’il avait amenés des milices de son gouvernement; il les suivit loi même de près avec six cents soldats; ce qui joint au corps de troupes qui était resté sous les ordres du baron de Longueuil, pour garder la tête de la colonie, faisait une armée de trois mille hommes, M. de Vaudreuil la fit camper à Chambly, son dessein étant d’y attendre le général Nicolson, qu’il savait être en marche de ce côté-là; mais il apprit bientôt que son armée avait rebroussé chemin, et Rouville fut détaché avec deux cents hommes, pour en avoir des nouvelles plus exactes.

Cet officier marcha, sans rencontrer personne, jusqu’au portage qui se trouvait sur le chemin d’Orange, où il fut joint par trois Français, que M. de Vaudreuil avait envoyés dans cette ville au mois de Juin, pour y conduire des prisonniers anglais, et qui y avaient été retenus, de peur qu’ils ne donnassent avis des préparatifs de guerre qu’on y faisait. Il apprit d’eux le malheur arrivé à la flotte anglaise, qui avait fait naufrage dans le fleuve St. Laurent, vis-à-vis des Sept-Isles. Dès que M. de Vaudreuil fut instruit du fait, il envoya sur les lieux plusieurs barques, qui y trouvèrent les carcasses de huit gros vaisseaux, et près de trois mille cadavres étendus sur le rivage. Quoique le reste de la flotte eût resté à l’ancre plusieurs jours, pour enlever la charge des vaisseaux brisés, les Français ne laissèrent pas d’y faire encore un assez grand butin. Ils y trouvèrent aussi plusieurs exemplaires du manifeste du commandant anglais, John Hill; morceau long, écrit en mauvais français, et plus rempli de turiapinades que d’autres choses.

Au reste, l’amiral Hill ne dut qu’à lui-même le malheur de sa flotte. Il avait sur son bord un prisonnier français, nommé Paradis, ancien navigateur, et qui connaissait parfaitement le fleuve St. Laurent. Cet homme l’avertit, lorsqu’il fut par le travers des Sept-Isles, qu’il ne fallait pas s’approcher trop de terre, et comme le vent n’était pas favorable, et qu’on ne pouvait aller qu’à la bouline, l’amiral se lassa à la fin de cette manœuvre, et soupçonna peut-être même le Français de vouloir fatiguer son équipage. Il refusa de revirer et approcha de si près d’une petite île appellée l’Ile aux Œufs, qu’y ayant été sur pris par un coup de vent de sud-est, il s’y brisa, avec sept autres de ses plus gros vaisseaux, dont il ne se sauva que très peu de monde.

Cependant, on avait fort à cœur en France et en Canada le recouvrement de l’Acadie, et peu s’en fallut que la chose n’eût lieu, sans que ni le ministre des colonies, ni le gouverneur de la Nouvelle France s’en mêlassent. Soixante Anglais de la garnison du Port-Royal ayant été surpris et taillés en pièce par quarante Abénaquis, les habitans français se réunirent à ces derniers, au nombre de cinq cents, et partirent, au mois de Juin, pour investir le fort. Plusieurs autres sauvages se joignirent à eux, et M. Gaulin, leur missionnaire, écrivit au gouverner de Plaisance, que s’il voulait leur envoyer un officier pour les commander, il pourrait presque répondre que l’affaire réussirait; mais M. de Costebelle avait besoin de tous ses officiers, et faute de chef, les Acadiens et les sauvages se retirèrent.

L’année suivante, le bruit ayant couru que les Anglais se disposaient à mettra en mer une nouvelle flotte pour assiéger Québec, le gouverneur général trouva dans la bourse des marchands de cette ville une somme de cinquante mille écus, pour y ajouter des fortifications. “Voilà, dit l’auteur des Beautés de l’Histoire du Canada, ce que fait un pays pauvre, tandis que de grandes nations florissantes ont peine à se priver de quelques jouissances de luxe, pour subvenir aux besoins de la patrie.”

REPUBLIQUE BABINIENNE EN POLOGNE.

Vers l’an 1560, du tems de Sigismond Auguste II, quelques gentilshommes polonais établirent dans le palatinat de Lublin une société de plaisirs, qu’ils nommèrent Babinienne, du nom d’une terre que Psomka, son principal instituteur y possédait. Baba signifie, en langue polonaise, une vieille femme, et Babine (nom de la terre,) tout ce qui lui appartient ou vient d’elle. C’est pourquoi ce bien ruiné par le laps du tems donna lieu à toutes sortes de badinages et de saillies de la part des passons, non tant à cause de son mauvais aspect que de son nom ridicule. Les gentilshommes polonais, qui prenaient plaisir aux divertissemens et aux trais desprit, prirent de là, d’établir la société en question, qu’ils nommèrent Babinienne. Et pour lui donner un certain relief, ils prirent pour leurs réglemens, la forme du gouvernement de Pologne, et élurent un roi, formèrent un sénat, créèrent des sénateurs, des archevêques, des évêques, des palatins, des chatelains, des chanceliers, &c. Voici comment on donnait ces charges: dès que quelqu’un se distinguait à une fête, ou dans une grande assemblée, par quelque chose d’étrange ou de singulier, ou disait quelque chose de contraire à la bienséance, aux usages ou à la vérité, on le jugaiat digne de devenir membre de la république comique, et on lui confiait même temps l’emploi qui avait rapport à son défaut ridicule; p. e. quand quelqu’un se vantait, parlait à tort et à travers de batailles, de guerres, de sièges, de massacres, &c. on le créait généralissime de la couronne, ou chevalier de l’éperon d’or; parlait-il de choses empoulées qu’il ne comprenait pas, on en fesait un archevêque; s’il parlait politique sans rime ni raison, et péchait souvent contre la langue, on le nommait grand chancelier; qui parlait de religion à contretems, et se rendait coupable de l’orgueil de quelques ecclésiastiques, était fait chapelain de la cour; s’il parlait mal à propos de chevaux, de chiens, de faucons, et de la chasse du renard, et faisait beaucoup de bruit, on le créait grand veneur de la couronne; quiconque prenait avec trop de chaleur et sans raison le parti de l’église romaine ou de toute autre secte, parlait du bucher comme d’un châtiment dû aux hérétiques, était nommé unanimement Inquisitor hæriticæ pravitatis; s’il parlait de chevaux, de leurs qualités, d’une manière peu-conforme à la vérité, on le faisait grand écuyer. De cette sorte, il n’y avait dans la république de Pologne, aucun emploi, aucune charge, que n’eût la Babinienne, et qu’elle ne donnât de la manière la mieux séante, toujours selon les rangs et dignités. Quand quelqu’un était admis au nombre des membres de cette république comique, on lui expédiait des lettres patentes munies du grand sceau, et on les lui remettait en grande cérémonie; le membre nouvellement élu était obligé de les recevoir debout et d’une manière respectueuse. Mais s’il faisait des difficultés de s’associer à cet ordre ridicule, on le raillait et badinait jusqu’à ce qu’il se rendît aux voeux de la société. Les supérieurs de cette république savaient si bien juger des hommes, que personne ne pouvait mieux qu’eux décrire les passions de l’âme, aucun moraliste expliquer plus clairement et avec plus d’énergie ce qu’on entend par mœurs et vices, ni aucun phisiognome mieux juger de la nature humaine, d’après les traits, les gestes et la démarche. Quand on leur offrait un nouveau candidat, ils délibéraient longtems si on l’admettrait ou non. Il faut auparavant que nous l’entendions parler, disaient-ils, afin que nous soyons en état de connaître son caractère; nous verrons alors à quel emploi il est le plus propre. Enfin cette république comique s’étendit de telle sorte, qu’il était rare de trouver parmi les courtisans &c. une personne qui n’y fût revêtue d’une charge. Il y avait aussi dans cette société des personnes qu’on nommait Infans d’Espagne, favoris et bouffons. Le roi Sigismond Auguste avant été informé de tout cela, il en témoigna beaucoup de satisfaction, et demanda s’ils havaient aussi un roi? Sur quoi le Staroste de la république, qui avait la mine joviale, et était toujours de bonne humeur, lui répondit: Loin de nous, Sire, la seule pensée de choisir de votre vivant un autre roi que vous: vous êtres roi ici et chez nous. Le roi prit fort bien cette réponse en rit beaucoup, et badina tellement que personne ne put s’empêcher de rire.

Un membre de cette société élevant un jour jusqu’aux nuës, et avec des expressions empoulées le règne d’Alexandre le Grand, la monarchie des Babyloniens, des Perses et des Romains, un des assistans lui dit: Pourquoi vantez-vous tant l’antiquité et la grandeur de ces monarchies? notre république Babinienne est plus ancienne quelles toutes, car David en a déjà parlé en disant: tous les hommes sont menteurs; voilà sur quoi elle est fondée, et en quoi elle consiste; il suit de là que Darius, Aléxandre le Grand, et le monde entier en font partie. La société se ventait aussi d’avoir reçu des privilèges des Empereurs, des Rois, et même des Papes.

Lorsqu’un des membres en usait mal avec un autre, ou lui portait préjudice par ses mensonges, on le déclarait incapable gérer aucune charge dans cet état; mais celui qui au contraire, en raillait un autre d’une manière comique, et imaginait des badinages qui ne fissent tort à personne, était jugé digne d’être admis au nombre des membres de la république. Ils nommaient le lieu de leurs assemblées Gelda, ce qui à Dantzic signifie auberge, et en polonais les cris confus de la populace, cette société tournant en ridicule tous les vices, toutes les faiblesses. Babina devint en peu de tems la terreur, l’admiration et le fléau de la nation polonaise. Le bon génie régna sous les ailes de cette société; l’esprit se perfectionna dans ce climat du nord, et les abus qui s’étaient introduits dans le gouvernement et la société civile furent réformés par une satyre bien placée; les membres se livraient alors à l’étude de choses dont ils avaient à la vérité beaucoup parlé auparavant, mais sans y rien comprendre; ils s’instruisaient réciproquement en se communiquant leurs idées, et en faisant le sujet des entretiens de leur société. Car les meilleures têtes de la nation et les personnes les plus considérées par la noblesse, et par le roi lui-même en étaient. C’est ainsi qu’entre autres P. Cassovius a été longtems juge du palatinat de Lublin, et a été plus d’une fois élu député à la diète. Les princes et la haute noblesse chérissaient surtout Cassovius chancelier de la république Babinienne, et Psomka son staroste, à cause de leur esprit et de leurs saillies. On s’imaginait qu’il n’était pas possible d’être joyeux à un festin ou à un repas de nôces, s’il n’était égayé par ces deux vieillards. Après la mort de Psomka, des personnes de distinction parlant de lui à un grand repas, quelques personnes de la première noblesse engagèrent un poëte, qui était présent, et n’était pas du dernier rang, à faire son épitaphe, qu’il fit incontinent à l’impromptu.

Il ne reste plus aujourd’hui de traces de cette société, dont les mœurs se pervertirent insensiblement, les meilleures têtes n’ayant eu pour successeurs que de misérables farceurs, qui, comme cela devait naturellement arriver, détruisirent eux-mêmes leur empire.

LE KAABA, &c.

Extrait d’un Voyage en Arabie, par L. J. Burckhardt,
Londres 1829.

“Quiconque arrive à la Mecque, pèlerin ou autre, est obligé, par la loi, d’aller de suite visiter le temple, et de ne s’occuper d’aucune affaire mondaine qu’elle qu’elle puisse être avant d’avoir rempli ce devoir. Nous traversâmes la rangée de maisons et de boutiques jusqu’aux portes de la mosquée, où mon ânier me quitta. Là, je fus accosté par plusieurs Metowef, ou guides pour le saint lieu, qui connurent, en voyant mon Ihram, que je voulais visiter le Kaaba. J’en choisis un, et après avoir déposé mon bagage dans une boutique voisine, j’entrai dans lu mosquée par la porte appelée Bad-es-Salem. On pratique les cérémonies suivantes, en visitant la mosquée. 1o. On observe certaines pratiques religieuses à observer dans l’intérieur du temple; 2o. on va de Szaffa à Meroua; 3o. on visite le Omra.”

“Avant Mahomet, lorsque les Arabes étaient idolâtres, le Kaaba était regardé comme un objet sacré, et était visité avec un respect religieux par les personnes qui accomplissaient ce pélerinage, à peu près comme leurs descendans aujourd’hui. Dans ces tems, l’édifice était orné de trois cent soixante idoles, et il y avait une très grande différence dans la cérémonie; car les hommes et les femmes étaient obligés d’y paraître dans l’état de parfaite nudité, pour montrer qu’ils s’étaient dépouillés de leurs pêchés comme de leurs vêtemens. Le hadj, ou pélerinage mahométan, et la visite au Kaaba, sont donc une coutume. De même Szaffa et Meroua, étaient regardés par les anciens Arabes comme des lieux sacrés qui renfermaient les images des dieux Motam et Nehijk, et les idolâtres, à leur retour du pélérinage à Arafat, avaient coutume d’aller d’un lieu à l’autre. C’est là, suivant la tradition mahométane, que Hadjer, mère d’Ismayl, s’égara dans le désert, après avoir été chassée de la maison d’Abraham, pour ne pas voir mourir son fils, qu’elle avait laissée sur la terre, presque expirant de soif, lorsque l’ange Gabriel lui apparaissant frappa la terre de son pied, ce qui fit jaillir sur le champ la source de Zemzem. En mémoire de ce pélerinage de Hadjer, qui, dans son affliction, alla sept fois de Szaffa à Meroua, on a établi la cérémonie d’aller à ces deux endroits. El Agzraky rapporte que, lorsque les idolâtres Arabes avaient terminé les cérémonies du hadj à Arafat, toutes les tribus qui y avaient assisté s’assemblaient, en revenant à la Mecque, au saint lieu appelé Szaffa, pour y célébrer, dans des chants passionnés, la gloire de leurs ancêtres, leurs batailles et la renommée de leur nation. Ensuite, un poëte se levait et s’adressant à la multitude: Tels et tels Arabes, s’écriait-il, appartenaient à notre tribu; il récitait alors leurs noms, et chantait leurs louanges. Terminant ensuite par un chant de poésie héroïque, il faisait un appel aux autres tribus, dans les termes suivants: Que celui qui récuse la vérité de ce que j’avance, et qui prétend à tant d’honneur et de gloire, le prouve s’il le peut. Alors quelques petits rivaux se levaient et célébraient aussi la gloire de leur tribu, en cherchant à ridiculiser les prétentions de leurs rivaux. Pour détruire les animosités et les querelles qu’une pareille coutume devait nécessairement produire, ou peut-être, pour dompter l’esprit indépendant de ces fiers Bedouins, Mahomet l’abolit par un passage du Koran, qui dit:

“Quand vous avez fini les cérémonies du pélerinage, souvenez-vous de Dieu, comme vous aviez l’habitude de vous souvenir de vos ancêtres, et même avec plus de ferveur.”

“Ainsi fut réprimée la cause de beaucoup de querelles; mais, en même tems, le sévère législateur détruisit l’influence que les chants nationaux de ces bardes exerçaient sur les vertus martiales et sur le génie littéraire de ses sujets. La visite que l’on faisait au Omra était également une ancienne coutume. Mahomet la conserva, et l’on rapporte qu’il disait souvent dans ce lieu, sa prière du soir. Ayant terminé toutes ces fatigantes cérémonies, je m’assis dans la boutique d’un barbier, ne sachant où me reposer. Je demandai pour me loger, mais j’apris que toute la ville était déjà remplie de pélerins, et que beaucoup d’autres qu’on attendait, avaient retenu leurs logemens. Cependant je finis par trouver un homme qui m’offrit une chambre garnis dont je pris possession, et n’ayant pas de domestique, je me mis en pension chez le propriétaire. C’était un pauvre homme de Médine, et cicero de profession. Quoique vivant d’une manière bien inférieure à celle de la seconde classe des pèlerins, je dépensais néanmoins 15 piastres par jour; et quand je partis, je m’aperçus qu’on m’avait dérobé plusieurs vêtemens dans ma valise. Un jour de fête, mon hôte m’invita à un souper splendide dans ma chambre avec une demi-douzaine de ses amis, et le lendemain il me présenta le mémoire de toute la dépense qu’il avait faite. Les milliers de lampes allumées dans la grande mosquée, pendant le Radhaman, y attirent la nuit les étrangers. Ils s’y promènent et y causent jusqu’après minuit. Ce spectacle ressemble plutôt à une assemblée européenne qu’à ce que je m’attendais à trouver dans le sanctuaire de la religion mahométane, si toutefois on excepte l’absence des femmes. La dernière nuit du Ramadan ne présente pas ces brillantes réjouissances que l’on voit dans les autres parties de l’Orient, et les trois jours suivants sont consacrés aux divertissemens publics. Des balançoires sont dressées dans les rues pour amuser les enfans, et quelques jongleurs égyptiens font des tours de force devant la multitude assemblée dans les rues. Rien autre chose ne contribue à marquer la fête, sinon les vêtemens somptueux, dans lesquels les Arabes surpassent les Syriens et les Egyptiens. J’allai rendre visite au cadi, et à l’expiration du troisième jour (15 septembre,) je partis pour Djidda, afin d’y acheter ce qui m’était nécessaire pour mon voyage, et que je pouvais m’y procurer plus facilement qu’à la Mecque. Mon séjour à Djidda se prolongea trois semaines, principalement parce que j’avais mal aux jambes, maladie très-dangereuse sur ces côtes malsaines, où chaque morsure de cousin devient, si on la néglige, une blessure sérieuse; et vers le milieu d’octobre je retournai à la Mecque.”

Nous continuerons notre revue des curiosités de la Mecque, et nous parlerons maintenant du Kaaba, qui est au milieu de la grande mosquée Beitullah ou El-haram, remarquable seulement par l’objet adoré qu’elle renferme.

“Le Kaaba est dans un carré oblong de 250 pas de long, et de 200 de large, dont il n’y a pas un seul côté en droite ligne, quoiqu’à la première vue ils paraissent tous être d’une forme régulière. Du côté de l’orient, ce carré découvert est formé par quatre rangs de colonnes, et il n’y en a que trois des autres côtés. Ces colonnes sont jointes ensemble par des arches pointues, dont chaque quatre soutiennent un petit dôme plâtré et blanchi au dehors. Ces dômes sont au nombre de cent cinquante-deux. Des quatre côtés, tout le long de la colonnade, sont suspendues aux arches des lampes dont quelques unes brûlent pendant la nuit, mais à l’époque du Ramadhan on les allume toutes. Les colonnes sont généralement hautes de vingt pieds, et ont d’un pied et demi à un pied trois-quarts de diamètre; mais c’est une construction fort irrégulière. Quelques unes sont en marbre blanc, de granit ou de porphyre, mais la plupart sont d’une pierre commune de la Mecque. Elfasy dit qu’il y en a en tout cinq cent quatre-vingt-neuf.

“Sept chaussées pavées conduisent de la colonnade au Kaaba, ou lieu saint, dans le centre. Elles sont assez larges pour contenir quatre ou cinq personnes de front, et sont élevées de terre de près de neuf pouces. Entre ces chaussées, qui sont couvertes d’un sable fin, on voit paraitre de l’herbe produite par l’eau du Zemzem.

“Le Kaaba est un édifice oblong de dix-huit pas de long et de quatorze de large, et d’environ trente-cinq à quarante pieds de haut. Il est construit d’une pierre grise de la Mecque, en larges blocs de différente taille, et joints ensemble avec un mauvais ciment. Il fut entièrement rebâti comme il est aujourd’hui A. D. 1627. L’année précédente, un torrent avait entraîné trois de ses côtés; et avant de le reconstruire, on jeta à bas le quatrième côté, après, toutefois, avoir consulté les Olemas pour savoir s’il était permis à des mortels de rien détruire du saint lieu, sans se rendre coupable de sacrilège ou d’infidélité.

“Le Kaaba est sur une base de deux pieds de haut, qui présente un plan un peu incliné, et comme son toit est plat, il offre, à quelque distance, l’apparence d’un cube parfait. La seule porte de cet édifice, qui n’est ouvert que deux ou trois fois par ans est au nord et élevée de terri d’environ sept pieds; on y monte par un escalier de bois. Dans la première époque de l’Islamisme, lorsqu’il fut rebâti par Jon Zebeyr, chef de la Mecque, petit-fils de Agsha, il avait deux portes. La porte actuelle, qui fut, dit-on, apportée de Constantinople, est entièrement couverte d’argent, avec plusieurs ornemens d’or. Sur le seuil on place chaque nuit des bougies allumées et des terrines remplies de musc, d’aloës, &c. A l’angle N. E. du Kaaba, près de la porte, est la fameuse pierre noire; elle forme une partie de l’angle aigu du bâtiment, à 4 ou 5 pieds de terre; c’est un ovale irrégulier d’environ sept pouces de diamètre, avec une surface brillante, composée d’une douzaine de pierres plus petites, de différentes formes, bien jointes ensemble et parfaitement unies. On dirait que ce n’est qu’un seul bloc, brisé par un coup violent en plusieurs morceaux, et bien rejoints ensemble. Il est presque impossible de déterminer la qualité de cette pierre, tant elle a été usée par les milliers do baisers qu’on lui a donnés. Elle m’a semblé être une lave contenant plusieurs parties étrangères de substances blanchâtres et jaunâtres: sa couleur est d’un brun rouge foncé tirant sur le noir; elle est entourée par une bordure qui me parut être un ciment épais de sable et de poix. Cette bordure et la pierre sont entourées d’un cercle d’argent.

“A l’angle S. E. du Kaaba, ou, comme les Arabes l’appellent, Roken et Yemani, il y a une autre pierre à environ 5 pieds au-dessus du sol; elle a 2 pieds ½ de long et 2 pieds de large. Les personnes qui tournent autour du Kaaba, ne la touchent que de la main droite et ne la baisent pas. Au nord du Kaaba, juste devant la porte, est un petit creux dans la terre, garni de marbre, et assez grand pour permettre à trois ou quatre personnes de s’y asseoir. Il est méritoire d’y faire une prière. Ce lieu est appelé El Madjen, et on suppose que c’était là qu’Abraham et son fils Ismayl broyaient la vase et la chaux dont ils se servirent pour bâtir le Kaaba, et on dit que près du Madjen, il plaça la large pierre sur laquelle il montait pour travailler à la maçonnerie. Sur la base du Kaaba, juste au-dessus du Madjen est une ancienne inscription; mais je ne pus ni la copier ni la déchiffrer: je n’en trouve aucune mention dans les anciens historiens. Au côté occidental du Kaaba, à deux pieds au-dessus de son sommet, est le fameux Myzah ou jet d’eau. Vers le centre, il y a deux larges morceaux de vert antique. C’est le lieu où furent enterrés, suivant la tradition mahométane, Ismayl, fils d’Ibrahim ou d’Abraham, et sa mère Agar. Il est aussi méritoire pour un pèlerin d’y réciter quelque prière. A ce côté occidental est un mur demi-circulaire, dont les deux extrémités sont en ligne avec les angles du Kaaba, et en sont éloignées de 3 à 4 pieds, de manière à laisser un beau passage jusqu’au tombeau d’Ismayl.

“Les quatre côtés du Kaaba sont recouverts d’une étoffe de soie noire. Cette tenture est appelée Kesoua, et est renouvelée tous les ans, à l’époque du hadj; on l’apporte du Caire, où elle se fabrique aux frais des grands seigneurs. Dans le tissu sont tracées diverses prières, mais qu’il est très-difficiles de lire, parce que les caractères sont de la même couleur que le fond. Tout autour de l’édifice on voit une ligne de semblables inscriptions travaillées en fils d’or. La partie du Kesoua, qui couvre la porte, est richement brodée en argent; mais on a laissé des ouvertures afin que la pierre noire, et celle qui est à l’angle S. E. se trouvent à découvert. Le couleur noire du Kesoua, couvrant un large cube au milieu d’un vaste carré, donne au Kaaba un aspect singulier et imposant. La brise la plus légère cause à cette tenture de petites ondulations, que l’on regarde comme un signe de la présence de ces anges gardiens, dont le souffle occasionne ces mouvemens. Soixante-dix mille anges sont chargés de garder le Kaaba, et ont ordre de le transporter dans le paradis, lorsque sonnera la trompette du jugement dernier.”

Ce n’est que pendant les heures de la prière que les grandes mosquées de ces pays sont regardées comme des lieux sacrés. A El Azhar, la première mosquée du Caire, j’ai vu des enfans vendre des omelettes, des barbiers raser leurs pratiques, et beaucoup de gens y venir prendre leurs repas. Mais pendant la prière aucun bruit ne vient troubler l’attention de l’assemblée: on n’entend que la voix de l’Iman. Dans tout autre tems, la mosquée de la Mecque est le rendez-vous des hommes d’affaires, et est quelquefois tellement remplie de pauvres et de malades, qu’elle a plutôt l’air d’un hôpital que d’un temple. A cet égard, la grande mosquée de la Mecque ressemble aux autres temples de l’Orient. Mais, dans le saint Kaaba, on commet de telles horreurs que la décence se refuse à les décrire. Non seulement on les y commet publiquement, mais impunément; et je fus souvent indigné de voir que les abominations n’attiraient de la part des spectateurs qu’une légère réprimande. Dans plusieurs parties de la colonnade sont des écoles publiques où l’on enseigne aux enfans à épeler et à lire, ce qui forme des groupes très-bruyans. Quelques hommes instruits font des lectures religieuses tous les après-midi, mais les auditeurs sont rarement nombreux. Le mercredi, après la prière, quelques Olemas expliquent les passages du Khran; après quoi chaque auditeur vient baiser la main de l’explicateur et lui donne quelque argent.

“Près de la porte de la mosquée appelée Bah es Salam, quelques sheiks arabes s’établissent chaque jour avec de l’encre et du panier, prêts à écrire pour tous ceux qui le désirent, des lettres, des mémoires, des contrats. Il vendent aussi des charmes écrits, tels que des amulettes, des recettes d’amour appelés kotob, muhbat, ou kuboul. Ils sont principalement employés par les Bédouins et demandent des prix exorbitants. On fait sécher entre les colonnes des suaires et d’autres linges lavés dans les eaux du Zemzem. Beaucoup de gens achètent à la Mecque le linceul dans lequel il veulent être ensevelis, supposant que si leur corps est enveloppé d’un linge lavé dans les eaux saintes du Zemzem, la paix de leur âme sera bien plus assurée après leur mort. Quelques Hadjys font trafic de cette toile, La Mecque, et généralement la grande mosquée, est remplie de pigeons, qui sont regardés comme l’inviolable propriété du temple, et sont appelés pigeons du Bectullah. Personne n’ose en tuer un seul, même quand ils entrent dans des maisons particulières et il y a dans le carré de la mosquée des petits bassins de pierre remplis d’eau pour leur usage. Les femmes arabes exposent en vente de la graine, quelles achètent pour donner aux pigeons. J’y ai vu aussi des femmes de mauvaise vie prendre cette manière pour trafiquer de leurs charmes et pour marchander avec les pèlerins, sous prétexte de leur vendre de la graine pour les pigeons sacrés.”

FETE PATRIOTIQUE DANS LE CANTON DE GLARIS.

Les cantons démocratiques de la Suisse ont tous, au nombre de leurs premiers magistrats un banneret, ou conservateur des bannières cantonales et de celles qui ont été prises sur l’ennemi. Autrefois c’était l’usage, dans le canton de Glaris, de déployer tous ces étandards aux yeux du peuple, lorsqu’un nouveau banneret entrait en fonctions. Depuis 1783, on ne s’était plus conformé à cette coutume. Une décision, prise l’année dernière dans l’assemblée générale (Landsgemeinde,) a rétabli le Jour des bannières; il vient d’être célébré tout récemment le 30 septembre.

Le plus beau ciel a favorisé cette fête populaire. Aux deux côtés du bourg de Glaris, les âpres flancs du Schilt et les glaces éternelles qui couronnent la formidable pyramide du Glœrnisch réfléchissaient les rayons du soleil le plus brillant. A cinq heures du matin, vingt-cinq coups de canon annoncèrent la solennité du jour. Du fond des vallés les plus distantes, du sein des chalets les plus élevés, le peuple de tous âges et des deux sexes accourut en foule au chef-lieu. Une tribune à plusieurs sièges avait été élevée sur la grande place des assemblées générales, au milieu d’une enceinte. Les membres des conseils et le corps des officiers s’assemblèrent à l’hôtel du gouvernement. A onze heures, il se mirent en marche, et leur cortège s’avança au milieu du tonnerre des canons et du retentissement de toutes les cloches. Un drapeau neuf, donné à la troupe pour cette occasion, flottait au-dessus du corps des officiers; derrière eux, se voyait entourée d’un cortège militaire l’armoire aux bannières, couverte d’un tapis écarlate orné avec goût de broderies aux couleurs du canton; elle était portée sur les épaules des quatre doyens d’âges de la magistrature, vieillards à têtes vénérables à cheveux blancs. Une division de soldats fermait la marche.

Arrivés sur la place publique, le landammann en charge, le banneret, et le vice-porte-enseigne prirent place sur la tribune où l’armoire aux bannières fut également déposée. Au pied de la tribune, la milice se rangea en cercle, enseignes déployées. Puis le landammann élevant la voix pour se faire entendre d’une assemblée de plusieurs mille personnes, développa, dans un discours sans emphase et sans prolixité, l’histoire du canton. Arrivé à la mémorable bataille de Nœfels, il agita en l’air la bannière victorieuse qui date de l’an 1388, afin que tout le peuple pût contempler cette relique, qui, au besoin, opérerait encore, comme il y a quatre siècles et demi, des miracles de patriotisme. L’assemblée immense accueillit ce signe vénérable par un redoublement de silence; la milice présenta les armes; la nouvelle bannière s’inclina devant la bannière glorieuse, la musique militaire entonna une mâche guerrière; six coups de canon annocèrent et les échos des Alpes redirent à tout le pays que le soleil qui avait éclairé l’héroïsme des a yeux brillait de nouveau sur leur signe de ralliement. L’orateur, reprenant son discours, exposa avec une concision énergique l’histoire des autres exploits du peuple glaronnais. Au récit de chaque bataille nouvelle, le banneret et le vice-porte-enseigne montraient au peuple les drapeaux conquis ou victorieux qui en avaient été témoins. A celui de Nœfels succédèrent ceux qui conduisirent les soldats de Glaris au secours des Appenzellois, en 1403, au Voglinseck, contre l’abbé de Saint-Gall; en 1405, au Stoss, contre le duc Frédéric d’Autriche. Dans la première de ces batailles, les Souabes auxiliaires laissèrent toutes leurs bannières entre les mains des paysans suisses. Celles qui figurèrent dans les guerres de Bourgogne et de Souabe eurent leur tour, suivies d’une enseigne donnée aux Glaronnais en 1512, par le pape Jules II, pontif du dieu des batailles, apostat du dieu de la charité. Deux drapeaux rapportés des champs de Navare et de Marignan rappelèrent des faits héroïques sans doute, mais malheureusement aussi un courage devenu vénal. Un étandard qui avait déjà fait plusieurs campagnes lorsqu’il fut porté contre les Français en 1798, termina cette série de monumens nationaux.

La solennité achevée, le cortège retourna à l’hôtel du gouvernement dans l’ordre qu’il avait suivi la première fois. Le bruit du canon, le roulement des tambours, le son des cloches se fit entendre de nouveau; accompagnement digne du caractère guerrier et religieux imprimé à la solennité par son objet et par son importance. Un repas des magistrats et des officiers fut la clôture de la fête.

Quelles leçons renfermées dans ces pages vivantes de l’histoire nationale expliquées par les pères de la patrie, et ornées de ces signes visibles, symboles de l’union des ayeux, et témoins de leur courage!

AGRICULTURE EN CANADA.

Extrait de lettres d’un Américain voyageant en Canada
en 1825.

Je conçois qu’il est généralement connu que la plus grande partie du Bas-Canada, le long des deux rives du fleuve St. Laurent, est presque entièrement plate, d’un sol alluvial riche, consistant cependant plus en terres grasses qu’en terrain sabloneux, entièrement destituée de rochers et de pierres, pour un espace de 100 milles au-dessous de Montréal. Elle fut sous le gouvernement français, concédée sous une tenure dans toute la sévérité possible du système féodal, et cette partie est encore divisée en seigneuries, dont le front le long du fleuve s’étend depuis une lieue jusqu’à trois, et dont la profondeur, perpendiculaire au fleuve, s’étend depuis trois jusqu’à six lieues. Les seigneurs féodaux ont eux-mêmes concédé ces terres sous les conditions les plus strictes possibles, aux tenanciers qui les occupent actuellement. Les fermes sont en général étroites et sont distribuées avec beaucoup de régularité, ressemblant plutôt à des lots pour une cité, qu’à des fermes ordinaires. Je ne me ressouviens pas d’avoir vu dans aucun pays, soit en Europe, soit en Amérique, quelque chose de semblable. Les tenanciers ne possèdent qu’un front de peu d’étendue sur peut-être un mille de profondeur, et leurs fermes varient de 60 à 100 acres. A un mille de distancé du fleuve, vous voyez d’un bout à l’autre une barrière de forêts. Ces terres sur les bords du fleuve sont toutes dévouées à la charrue, et la manière dont elles sont cultivées est d’une beauté que rien ne peut excéder. On dirait que c’est un jardin continu. Il ne faut pourtant pas s’imaginer que je prétende dire par là que cette culture est vive et intelligente; mois je crois que ni la Lombardie, ni les Pays-Bas de la Frandre n’offrent à la vue la scène d’une étendue superficielle de terrain plus complètement cultivée. Lorsque je visitai ce pays en 1803, on y appercevait beaucoup plus de négligence, et par conséquent moins de marques d’attention. Les fermiers d’alors ne faisaient nul cas de leur fumier, et on prétend même qu’ils portaient cette négligence au point de le faire charrier sur la glace du fleuve pour se débarasser de ce qu’ils considéraient comme une nuisance. Que ce soit nu non une calomnie, c’est ce que je n’entreprendrai pas de décider; mais ce que je puis affirmer d’après ce que j’en ai vu de mes propres yeux, c’est qu’actuellement, il n’est aucun fermier qui soit plus soigneux du fumier que les cultivateurs Canadiens, et qu’il n’y en a aucun soit dans les Etats-Unis ou en Europe, qui l’emploie en plus grande quantité qu’ils ne le font.

J’ai cependant remarqué un défaut dans leur système d’Agriculture, et nommément qu’ils persistent dans l’ancien usage français de laisser leurs terres à bled en jachères, au lieu d’y jetter de la semence d’herbage avec leurs groins, et par là laissent un champ libre à la crue des mauvaises herbes parmi les bonnes; de sorte que les bestiaux qu’ils y mettent n’y trouvent qu’une subsistance précaire. Ces jachères sont couvertes de chardons du Canada, que j’ai vu cependant qu’ils coupent comme fourrage et j’en ai trouvé qui m’ont assuré que cela faisait une nourriture d’hiver bien saine pour leurs animaux.

J’ai demandé à quelques uns des plus intelligents d’entr’eux pourquoi ils ne semaient pas du mil et du trèfle, et ils m’ont répondu que le climat n’admettait pas la culture du trèfle. J’ai eu abondance des preuves que cette opinion était sans fondement, parce que dans les environs de Québec, j’ai trouvé que les herbages de semence ou prairies artificielles y avaient aussi belle apparence que celles de notre pays, quoique Québec soit d’un dégré plus proche du nord que cette partie de la province où cette objection m’a été fuite. Il y a encore un autre défaut frappant dans l’agriculture du Bas-Canada, qui résulte nécessairement de cette opinion absurde à l’égard des prairies artificielles: c’est le petit nombre de bêtes à cornes. Je n’ai pas rencontré un seul attelage de bœufs dans tout le pays que j’ai parcouru. J’ai vu une fois une vache attelée à une charette.[1] Les vaches et les veaux sont d’une race excellente, et je n’ai vu nulle autre cause ou raison pour les empêcher d’élever leur propre viande de boucherie, que le préjugé et leur façon de cultiver. A présent ils dépendent de leurs voisins de l’Etat de Vermont, qui leur fournissent cette partie essentielle de leur subsistance. D’un autre côté les chevaux y fourmillent. Je croirais que le nombre de ces animaux y est au moins trois fois plus grand en proportion que dans les Etats-Unis. Celà me paraît à moi une idée, un préjugé qu’ils n’ont jamais pu défendre dans la conversation. La race en est petite, mais vigoureuse et ils en vendent en quantité aux marchands de Connecticut pour les marchés des Isles. Le prix moyen en est de 50 piastres sur les lieux mêmes. Il n’est pas douteux que ce ne soit un mauvais calcul, de la part des fermiers Canadiens; mais qui peut espérer de changer leurs habitudes?—Ils ont encore la même espèce de charrue; la même misérable voiture qu’ils appellent calèche; la même fourche de bois dont les paysans français faisaient usage au temps de leur émigration. Ils ne veulent adopter aucune amélioration; mais d’un autre côté, ils rejettent obstintément toutes nouvelles suggestions qui leur sont faites par les Bostonnais, terme par lequel ils désignent les citoyens des Etats-Unis. J’avais d’abord quelque doute s’ils avaient ou non conservé cette expression, qui était naturelle dans nos querelles de 1755; mais les personnes les plus intélligentes m’ont assuré que les Canadiens français continuent à appeler Bostonnais les citoyens des Etats-Unis.

Les maisons et les granges des Canadiens sont bien bâties, et parfaitement abriées contre la sévérité de leurs saisons. Leurs provisions de bois de chauffage sont amples: il est fendu et scié de la longueur requise pour leurs poëles et proprement empilé; montrant par là non seulement de la prévoyance, mais des habitudes dont la Nouvelle Angleterre pourrait recevoir bien des leçons utiles. Dans l’intérieur de leurs maisons on trouve tout ce qui est naicessaire pour leurs jouissances. Leurs fours sont toujours séparés de la maison qu’ils habitent et sont emples et convenables. Leurs laiteries, aussi distinctes des maisons, sont proprement arrangées et entretenues. Il y a une circonstance qui leur est propre.—Leurs habitudes sont patriarchales. Ce n’est pas que nous les approuvions, parce qu’elles sont le résultat de leur manque d’entreprise, toutefois elles sont touchantes et doivent affecter ceux qui les visitent. Vous trouvez dans une maison Canadienne (car nous ne donnerons pas le nom cabane à une demeure grande et commode,) au moins trois, et quelquefois quatre générations. Le respect, la vénération et la tendresse des jeunes pour les vieillards; la conduite affectueuse et gaie des anciens envers la jeunesse; la gravité observable dans les uns et les autres; et l’urbanité et la politesse qui les caractérisent tous, ne peuvent manquer de platre, et d’exiter la surprise des étrangers. Nous pouvons hardiment faire une remarque; c’est que les français Canadiens parlent leur langage plus purement qu’aucuns autres émigrés que nous ayons vus.

C’est un véritable sujet d’éloge, sous un certain point de vue dans la nation anglaise, qu’elle ait si religieusement observé le traité de 1763, en permettant à une population entièrement étrangère de jouir tranquillement; non seulement de tous ses droits par traité, mais encore de ses fantaisies et caprices. C’est un exemple de délicatesse dont la mention ne peut-être que mal accueillie dans notre pays, dans lequel (je ne sais pourquoi) on regarde comme la plus grande preuve de patriotisme de mal parler de la nation d’où nous sortons; d’une nation à laquelle tout le monde doit plus qu’à toute autres et à laquelle nous devons nous-mêmes en grande partie cette liberté dont nous faisons à juste titre un si grand cas. Mais il n’en est pas moins vrai que la Grande-Bretagne s’est montrée si modérée, si délicate (et peut-être trop pour le bien-être des Canadiens eux-mêmes,) dans le gouvernement de ses sujets Canadiens français; qu’ils me semblent être, et que je crois qu’ils sont en effet au rang, sinon des plus éclairés, au moins des plus heureux peuples de la terre.[2]

N. B.—Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’ayant voyagé dans le Bas-Canada par terre et par eau, j’ai vu la population Canadienne telle qu’elle a du être sous Louis XIV.


L’écrivain aurait dû dire dans quelle partie du Bas-Canada il a vu cela: car les cultivateurs Canadiens labourrent ordinairement avec une paire de bœufs, quelquefois avec deux; et les chevaux sont trop communs partout, pour qu’on soit obligé d’atteler des vaches aux charettes, &c.

L’écrivain nous parait raisonner ici d’une manière un peu singulière: c’est, suivant lui, parce que la Grande-Bretagne s’est montrée très-délicate dans le gouvernement de ses sujets Canadiens, qu’ils sont au rang des peuples les plus heureux de la terre; et néanmoins, il pense qu’elle pourrait bien avoir été trop modérée et trop délicate pour le bien-être des Canadiens eux-mêmes; d’où il paraitrait qu’il faut conclure que les Canadiens pourraient bien n’être pas très-heureux; ou que s’ils le sont, ce pourrait bien n’être pas en conséquence de la modération et de la délicatesse de la Grande-Bretagne.

LES PREMIERS HISTORIENS DU CANADA.

Traduit en substance du Canadian Review, No. 5.

Plusieurs des premiers écrivains qui ont recueilli des matériaux pour des ouvrages plus étendus que les leurs, sont devenus si surannés, qu’il serait très difficile de mettre la main sur ce qu’ils ont écrit, même dans les pays où leurs ouvrages ont été le plus répendus; et plusieurs ont éprouvé depuis longtemps le sort réservé aux publications d’un intérêt temporaire et qui, faites pour satisfaire l’appétit du jour, sont d’abord reçues avec avidité; ensuite rejettées pour faire place à d’autres d’une date plus récente. Si c’est le cas dans le pays qui a été pendant tant d’années le centre de l’existence du nôtre, à plus forte raison le doit-ce être dans ce lui-ci. Il n’est venu en Canada qu’un petit nombre d’exemplaires des ouvrages de l’espèce mentionnée ci-dessus, et aucun d’eux n’a été réimprimé ici.

La plus grande partie de ceux qui ont écrit concernant le Canada, dans les premiers temps de sa colonisation, étaient des aventuriers peu instruits, ou des membres des ordres religieux, particulièrement des jésuites. Les premiers se sont étendus sur les merveilles de la nature, les derniers sur les miracles de la religion. Les aventuriers laïcs ont incorporé dans leurs écrits les fantaisies de l’imagination, “leur ont donné une habitation locale et un nom,” et les ont fait circuler chez le peuple crédule et admirateur; les missionnaires, quoique faisant quelquefois des empiétations dans le domaine séculier, se sont généralement contentés de raconter leurs souffrances et celles de leurs confrères, et de donner des notices biographiques de quelques uns des objets de leurs pieux efforts. Quand l’histoire d’un pays tombe en de telles mains, on ne peut pas en attendre beaucoup, et l’on doit s’en être fait une bien pauvre idée, pour être agréablement détrompé.

Pour ne point parler des relations confuses et obscures de Cabot, ou Gaboto, ou de quelques autres aventuriers moins distingués, la première relation, si l’on peut ainsi l’appeller, est celle de Jean Verazzani. Elle est contenue dans une lettre, en langue italienne, adressée à François I, et a été imprimée à Dieppe, en 1524. Cette lettre, qui se trouve dans le Recueil de Ramusio, ne nous apprend guère autre chose quel a date du premier voyage de Verazzani à l’Amérique du Nord, et les écrivains du temps n’en ont fuit aucune mention. Il y a une autre lettre de Verazzani au même monarque, contenant un récit plus détaillé d’un second voyage qu’il fit en 1525. Mais de même que la première, à peine mérite-t-elle qu’on en fasse mention.

Peut-être serait-il plus judicieux de regarder comme la première relation importante que nous ayons de la découverte et de la géographie, &c. de ce pays, les voyages de Jacques Cartier, le premier en 1534, et le second l’année suivante, lesquels, à part de beaucoup d’absurdités et d’exagérations, à l’égard des mœurs et des usages des habitans, qu’il n’avait pu connaître que très superficiellement, contiennent une description assez fidele du golfe et du fleuve St. Laurent, de l’île d’Anticosti, qu’il appelle L’Assomption, de l’île de Montréal, et de quelques autres lieux moins importants. Il est pourtant un peu singulier que Cartier se soit fait honneur de la découverte de l’île de Terre-Neuve, sur les côtes de laquelle il est bien connu qu’il y avait des pêcheries d’établies plusieurs années avant la date de son premier voyage; et il ne l’est pas moins, qu’après avoir remonté le St. Laurent, l’espace de cent quatre-vingts lieues, il ait pris le Canada pour une île.

En 1609, Marc Lescarbot, avocat au parlement de Paris, homme, dit l’Histoire Générale des Voyages, également distingué comme voyageur et comme auteur, publia une Histoire de la Nouvelle France en quoi est comprise l’histoire morale, naturelle et géographique de la dite province. En partie le résultat d’observations personnelles, cet ouvrage contient un bon apperçu de toutes les découvertes faites précédemment dans ce pays par les Français; et quoique mêlé de beaucoup de choses étrangères au sujet, il est écrit d’une manière judicieuse et impartiale, et forme une source précieuse de renseignemens pour ceux qui veulent étudier l’histoire.

Champlain publia la première relation de ses voyages en 1618, en un volume en 4to. En 1620, il publia un second volume en continuation du premier; et en 1632, il fit imprimer à Paris, un ouvrage plus étendu et plus important, intitulé: Les Voyages de la Nouvelle France Occidentale dite Canada, faits par le Sieur Champlain Xaintongeois, et toutes les découvertes faites en ce pays depuis l’an 1603 jusqu’à l’an 1629, où se voit comme ce pays a été premièrement découvert par les Français, &c. &c. A cet ouvrage est joint un essai sur la navigation, avec tout ce qui s’est passé en la dite Nouvelle France l’année 1631. Dans ce dernier ouvrage, Champlain jette un coup d’œil historique sur la Nouvelle France, depuis les premières découvertes de Verazzani jusqu’à l’année 1631, et on peut le regarder comme remplissant un espace obscur, mais non dépourvu d’intérêt d’environ cent ans. Charlevoix représente l’auteur comme un homme un peu trop porté à ajouter foi aux récits improbables qu’on lui faisait; mais malgré ce faible, il n’a point consigné d’erreurs importantes dans ses ouvrages, qui d’ailleurs contiennent des faits instructifs relatés d’une manière simple et exempte d’affectation. Ce qui accroît beaucoup son mérite comme historien d’un pays nouveau et inconnu, c’est que généralement parlant, il n’avance rien qu’il n’ait observé lui-même, ou qu’il ne tienne de témoins instruits et dignes de foi.

Dans un ouvragé périodique appellé le Mercure de France, se trouve une lettre écrite par le P. Lallemant, datée de Québec au mois d’Août de cette année 1636, donnant une description concise mais fidèle des parties du pays où les missionnaires jésuites étaient établis; et il parut ensuite dans le même ouvrage en 1632, un précis du Voyage fait en Canada pour la prise de possession du fort de Québec, qui avait été pris par les Anglais en 1629; et dans un numéro pour 1633, se trouve une Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France ou Canada, et une autre relation du Sieur Champlain de la Nouvelle France ou Canada. Comme ces lettres contiennent des choses utiles et des faits intéressants, nous n’avons pas cru qu’il fût hors de propos d’en faire ici mention, d’autant qu’il est assez facile d’aller à la Bourse où elles se trouvent.

En 1632, le P. Le Jeune, jésuite, publia, à Paris, une Briève relation de la Nouvelle France; et l’année suivante, parut le Novus Orbis, seu descriptionis Indiæ Occidentalis libri XVIII, par Jean de Laet. Cet ouvrage, qui fut traduit en français en 1640, contient un relevé du golfe et du fleuve St. Laurent et des côtes adjacentes, et un description de Québec, ainsi qu’une histoire de ce qui s’était passé dans la Nouvelle France, entre les Français et les Anglais, depuis le premier établissement du pays jusqu’à l’année 1632. On y trouve beaucoup de faits et d’observations intéressantes, et Charlevoix ne refuse point à l’auteur le mérite d’avoir puisé à de bonnes sources, excepté pourtant, ajoute-t-il, lorsqu’il a consulté des écrivains protestants, et s’est trop livré aux préjugés de sa religion.

C’est à cette même époque qu’il faut rapporter un ouvrage qui n’a été publié qu’en 1686, mais qui ne va que jusqu’à 1629: c’est celui du P. Sagard, récollet, et qui a pour titre: Histoire du Canada et voyages que les frères Récollets y ont faits pour la conversion des infidèles, où est amplement traité des choses principales arrivées dans ce pays, depuis l’an 1615 jusqu’à la prise qui en a été faite par les Anglais: des biens et commodités qu’on en peut espérer: des mœurs, cérémonies, créances, lois et coutumes merveilleuses de ses habitans: des conversions et baptêmes de plusieurs, et des moyens nécessaires pour les amener à la connaissance de Dieu: l’entretien ordinaire de nos mariniers, et autres particularités qui se remarquent en la suite de l’histoire.

Voilà certainement un titre qui promet beaucoup, et s’il avait été fidèlement rempli, l’ouvrage formerait une partie précieuse de notre histoire coloniale; mais l’éloge qu’en fait un autre missionnaire, en disant qu’il est écrit simplement et sans affectation, est suivi de la remarque, que l’auteur n’a pas été assez longtemps dans le pays pour être témoin de tout ce qu’il rapporte, non plus que pour s’assurer de la vérité de ce qui lui avait été raconté.

La relation du P. Bressani, le héros spirituel de la Nouvelle France, n’est guère que le détail de sa mission chez le peuple à la barbarie duquel il a du sa principale renommée.

L’auteur digne de remarque, qui vient immédiatement après ceux-ci, est le Sieur Pierre Boucher, gouverneur des Trois-Rivières. On a de lui une Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions du pays de la Nouvelle France vulgairement dite le Canada, publiée à Paris en 1664; “notice, suivant Charlevoix, assez superficielle mais fort fidèle.” L’auteur résidait en effet depuis longtemps en Canada, et y occupait un poste qui lui fournissait une occasion favorable de recueillir des matériaux pour l’histoire de ce pays. La même année, ou la suivante, parut l’Historia Canadensis du P. Ducreux, jésuite; histoire entièrement fondée sur les relations antérieures des missionnaires du même ordre, et qui a perdu aujourd’hui l’intérêt qu’elle pouvait avoir dans le temps de sa publication.

En 1671, furent publiées les lettres de la Mère Marie de l’Incarnation, première Supérieure des Ursulines de la Nouvelle France. Ces lettres sont écrites d’un style correct, et même élégant, et contiennent beaucoup de faits historiques intéressants arrivés pendant une résidence de trente-deux ans en Canada, à partir de l’année 1640.

LE LIBOIA.

Le Brésil est désolé par un grand nombre d’énormes serpens, de lézards, de crapauds, par mille autres reptiles à larges pattes, et par des milliers d’insectes que multiplie la chaleur humide. Le reptile connu sous le nom de liboïa mérite surtout d’être connu. Voici la peinture qu’en fait M. de Beauchamp.

Le liboïa est gros comme le corps d’un homme, et quelquefois long de quarante pieds. Il est couvert d’écailles et de taches irrégulières, et a le dos d’un noir verdâtre et les flancs d’un jaune brun. Sa tête est plate, et sa large bouche renferme une double rangée de dents aigües. Il est armé sous le ventre de deux fortes griffes pour saisir sa proie. Sa force et sa voracité sont telles que, poussé par la faim, il attaque et mange des hommes, des sangliers et mêmes des tigres. Ses yeux ont-ils apperçu sa proie, ils semblent lancer de vives étincelles; sa langue fourchue s’agite dans sa large bouche; il saisit sa victime avec ses griffes, s’y cramponne, s’entortille autour, la couvre d’une bave visqueuse pour l’avaler plus facilement, et passe grand nombre de jours à la digérer.

Ce serpent colossal et amphibie se plaît dans la vase et dans l’eau. Il est l’effroi des Indiens et des Portugais. Les Nègres, plus hardis, l’attaquent souvent avec avantage, soit à coups de fusil, soit avec l’arc et la flèche. Si le monstre n’est que blessé, il s’agite en tous sens, coupe les broussailles et les jeunes arbres, siffle, rugit, enfonce sa queue avec violence dans l’eau, couvre ceux qui le combattent d’une vase infecte et de nuages de poussière mêlés de boue, comme dans un ouragan. Est-il blessé à mort, il continue a se tordre, à se replier sur lui-même, jusqu’à ce qu’un des nègres assaillants s’approche, et, bravant le danger, lui jette au cou une corde avec un nœud coulant. Maître enfin de l’énorme reptile, et tenant à la main le bout de la corde, le nègre grimpe sur un arbre, hisse le monstre, qui demeure suspendu: il quitte ensuite l’arbre, tenant entra ses mains un couteau fort et acéré, s’attache au corps du reptile, qui tournoie et s’agite, et nu, ensanglanté, il serre des bras et des jambes la peau luisante du monstre encore vivant, la fend près du cou, et l’en dépouille. Il tire ensuite de sa proie une graisse clarifiée, qu’il convertit en huile, et se régale de la chair avec ses compagnons.

(Beautés de l’Histoire d’Amérique.)

LES CREOLES,

Ou descendant des Européens dans les Antilles, &c.

Les créoles sont, en général, bien faits. A peine en voit-on un seul affligé des difformités si communes dans les autres climats. Il ont tous, dans les membres, une souplesse extrême, soit qu’on doive l’attribuer à une constitution organique propre aux pays chauds, à l’usage de les élever sans les entraves du maillot ou de nos corsets, ou aux exercices qui leur sont familiers dès l’enfance. Cependant leur teinte n’a jamais cet air de vie et de fraîcheur qui tient de plus près à la beauté que des traits réguliers. Leur santé ressemble, pour la couleur, à la convalescense; mais cette teinte livide, plus ou moins foncée, est à peu près celle de nos peuples méridionaux.

Leur intrépidité s’est signalée à la guerre par une continuité d’actions brillantes. Il n’y aurait pas de meilleurs soldats, s’ils étaient capables de discipline.

L’histoire ne leur reproche aucune de ces lachetés, de ces trahisons, de ces bassesses qui souillent les annales de tous les peuples. A peine citerait-on un crime honteux qu’ait commis un créole.

Tous les étrangers, sans exception, trouvent dans les Iles une hospitalité prévenante et généreuse. Cette utile vertu se pratique avec une ostentation qui prouve au moins l’honneur qu’on y attache. Ce penchant naturel à la bienveillance exclut l’avarice. Les créoles sont faciles en affaires.

La dissimulation, les ruses, les soupçons n’entrent jamais dans leur âme. Glorieux de leu franchise, l’opinion qu’ils ont d’eux-mêmes et leur extrême vivacité écartent de leur commerce ces mystères et ces réserves qui étouffent la bonté du caractère, éloignent l’esprit social, et rétrécissent la sensibilité.

Une imagination ardente, qui ne peut souffrir aucune contrainte, les rend indépendants et inconstants dans leurs goûts; elle les entraîne au plaisir avec une impétuosité toujours nouvelle, à laquelle ils sacrifient et leur fortune et tout leur être.

Une pénétration singulière, une prompte facilité à saisir toutes les idées et les rendre avec feu; la force de combiner jointe au talent d’observer; un mélange heureux de toutes les qualités de l’esprit et du caractère, qui rendent l’homme capable des plus grandes choses, leur fera tout oser, quand l’opppression les y aura forcés.

L’air dévorant et salin des Antilles prive les femmes de ce coloris animé qui fait l’éclat de leur sexe. Mais elles ont une blancheur tendre, qui les rend plus intéressantes, et qui donne à leur physionomie une irrésistible douceur. Extrêmement sobres, tandis que les hommes consomment à proportion des chaleurs qui les épuisent, elles n’aiment que l’usage du chocolat, du café, de ces liqueurs spiritueuses qui redonnent aux organes le ton et la vigueur que le climat énerve.

Les femmes créoles ont presque toutes beaucoup d’enfans; souvent elles sont mères de dix ou douze. Elles ont pour leurs époux le plus vif attachement; mais si la mort vient à rompre les neuds d’un premier ou d’un second hymen, elles en serrent ordinairement de nouveaux.

Elles connaissent tous leurs devoirs, et s’en écartent rarement. Bonnes mères, bonnes épouses, elles vivent pour la plupart isolées, négligent tous les moyens de plaire, quoiqu’elles soient extrêmement jalouses, ne se livrent presque jamais aux divers plaisirs qu’offre la société, et concentrent dans l’intérieur de leurs ménages toute l’activité de leurs âmes.

L’espèce de solitude où elles sont dans leurs habitations leur donne une grande timidité, qui les embarrasse dans le commerce du monde. Elles contractent de bonne heure un défaut d’émulation et de volonté qui les empêche de cultiver les talens agréables de l’éducation. Elles semblent n’avoir de force ni de goût que pour la danse, qui seule peut les arracher à leur langueur habituelle. Ce goût pour la danse les suit dans tous les âges, soit qu’elles y retrouvent le souvenir de quelques sensations de leur jeunesse, soit pour d’autres raisons, qui ne nous sont pas connues.

De ce tempérament naît un caractère extrêmement sensible et compatissant pour les maux, jusqu’à ne pouvoir en supporter la vue. Mais en même temps exigeantes et sévères pour le service des domestiques qui sont attachés à leurs personnes, plus despotiques, plus inexorables envers leurs esclaves que les hommes mêmes, il ne leur coute rien d’ordonner des châtimens dont la vue serait pour elles une punition et une leçon, si jamais elles en étaient les témoins.

C’est de cet esclavage des nègres que les créoles tirent peut-être en partie, un certain caractère qui les fait paraître bisarres, fantasques, et d’une société peu goutée en Europe. A peine peuvent-ils marcher, dans l’enfance, qu’ils voient autour d’eux des hommes grands et robustes, destinés à deviner, à prévenir leurs volontés. Ce premier coup d’œil doit leur donner d’eux-mêmes l’opinion la plus extravagante. Rarement exposés à trouver de la résistance dans leurs fantaisies, même injustes, ils prennent un esprit de présomption, de tyrannie, et de mépris pour une grande portion du genre humain. Rien n’est plus insolent que l’homme qui vit presque toujours avec des inférieurs; mais quand ceux-ci sont des esclaves accoutumés à servir des enfans, craindre jusqu’à des cris qui doivent leur attirer des châtimens, que peuvent devenir des maîtres qui n’ont jamais obéi, des méchants qui n’ont jamais été punis, des fous qui mettent des hommes à la chaine.

Une idolâtrie si cruellement indulgente donne aux Américains cet orgueil qu’on doit haïr en Europe, où plus d’égalité entre les hommes leur apprend à se respecter davantage. Elevés sans connaître ni la peine ni le travail, ils ne savent ni surmonter un obstacle, ni suporter une contradiction. Raynal.

ACADEMIE DES SCIENCES.

Séance du 23 Mars.

Les débris d’espèces d’animaux perdues, que des fouilles multipliées ont fait découvrir en divers lieux, et dont on a fait une race à part sous le nom d’animaux antédiluviens, sont-ils véritablement le produit d’une autre création qui, n’aurait aucune parenté avec les êtres que nous connaissons maintenant, ou bien, au contraire, les animaux des premières époques de la terre sont-ils liés à titre d’ancêtres à ceux qui vivent aujourd’hui?

Telle est la question que M. Geoffroy Saint-Hillaire se propose d’éxaminer dans un mémoire dont il a lu la première partie à cette séance. Cette discussion, qui intéresse aussi bien le philosophe et l’historien que le naturaliste, mérite que nous nous en occupions ici, en négligeant toutefois les détails purement scientifiques.

M. Geoffroy commence par avouer que la science ne possède pas encore assez de faits pour présenter, d’une manière rigoureuse la généalogie non interrompue des êtres; mais pourtant il ne craint pas de rejeter entièrement l’idée que l’œuvre des six jours ait pu être reprise, et que de nouveaux êtres aient été reproduits par une nouvelle création. En cela il nous parait avoir adopté l’opinion la plus philosophique, la seule qui puisse s’accorder avec les plus anciennes données de l’histoire et même avec les spéculations des sciences physiques, comme ses propres expériences, tendent à le prouver.

Nous voyons bien, il est vrai, en assistant à cette espèce de résurrection des premiers habitans de la terre, que la plupart de ces animaux, si ce n’est tous, furent différents des espèces de l’ordre actuel; mais pourtant tous sont entrés sans difficulté dans les cadres des grandes classifications; tous comme étant formés d’organes analogues, ne semblent que des modifications d’un même être, de ce qu’on appelle maintenant animal vertébré. Les plus grandes différences que l’on observe et qui caractérisent les deux époques, ne portent que sur le plus ou le moins de volume des parties, rarement sur leur nombre; on n’apperçoit pas un défaut complet d’analogie, qui indiquerait qu’un autre principe a présidé à la formation de la race antédiluvienne, et certes l’observateur a quelquefois moins de peine à retrouver la famille de certains fossiles gigantesques, qu’à replacer dans leur ordre et leur position naturelle les parties de ces animaux difformes que la nature enfante encore asses souvent aujourd’hui, sous l’influence de causes quelquefois inappréciables.

Pourquoi donc serait-il nécessaire pour faire l’histoire zoologique du globe et pour interpréter les faits d’une manière raisonnable, de supposer que l’auteur de toutes choses a d’abord essayé ses forces en donnant la vie à des animaux qu’il a fait bientôt disparaître de la surface de la terre, pour former de nouvelles combinaisons définitives, telles que nous les voyons aujourd’hui?

Ne convient-il pas mieux d’admettre que les habitans de l’ancien Monde n’ont pas été anéantis pour faire place à d’autres, mais qu’il ont seulement été modifiés et transformés, pour ainsi dire, par les circonstances extérieures! On ne peut contester que telles conditions ne soient nécessaires à telles formes d’organisation, et que celles des êtres qui vivent actuellement ne soient sous l’influence de l’air, de la chaleur, de l’humidité, et de tout ce qui constitue l’état présent de notre globe. Il est évident que ces circonstances venant à changer, entraîneraient infailliblement des modifications considérables dans tous les êtres vivans. Pour quoi donc les grandes révolutions qui ont bouleversé le Monde à différentes époques, dont noua retrouvons, pour ainsi dire, les dates, ne suffiraient-elles pas pour expliquer ces changemens de proportions dans les formes et dans les organes qui distinguent nos espèces des races antédiluviennes?

Il est impossible d’ailleurs de douter de cette immense influence des phénomènes extérieurs sur les êtres organisés. Les expériences les plus positives viennent en foule pour le démontrer, et c’est ici que l’étude des monstres poussée avec tant d’ardeur dans ces derniers tems, et à laquelle M. Geoffroy Saint-Hilaire ne cesse de rendre les plus importants services, nous offre plusieurs points de comparaison.

En effet, si des causes très légères, quelquefois inappréciables, tiennent souvent changer le cours de la nature et interrompre la régularité de ses opérations, si surtout il est facile dé produire des êtres difformes ou plus ou moins éloignés de la conformation habituelle, en variant les circonstances qui précédent leur naissance, que ne pouvons-nous pas attendre d’àgens aussi puissants que les élémens qui nous entourent, dont l’action est continuelle et sans lesquels nous ne pouvons vivre? La science est assez avancée aujourd’hui et les faits assez nombreux, pour que l’on puisse affirmer que, si depuis longtems on voit les générations d’animaux se succéder sans aucune variation notable dans leurs formes, c’est que le monde a pour ainsi dire pris son assiette, et que ses élémens ne subissent plus de changemens remarquables.

Voyez les expériences faites par M. Geoffroy lui-même dans un établissement d’Autueil, où l’on faisait éclore des poulets sans mère, au moyen de la chaleur convenablement graduée. Il lui a suffi de faire varier lés phénomènes de chaleur, de sécheresse ou de toute autre condition nécessaire à l’éclosion de l’œuf; pour produire chez le jeune poulet les formes et les déviations d’organes les plus bizarres. Nous ne pouvons point sans doute, avec ces faibles moyens, parvenir à créer des espèces nouvelles qui vivent et se perpétuent; mais ce n’est pas une raison de se défier des immenses ressources de la nature.

Il devient nécessaire ici de donner quelques développement à nos idées, de peur qu’en les poussant trop loin on ne nous mène à l’absurde.

En adoptant l’opinion si sage de M. Geoffroy Saint-Hilaire; que les animaux du monde actuel ne sont que les descendans modifiés des races antédiluviennes, nous ne partageons pas l’opinion de quelques philosophes qui croient que toute nature vivante est sortie d’un même être, né de circonstances fortuites, d’abord informe, puis se perfectionnant peu à peu, et qui aurait donné naissance à des rejetons plus parfaits que lui destinés eux-mêmes à produire, après de nombreux dévelopemens, toutes les espèces connues aujourd’hui. Nous ne croyons pas à cette complète métamorphose, et surtout il paraît convenable de séparer entièrement l’histoire de l’homme de celle des animaux, de rejeter toute idée de transformation à son égard; nous nous gardons bien de le faire descendre d’un animal, et nous verrons toujours un abîme entre lui et le singe le plus parfait; en un mot, nous croyons que l’homme a toujours été ce qu’il est, et que lui seul est fait à l’image de Dieu.

M. Geoffroy Saint-Hilaire a terminé cette partie de son Mémoire par quelques considérations sur l’opinion de la préexistence des germes, qui a été admise pendant si longtems, et rejetée par la nouvelle école physiologique. Nous ne voulons point entrer ici dans cette discussion; nous dirons seulement que M. Geoffroy pense que cette idée doit tomber devant ses expériences faites en grand sur les œufs de poules, dans lesquelles il a fait dévier l’organisation de sa marche naturelle.

Si en effet, le premier individu d’une espèce eût contenu en lui-même les germes de toute sa descendance, on ne pourrait point concevoir qu’il fût possible d’obtenir ces changemens monstrueux qu’il est pourtant si facile de déterminer dans de certaines conditions; ce sont, il est vrai, des exceptions, mais qui entrent jusqu’à un certain point dans les lois de secours de l’art. Il ne se passe pas de semaine que M. Geoffroy Saint-Hilaire n’en reçoive trois ou quatre nouvelles.

Ces faits lui paraissent difficiles à expliquer dans la doctrine de la préexistence, qui suppose un simple développement, un déboitement, pour ainsi dire, sans aucune modification, de tous les individus d’une espèce qui sont contenus les uns dans les autres; mais s’il nous était possible de discuter ici la valeur de ce raisonnement, nous pourrions montrer qu’il n’est juste que dans de certaines limites.

MERVEILLES DE LA NATURE ET DE L’ART.

Fontaine intermittente.

En sortant de Digne, tout près d’un bourg appelle Colmars, on apperçoit une fontaine intermittente, dont les intervalles sont marqués avec une exactitude extraordinaire. Un murmure sensible est l’avant-coureur de l’apparition de l’eau. Ce n’est d’abord qu’un petit filet, qui grossit graduellement, jusqu’à un volume considérable, et coule ensuite ainsi pendant quelques instans. Il décroît absolument de même, pour reparaître au bout de sept à huit minutes.

La manière dont les savans expliquent ce phénomène de la nature le rend facile à comprendre. Ils supposent que les montagnes où est située cette fontaine ont deux réservoirs, l’un supérieur, l’autre inférieur; que le canal par lequel ils communiquent ensemble à la forme du siphon, et que la branche la plus courte de sa courbure touche au réservoir supérieur, tandis que la plus longue arrive à l’inferieur. Il résulte de là que lorsque le premier se trouve plein d’eau, elle s’écoule par le siphon dans le second, avec plus de rapidité que la source n’en met à remplir le réservoir supérieur; de manière que le moment arrive où le siphon doit attendre que le premier réservoir soit rempli de nouveau, pour faire couler l’eau qu’il contient dans le réservoir inférieur. Cette opération, qui se renouvelle dans un espace de temps déterminé, produit les intermittences. Celles de la fontaine que nous venons de décrire reviennent sept à huit fois dans une heure.

La Fontaine de Bologne.

Cette fontaine, qui a été exécutée sur les dessins de Jean de Bologne, se trouve dans la ville de ce nom. Elle représente un Neptune. Cette statue colossale est placée sur un piedestal, aux angles duquel sont quatre enfans tenant des dauphins qui jettent de l’eau. Aux quatre coins du soubassement se trouvent des sirènes qui se pressent les mamelles, et en font jaillir de l’eau. Toutes ces figures sont en bronze; le reste du monument est en marbre. L’eau que jettent les dauphins et que répandent les sirènes, retombe dans des coquilles de marbre, dans lesquelles on peut en puiser dans tous les sens.

Mine de bitume sec.

Cette mine extraordinaire est sous la montagne, dans la partie dite San-Michele, de la ville de Nicosia, en Sicile. Elle a été ouverte par les eaux, et dans la coupe perpendiculaire qu’elles ont faite, on voit une alternative de plus de soixante couches d’ardoise, de pierre calcaire et de bitume noir et sec. Ce bitume se divise en lames très minces, et toutes ses surfaces sont saupoudrées de fleur de souffre.

VARIÉTÉS.

MUSIQUE.

Le fameux violoniste Paganini est en ce moment à Berlin. où il excite des transports d’admiration; les journaux de cette capitale retentissent de ses louanges: l’un déclare que s’il ne l’avait pas entendu, il ne croirait pas à un pareil prodige, ou plutôt que bien qu’il soit sûr de l’avoir entendu, il peut à peine y croire; l’autre assure que tout ce que les plus célèbres violonistes exécutent n’est qu’un jeu d’enfant auprès des difficultés incompréhensibles que Paganini a créées le premier pour les surmonter; en un mot tout le monde convient que rien de ce que l’on connaissait avant lui ne peut se comparer à son talent. On trouve à son sujet dans la Revue musicale une note où il est question d’un jeune violoniste de Vienne, qui aurait non seulement imité à s’y méprendre la manière de cet artiste, mais reproduit des morceaux que ce dernier n’avait jamais fait graver. Ce jeune homme, après s’être fait entendre à Vienne, vient d’entreprendre un voyage, et il a donné déjà à Munich et à Neremberg, plusieurs concerts qui ont été couronnés d’un immense succès.

MOYEN DE RENDRE LE BOIS INCOMBUSTIBLE.

Il est un moyen de rendre le bois incombustible, et il peut-être employé fort à propos dans la construction des granges, des fermes, des habitations et autres bâtimens domestiques, et surtout pour les bois qui se trouvent placés près d’un foyer, si l’on ne veut pas l’employer pour tout le bâtiment.

Il suffit de faire dissoudre jusqu’à saturation, de la terre siliceuse, préalablement bien lavée et dégagée de matières étrangères, dans une solution d’alcali caustique, et de l’étendre sur le bois. Cette couche résiste à l’action de l’air, de l’eau et du feu. Des essais ont été faits sur deux poutres placées sur un édifice factice, qui fut incendié; elles résistèrent seules à l’action du feu.

PARALYSIE GUERIE PAR LA FOUDRE.

L’Observateur de Naples rapporte le fait suivant: Un homme attaqué d’une paralysie des membres inférieurs, ne pouvait plus marcher depuis trois ans. La foudre étant tombée sur le petit vaisseau New-York, à côté du lit où ce malade était couché, il se releva spontanément, et reprit l’usage de ses jambes comme s’il n’en avait jamais été privé. Depuis lors, sa guérison ne s’est pas démentie un seul instant.

Ventre affamé n’a point d’oreilles.

D’un air fier, empressé, entra un personnage fort proprement vêtu, qui demanda la carte d’une voix éclatante.........Quelques douzaines d’huitre y passèrent ainsi que la bouteille de Chablis; puis vinrent le Lafitte, la bécassine, les truffes, les sucreries, le dessert le plus délicat, le café, les liqueurs les plus recherchées, rien ne fut oublié: notre homme commenta la carte, se fit servir les mets les plus coûteux, et engloutit un énorme diner avec une voracité sans pareille.

Les garçons étaient empressés: le pour-boire devait être en proportion de la dépense, et, certes, ils étaient en droit d’attendre au moins le petit écu de gratification. Après une heure de combat, le vorace étranger se lève, s’approche du comptoir, jette un regard inquiet sur la salle, et dit au patron: “Monsieur, libre à vous maintenant de me faire arrêter. Je viens de diner chez vous avec un appétit!...vous avez vu. Quant aux moyens de m’acquitter envers vous, l’occasion se présentera peut-être par la suite; mais pour aujourd’hui, je dois vous prévenir que je n’ai pas le sou, que je suis sans ressource aucune, que j’avais un appétit d’enfer, et que vous même sans doute auriez été faché de me voir mourir de faim. Maintenant, je suis à votre disposition; me voilà!—Mais, monsieur, il me semble que vous auriez pu du moins ne pas vous faire servir les meilleurs plats, et que de bous haricots et du bœuf vous auraient aussi bien satisfait.—J’en conviens; mais vous savez le proverbe: Quand on prend du galon....et puis, d’ailleurs, je n’étais pas plus coupable d’une manière que de l’autre, et je me suis exposé à toutes les conséquences de ma folle conduite: qu’ordonnez-vous? je suis prêt à vous suivre.”

Après avoir un peu réfléchi sur la dure nécessité de supporter une perte d’une cinquantaine de francs, et touché peut-être aussi de l’embarras du pauvre diable, le chef lui dit; “Ecoutez, je vous pardonne à une condition—Laquelle? C’est que vous irez demain chez le restaurateur qui est à côté, et que vous lui jouerez le même tour.—Impossible, monsieur.—Et pourquoi?—Parce que cela ne se peut pas.—Et la raison?—C’est qu’il me reconnaîtrait, car hier je lui ai joué le même tour, et il ne m’a pardonné qu’à condition que je viendrais aujourd’hui chez vous.”

Dans ce moment, des plats et des caraffes tombèrent avec fracas dans la pièce voisine; le maître tourna ses regards du côté du tumulte, et l’adroit gastronome profita du moment pour gagner la rue, qu’il arpenta avec une vélocité extraordinaire.

Ventre plat, taille élancée, nez corbin, bouche énorme, habit chocolat, pantalon gris, bottes à éperons; tel est le signalement de notre individu. C’est à vous d’en faire justice, messieurs les restaurateurs; tenez-vous sur vos gardes.—Le Figaro.

VERS.

SUR LES PRINCES.

Etre prince est un beau métier,

Quand un prince le sait bien faire;

De ceux-là dans le monde entier,

Qui compte bien n’en compte guère.

Ils s’imaginent, d’ordinaire,

Que les hommes sont destinés

Pour les servir et pour leur plaire:

Cependant c’est tout le contraire,

C’est pour les hommes qu’ils sont nés.

 

Desmarais.

Epitaphe.

        Ici gît le corps d’une belle

Que la mort d’un mari réduisit au trépas:

        C’est la seule mode nouvelle

        Que les femmes ne suivront, pas.

Sur les réformes

Point de réforme salutaire,

Si l’on consulte en réformant,

Non pas le désir de mieux faire,

Mais celui de faire autrement.

 

Pons.

L’esprit dans le vin.

Tout mon esprit, quand je ne suis point ivre

Ne me fournit qu’un petit mot ou deux;

Mais quand j’ai bu, je parle comme un livre,

Et j’en dis plus cent fois que je ne yeux.

A trop aimer, l’âme se déconcerte,

On perd l’esprit et la raison qu’on a;

Mais en buvant, elle est toujours alerte,

Et l’esprit vient quand la raison s’en va.

Amour de la lecture.

Pourquoi tous ces livres divers

Ecrits en prose, écrits en vers,

Et qui remplissent vos tablettes?

(Disait au libraire Ménard

Un certain noble campagnard,)

Qui pourra lire ces sornettes?

—Des sornettes! Vous vous trompez;

Ce sont de nos meilleurs poëtes

Tous les ouvrages renommés:

Vous devriez en faire emplette.

—Emplette? à quoi bon? vous saurez

Que m’étant joint à deux curés,

Nous souscrivons pour la gazette.

 

M. J. Q.....l

LE VILLAGE D’INDUSTRIE, &c.

Les biens de la fortune ne sont jamais mieux employés que quand ils servent à l’amélioration d’un pays. Combien doivent être douces les jouissances de l’homme riche, quand au lieu de les faire consister uniquement en de folles dépenses, en de magnifiques équipages toujours en mouvement, en de somptueux repas répétés à satiété, en une molle oisiveté, ou en quelque chose de bien pire encore, il se plaît à défricher des terres incultes, à convertir la forêt première en fermes productives, ou en villages florissants, à faire d’un lieu inutile pour l’homme entre les mains de l’agreste nature, un centre de population, d’industrie et de commerce; quand en travaillant pour son avantage particulier, il a en vue et procure en effet la commodité publique.

C’est ce qui est arrivé à l’endroit nommé à juste titre le Village d’Industrie. Le site de ce village est un joli côteau de sable sur la rive droite de la rivière L’Assomption, une lieue environ au-dessus de l’église et du village de St. Paul, et près d’une chûte ou cascade de plusieurs pieds de hauteur, et dont le bruit se fait entendre d’assez loin. Il n’y a guère plus de cinq ou six ans, ce côteau et le terrain qui l’avoisine étaient une forêt primitive et intacte; et aujourd’hui l’on y compte une quarantaine de maisons, outre les deux palais qu’y ont fait bâtir MM. Joliette et Leodle, propriétaires, conjointement avec leur beau-frère, M. de Lanaudiere, de la seigneurie de Lavaltrie, où ce village est situé, ainsi que la paroisse de St. Paul, dont il dépend. C’est à l’esprit d’entreprisé de ces messieurs que sont dûes toutes les améliorations qui se voient dans l’endroit. Entre ces améliorations le moulin est sans doute l’objet le plus curieux et le plus digne d’attirer l’attention du voyageur: c’est un édifice solidement bâti en pierre, à plusieurs étages, et de cent vingt ou cent quarante pieds de longueur. Outre le moulin à farine, on y voit un moulin à scie avec toutes les commodités imaginables pour la prompte et facile entrée et sortie du bois; un moulin à bardeaux, également ingénieux et expéditif; un moulin à carder, un autre pour fouler l’étoffe, et jusqu’à un moulin à clous. M. Joliette a eu la complaisance de me conduire dans l’intérieur du bâtiment, et je n’ai pas eu lien de regretter le temps que j’ai mis à y examiner tout ce qui mérite d’y être vu. Le canal et les digues qu’il a fallu faire sont aussi de bons et beaux ouvrages de l’art, et dont le coût a dû être considérable.

Dans cet endroit embelli par l’industrie et romantique de sa nature, la rivière L’Assomption offre la singularité d’un bassin d’une immense profondeur immédiatement au-dessus du galet à peine couvert d’eau, qui forme la chûte du moulin. Tout ce qu’il y a à regretter peut-être, c’est que le village d’Industrie ne soit pas assez éloigné de celui de St. Paul, pour qu’on puisse espérer d’y voir, du moins prochainement, une église paroissiale; mais on se propose d’y bâtir une maison d’école, et peut-être par la suite une chapelle.

Je ne puis laisser ce chapitre sans dire au moins un mot d’un autre endroit, où, quoiqu’il n’y ait pas encore de village proprement dit, on remarque à peu près les mêmes avantages naturels et le même genre d’industrie et d’esprit d’entreprise. Je veux parler du bel établissement de M. Languedoc, à St. Georges de la Mascoutine. Je n’ai pas vu sans un vif intérêt la belle et commode maison et le profitable moulin que ce monsieur a fait bâtir, ainsi que toutes les autres améliorations dont il est l’auteur, et qui, comme celles du Village d’Industrie, ne datent que de quelques années. M. Languedoc a établi, près de son moulin, une tannerie où il se propose de faire suivre quelqu’une des méthodes perfectionnées dont il a été parlé dans la Bibliothèque Canadienne. Il doit se bâtir prochainement une église à St. Georges; mais il est encore à regretter qu’elle doive l’être un peu plus haut que l’établissement de M. Languedoc, pour se trouver au centre de la seigneurie.

Deux ou trois autres villages considérables se sont élevés, presque d’un coup, depuis quelques années, dans le district de Montréal: ce sont ceux de Beauharnois et de Napierville ou St. Cyprien, et, me dit-on, celui de St. Césaire. Les deux premiers comptent déjà une cinquantaine de maisons, dont plusieurs ne dépareraient pas une cité, quoiqu’ils ne soient encore qu’à quelques arpens d’épaisses forêts.

M. D.

LE GEANT CANADIEN.

Plusieurs des journaux de New-York ont parlé du Géant Canadien; mais les rédacteurs traitent généralement Mr. Malhiot d’une simple masse de chair et de sang, et conséquemment leurs remarques sont peu dignes d’attention, mais le morceau suivant, qui est de la plume du savant Dr. Mitchell, mérite, suivant nous, d’être transcrit. (Canadian Courant, du 9 Mai.)

“J’ai eu aujourd’hui, 23 Avril 1829, une entrevue avec Mr. Modeste Malhiot, natif de St. Jean Deschaillons, dans le Bas-Canada; lequel, à raison de sa grandeur et de sa grosseur énormes et extraordinaires, a été nommé le Géant Canadien[1].

“Dans ma conversation avec lui, et j’écris ceci en sa présence, il m’a dit qu’il était âgé de soixante-trois ans, ou environ. Il était charpentier de son métier, et jusqu’à il y a une dixaine d’années, il pouvait manier la hache, l’égouine, la plane, et autres outils, avec une entière dextérité; et malgré la masse extraordinaire de son corps, il fut jusqu’alors aussi actif que les autres hommes. Il commença alors à grossir, et il a toujours continué depuis à croître en grosseur et en pesanteur. On doit en être convaincu quand on sait que son poids est plus considérable cette année qu’il ne l’était en 1828. Sa tête n’a guère plus que la grosseur ordinaire; le principal surcroît de grosseur est dans le tronc, particulièrement dans le thorax et l’abdomen (la poitrine et le bas-ventre,) ainsi que dans les extrémités inférieures, y compris les cuisses, les jambes et les pieds; cependant aucunes de ces parties ne m’ont paru attaquées d’hydropisie, quoiqu’un peu enflées (tumid) et disproportionnées. On me dit que Mr. Malhiot mange, digère et dort bien, et entr’autres choses, qu’il n’est pas un grand consommateur d’alimens.

“Je pense que les zoologistes et les physiologues de l’Europe, où il se rend, trouveront en lui un beau sujet de contemplation, et je ne doute pas qu’on ne le voie à Paris, à Londres et ailleurs, avec plus d’intérêt peut-être que je n’ai fait.”

SAMUEL L. MITCHELL.


Pour les dimensions, du moins en hauteur, puisque la grosseur a augmenté depuis, voir La Bibliothèque Canadienne. Tome II. No. 4, page 135.

LONGEVITÉ.

Décédé, à Ste Rose, dans l’Isle Jésus, district de Montréal, le 15 du courant, Mr. François Forgue dit Morugeau, âgé de 124 ans. Il naquit à Québec en 1705, passa une partie de sa vie dans les Indes Occidentales (ou Iles) françaises, et fut présent aux principaux événemens où les Canadiens se sont distingués par leur valeur. (Gazette de Québec.)

TRANSCRIBER NOTES

Printer errors have been corrected. Where multiple spellings occur, majority use has been employed.

Mis-spelled words and punctuation have been maintained except where obvious printer errors occur.

[The end of La Bibliothèque canadienne, Tome VIII, Numero 6, Mai 1829. edited by Michel Bibaud]