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Title: La Bibliothèque canadienne, Tome VI, Numero 4, Mars 1828.

Date of first publication: 1828

Author: Michel Bibaud (1782-1857) (editor)

Date first posted: Oct. 29, 2021

Date last updated: Oct. 29, 2021

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La Bibliothèque Canadienne


Tome VI. MARS, 1828. Numero 4.

HISTOIRE DU CANADA.

Pour revenir au comte de Frontenac, dès que ce géneral eut reçu le second courier de M. Provôt, il envoya le sieur de Ramsay, gouverneur des Trois-Rivières, au chevalier de Callières, pour lui ordonner de descendre à Québec, le plus promptement qu’il lui serait possible, avec toutes ses troupes, à la réserve de quelques compagnies, qui devaient être laissées pour garder Montréal, et de se faire suivre de tous les habitans qu’il pourrait rassembler dans sa route. Il marcha ensuite, sans s’arrêter, jusqu’à Québec, où il arriva le 14 Octobre, à dix heures du soir, et où il apprit que la flotte anglaise était au pied de la traverse de l’île d’Orléans.

Il fut très satisfait de l’état où M. Provôt avait mis cette place: cet officier y avait fait entrer un grand nombre d’habitans, qui montraient beaucoup de résolution et de confiance, et quoiqu’il n’eût eu que cinq jours pour faire travailler aux fortifications, il n’y avait aucun endroit faible dans la ville où il n’eût pourvu de manière à ne pas craindre un coup de main. Le gouverneur y fit ajouter quelques retranchemens, qu’il jugea nécessaires, et confirma l’ordre judicieusement donné par le major aux capitaines des compagnies de milices de Beauport, de la côte de Beaupré, de l’île d’Orléans et de la côte de Lauzon, qui couvraient Québec du côté de la rade, de ne point quitter leur poste qu’ils ne vissent l’ennemi faire sa descente et attaquer le corps de la place; auquel cas, ils devaient se tenir prêts à marcher où on les appellerait.

M. de Longueil, fils ainé du sieur Lemoyne, était parti avec une troupe de sauvages, Hurons et Abénaquis, pour examiner les mouvemens de la flotte anglaise: toutes les côtes avancées du bas du fleuve étaient garnies d’habitans pleins de zèle et de bravoure, qui obligeaient les chaloupes envoyées par l’ennemi à regagner le large: enfin, il arrivait continuellement à la ville des milices de Montréal et des Trois-Rivières aussi remplies de bonne volonté que celles des environs de Québec.

Le 15, le chevalier de Vaudreuil, commandant des troupes, partit de grand matin, avec cent hommes, pour aller à la découverte et pour charger les ennemis, s’ils entreprenaient de faire une descente. Il lui avait été expressément recommandé de ne les point perdre de vue, et de donner avis de tous les mouvemens qu’ils feraient; commission dont il s’acquitta à l’entière satisfaction de M. de Frontenac.

A cette précaution, ce général en ajouta une autre: comme il était à craindre que les vaisseaux qu’on attendait de France ne vinssent se jetter inopinément entre les mains des Anglais, il dépêcha deux canots bien équippés par le petit canal de l’île d’Orléans, avec ordre à ceux qu’il y lit embarquer d’aller aussi loin qu’ils pourraient au-devant de ces vaisseaux, et de les avertir de ce qui se passait.

Il fit commencer, le même jour, une batterie de huit pièces de canon, sur la hauteur qui était à côté du fort, et elle fut achevée le lendemain. Ainsi, dit Charlevoix, les fortifications commençaient au palais, sur le bord de la petite rivière St. Charles, remontaient vers la haute ville, qu’elles environnaient, et venaient finir à la montagne, vers le Cap aux Diamans. On avait aussi continué, depuis le palais, tout le long la grève, une palissade jusqu’à la clôture du séminaire, où elle était terminée par des rochers inaccessibles, qu’on appelle le Sault au Matelot; et là il y avait une batterie de trois pièces. Une seconde palissade, qu’on avait tirée au-dessus de la première, aboutissait au même endroit, et devait couvrir les fusilliers. La basse ville avait deux batteries, chacune de trois pièces de dix-huit livres de balles, et elles occupaient les intervalles de celles qui étaient à la haute ville. Les issues de la ville où il n’y avait pas de portes étaient barricadées avec de bonnes poutres et des bariques pleines de terre, en guise de gabions, et les dessus étaient garnis de pierriers. Le chemin tournant de la basse ville à la haute était coupé par trois différents retranchemens de bariques et de sacs pleins de terre, avec des espèces de chevaux de frise. Dans la suite du siège, on fit une seconde batterie au Sault au Matelot, et une troisième à la porte qui conduisait à la rivière St. Charles. Enfin on avait disposé quelques petites pièces de canon autour de la haute ville, et particulièrement sur la butte d’un moulin qui servait de cavalier.

Le 16, à trois heures du matin, M. de Vaudreuil revint à Québec, et rapporta qu’il avait laissé la flotte anglaise à trois lieues de la ville, mouillée en un endroit appellé l’Arbre sec. En effet, dès qu’il fit jour, on l’apperçut des hauteurs. Elle était composée de trente voiles de différentes grandeurs, et le bruit se répandit qu’elle portait trois mille hommes de débarquement. A mesure qu’elle avançait, les plus petits bâtimens se rangeaient le long de la côte de Beauport, entre l’île d’Orléans et la petite rivière; les autres tenaient le large. Tous jettèrent les ancres vers dix heures, et aussitôt une chaloupe portant un pavillon blanc se détacha de la flotte, et s’avança vers la ville.

On ne douta point qu’elle ne portât un trompette, et M. de Frontenac envoya à sa rencontre un officier qui la joignit à moitié chemin, fit bander les yeux au trompette, et le conduisit au fort. On eut soin, avant de le présenter au général, de le promener tout autour de la place où il fut fort étourdi des grands mouvemens qu’il entendit dans tous les quartiers, chacun se faisant un plaisir d’augmenter son embarras, et de lui donner lieu de croire que toute la ville était semée de chausse-trappes et de chevaux-de-frise, et que les Anglais ne pourraient faire un pas sans être obligés de franchir un retranchement. Mais la vue du gouverneur général, accompagné de l’évêque, de l’intendant, et d’un grand nombre d’officiers, dont la contenance n’annonçait rien moins que la crainte ou la défiance, acheva de le déconcerter. L’amiral Phibs, informé, quelques jours auparavant, par M. de Grandville, qui était tombé dans ses mains, que Québec était sans fortifications, sans troupes et sans général, ce qui était vrai alors, avait cru qu’il lui suffirait de se présenter devant la ville pour l’emporter, et avait communiqué cette confiance à toute son armée. Son envoyé présenta en tremblant sa sommation, qui était écrite en anglais, et qui fut interprétée sur le camp. La voici telle que donnée par Charlevoix d’après l’original.

William Phibs, Général de l’Armée anglaise, à M. de Frontenac:—

“La guerre déclarée entre les couronnes d’Angleterre et de France n’est pas le seul motif de l’entreprise que j’ai eu ordre de former contre votre colonie. Les ravages et les cruautés exercées par les Français et les sauvages, sans aucun sujet, contre les peuples soumis à leurs majestés britanniques ont obligé leurs dites majestés d’armer pour se rendre maîtres du Canada, afin de pourvoir à la sûreté des provinces de leur obéissance. Mais comme je serais bien aise d’épargner le sang chrétien, et de vous faire éviter les malheurs de la guerre, moi, William Phibs, chevalier, par ses présentes, et au nom de leurs très excellentes majestés Guillaume et Marie, roi et reine d’Angleterre, &c. vous demande que vous ayez à remettre entre mes mains vos forts et châteaux, dans l’état où ils sont, avec toutes les munitions et autres provisions quelconques. Je vous demande aussi que vous me rendiez tous les prisonniers que vous avez et que vous livriez vos biens et vos personnes à ma disposition; ce que faisant, vous pouvez espérer que, comme bon chrétien, je vous pardonnerai le passé, autant qu’il sera jugé à propos pour le service de leurs majestés et la sûreté de leurs sujets. Mais si vous entreprenez de vous défendre, sachez que je suis en état de vous forcer, bien résolu, avec l’aide de Dieu, en qui je mets toute ma confiance, à venger par les armes les torts que vous nous avez faits et de vous assujétir à la couronne d’Angleterre. Votre réponse positive dans une heure, par votre trempette, avec le retour du mien.”

Cet écrit excita l’indignation de tout l’assistance. Dès qu’on en eut achevé la lecture, le trompette tira de sa poche une montre, la présenta au gouverneur général, et lui dit qu’il était dix heures, et qu’il ne pouvait attendre sa réponse que jusqu’à onze. Alors il y eut un cri général d’indignation, et M. de Valrènes dit qu’il fallait traiter cet insolent comme l’envoyé d’un corsaire, d’autant plus que Phibs était armé contre son souverain légitime,[1] et s’était comporté au Port-Royal en vrai pirate, ayant violé le capitulation, et retenu prisonnier M. de Manneval, contre sa parole et le droit des gens.

M. de Frontenac, quoique piqué au vif, sut pourtant se contenir; il ne fit pas même semblant d’avoir entendu le discours de Valrénes, et adressant la parole au trompette, il lui dit:[2] “Je ne vous ferai pas attendre si longtems ma réponse; la voici:—Je ne connais point le roi Guillaume; mais je sais que le prince d’Orange est un usurpateur, qui a violé les droits les plus sacrés du sang et de la religion, en détrônant le roi son beau-père. Je ne connais point d’autre souverain légitime de l’Angleterre que le roi Jacques II. Le chevalier Phibs n’a pas dû être surpris des hostilités faites par les Français et leurs alliés, puisqu’il a dû s’attendre que le roi, mon maître, ayant reçu le roi d’Angleterre sous sa protection, m’ordonnerait de porter la guerre chez les peuples qui sont révoltés contre leur prince légitime. A-t-il pu croire que, quand il m’offrirait des conditions plus tolérables, et que je serais d’humeur à les accepter, tant de braves gens y voulussent consentir, et me conseillassent de me fier à la parole d’un homme qui a violé la capitulation qu’il avait faite avec le gouverneur de l’Acadie; qui a manqué à la fidélité qu’il devait à son prince; qui a oublié tous les bienfaits dont il en a été comblé, pour suivre le parti d’une étranger, lequel voulant persuader qu’il n’a en vue que d’être le libérateur de l’Angleterre, et le défenseur de la foi, a détruit les lois et les privilèges du royaume et renversé l’église anglicane. C’est ce que la justice divine, que Phibs réclame, punira un jour sévèrement.”

Le trompette demanda cette réponse par écrit; mais le comte refusa de la donner, et ajouta, “Je vais répondre à votre maître par la bouche de mon canon; qu’il apprenne que ce n’est pas de la sorte qu’on fait sommer un générai français.”

Le trompette fut reconduit, les yeux bandés, jusqu’à l’endroit où on l’avait été prendre, et à peine fut il arrivé à bord, que l’on se mit à tirer d’une des batteries de la basse ville. Le premier coup de canon abattit le pavillon de l’amiral; et la marée l’ayant fait dériver, quelques Canadiens allèrent le prendre à la nage et l’emportèrent à la vue de toute la flotte, et malgré le feu quelle faisait sur eux. Il fut porté sur le champ à la Cathédrale. Le même jour, vers quatre heures de l’après-midi, M. de Longueil, accompagné de son frère Maricourt, nouvellement arrivé de la Baie d’Hudson, passa en canot, le long de la flotte anglaise, qu’il voulait observer. Quelques chaloupes se détachèrent pour l’enlever; mais il gagna la terre, et obligea, par un très grand feu de mousquetterie, ceux qui le poursuivaient à regagner le large.

Le lendemain, une barque remplie de soldats s’approcha de la rivière St. Charles, pour examiner si l’on pourrait faire une descente entre Beauport et cette rivière; mais elle échoua assez loin de terre. Elle fit un grand feu de mousquetterie, et l’on y répondit de même. Quelques Canadiens voulaient aller l’attaquer; mais comme il fallait, pour y arriver, avoir de l’eau jusqu’à la ceinture, on leur persuada de renoncer à l’entreprise.

Le 18, à midi, on apperçut presque toutes les chaloupes, chargées de soldats, tourner du même côté; mais comme on ne pouvait pas deviner en quel endroit précisément elles tenteraient la descente, elles ne trouvèrent personne pour la leur disputer.—Dès que les troupes anglaises furent déparquées, M. de Frontenac envoya un détachement des milices de Montréal et des Trois-Rivières, pour les harceler. Quelques habitans de Beauport s’y joignirent; mais tout cela ensemble ne faisait qu’environ trois cents hommes, contre à peu près quinze cents de troupes fraîches et disciplinées. On ne put combattre, ce jour-là, que par pelotons et à la manière des sauvages. Un terrain marécageux embarrassé de brossailles, et coupé de rochers, empêchait tout combat régulier: les Anglais ne pouvaient pas profiter de la supériorité de leur nombre, et comme la marée était basse, on n’aurait pu aller à eux qu’en marchant avec peine dans la vase. Cette manière de combattre déconcerta les ennemis et les empêcha de connaître le petit nombre de ceux qui leur étaient opposés: les Canadiens voltigeaient de rocher en rocher autour des Anglais, qui n’osaient pas se séparer: le feu continuel que faisaient ces derniers n’incommodait pas beaucoup des gens qui ne faisaient que paraître et disparaître, et dont tous les coups portaient sur des bataillons serrés: aussi le désordre ne tarda-t-il pas à se mettre parmi les Anglais, et ils se retirèrent en disant qu’il y avait des Indiens derrière, tous les arbres; car ils prenaient les Canadiens pour des sauvages.

M. de Frontenac ne voulant pas leur donner le temps de s’appercevoir qu’ils n’avaient en tête qu’une poignée de monde, fit sonner la retraite, dès que le jour commença à manquer. Le combat n’avait pas duré beaucoup plus d’une heure: les Français y perdirent le chevalier de Clermont, et le fils du sieur de La Touche seigneur de Champlain, qui avaient suivi les milices comme volontaires, et y eurent une douzaine de blessés, dont le plus considérable fut le sieur Juchereau de St. Denys, seigneur de Beauport. Quoiqu’âgé de plus de soixante ans, il s’était mis à la tête de ses censitaires, et il combattit avec beaucoup de valeur, jusqu’à ce qu’il eut eu un bras de cassé d’un coup de feu. Louis XIV récompensa, peu de temps après, son zèle et son courage, en lui accordant des lettres de noblesse: il en usa de même à l’égard du sieur Hertel, qui se distinguait dans toutes les occasions, à la tête des milices des Trois-Rivières. La perte des Anglais fut d’environ cent cinquante hommes tués ou blessés.

Le même soir, les quatre plus gros vaisseaux anglais vinrent mouiller devant la ville. Le contre-amiral se porta un peu sur la gauche, vis-à-vis du Sault au Matelot: l’amiral était à sa droite et le vice-amiral un peu au-dessous, tous deux vis-à-vis de la basse ville. Le quatrième vaisseau s’avança vers le Cap aux Diamans. La ville les salua la première: ensuite ils firent grand feu, et on leur répondit de même. M. de Ste. Hélène pointa tous les canons de la basse ville, et aucun de ses coups ne porta à faux. Les Anglais ne tirèrent, ce jour-là, que contre la haute ville, où ils tuèrent un homme et en blessèrent deux, sans faire aucun autre dommage.

Suivant Charlevoix, ils en voulaient particulièrement aux jésuites, auxquels ils attribuaient les ravages que faisaient les Abénaquis dans la Nouvelle Angleterre; et ils s’étaient promis de leur faire un mauvais parti, quand ils auraient pris la ville. Leurs menaces étant venues aux oreilles de Ste. Hélène, de ses frères et des Canadiens les plus considérables, ces bravés protestèrent qu’ils se feraient plutôt tous tuer à la porte de ces religieux, que de souffrir qu’on leur fit la moindre insulte.

Vers les huit heures, on cessa de tirer de part et d’autre. Le lendemain, la ville recommença encore la première. Au bout de quelque temps, le contre-amiral se trouva si fort incommodé par les batteries du Sault au Matelot, et par celle qui était au bas sur la gauche, qu’il fut contraint de s’éloigner. L’amiral le suivit bientôt après avec précipitation. Il y avait plus de vingt boulets dans le corps du bâtiment: il était percé à eau en plusieurs endroits; toutes ses manœuvres étaient coupées, et un grand nombre de ses matelots avaient été tués ou blessés. Les deux autres vaisseaux tinrent encore quelque temps; mais à midi, ils cessèrent de tirer, et vers cinq heures, ils allèrent se mettre à l’abri du canon de la ville, dans l’Anse des Mères, derrière le Cap aux Diamans. Ils y furent accueillis par un grand feu de mousquetterie, qui leur tua beaucoup de monde, et les obligea à s’éloigner encore davantage.

Tout ce jour-là, les troupes qui étaient débarquées près de Beauport, restèrent tranquilles dans leur camp, et on se contenta de les observer. Le 20, de grand matin, ils battirent la générale, et se rangèrent en bataille. Ils demeurèrent dans cette posture jusqu’à deux heures de l’après-midi, criant sans cesse, Vive le roi Guillaume! Alors ils s’ébranlèrent, et il parut à leur mouvement, qu’ils voulaient marcher vers la ville, ayant des pelotons sur les aîles, et des sauvages à l’avant-garde. Ils côtoyèrent quelque temps la petite rivière en très bon ordre; mais MM. de Longueil et de Ste. Hélène, à la tête de deux cents volontaires, leur coupèrent chemin, et escarmouchant de la même manière qu’on avait fait le 18, firent sur eux des décharges si continuelles et si à propos, qu ils les contraignirent de gagner un petit bois, d’où ils firent un très grand feu. Les Canadiens les y laissèrent, et firent leur retraite en bon ordre. Ils eurent dans ce second combat deux hommes de tués, et quatre de blessés, du nombre desquels furent les deux commandans, qui combattirent toujours les premiers, avec leur bravoure ordinaire. Longueil en fut quitte pour une forte contusion; mais Ste. Hélène voulant faire un prisonnier, reçut à la jambe un coup de feu qui ne parut pas dangereux d’abord, mais dont il mourut, au bout de quelques jours, au grand regret de toute la colonie, qui perdait en lui, dit joliment Charlevoix, un des plus aimables cavaliers et des plus braves hommes qu’elle ait jamais eus.

Pendant cette action, M. de Frontenac s’était avancé en personne, à la tête de trois bataillons de ses troupes, et les avait rangés en bataille sur le bord de la petite rivière, résolu de la passer, si les volontaires se trouvaient trop pressés; mais les Anglais ne lui donnèrent pas lieu de faire autre chose que d’être spectateur du combat. Leur perte, ce jour-là, fut pour le moins aussi grande que la première fois.

La nuit suivante, l’amiral leur fit porter cinq pièces de canon de six; ce qui ne fut connu des assiégés que quand elles commencèrent à tirer. Les Anglais s’étaient mis en marche avec cette artillerie, dans le dessein de battre la ville en brêche; mais on ne leur permit pas d’aller bien loin. M. de Villieu, lieutenant réformé, qui avait obtenu du général un petit détachement de soldats, était parti avant qu’ils fussent sortis de leur camp, comme s’il eût voulu en enlever quelque quartier; et il avait été suivi de près par quelques autres petites troupes, qui avaient à leur tête MM. Duclos, de Cabanas et de Beaumanoir. Villieu, qui rencontra le premier les Anglais, leur dressa une ambuscade, et les y attira, en escarmouchant: il y soutînt assez longtemps tous leurs efforts, et comme ils virent qu’ils ne pouvaient le faire reculer, ils se mirent en devoir de l’envelopper; mais un des détachemens qu’ils avaient faits pour cela tomba dans une seconde ambuscade, où les attendaient les miliciens de Beauport, de Beaupré et de l’île d’Orléans, commandés par le sieur Carré: un autre fut rencontré par les trois officiers dont nous venons de parler, et tous deux furent mis dans un grand désordre.

La partie était néanmoins trop inégale pour que les Français pussent entretenir plus longtemps le combat: ils se retirèrent, comme de concert, au petit pas, en combattant toujours, jusqu’à ce qu’ils se trouvassent tous réunis auprès d’une maison palissadée, et située sur une éminence. Ils y firent ferme, et se couvrant des palissades, ils firent un si grand feu, qu’ils arrêtèrent toute l’armée. Ce fut alors que les Anglais commencèrent à faire usage de leur canon; mais on leur répondit, avec effet, de la batterie qui était à la porte de la petite rivière.

Ce feu dura jusqu’à la nuit: alors les Anglais se retirèrent, en jurant contre les Français, qui combattaient, disaient-ils, derrière des haies et des buissons, à la manière des Indiens. Ils firent d’abord leur retraite en bon ordre; mais ils la changèrent bientôt en une véritable fuite. Ayant entendu sonner le tocsin à la cathédrale, ils s’imaginèrent qu’ils allaient avoir sur les bras le gouverneur général et toutes ses troupes, et ne songèrent plus qu’à regagner leur camp au plus vite. Le tocsin n’était pourtant qu’un stratagème du sieur Dupuis, lieutenant particulier de Québec, qui avait été officier avant de se faire magistrat, et qui avait bien voulu se charger de faire, pendant le siège, les fonctions d’aide-major, dont il s’acquitta fort bien. Les Anglais eurent, dans ce troisième combat, un grand nombre de morts et de blessés; ce qui ne contribua pas peu à hâter leur retraite.

Tandis que ceci se passait près de la petite rivière, les deux vaisseaux qui étaient au-dessus de Québec descendirent avec la marée pour se remettre en ligne; en passant devant la ville, ils essuyèrent et renvoyèrent quelques volées de canon, qui ne firent aucun effet. La nuit du 21 au 22 fut très obscure, et il plut beaucoup: les Anglais débarqués auprès de Beauport en profitèrent pour décamper, et regagner leurs chaloupes, quelques détachemens, que M. de Frontenac avait fait filer par leurs derrières, ayant renouvellé leur crainte d’être attaqués par toutes les troupes de la colonie.

On apprit cette nouvelle au point du jour, par des sauvages qui battaient l’estrade, et l’on trouva dans leur camp les canons montés sur leurs affûts, quarante à cinquante boulets et cent livres de poudre. Quelques temps après, trois chaloupes armés revinrent pour retirer ces effets; mais ceux qui s’en étaient emparés firent un si grand feu sur les chaloupes qu’elles n’osèrent aborder. L’amiral, qui s’apperçut de la chose, en envoya trente nouvelles; mais ceux qui les commandaient, après avoir tenu conseil hors de la portée du mousquet, ne jugèrent pas à propos de tenter la descente, et s’en retournèrent.

Le général français donna de grandes louanges à tous ceux qui avaient eu part au dernier combat. Il permit au sieur Carré et à sa troupe d’emporter chez eux deux pièces de canon, pour être un monument durable de leur belle conduite. On convenait que les officiers les plus expérimentés n’auraient pu mieux manœuvrer que n’avait fait cet habitant; et les Anglais mêmes, au dire de l’historien que nous suivons, lui rendirent toute la justice qu’il méritait. Mais rien ne déconcerta davantage l’amiral Phibs que de voir presque toutes les troupes et les milices de la colonie rassemblées à Québec. Il avait compté sur une diversion du côté de Montréal qui devait en occuper une bonne partie, et voici sur quoi il avait fondé son espérance.

(A continuer.)


Louis XIV n’avait pas encore reconnu Guillaume et Marie comme roi et reine d’Angleterre.

Cette réponse, suivant Charlevoix, est transcrite mot à mot d’une lettre du comte de Frontenac à M. de Seignelay.

MASANIELLO,

OU NAPLES EN 1647.

Les annales d’aucun peuple n’offrent un personnage aussi extraordinaire que Masaniello. Les historiens espagnols, allemands et français (parmi ces derniers il faut citer surtout Mlle. de Lussan, auteur des Révolutions de Naples) ont dit par quelle suite d’événemens bizarres un homme qui exerçait à Naples l’obscur et pénible métier de pêcheur, parvint en deux jours au faite de la puissance, dont il fut précipité tout à coup par ceux mêmes qui l’y avaient élevé. Personne n’ignore les principales circonstances de la révolte dirigée par Masaniello, en 1647, époque où Naples était encore sons la domination espagnole; mais les circonstances accessoires ne sont ni moins curieuses ni moins intéressantes. Les Anglais, grands explorateurs de vieilles chroniques, ont publié, il y a peu de tems, une notice sur Masaniello, où sont rapportées avec une scrupuleuse exactitude les moindres particularités de sa vie. La plupart des faits contenus dans cette notice étaient connus, mais quelques autres étaient enfouis dans les mémoires du tems, dont la patience britannique pouvait seule faire son profit. Nos lecteurs liront sans doute avec plaisir quelques passages de cet écrit, dont on nous annonce qu’un homme de lettre va donner une traduction française. Tout ce qui se rattache à l’histoire est recherché maintenant avec avidité; la conspiration de Masaniello a d’ailleurs tout l’attrait d’un roman.

Thomas Aniello (dont on fit par contraction Masaniello) naquit en 1623, dans la petite ville d’Amalfi, qui fait partie du royaume de Naples. Il se maria à l’âge de dix-neuf ans. Sa femme, qu’on appellait Leona et qui vendait des fruits au marché, était d’une beauté remarquable. Le pauvre ménage gagnait à peine pour sa subsistance. Le duc d’Arcos, qui commandait alors à Naples, pour le roi d’Espagne, était un homme de plaisirs, d’un caractère faible et dissimulé. Oubliant, ou ne voulant pas se rappeler que Charles-Quint dont la mémoire était chère aux Napolitains, leur avait accordé des privilèges précieux, entre autres celui de pouvoir se refuser au paie de tout nouvel impôt établi arbitrairement, le duc laissa percevoir sur tous les fruits qu’on apportait au marché une taxe qui devait produire par au cinquante ou soixante millions. La classe indigente murmura. La femme de Masaniello ayant cherché à frauder les droits, fut condamnée par les maltotiers, auxquels le gouvernement avait cédé la ferme des gabelles, à une amende de cent ducats, somme énorme, hors de toute proportion avec le délit, et que Masaniello ne put acquitter qu’en vendant ses meubles. On conduisit sa femme en prison; les femmes du marché, armées de poignards, la délivrèrent. Masaniello conçut contre les maltotiers une rancune dont les effets ne tardèrent pas à se faire sentir. Sa physionomie était douce; il était d’une petite taille:

Mais dans un faible corps s’allume un grand courage.

Il avait plusieurs fois essayé ses forces dans les combats simulés qui se donnaient à Naples, tous les ans, en l’honneur de Notre-Dame du Mont-Carmel: il rassemble les lazzaroni, qu’il avait conduits dans une de ces fêtes guerrières, et, profitant d’une querelle qui s’était élevée sur la place du marché, entre des jardiniers de Pouzzol, qui venaient y vendre leurs fruits, et les percepteurs de la taxe, il opère un soulèvement. Cet homme, qui n’avait reçu aucune espèce d’éducation, animé du seul désir de venger l’affront fait à sa femme, se fait remarquer alors par la chaleur de son éloquence. Il se compare à Moise conduisant le peuple hébreu: et, ce qui n’est pas moins extraordinaire, la multitude, qui obéit à ses moindres volontés, se borne à demander d’abord le titre original des grâces et des immunités accordées par Charles-Quint. Le duc, qui, avec plus de présence d’esprit, aurait facilement appaisé les troubles, eut l’air de les mépriser, et répondit que le titre que les Napolitains réclamaient, et dont on avait cessé depuis longtemps d’observer les clauses, était perdu, et qu’on l’avait cherché vainement. Masaniello, refusant de croire à cette assertion, on fit la faute de fabriquer de faux titres, espérant qu’il ne les reconnaîtrait pas: mais un nommé Genuino, homme instruit, qui était devenu le conseil de Masaniello, lui fit remarquer que l’écriture était trop fraîche pour des titres si anciens, que les lettres n’étaient pas en or, et que le parchemin était neuf. Ce fut alors que les lazzaroni prirent une attitude hostile. Les femmes du peuple jouèrent en grand rôle dans ces événemens. Masaniello pendant quatre jours, fut réellement maître de Naples. Ses ordres, quels qu’ils fussent, étaient exécutés à l’instant même par les lazzaroni. On peut dire que la destinée de son pays était soumise à un mouvement de sa main. Ses harangues, rapportées dans la notice à laquelle nous empruntons ces détails, sont très remarquables, et dans les premiers momens de la puissance qu’il avait usurpée, on ne peut nier que sa conduite n’ait été plusieurs fois digne d’éloge. Il était alors plein de modération, sans ambition, sans désirs uniquement occupé du grand dessein de faire abolir les impôts, et manifestant toujours un profond respect pour le roi d’Espagne, qu’il n’accusait point des torts des agens de la gabelle. Mais tout à coup cette raison, qui parassait si forte, s’évanouit. Il perd la tête. Sa folie n’était pas continue, mais, immédiatement après avoir dit les choses les plus sensées, il se livrait à mille extravagances. Son premier acte de démence fut de se plonger dans la mer, vêtu de magnifiques habits, qu’on l’avait forcé de prendre pour se montrer dans les rues de Naples, à côté du duc, chacun d’eux étant à cheval, et suivi d’un immense cortège. On conçoit tout le mal que put faire un homme aux volontés duquel nul n’ôsait résister. Dans ses accès de folie, il se croyait toujours entourré d’assassins, et, s’armant d’une épée, il parcourut comme un furieux les rues de Naples, où il blessa plusieurs personnes. Le peuple indigné des excès auxquels se portait Masaniello, conçut pour lui autant de haine qu’il avait eu d’abord d’admiration. On le poursuivit jusque dans l’église des Carmes, où il s’était réfugié, et là il fut tue à coups de fusil par ceux mêmes qui avait établi son pouvoir. Il avait 24 ans. Le peuple, toujours extrême, traîna son corps dans les rues, et plus tard honora sa mémoire.

“Il semble, dit un de ses historiens, que Masaniello n’ait paru que pour manifester son génie, sa suprême intelligence, et que pour opérer les plus grands évènemens. En moins de huit jours, cet homme, simple pêcheur, assujétit un grand royaume, termine le grand ouvrage de l’abolition des impôts arbitraires; puis, immédiatement après le traité confirmé, il perd l’esprit, devient fou.”

Les différents auteurs varient sur les causes qui ont fait perdre la raison à Masaniello. Quelques-uns attribuent cet accident au passage subit d’une vie calme aux agitations, aux mouvemens tumultueux de son nouvel état; mais le plus grand nombre affirme que ce fut l’effet d’un breuvage qu’il prit dans une fête qu’on lui donna sur le plateau du Pausilippe. Quoi qu’il en soit, jamais destinée ne fut plus singulière que celle du pêcheur Masaniello.—(Le Courrier des Etats-Unis.)

DES ANGRAIS.

Extrait d’une lettre datée de St. Luc, le 20 Février.

On se méprend souvent dans la manière d’engraisser la terre; nous savons tous que le fumier et la chaux sont de bons engrais; mais si on ne les emploie pas à proposais deviennent à peu prés inutiles. On m’a rapporté dernièrement un exemple des erreurs où l’on tombe, en donnant peu judicieusement à un sol ce qui devrait être donné à un autre. Un Monsieur voulant améliorer une petite terre, qu’il faisait cultiver sous ses yeux, pour son amusement, y fit répandre une quantité de chaux. C’aurait été très à propos sur certains sols; mais dans le cas présent, la chose avant été faite à Sorel, où la terre est partout sablonneuse, cet engrais, au lieu d’améliorer le sol, le détériora. Si ce monsieur, au lieu de chaux, avait fait mettre sur sa terre quelques voies de glaise prise dans le lit de la rivière, et l’y avait fait labourer, l’effet aurait été tout différent. Je sais que ceux qui ne connaissent la culture de la terre que par les livres qui en traitent peuvent être induits à faire ce mauvais emploi de la chaux: j’ai lu moi-même quelque part que la chaux et un bon engrais pour les sols sablonneux; mais il n’est pas besoin d’être sorcier pour savoir que la chaux et le sable font du mortier, et que le mortier est plus propre à bâtir une maison qu’à faire croître des gerbes de bled.

La glaise ou l’argille est le meilleur des engrais pour les terres légères et sablonneuses; en effet, les cultivateurs pratiques savent très bien que ces terres sont improductives, à moins qu’elles n’aient été d’abord mêlées d’argille; après quoi, on y peut mettre avec avantage quelque engrais que ce soit. Le sable est chaud et la glaise est froide: conséquemment en mettant de la glaise sur des ferres sablonneuses, on les engraisse de la meilleure manière possible, puisque par là on change pour le mieux la nature même du sol, au lieu que le fumier mis sur les unes ou les autres n’aurait que peu d’effet, ou n’aurait d’effet que pour très peu de temps, et laisserait le sol, ensuite, dans un aussi mauvais qu’auparavant.

Le fumier aura toujours un très bon effet, lorsque les sols seront mêlés, soit naturellement ou artificiellement, et ce mélange peut quelquefois s’opérer par un léger changement dans la manière de labourer. Un sol sablonneux est ordinairement peu profond, et la couche inférieure est très fréquemment de glaise: de sorte qu’en labourant un peu profondément, on atteindrait, en plusieurs cas, ce but désirable; mais généralement parlant, les Canadiens n’aiment pas à enfoncer beaucoup dans la terre le soc de la charrue.

Les sources intarissables de fertilité que pourraient obtenir dans ce pays les fermiers actifs et industrieux, en laissant en friche et cultivant alternativement leurs terres, ne pourraient manquer de les rendre de plus en plus productives, particulièrement s’ils s’instruisaient de la nature et des effets des différents engrais, et de la manière la plus avantageuse d’en faire usage.

RELATION

de l’Expédition contre le Fort Shelby, sur le Mississippi, (une lieue au-dessus de l’embouchure de l’Ouisconsin,) sous le commandement du Lieutenant-colonel M’Kay, alors Major des Fencibles de Michigan; d’après le journal d’un officier témoin oculaire. Traduit des Nos. XXII et XXIII du Canadian Magazine.

Après avoir donné (dans notre tome V, No. 1,) la relation de l’expédition de M. de Lignery contre les sauvages apellés Rénards, dont le résultat fut à peu près nul, nous croirions manquer à ce que nous devons à nos lecteurs, d’après la promesse que nous leur avons faite de nous occuper principalement de tout ce qui doit être d’un intérêt immédiat pour les Canadiens, et peut tourner à la gloire de leur pays; ils auraient peut-être le droit de nous accuser de négligence ou de partialité, si nous ne publions pas aussi la relation de l’expédition contre le fort Shelby, expédition dont le résultat aurait été beaucoup plus important et plus durable encore, qu’il ne le fut, si la guerre avait continué, et qui a fait infiniment d’honneur à plusieurs de nos compatriotes, et principalement à celui qui en a eu la direction: le zèle, la prudence, le courage, et, ce qui n’est pas moins digne d’éloge, l’humanité, déployés par le Lieutenant-Colonel M’Kay, dans cette expédition, ne doivent pas demeurer ignorés de ceux qui n’ont pas eu, ou qui ne peuvent pas avoir occasion de lire la relation originale dans le Canadian Magazine. Nous regrettons nous même que ce morceau ne nous soit pas tombé plutôt sous la main; mais, selon un proverbe vulgaire, il vaut mieux tard qui jamais; et nous osons espérer que si cette traduction tombait sous les yeux de quelques-uns de ceux qui ont figuré sur ce théâtre d’honneur, ils nous feraient la justice d’en attribuer la tardiveté à toute autre chose qu’à l’indifférence, ou à une négligence de notre part.


En Juin 1814, le colonel Dixon, du département des sauvages, arriva au fort Michillimakinac, où commandait alors le colonel M’Douale, avec la mauvaise nouvelle que le général Clark, de l’armée des Etats-Unis, avait remonté le Mississippi avec une force considérable, et pris le village de la Prairie du Chien et le fort Shelby, dans ses environs. Cette nouvelle arrivait dans des conjonctures qui devaient la rendre encore plus désagréable: le colonel M’Douale n’avait que très peu de troupes avec lui, et il s’attendait journellement à être attaqué par l’ennemi, dans son fort de Michillimakinac; mais il comprenait très bien de quelle importance il serait de reprendre le fort Shelby: attendu que sa prise par les Américains n’était que le prélude d’une suite d’opérations qui avaient pour objet final d’envelopper sa garnison, et de lui couper toute communication avec l’extérieur. La possession du fort Shelby n’était pas seulement à désirer, parce qu’elle frustrait les desseins de l’ennemi, mais encore parce qu’elle favorisait nos opérations contre lui. C’était le poste principal entre le territoire des Etats-Unis et les tribus sauvages qui habitent les pays de l’ouest, et conséquemment toutes ces tribus devaient se porter en faveur de celui des deux partis qui en était le maître. Mû par ces considérations, le colonel M’Douale, quoique gêné alors par les circonstances, comme nous venons de le remarquer, se détermina à envoyer une expédition pour recouvrer le fort Shelby, s’il était possible.

C’était une entreprise accompagnée de beaucoup de difficultés, et qui exigeait une combinaison d’habileté militaire, de persévérance et de prévoyance qui se rencontre rarement dans le même homme. La force qui pouvait être détachée de la garnison était trop peu considérable pour un telle entreprise; et cette garnison se composait d’un aggrégat d’individus qu’il était difficile de plier à la discipline militaire: il fallait traverser un espace de 700 miles à travers un désert, avec une très petite quantité de provisions, et le colonel Dixon, qui avait abandonné le fort ne voulut passe charger de l’aller reprendre. Mais malgré toutes ces difficultés, l’entreprise une fois résolue fut commencée avec le moindre délai possible. Le Major M’Kay,[1] des Fencibles de Michigan, fit généreusement l’offre de ses services, et le commandement de l’expédition lui fut confié. Le colonel M’Douale assembla 200 Canadiens et 150 sauvages, pour prendre parmi eux ceux qui s’offriraient comme volontaires, et La Sarcelle (chef sauvage en apparence,) fut envoyé en avant comme exprès, pour assembler des renforts partout où il en pourrait trouver sur la route.

Le 28 Juin, tout étant prêt, nous nous embarquâmes, vers midi, du fort de Michillimakinac, dans huit berges, y compris une chaloupe canonnière. Notre force consistait en 20 hommes des Fencibles de Michigan, avec un canon de 3 livres de balles sur un affut, 60 volontaires canadiens, avec les capitaines Anderson et Rolette, les lieutenans Graham et Buisbois, du département des sauvages, 5 interprètes et 82 sauvages, Sioux et Saulteurs, avec 10 de leurs femmes et un enfant, et Mr. Louis Honore faisant les fonctions de commissaire. Nous fimes 15 milles de chemin, ce jour-là, et campâmes en un lieu nommé la Pointe au Chêne.

Le lendemain, nous partîmes à soleil levant, et bientôt après, nous rencontrâmes trois canots sauvages, de qui nous apprîmes que l’exprès avait passé par Coucheward, le 27, en route pour aller faire prendre les armes aux Puans. Dès lois, la prudence et la vigilance de notre officier commandant commencèrent à se déployer. Ayant observé que la berge commandée par le capitaine Rolette était la meilleure voilière, il lui fut ordonné de pousser en avant jusqu’à la Baie Verte, pour y acheter des provisions, et y réunir tous les sauvages qu’il pourrait rencontrer, afin que le corps principal de notre petite armée ne fût point arrêté dans la route. Nous ne fimes que 13 lieues ce jour-là, et campâmes de bonne heure, en un endroit appelle Pointe Paterson.

Le 30, nous laissâmes notre campement à soleil levant, comme la veille, fûmes portés par un bon vent jusqu’à la rivière au Galet, déjeunâmes à Coucheward, et allâmes camper à la Pointe aux Ecorces, à 15 lieues environ de notre dernier campement. Les volontaires, tant Canadiens que sauvages, furent passés en revue, et régalés chacun d’un coup d’eau de vie.

Il ne se passa rien de remarquable le 1er Juillet: après avoir déjeuné à l’île de la Tour, nous allâmes coucher à l’endroit nommé l’île de Poré.

Le lendemain, nous allâmes déjeuner au Petit Détroit. Nous y trouvâmes plusieurs loges de sauvages de la tribu des Courtes-Oreilles, et 13 d’entr’eux nous promirent de se joindre à nous, le lendemain au matin, comme volontaires; en conséquence de quoi, notre officier commandant leur fit donner un baril de poudre &c. en présent. De là, nous nous rendîmes à deux lieues du bout de l’Ile au Kacro,[2] où nous rencontrâmes d’autres sauvages, qui nous promirent aussi de se joindre à nous. Quoique le temps eût été favorable, le retard occasioné par nos entrevues avec les sauvages ne nous permit pas de faire, ce jour-là, plus de 12 lieues.

Le lendemain, 3 Juillet, nous décampâmes à l’heure accoutumée; mais le grand vent qu’il faisait ne nous permit pas de faire plus de deux lieues avant de mettre à terre. A 10 heures, les Sioux qui étaient avec nous invitèrent les Saulteurs à un conseil dans la tente de notre commandant, où ils exprimèrent réciproquement leurs vœux pour le salut des uns et des autres, et jurèrent de rendre perpétuelle la paix qui subsistait heureusement entr’eux et leur père anglais, prenant pour témoins de la pureté de leurs intentions le Grand Esprit, le ciel et la terre.

Le lendemain, le temps devint favorable et nous nous rendîmes gaîment jusqu’à la Pointe au Sable, distance de 15 lieues. Nous fûmes joints, ce jour-là, par les 13 Courtes-Oreilles qui avaient promis de nous accompagner, lorsque nous passâmes au Petit Détroit.

Le 5, nous eûmes un vent favorable. Le temps, qui avait été beau jusqu’alors, devint sombre, et il tonna. Ici eut lieu un phénomène qui mérite d’être mentionné, non seulement par sa singularité, mais encore par l’effet qu’il eut sur les sauvages. A peu de distance tout autour de nous, nous vîmes tomber la pluie par torrens, tandis que sur le point que occupions il n’en tomba pas une seule goutte. Les sauvages, par l’effet naturel de leur ignorance, attribuèrent ce phénomène à la puissance de notre commandant. Depuis que nous eûmes laissé notre campement jusqu’à ce que nous fussions arrivés à la Baie Verte, ils ne cessèrens de montrer leur joie, en poussant des cris et chantant leurs chansons de guerre, et en remerciant le Grand Esprit de leur avoir accordé un grand chef de guerre qui avait un pouvoir absolu sur le ciel et les élémens. “Que ne pouvons-nous pas attendre,” disaient-ils, “d’un chef comme celui-ci?” depuis que nous avons laissé Makinac, il nous a procuré un temps favorable, et maintenant même il ne permet pas que la pluie tombe sur nous. Nous espérons, jeunes gens, que lorsque vous rencontrerez les ennemis, vous vous précipiterez au milieu d’eux sans rien craindre; car notre chef les livrera entre vos mains sans qu’il vous arrive le moindre mal. Tels furent les discours des principaux guerriers jusqu’à ce que nous fussions arrivés à la Baie Verte, à trois lieues de distance, où le temps s’éclaircit et redevint favorable, mais excessivement chaud. En arrivant en cet endroit, les sauvages et les miliciens nous reçurent par une salve, que nous rendîmes par quelques coups de notre petite pièce. Le capitaine Rolette, qui avait été envoyé à ce lieu devant nous, y avait acheté, avec l’aide du capitaine Grignon, 14 pièces de bétail, dont il avait fait une salaison de six quarts de bœuf. Ceci joint à 350 livres de farine, vint fort à propos augmenter notre approvisionnement de vivres. Notre parti fut renforcé ici du capitaine Grignon et de 35 autres, la plupart habitans du lieu, qui se joignirent à nous comme volontaires. Plusieurs des Folles-Avoines nous joignirent aussi, mais je ne saurais dire exactement en quel nombre. Le capitaine Dean, de la milice de la Prairie du Chien, et Mr. Rock nous joignirent pareillement. Tandis que nous étions campés à la Baie, Mr. Ducharme, nous y apporta, de Michillimakinac, la nouvelle agréable que l’Angleterre était en paix avec tout le monde, excepté l’Amérique.

Le 6, nous nous mîmes en route à 7 heures, et nous rendîmes au portage de Kakalin, ayant laissé derrière nous les capitaines Rolette et Grignon pour régler quelques comptes. Le premier de ces messieurs nous rejoignit le soir.

Le 7, une partie de la brigade se mit en route à 6 heures dm matin; et les capitaines Rolette et Grignon ayant été laissés derrière pour amener le reste nous ne fîmes que quatre lieues, et campâmes en un lieu nommé les Grosses Roches. Les capitaines Rolette et Grignon n’ayant pu rejoindre l’avant-garde, campèrent un peu plus bas.

Le lendemain malin, nous eûmes une tâche difficile à remplir, celle rie remonter les chûtes dû Grand Calumet. Ces chûtes ont 4 pieds de hauteur à eau basse; et sont tellement entrecoupées de rochers, que ce n’est qu’avec la plus grande difficulté qu’on peut y faire passer des berges, ou radeaux, soit en montant ou en descendant. L’arrière-garde de la brigade nous ayant rejoints, tous travaillèrent avec ardeur pour décharger nos berges, et leur faire remonter les chûtes. Elles arrivèrent toutes au haut sans accident, à l’exception d’une seule, qui fut endommagée et qu’il nous fallut laisser derrière, avec son-équipage et le lieutenant Graham, qui eut aussi ordre d’aider le capitaine Grignon à remonter les chûtes. A 10 heures, nous déjeunâmes au Grand Campement: à une heure de l’après-midi, nous passâmes par le village des Péuns, et nous arrivâmes de bonne heure à l’Ile à l’Ail, où nous nous arrêtâmes, pour donner au capitaine Grignon et au lieutenant Graham le temps de nous rejoindre; ce qu’ils firent le soir.

En arrivant au lieu de noire campement, nous y trouvâmes un parti de la tribu des Puans, qui hissèrent un pavillon et tirèrent une salve. Le reste de l’après-midi fut employé à prendre un état et à faire l’inspection de nos provisions; et un des quarts de bœuf s’étant trouvé gâté, notre commandant le fit donner aux sauvages. Les retards que nous avions éprouvés pendant la journée ne nous permirent pas de faire plus de sept lieues.

Le 9, le vent était si fort du côté du lac, que nous ne pûmes quitter notre campement avant 10 heures; mais aussitôt qu’il se fut ralenti, nous fîmes bonne route, et arrivâmes, à une heure, à la Bute de Mort, sur la rivière au Renard. Nous y fûmes bien accueillis par un parti de Puans et de Folles-Avoines, qui chantèrent avec force leurs chansons, et dansèrent leurs danses de guerre, pendant que nous débarquions. Nous eûmes aussi le plaisir d’y trouver une paire de bœufs, qui nous y avait été envoyée de Kakalin: ils furent tués, et par l’ordre de notre officier commandant, il en fut réservé un quartier pour notre usage, et le reste fut distribué aux sauvages. Environ 30 de ces derniers voulurent être de l’expédition, et il leur fut donné une petite quantité de munitions. Six d’entre les Folles-Avoines désertèrent, après avoir reçu leur portion, et s’en retournèrent chez eux. De la Bute de Mort, nous fîmes 10 lieues jusqu’au village de Wackham, où nous campâmes pour la nuit.

Le dimanche 10 Juillet, nous partîmes à l’heure accoutumée, et dans la route nous rencontrâmes plusieurs sauvages, qui se joignirent à nous. Lin violent coup de vent et de pluie, qui dura 20 minutes, mais qui menaçait de continuer le reste de la journée, nous contraignit de camper pour la nuit, à 15 lieues de notre dernier campement. Tous les sauvages, excepté ceux qui étaient partis avec nous de Michillimakinac, furent envoyés devant, pour se procurer leur nourriture par la chasse, avec ordre de se réunir et d’attendre notre arrivée au Portage entre la rivière des Renards et l’Ouisconsin. Cette dernière rivière se jette dans le Mississippi à environ trois milles au-dessous du fort Shelby et du village de la Prairie du Chien, dont la prise était l’objet de notre voyage, et le portage fut fixé comme le point où nous devions réunir nos forces avant de descendre l’Ouisconsin, pour attaquer le fort. Nous apprîmes d’un chasseur, que nous rencontrâmes ici, que Mr. Augustin Grignon n’était qu’à environ deux lieues en avant de nous. Il avait été dépêché de la Baie Verte, avant notre arrivée à ce poste, avec ordre de rassembler les Folles-Avoines et de nous attendre au Portage, notre rendez-vous général.—(La fin au No. prochain.)


Ce moniteur était peut-être ta personne la plus propre à diriger l’expédition: il avait commercé pendant plusieurs années dans le Nord Ouest, et avait beaucoup voyagé dans les pays sauvages. Ces circonstances lui avaient donné, non seulement la connaissance parfaite du pays par lequel il devait passer, mais encore celle du caractère et des dispositions des différences tribus sauvages; connaissance indispensablement nécessaire à quiconque entreprend de les conduire dans des expéditions guerrières. Il s’était en outre distingué en plusieurs occasions,pendant lu guerre, et avait fait preuve de ce sang-froid et de cette intrépidité nécessaires dans toute entreprise hasardeuse. Par un ordre général du 21 Juin, il fut promu au rang de lieutenant-colonel pour ce service.

Ce nom est probablement mal écrit ici, l’article au indiquant que le mot suivant doit être un nom commun.

INOCULATION ET VACCINE.

Inoculation.—L’inoculation, ou l’action de donner la petite vérole (ou picote) à une personne qui n’en était point attaquée, pour lui épargner le danger et les ravages de celte maladie contractée naturellement, a été de temps immémorial pratiquée en Asie. Elle fut apportée ou renouvellée à Constantinople, sur la fin du XVIIe siècle, par une femme de Thessalonique. Cette femme inocula plusieurs milliers de personnes, sous les yeux de deux docteurs de l’université de Padoue, Emmanuel Timoni et Jacques Pilarini, qui coururent ensuite répandre l’usage de cette opération dans le reste de l’Europe. En Angleterre, on commença par en faire l’expérience sur six criminels condamnés à mort: elle n’eut pour eux aucune suite fâcheuse. De ces malheureux l’inoculation passa dans la famille des souverains, où l’on n’eut encore qu’à s’en féliciter; et elle se généralisa ainsi, tous ceux qui avaient des enfans dont la vie leur était chère, s’empressant d’y recourir. Depuis, on a trouvé un moyen de se garantir entièrement de la petite vérole.

Vaccine.—L’inoculation de la petite vérole était déjà un grand bienfait pour l’humanité; grâce à elle, on commençait à craindre moins les effets de cette cruelle et hideuse maladie; mais la bannir tout à fait du milieu de nous, était une espèce de prodige que devait opérer la vaccine. La vaccine, ou le cowpox des Anglais, est aussi une maladie éruptive, mais si resserrée, qu’on ne peut, même pour les inquiétudes qu’elle occasionnerait, la comparer à l’indisposition la moins considérable. Elle a son siège au pis de la vache, où elle se manifeste par des pustules. Le docteur Jenner, domicilié à Bertheley, dans le comté de Gloucester en Angleterre, remarqua que les personnes chargées de traire les vaches atteintes de ce mal, le gagnaient, si elles avaient aux mains, soit une coupure, soit une érosion, ou toute autre blessure; il se convainquit également, par une suite d’observations, que celles de ces personnes qui n’avaient pas eu la petite vérole, s’en trouvaient tellement préservées par l’effet du cowpox, que l’inoculation même était sans puissance sur elles. Pour s’assurer de ses observations, qui pouvaient produire un si grand bien, il inocula le cowpox à différents sujets, sur lesquels l’inoculation de la petite vérole ne produisit ensuite aucun effet. Un vacciné, qu’il fit coucher entre deux enfans couverts de boutons de petite vérole en pleine suppuration, demeura inaccessible à la contagion. Le docteur publia le résultat de ses expériences en 1798. Malgré les nombreuses contradictions que son invention essuya d’abord de la part des personnes défiantes, ou tenant par systême aux anciennes coutumes, elle ne tarda point à triompher, chacun des essais en faisait lui devenant évidemment favorable.—On appella vacciner l’action d’inoculer la vaccine. Cette opération est de la plus grand simplicité: on fait sur chaque bras (ou sur un seul) trois ou quatre piqûres inclinées et légères, avec une lancette chargée de vaccin, c’est-à-dire de virus extrait des pustules du cowpox, ou bien de celles que la vaccination a fait naître sur des individus de l’un ou de l’autre sexe, quelque soit leur âge. Tout appareil est inutile, toute précaution extraordinaire devient superflue; il s’agit seulement de laisser bien sécher sur la piqûre la petite goutte de sang qui en est sortie, et d’éloigner du vacciné les causes d’indisposition ou de maladie. La vaccination est également applicable aux femmes enceintes, aux enfans à l’époque de la dentition ou atteints de quelques virus, et aux individus d’une complexion faible ou maladive—La maladie ne fait son éruption que par les piqûres qui ont servi à introduire le vaccin. Non seulement les gouvernemens européens ont encouragé cette précieuse découverte; ils ont encore eu soin de former de toutes parts des établissemens dont l’objet est de propager la vaccine, et d’en faire un préservatif général contre la petite vérole. La France, sous ce rapport, a apporté un zèle qui lui fait autant d’honneur que si cette invention fût sortie de son sein.

Le docteur Jenner, dans l’opinion des véritables appréciateurs des actions, est déjà compté parmi les plus grands bienfaiteurs de l’humanité, et son nom doit être rappelle, dans tous les temps, à la reconnaissance et au respect du genre humain. Qui sait combien d’hommes lui devront d’avoir joui de l’existence entière et qui peut se glorifier d’avoir fait une découverte plus utile?—(Petit Dictionnaire des Inventions, &c.)

BOTANIQUE CANADIENNE.

(Traduit du Voyage de J. Lambert en Canada.)

Le sumac est un arbrisseau très commun dans le Bas-Canada, aussi bien que dans les autres parties de l’Amérique. Je n’en ai vu qu’une espèce, (le rhus glabrum, à ce que je crois,) bien qu’il y en ait une ou deux autres. Il s’élève à environ cinq pieds de hauteur, dans des haies, ou parmi d’autres arbustes, et porte de grosses grappes de baies d’un rouge cramoisi foncé. Les rameaux et les baies bouillies ensemble, ou séparément, procurent une belle teinture; mais les Canadiens ne se servent guère du fruit que pour faire du vinaigre. Les baies demeurent sur la planté l’hiver, mais les feuilles tombent en automne.

Il y a une espèce du sumac, (le rhus vernix,) remarquable pur ses qualités délétaires; mais elle est peu connue dans la province inférieure. Cet arbrisseau croît dans les terrains marécageux, et il est connu aux Etas-Unis, sons le nom d’arbre au poison.—On rapporte des particularités extraordinaires au sujet de cet arbuste: ses effusions pernicieuses affectent tellement certaines personnes, qu’elles ne peuvent approcher du lieu où il croît, ou même s’exposer au vent qui porte au loin ses exhalaisons empoisonnées, sans que leurs mains, leur visage, et autres parties de leur corps ne s’enflent et ne se couvrent de pustules, ou même que leurs yeux ne se ferment pour plusieurs jours, en conséquence des violentes tumeurs qui s’y forment: d’autres, au contraire, peuvent s’approcher de la plante, même la manier, sans le moindre inconvénient. Ces derniers en ont pourtant été affectés, lorsqu’ils étaient dans un état de perspiration; mais non sans qu’ils eussent pressé et roulé fortement la plante entre leurs mains.

Il y a une plante, ou herbe sauvage, très commune dans le Bas-Canada, appellée par les Canadiens herbe à la puce, (herbe aux puces, plantago psyllium, Linn.,) qui possède à peu près les mêmes qualités délétaires que le rhus vernix, ou sumac vénéneux, étant d’une nature pernicieuse pour quelques-uns, et sans danger ni inconvénient pour d’autres. J’ai vu plusieurs personnes retenues à la maison pour avoir été empoisonnées, dans les bois, par cette mauvaise herbe: il suffit même quelquefois de marcher dessus pour qu’il en résulte des boursoufflures et des inflammations. Cependant j’ai vu d’autres personnes la manier sans le moindre danger: je l’ai moi-même souvent arrachée par la racine, j’en ai rompu la tige, et je me suis couvert les mains du suc laiteux qu’elle contient, sans en éprouver le moindre effet désagréable. Quelle propriété y a-t-il dans la constitution des personnes pour imbiber ou repousser ainsi les qualités vénéneuses de cette plante?—C’est ce que je n’ai jamais pu apprendre, et ce dont mes observations ne me mettent pas en état de rendre raison.

Il y a des jardins qui en sont pleins; ce qui fait qu’elle y est regardée comme une mauvaise herbe. Il paraît que les racines s’en étendent au loin, sous terre; car si l’on coupe la plante, l’automne, elle reparaît, au printemps, sur un autre point. Elle commence à croître vers la fin de Mai, court comme fait la fève écartate, et se prend à l’arbre, la plante; ou le piquet qu’elle rencontre; et s’il n’y a rien sur quoi les jeunes tiges puissent s’appuyer, elles adhèrent les unes aux autres. Les feuilles et les tiges en sont d’un gris clair, et la floraison a lieu au mois do Juillet.

Partout où croit l’herbe à la puce, il y a toujours un grand nombre de jolies mouches jaunes (lady-flies ou coccinella.)—Elles sont couvertes d’un or brillant, tant qu’elles sont sur la feuille, on retiennent la moindre particule de son jus. J’en pris quelques unes, que je mis dans une phiole; mais n’ayant pas pensé à leur donner quelques feuilles d’herbe à la puce, elles avaient perdu leur brillant habit, le lendemain au malin, et ressemblaient aux mouches de la même espèce, mais d’un rouge pâle, que nous voyons en Angleterre. J’en pris alors quelques autres, et les ayant abondamment pourvues des feuilles de la plante elles conservèrent leur couleur d’or, ainsi bien que si elles eussent été en plein air. Au bout de quelques jours, elles avaient réduit les feuilles à de purs squelettes: mais tant qu’il leur resta la moindre parcelle de la tige ou des fibres, pour s’en nourrir, elles retinrent leur belle apparence. Je les gardai un mois de cette manière, leur donnant de temps à autre, des feuilles fraîches de la plante, et leur procurant de l’air par des trous que j’avais pratiqués dans le papier qui bouchait la phiole. Elles ne voulaient se nourrir d’aucune autre plante que de l’herbe à la puce, de laquelle seule elles empruntaient leur beauté. Je leur donnai ensuite la liberté, et elle s’envolèrent, en apparence, sans avoir souffert de leur réclusion.

Une autre plante remarquable, mais d’une nature bien différente, c’est celle que les français appellent cotonnier, et qui croît abondamment dans le Bas-Canada. Comme cette plante se plaît dans un sol fertile, elle offre presque une aussi bonne pierre de touche, pour juger de la qualité de la terre, que l’érable même; car comme cet arbre, le cotonnier possède des qualités saccharines. Il sort de terre dans le mois de Mai, à peu près comme l’asperge, et lorsqu’il a atteint neuf au dix pouces de hauteur, il est coupé, vendu au marché, apprêté et mangé presque de la même manière. Si on le laisse croître, il devient une plante d’environ trois pieds de hauteur, et porte une fleur semblable à celle du lilac, mais d’une senteur plus exquise, quoique plus faible. Dans le mois d’Août, il y a sur les feuilles et les fleurs une rosée abondante, qui continue pendant quinze jours ou trois semaines. Si l’on secoue la plante au-dessus d’un bassin, avant, ou aussitôt après le lever du soleil, on en recueille une quantité de liqueur douce, ou de sirop, qui étant bouillie jusqu’à la consistance convenable, donne un très bon sucre ressemblant au miel, tant par la couleur que par la saveur. Quelques cultivateurs canadiens se procurent une certaine quantité de ce sucre pour l’usage de leurs familles; mais il est très rare qu’il s’en vende.

Le cotonnier est d’un vert très pâle, et sa tige contient une liqueur laiteuse, semblable à celle de l’herbe à la puce; et c’est probablement ce qui a porté quelques Canadiens à croire qu’il possédait des propriétés délétaires; ce qui ne les empêché pas de manger les jeunes plantes, et de faire du sucre avec le sirop, ou la rosée qu’ils recueillent de ses feuilles et de ses fleurs; et il n’y a point d’exemple qu’il en soit jamais résulté des effets fâcheux. Pourtant les bestiaux ne s’en nourrissent point.

Les gousses du cotonnier, lorsqu’il est plus mûr, sont à peu près de forme ovale si ce n’est qu’elles sont un peu plus pointues aux extrémités, et ont de trois à quatre ponces de longueur. Elles contiennent une belle substance blanche et soyeuse, extrêmement douce au toucher, et ressemblant au coton, d’où elle tire son nom. Les Canadiens ne s’en servent pas autrement qu’en guise de plume, pour remplir des matelas et des oreillers, bien qu’il paraisse susceptible d’être employé à des usages beaucoup plus importants. Je suis persuadé qu’on en pourrait facilement fabriquer du papier, et même de la toile. Le cotonnier n’exige aucun soin dans la culture, et croît naturellement parlent où il trouve un sol qui lui convient. Mais la qualité du coton s’améliorerait peut-être beaucoup, si la plante était cultivée convenablement dans des plantations; indépendamment de quoi, on en pourrait obtenir, sans beaucoup de peine, une quantité d’excellent sucre, supérieur, en apparence, à celui de l’érable. Si je devais demeurer en Canada, il n’y aurait rien à quoi je prendrais plus de plaisir qu’à former une grande plantation de cotonniers, et à tâcher de convertir le produit de cette plante, déjà précieuse, à quelque usage important; ce qui se pourrait faire, suivant moi, avec très peu de soins et de dépenses. Je suis surpris que personne n’ait encore donné au cotonnier l’attention qu’il paraît mériter. Comme plantation à sucre seulement, il serait de grande valeur, et épargnerait le travail pénible et la perte de temps qu’occasionne la manufacture du sucre d’érable, à une époque où la terre requiert les travaux du cultivateur. Faire bouillir le sirop, pour le réduire en sucre, est un procédé simple, qui pourrait sans inconvénient être laissé aux femmes.

Les Canadiens et les sauvages emploient pour teindre, l’ellébore à trois feuilles et le galium tinctorium: la première de ces plantes donne un beau jaune, et la dernière un rouge brillant.

Les forêts du Canada sont remplies de plantes, d’herbes et de racines précieuses, dont les propriétés sont généralement bien connues des sauvages, et d’un grand nombre de Canadiens.

Une mousse, que les Français appellent tripe du roches et que je crois être la mousse du renne, sert souvent de nourriture aux sauvages et aux voyageurs canadiens, lorsqu’ils n’ont que peu de vivres, ou, ce qui arrive quelquefois, lorsqu’ils eu manquent totalement. Ils la font bouillir, et elle passe pour être très nutritive.

Une herbe appellée thé sauvage ou du Canada, est souvent employée comme substitut à celui de la Chine, et regardée comme beaucoup plus salutaire. Ce thé a une odeur aromatique fort agréable.

Les sauvages es recueillent dans les bois, et viennent vendre dans les villes, une herbe aromatique appellée foin sauvage.—Elle a une odeur très agréable, qu’elle conserve pendant plusieurs années: on s’en sert, comme nous nous servons de la lavande, pour parfumer les habits, &c.

LE CANADA.

(Du Glasgow Chronicle du 9 Janvier, 1828.)

Un Monsieur revenu depuis peu du Canada donne l’apperçu suivant de l’état politique de celte colonie.

Le Canada se rendit aux armes anglaises, aux termes de la capitulation du 9 Septembre 1760. Il fut gouverné par les lois civiles et criminelles d’Angleterre jusqu’à la passation de l’acte de Québec dans le parlement britannique, en 1774, lequel rendit à la colonie les lois civiles de France, en même temps qu’il lui laissait le code criminel d’Angleterre. Il est nécessaire d’énumérer brièvement les différents actes du parlement britannique relatifs au Canada, attendu que c’est des différentes interprétations qu’on leur a données que sont venues les présentes difficultés entre le métropole et la colonie.

Le premier dans l’ordre chronologique, l’acte de la 14e Geo. III. chap. 88, impose des droits sur le rhum, l’eau de vie et la melasse importés en Canada, à la place des impôts perçus par le roi de France, antérieurement à la capitulation, aussi bien que par le gouvernement anglais, postérieurement à cet évènement. L’acte porte que ces droits seront appropriés au soutien du gouvernement civil et de l’administration de la justice dans la province de Québec, maintenant divisée en provinces du Haut et du Bas-Canada.

Par l’acte de la 18e Geo. III chap. 12, le parlement de la Grande-Bretagne s’engage à n’imposer aucune taxe ou cotisation sur aucune des colonies, payable dans l’Amérique britannique, à moins que ce ne soit pour le règlement du commerce.

L’acte de le 31e Geo. III chap. 31, accorde au Canada une constitution représentative, mais laisse en force tous les actes antérieurs, jusqu’à ce qu’ils aient été spécialement rapportés, ou rappelles. L’acte constitutionnel divise la province de Québec en Haut et Bas-Canada, et donne à chacune des deux nouvelles provinces, une législature séparée. Le revenu provenant de l’acté de 1774 n’excédait pas, dernièrement, £34,000: les dépenses du gouvernement civil excédaient £74,000.

Le parlement provincial fut requis de remplir le déficit: ce qu’il fit. Le gouvernement de la province supérieure réclama, aux termes de l’acte constitutionnel, une portion du revenu, provenant des droits d’entrée. Il s’éleva, comme on aurait pu le prévoir, des différens entre les deux provinces, relativement à la distribution des droits perçus. Ces différens ne furent point ajustés, et la législature laissa expirer l’acte provincial en vertu duquel une partie de ces droits étaient prélevés.

Le parlement impérial, par l’acte de 3e Geo. IV, chap. 119, statua que ces droits seraient renouvelés pour le maintien du gouvernement civil. Cet acte est encore en force, et n’a rapport qu’à une partie des impots, la plus grande partie en provenant encore d’un acte provincial non rappelé.

Tels sont les actes parlementaires. La teneur des différentes interprétations que leur donnent la métropole et la colonie, et des présentes relations entre la Grande-Bretagne et le Bas-Canada est comme suit:

1. Le gouvernement britannique et le parti anglais soutiennent que l’acte constitutionnel de 1791 a laissé en pleine force et vigueur tons les statuts antérieurs, à moins qu’ils n’aient été spécialement rapportés, et que conséquemment l’acte de la 14e Geo. III. chap. 88, est demeuré en pleine opération.

2. Que la législature canadienne n’a aucun contrôle sur les deniers provenant de l’acte de la 14e Geo. III. chap. 88, puisque non seulement cet acte impose des droits, mais en applique encore le montant au soutien du gouvernement civil.

3. Que comme le parlement de la Grande-Bretagne accorde la liste civile pour durant la vie du roi, le parlement provincial devrait être requis de faire la même chose.

4. Que puisque le parlement provincial a laissé expirer l’acte en vertu duquel se percevaient les droits destinés au maintien du gouvernement civil, il est devenu nécessaire que le parlement impérial reprît le droit de taxer la colonie, pour suppléer au déficit.

5. Que les grandes dépenses que fait le gouvernement anglais en faveur du Canada, et la protection qu’il accorde à son commerce, en haussant le prix des propriétés, et donnant une valeur échangeable à des produits qui, autrement, seraient inutiles, devraient induire les Canadiens à apprécier davantage les immunités civiles et les avantages pécuniaires que leur procure leur liaison avec la Grande-Bretagne, plutôt qu’à chicaner sur les dispositions des lois que le gouvernement peut avoir jugé expédient de promulguer, à différentes époques, et à semer des dissentions et faire naître et entretenir des passions violentes; tout en négligeant totalement la considération et l’adoption des mesures qui aéraient les plus propres à avancer la prospérité de la province.

6. Que la chambre d’assemblée, durant le règne du feu roi, offrit de pourvoir à la totalité des dépenses du gouvernement civil; que cette offre fut nécessairement rejettée, attendu que l’octroi devait être limité à une année, et que si elle avait été accepté, elle aurait impliqué le droit de disposer du revenu approprié provenant de l’acte de la 14e Geo. III, chap 88.

7. Que la chambre d’assemblée s’est arrogé les fonctions du gouvernement exécutif, en tentant de fixer annuellement le montant des salaires des juges et autres officiers du gouvernement civil.

8. Que la chambre d’assemblée, sous l’influence de son orateur, Mr. Papineau, (l’orateur élu, que le gouverneur a refusé de recevoir à l’ouverture du nouveau parlement), et autres, a refusé d’accorder la liste civile telle qu’elle avait été demandée; que le gouverneur n’a pas pu l’accepter avec la condition inconstitutionnelle attachée au vote, et a été forcé de dissoudre le parlement sans recevoir les subsides, pour recourir au sentiment du peuple sur la conduite de ses représentans, et d’autoriser, sur sa propre responsabilité, tels déboursemens des deniers publics qu’exigeaient les besoins de l’administration.

Les Canadiens, de l’autre côté, maintiennent:—

1. Qu’en accordant une constitution représentative au Canada, on lui a nécessairement conféré tous les privilèges et fonctions propres à un tel système de gouvernement; que c’est le droit inhérent des communes d’originer tous les octrois d’argent faits à la couronne, et que la possession exclusive de ce privilège est la principale garantie d’une constitution libre.

2. Qu’à tout évènement, c’est le devoir et le privilège de la législature, et particulièrement des communes, de contrôler et de régler la dépense des deniers public provenant d’elles; qu’elles ne sont point privées de l’exercice de ce droit par l’acte de la 14e Geo. III, chap. 88, qui fait généralement l’application des taxes qu’il impose au soutien de l’administration civile, et que conséquemment elles ont droit d’exercer leur discrétion dans la distribution, ou l’approportionnement de ce fond, ou de tout autre fond levé par leur autorité, entre les différents officiers du gouvernement.

3. Qu’elles ne peuvent être équitablement requises d’accorder la liste civile pour la vie du roi, comme en Angleterre, parce que par l’acte précité, le parlement britannique a imposé une partie des taxes destinées au maintien de l’administration, et parce que l’acte en question peut-être modifié, ou rapporté, à la volonté du parlement impérial; que comme l’acte constitutionnel réserve à la métropole le droit de régler la navigation et le commerce de la colonie, le montant des droits imposés par la législature provinciale poux le soutien du gouvernement civil est sujet à la variation que tout changement dans les reglemens à cet effet peut occasionne, et que conséquemment la chambre d’assemblée ne peut-être, en droit et raison, requise d’octroyer permanemment des subsides qu’elle pourrait n’avoir pas toujours les moyens de se procurer.

4. Que l’analogie de la liste civile accordée au roi par le parlement d’Angleterre, n’est pas applicable au cas, puisque cette liste a été accordée pour la première fois, à l’avènement de George III, au lieu des revenus héréditaires et spécifiques qui appartenaient à la couronne et dont le contrôle est dévolu aux communes; qu’en Canada, la couronne, outre qu’elle retient son revenu héréditaire, perçoit près de la moitié des taxes payées par le peuple, en vertu d’un acte du parlement britannique; qu’en conséquence, l’analogie en question ne peut avoir lieu, tant que les droits et les privilèges inhérents à la constitution canadienne continueront à être exercés par la métropole.

5. Que la liste civile de la Grande-Bretagne n’excède pas la soixantième partie des subsides annuels; qu’à part de quelque argent peur des objets locaux, les communes du Canada n’ont d’autres subsides à accorder une ceux qu’exigent les déboursés faits au compte de la liste civile; et que si tous les subsides étaient accordés permanemment, le principal privilège des communes serait annéanti, et la balance de la constitution renversée.

6. Qu’il suit nécessairement de la proposition, que les octrois d’argent doivent prendre origine dans les communes, qu’elles en doivent fixer le moulant; et que dans les circonstances où se trouve le Canada, ces octrois doivent être annuels; que les communes doivent déterminer annuellement le montant des items spécifiques qu’embrasse la totalité de la liste civile; ou, en d’autres termes, voter annuellement le montant des salaires des juges et autres officiers de la couronne.

7. Qu’en Angleterre, les juges tiennent leur office à vie ou durant bonne conduite, et ne peuvent être démis qu’en vertu d’une accusation publique, ou d’une adresse des deux chambres du parlement, tandis qu’en Canada, ils sont amovibles au bon plaisir de la couronne; qu’en conséquence il est nécessaire qu’ils dépendent des communes pour la jouissance de leurs appointemens.

8. Que les législatures du Haut et du Bas-Canada ne s’étant pas trouvées d’accord sur l’approportionnement des fonds provenant des droits imposés par elles, et dûs à chacune des provinces, ont laissé expirer l’acte qui ordonnait le paiement d’une partie de ces droits; que le parlement britannique, par l’acte de le 3e du présent roi, a renouvellé l’imposition de cette taxe, en contravention directe à l’acte de la 18e de Geo. III. chap 12, et de l’acte constitutionnel, par lequel il renonçait au droit de mettre des impôts ou cotisations payables dans aucune des colonies de l’Amérique britannique, à l’exception de ceux qui seraient nécessaires pour le règlement de la navigation et du commerce; et que l’acte de 3e Geo. IV. étant une violation directe de la foi nationale, il devrait être rapporté.

9. Que la grande masse de la population étant composée de Canadiens, n’y ayant guère d’habitans anglais que dans les grandes villes, la distribution des emplois à la disposition de la couronne, dans le Bas-Canada, se fait d’une manière très inégale entre les Anglais et les Canadiens; que le ministère britannique retient la plus grande partie de ces nominations entre ses mains, n’en laissant qu’un petit nombre à la disposition du gouverneur; qu’en même temps qu’ils ne se plaignent point que les places militaires et ecclésiastiques soient exclusivement réservées aux Anglais, ils ne peuvent trouver juste et impartiale la répartition suivante:—

Anglais,Canadiens.
Gouverneurs20 
Secrétaires11 
Conseillers législatifs218 
Officiers du conseil45 
Conseillers exécutifs92 
Officiers du conseil40 
Officiers de différents départemens5213 
Juges, Conseils du roi, Greffiers des cours, &c.369 
Officiers des douanes342 
Clergé de l’église établie330 
Nominations militaires, non compris les régimens en Canada1180 
----- 
31446 

Tels paraissent être les sujets, ou du moins les principaux sujets de différent entre le Bas-Canada et la Grande-Bretagne.

L’acte de 31e Geo. III, chap. 31, ayant accordé une constitution libre au Canada, on en peut inférer que tant que la Grande-Bretagne continuera à imposer des taxes dans les colonies, bien que par l’interprétation technique des actes du parlement, elle puisse paraître en avoir l’autorité, l’exercice odieux de cette autorité enfantera des jalousies et perpétuera la division entre la législature canadienne et le gouvernement britannique. Il n’est pas compatible avec la nature morale de l’homme de supposer que quand on lui a accordé certaines facultés d’une nature politique, il se soumettra sans résistance à la limitation de l’exercice de ces facultés. Le pouvoir extérieur pourra le forcer à l’obéissance, mais n’obtiendra jamais de lui une soumission volontaire.

L’acte constitutionnel posait en principe que des institutions libres étaient adaptées à la société canadienne. C’était de la part de la métropole un solécisme en politique d’accorder aux Canadiens le droit de se gouverner eux-mêmes, tout en retenant le privilège odieux de les taxer sans leur consentement. C’était leur jetter de plein gré une pomme de discorde, en dépit de l’expérience chèrement achetée de la révolution des colonies voisines.

La masse de la population canadienne n’est rien moins qu’éclairée mais ceux parmi lesquels elle choisit ses représentans sont, en général, des hommes intelligents, des messieurs résidant sur les lieux, les descendans des premiers colons français, qui connaissent leurs droits et savent en apprécier dûment l’exercice.—Leurs chefs, MM. Papineau, Viger et Vallieres, sont des hommes très instruits et de grands talens.

Il y a cinquante ans, les autres colonies américaines ont résisté avec succès à la tentative de la métropole de leur imposer des taxes; elles possédaient des droits constitutionnels; elles avaient assez de bon sens et d’intelligence pour en comprendre la nature et l’étendue, et d’énergie morale pour résister à leur violation. Sans doute, le gouvernement anglais déclara qu’elles avaient tort: les gens de loi de la couronne décidèrent qu’elles étaient taxées légalement. Cependant en 1778, quelques années après, la Grande-Bretagne renonça au droit de taxer les colonies; mais, comme personne ne l’ignore, trop tard pour les ramener à l’obéissance.

La Grande-Bretagne, il paraît, continue à taxer légalement le Canada, par l’acte de la 14e Geo. III, chap. 88, et à lui imposer une taxe additionnelle, en contravention à un acte antérieur non rappellé. Si la constitution de l’esprit humain est la même dans tous les pays; s’il y a quelque vérité dans l’histoire, et s’il existe des différens entre la Grande-Bretagne et le Canada, les Canadiens ne se soumettront au paiement des taxes que jusqu’à ce qu’ils puissent y résister efficacement.

Les Canadiens ayant présentement une constitution, et la troisième branche de la législature s’étant déclarée opposée à la politique du gouvernement anglais, l’expérience démontre que le seul moyen de changer ou de modifier ses vues, est de répartir parmi les membres de ce corps, ou parmi ceux qui seront recommandés par eux, les différents emplois à la disposition de la couronne.

Cette politique a été, dans d’autres pays, un moyen admirable de concilier et de prévenir les différens entre le gouvernement et la législature. Si l’on porte un regard comparatif sur la répartition des différentes places à la disposition de la couronnera pourra inférer que le gouvernement d’influence, ou en langage populaire, de corruption, n’a pas encore été essayé. Dans l’état actuel de la constitution canadienne, et de la répartition des charges à la disposition du gouvernement, aucun système de politique ne réussira probablement, s’il contrarie l’opinion du peuple ou de ses représentans.

Tel étant le cas, il se peut faire qu’il y ait des démagogues parmi le peuple, comme il y a des fonctionnaires amis de l’arbitraire parmi les employés du gouvernement. Les premiers peuvent égarer; les derniers voudraient opprimer: c’est ce qui, dans la nature des choses, est assez ordinaire à un état imparfait d’éducation. Un gouvernement juste et libéral appaisera le mécontentement, en faisant disparaître les causes qui le produisent: s’il le fait, il agira dans l’intérêt de l’empire; s’il ne le fait pas, le Canada sera agité, et la Grande-Bretagne taxée pour soutenir un systême qui pourra être prolongé pour un temps, mais qui ne pourra durer permanemment.

Les mécontentemens qui règnent en Canada sont presque aussi anciens que les actes d’où ils tirent leur origine. Il est donc injuste de blâmer, ainsi que font les Canadiens, le gouvernement local comme en étant la cause. Ils ne sont que les conséquences naturelles de la politique de la métropole. Il est surtout injuste et cruel d’inculper le présent gouverneur général, Lord Dalhousie, qui depuis sept ans, travaille sans espoir de récompense, à améliorer l’état intérieur du Canada, relativement à la politique générale de la Grande-Bretagne. Sa Seigneurie n’a autre chose à faire que d’obéir à ses instructions, de la teneur desquelles. Elle ne peut-être tenue pour responsable. Dans son gouvernement local, lord Dalhousie a recommandé et originé plusieurs mesures qui, si ce n’eût été du malheureux esprit de dissention, auraient pu être adoptées successivement. Ses efforts pour promouvoir l’éducation du peuple et pour obtenir une loi pour l’enregistrement de tous actes relatifs à la vente et au transport des biens-fonds, loi également essentielle à la sûreté de la propriété, et aux intérêts du commerce; son zèle et ses soins pour la formation et l’amélioration de chemins publics, l’excavation de canaux, l’érection d’hôpitaux, de prisons et d’hospices pour les aliénés, lui donnent des titres à l’approbation de son pays, et à la reconnaissance des Canadiens. Ces derniers ont frustré plusieurs de ses sages et judicieuses mesures; et il est à craindre que le premier n’apprécie pas ses services à leur juste valeur, vu l’éloignement de la sphère où ils ont été rendus. Telles sont les conséquences naturelles de la rivalité des droits nationaux et coloniaux. Tant que le sujet du différent existera, la méfiance et la jalousie empêcheront qu’il y ait entre l’administration locale et la législature, cette co-opération cordiale, sans laquelle aucune mesure publique ne peut-être discutée sans passions, ni aucun avantage réel obtenu pour longtemps.

DE LA CULTURE DES ABEILLES DANS LES FORETS.

Par le Pasteur Buttner.

En Livonie, on a, depuis un temps immomorial, l’habitude de creuser les arbres dans les bois, pour y recevoir et cultiver des assaims d’abeilles. Il y a des propriétaires qui ont des centaines et même des milliers d’arbres à abeilles. On choisit pour cette culture de gros chênes, pins, sapins, aunes, &c. Aussi a-t-on objecté contre cette culture, qu’elle détruit les forêts et diminue la quantité de beau bois de construction. M. Buttner réplique à cette objection, qu’il n’est pas nécessaire que l’on choisisse pour cette culture les plus belles tiges, et que des arbres rabougris peuvent rendre le même service, pourvu qu’ils aient la grosseur nécessaire. Il fait observer qu’un arbre à abeilles rapporte plus que si on en vendait le bois; que les vieux arbres creusés, qui servent pendant un siècle et plus, répandent d’ailleurs de la semence autour d’eux, et font naître des rejetions qu’on obtiendrait facilement en détruisant les vieux troncs; il ajoute que l’air pur de la haute région convient mieux aux abeilles que l’air enfermé des ruchers, qui reçoivent les exhalaisons de la terre, et dans lesquels la contagion fait quelquefois de grands ravages. La preuve c’est que les essaims des abeilles des jardins se dirigent par instinct vers les bois, tandis que les abeilles des bois n’essaiment jamais dans les jardins.

Dans un supplément à cet article, le pasteur Watson, en résumant les avantages et les inconvéniens de l’apiculture dans les jardins et dans les bois, énonce son opinion, qu’il est avantageux de cultiver des abeilles dans les arbres partout où il y a de grandes forêts, et que là où il n’y en a pas, on fait bien de poser des ruches sur des arbres isolés, à deux ou trois toises d’élévation au-dessus de la terre, ou de placer le rucher sous un hangard muni de croisées, et de faire usage des ruches de la construction inventée par Christ.—(Bulletin des sciences, &c.)

DECOUVERTES.

L’infatigable M. Mai, préfet du Vatican, vient de retrouver des pages inédites et authentiques de Diodore de Sicile, Denys d’Halicarnasse, Dion Cassius et Polybe, de nouveaux faits de l’histoire ancienne, des renseignemens inappréciables sur la géographie, la chronologie et l’art militaire. Il a exhumé ces textes grecs de la poussière des Palinoseries, manuscrits autrefois lavés pour recevoir une nouvelle écriture.

Déjà célèbre par une longue suite de publications de ce genre, qui ont enrichi les œuvres de Cicéron, de Plaute, de Symmaque, de Fontin, de Marc-Aurele, M. Mai a commencé, en 1825, à faire paraître une collection in-4º d’ouvrages grecs inédits extraits des manuscrits qui lui sont confiés. On trouvait dans ce volume plusieurs écrits d’Eusebe, de Photius, et une réponse du rhéteur Aristide à un plaidoyer de Demosthenes.

Le nouveau volume est composé de morceaux tirés pour la plupart de l’immense recueil de Constantin Porphyrogenete, empereur grec, qui au 10e siècle, fit rédiger par des compilateurs des extraits méthodiques des historiens, que l’on rangea sous divers titres, et qui forment 53 sections, dont quelques unes ont été conservées. Déjà l’on en connaissait deux, celle des Ambassades, et celle de Vertus et de Vices. M. Mai en publie une 3e, celle des Sentences, qui ne sera pas moins utile que les deux autres.

On y trouve cent pages de Diodore de Sicile, des extraits de Denys d’Halicarnasse, de Dion Cassius, de Dexippe, de Ménandre l’Analiste, une page d’Appien, un ouvrage anonyme sur la politique, un discours de Nicephore Blemmidas sur les devoirs d’un roi, et trois pages du roman de Jamblique, qui ne nous était connu que par l’analyse de Photius. Mais ce qui paraîtra peut-être plus précieux que ces restes du Bas-Empire, ce sont de nombreuses citations des anciens poëtes d’Athènes, de Solon, d’Euripide, de Philemon, plusieurs oracles en vers, et d’autres monumens authentiques des plus beaux temps de la Grèce.

L’auteur qui gagne le plus à cette découverte est sans contredit Polybe. On n’avait de lui que les 5 premiers livres de l’Histoire universelle: de son temps, des fragmens assez longs jusqu’au 17e, et les anciens extraits de Constantin pour ces livres et les 23 autres. Les nouveaux étroits, qui remplissent ici près de cent pages, s’étendent du 6e livre au 13e. Les plus suivis appartiennent au 12e.

PHENOMENE.

Voici un jeu singulier de la nature. Le fait nous paraîtrait incroyable, s’il ne nous: était attesté par plusieurs correspondant digues de foi. Il existe, nous écrit-on, à Piemont, village situé à une demi-lieue de Longwi, une petite fille âgée de 32 mois, dans les yeux de laquelle on lit ces mots, marqués circulairement en petites capitales, Napoléon Empereur. Les lettres sont à peu près de la même grandeur que celles de la légende d’une pièce d’un franc; elles se détachent en traits blancs sur la prunelle, qui est bleue. Elles deviennent plus distinctes à mesure que l’enfant avance en âge. Dans l’œil droit, le mot Napoleon se lit à la partie supérieure de la prunelle, et le mot empereur à la partie inférieure; dans l’œil gauche, les deux mots sont disposés dans l’ordre inverse. Telle est du moins, à ce qu’on nous écrit, la description que donne le médecin de l’hôpital de Longwi, qui a observé ce phénomène à l’aide d’une loupe.

Le père de l’enfant est un employé des douanes. La mère raconte qu’elle avait reçu autrefois en présent de son frère, qui partait pour l’armée, une pièce toute neuve d’un franc, à l’effigie de Napoléon, qu’elle conserva pendant sa grossesse; ayant été obligée de s’en défaire pour payer une dette, elle en éprouva un violent chagrin, et pleura plusieurs jours. Elle ajoute que sans doute sa chère pièce de vingt sous est dans les yeux de sa petite fille.

Trois ou quatre individus de Longwi, voulant faire de cette singularité un objet de spéculation, ont traité à cet effet avec la père et la mère par acte passé devant le notaire du lieu. Il nous semble que ce phénomène serait digne de l’attention de l’académie de médecine.—(Journal du Commerce.)

Le Journal de Luxembourg contient ce qui suit; “Décidément la petite fille qui porte dans ses yeux l’empereur Napoléon est exposée à l’observation des curieux pour la modique rétribution de vingt cinq centimes. Une affiche pompeuse a publiquement annoncé le prodige. On assure qu’un Anglais a offert une forte somme pour déterminer les parens à lui confier leur enfant pendant quelques mois, afin de le montrer à Londres. Sur le refus du père, le gentleman a demandé qu’on lui accordât seulement un œil pour l’offrir à l’admiration de ses compatriotes.”

LE SCULPTEUR NOLLEKENS.

Nollekens, célèbre sculpteur, est mort laissant une fortune de six millions. Son testament instituait comme légataires plusieurs personnes à qui il laissait des sommes très considérables. On pense bien que leur joie fut grande à la lecture d’un acte qui leur promettait de belles fortunes; mais, hélas! le testateur n’avait pas signé! Etait-ce oubli, était-ce malice, était-ce un dernier effet de ce sentiment qui pousse tant d’hommes à s’amuser aux dépens de leurs semblables, et Nollekens, accoutumé à faire peu de cas de l’espèce humaine, a-t-il voulu lui en donner des preuves jusque par-delà le tombeau? Quoi qu’il en soif, la couronne, dit on, fut appellée à recueillir cette vaste succession, hommage inattendu offert à la majesté royale par un homme habitué à peu sacrifier à la grandeur, et qui, durant sa vie, paraissait n’avoir jamais saisi bien distinctement le principe abstrait de la distinction des rangs ou même des personnes.

On le voyait aller à son heure chez le duc d’York ou chez le prince de Galles, sans respect pour l’étiquette, et là, malgré les avertissemens des personnes qui l’entourraient, prendre familièrement leurs altesses par les boutons de l’habit ou du gilet, leur demander comment se portait leur père, et leur exprimer en ces termes le plaisir qu’il trouvait à en recevoir de bonnes nouvelles: “Tant mieux, tant mieux; j’en suis bien aise; quand il sera parti, nous n’en aurons jamais un aussi bon que lui.”

Un jour que le vieux Georges III posait pour son buste, Nollekens voulut s’assurer de la mesure du front à la lèvre supérieure de son modèle, et appuya tout bonnement à ces deux extrémités les deux pointes d’un compas, ni plus ni moins que s’il eût copié une tête de marbre. Sa majesté en rit de bon cœur, et était toute réjouie de voir qu’il y eût à Londres une personne aussi peu instruite de l’immense intervalle qui sépare un roi des autres hommes. Nollekens, armé de son compas, ignorait sans doute le principe constitutionnel de l’inviolabilité du souverain.

Cet artiste n’attachait pas la moindre importance à la qualité d’homme, non plus qu’à la dignité de roi, et n’avait pas d’autre pensée que de modeler son argile et de faire le meilleur buste qu’il pourrait, le tout pour sa propre satisfaction, se souciant peu de celle des autres.

Il y avait dans cette simplicité, dans cette brusquerie de conduite, quelque chose qui rappelait la sécheresse et la fermeté de son art, aussi bien que la sévérité remarquable de ses mœurs. Le style de Nollekens était dur. Ses ouvrages avaient autant de vérité, autant de caractère que ceux de Chantrey, mais ils n’avaient ni le fini gracieux, ni la douce transparence qui prêtent tant de charme aux productions de cet artiste. Nollekens mettait dans ses statues toute la rudesse, toute la simplicité, si j’ose le dire, toute l’honnêteté de son cœur.

M. Northcote lui faisait un jour compliment sur la supériorité d’un talent si universellement estimé. “Ma foi, disait-il, vous faites les bustes mieux que personne.—Je n’en sais rien, répondit l’artiste, souriant comme malgré lui; mais tout ce que je sais, c’est que je les ai toujours faits le plus ressemblant que j’ai pu.”

SINGULARITÉS ANGLAISES.

On sait que les journaux anglais contiennent toutes sortes d’avertissemens singuliers, bizarres; que tout individu peut s’y donner en spectacle, y parler de ses affaires particulières et domestiques, de ses enfans, de sa femme, de ses querelles de ménage, &c. Un matin, on lut dans un de ces papiers la lettre suivante:—“Je désire que personne ne fasse crédit à Marie Williams, ma femme, parce que je ne paierai point ses dettes. Signé Thomas Williams.” Mais Marie Williams ne demeura point en reste, et dès le lendemain matin, on lut dans ce même journal la réponse piquante à cet impertinent mari. “Thomas Williams aurait pu s’épargner l’avertissement qu’il a fait imprimer hier; il ne doit pas craindre qu’on me fasse crédit à cause de lui: comme il ne paie pas ses propres dettes, personne ne comptera sur lui pour payer les miennes.” La correspondance se termine là, et c’est vraiment dommage. Thomas Williams n’a point répliqué; c’est la femme qui a eu le dernier mot: ce n’est pas en cela du moins que consiste la singularité anglaise.


On connaît le goût des Anglais pour les paris: tout leur sert de prétexte. L’un d’eux, dinant dans une taverne, trouva dans une noisette un ver tellement gros, qu’il excita l’admiration de tous ceux qui se trouvaient présents. Un des convives aussitôt lui en offrit cinq guinées; le marché fut accepté et conclu, et l’acquéreur de ce ver prodigieux gagna deux cents guinées, en pariant qu’on n’en trouverai pas un pareil dans un nombre déterminé de noisettes. Je ne connais de plus miraculeux que ce ver que l’énorme crapaud de M. Arscot, qu’il élevait depuis trente-six ans, qui venait manger à table avec lui, et qui, dans un combat contre un corbeau, ayant été éborgné, mourut de tristesse et de chagrin.


Le capitaine Primerley avait rapporté de son voyage en Afrique un énorme crocodile et ses trois petits. Il était extrêmement inquiet sur le sort de ces aimables bêtes, dont une fluxion de poitrine avait menacé les jours; mais grâce à Dieu, le voila entièrement rassuré; la mère et les enfans se portent bien; le Morning Chronicle a l’honneur de vous en faire part.


Sir Follow, mordu par le chien de M. Worthy, traduit ce dernier devant le juge de Bow-Street. Worthy soutient mordicùs qu’il n’a pas de chien: tous les assistans s’étonnent d’une pareille audace; le juge lui-même demeure stupéfait. L’accusé sans se déconcerter, prend de nouveau la parole et s’exprime en ces termes: “Non, je n’ai pas de chien, je le soutiendrai à la face du ciel.—Vous avez donc une chienne?” La réponse du prévenu fut affirmative.


Encore un original. Sir Mac-Dobery, propriétaire à Dublin, qui par son travail, était descendu du grenier au rez-de-chaussée, vient de vendre son hotel et ses meubles, pour se mettre dans un grenier, et y recommencer sa carrière.—(Extrait du Courrier des Etats-Unis.)

VERS.

STANCES ECRITES PAR DUCIS, PEU DE JOURS AVANT SA MORT.

Heureuse solitude,

Seule béatitude,

Que votre charme est doux!

De tous les biens du monde,

Dans ma grotte profonde,

Je ne veux plus que vous.

 

Qu’un vaste empire tombe,

Qu’est-ce, au loin pour ma tombe,

Qu’un vain bruit qui se perd;

Et les rois qui s’assemblent,

Et leurs sceptres qui tremblent,

Que les joncs du désert?

 

Mon Dieu, ta croix que j’aime,

En mourant à moi-même,

Me fait vivre pour toi.

Ta force est ma puissance;

Ta grâce, ma défense;

Ta volonté, ma loi.

 

Déchu de l’innocence,

Mais par la pénitence,

Encor cher à tes yeux,

Triomphant par ses armes,

Baptisé dans mes larmes,

J’ai reconquis les cieux.

 

Souffrant octogénaire,

Le jour pour ma paupière

N’est qu’un brouillard confus.

Dans l’ombre de mon être,

Je cherche à reconnaître

Ce qu’autrefois je fus.

 

O mon père! ô mon guide!

Dans cette Thébaide,

Toi qui fixas mes pas,

Voici ma dernière heure:

Fais, mon Dieu, que je meure

Couvert de ton trépas.

 

Paul, ton premier hermite,

Dans ton sein qu’il habite

Exhale ses cent ans.

Je suis prêt; frappe, immole,

Et qu’enfin je m’envole

Au séjour des vivans.

MORALITE.

Ut tibi mors felix contingat, vivere disce;

  Ut jelix possis vivere, disce mori.

IMITATION.

Que ce précepte d’un vieux livre

Soit gravé dans ton souvenir:

Pour bien mourir, apprends à vivre:

Pour bien vivre, apprends à mourir.

EPITAPHE DE MOLIERE.

Sous ce tombeau gissent Plaute et Terence,

Et cependant le seul Moliere y gît:

Leurs trois talens ne forment qu’un esprit,

Dont le bel art réjouissait la France.

Ils sont partis, et j’ai peu d’espérance

De les revoir. Malgré tous nos efforts,

Pour un long temps, selon toute apparence,

Terence et Plaute et Molière sont morts.

L’URGENCE DU POETE.

Ah! mon cher Lycidas, je vous en félicite;

Vos poëmes enfin commencent à percer.

Hélas! mon pauvre ami, qu’ils percent donc bien vite,

Car dans peu mon habit pourrait les dévancer.

LA DEBACLE DU ST. LAURENT.

Mense truci sacro, lœtantur ut omnia, Marti,

Sole recèns facto majori lumine et igne,

Dùm suprà liquitur glacies, corroditur infrà

Undarum effluvio tumidarum, atque inde putrescit.

Illicet hinc solidæ moles franguntur et illinc,

Trudunturque aliis aliæ; ruptique in flumine passim

Tolluntur montes. Hei tùm livioribus arvis!

Grandia cum magnis terræ volvuntur acervis

Sara simul. Væ tùm claustris, nimiùmque propinquis

Ædibus! Indignans flumen, jam ponte réfracto,

Omnia perfringit, ripisque effunditur altè.

CUIRS.

Un tanneur de Berncastel, sur la Moselle, nommé Jean Rapedius, vient de trouver une nouvelle espèce de tan propre à la confection des cuirs. La matière dont il se sert est la plante connue sous le nom de Myrtile, Vaccinium Myrtilus (Linnée.) On la recueille au printems, de préférence, parce que dans cette saison elle se dessèche plus facilement et se prête mieux à la mouture. Trois livres et demie de ce tan suffisent pour fabriquer une livre de cuir, tandis qu’il faut six livres de tan de chêne pour produire la même quantité de cuir. Par ce nouveau procédé, les tanneurs peuvent gagner quatre mois sur le tems nécessaire pour la fabrication des cuirs forts.

La commission nommée à Trèves pour examiner le cuir qui en est résulté, a constaté que jamais on n’en avait vu d’aussi bon; que chaque paire de souliers pourrait durer deux mois de plus qu’avec du cuir ordinaire; que la peau du col, qui se prête difficilement à la main-d’œuvre, devient forte et élastique comme celle des autres parties.

La myrtile ne doit pas être arrachée, mais coupée avec une serpe, afin d’obtenir la production de la plante les années suivantes. Quand elle est coupée, l’humidité ne peut plus la détériorer, tandis que l’écorce de chêne, une fois mouillée, perd dix pour cent de sa valeur. On laisse sécher la myrtile sur place et on la conduit de là au moulin. Un gros chariot chargé de cette matière sèche, ne revient pas à plus de 1f. 50c. pour la main-d’œuvre.

SOCIETÉ pour L’ENCOURAGEMENT des SCIENCES
ET des ARTS EN CANADA.

Hotel de Malhiot, 6 Mars, 1828.

L’assemblée annuelle de la Société a eu lieu, ce jour, à 7 heures du soir. Le Président ayant pris le fauteuil; la classe du Commerce a fait un rapport sur deux Essais sur l’Agriculture de la province, constatant qu’ils possédaient un mérité à peu près égal, expliquant chacun des pratiques, et entrant dans des détails qui ne sont que partiellement traités par l’autre. En conséquence, la médaille, 1er prix, a été décernée à Valler Guillet, Notaire public à Yamachiche, pour son Essai, intitulé: Un petit systême d’Agriculture: et une médaille semblable a été octroyée au Revd. Joseph Abbott, A. M. de la montagne d’Yamaska, pour son Essai, intitulé: A brief view of the advantages and defects of the present system of agriculture in Canada, and the means of improving it in all its departments.

La médaille, 1er prix, a été décernée à Mr. Joseph Smillie, fils, de Québec, pour une gravure de la carte du Vallon de la Rivière St. Jean, rédigée par Wm. Henderson, écuyer, soumise à la Société comme le résultat de ses efforts dans l’art; et les remercimens de la Société lui ont été votés pour le don qu’il en a fait à l’institution.

La Société a décerné une médaille honoraire à J. Fr. Bouchette, écuyer, pour un échantillon d’écriture moulée, à plume de corbeau, qui forme le titre en chef d’un acte provincial.

Une médaille semblable a été décernée à Mr. A. J. Legaré, de Québec, pour le dessin original d’un tableau à l’huile, représentant le caractère barbare des combats sauvages entre les Hurons et les Iroquois.

Les remercîmens de la Société ont été votés au Président, pour le don précieux qu’il a fait à l’institution de sa carte topographique du Canada, et de l’ouvrage explicatif qui l’accompagne.

Extrait des minutes de la Société. Par ordre, R. S. M. Bouchette, Ast. Sc.

JOURNAL DES SCIENCES NATURELLES.

Extrait du Prospectus.

“Les écrits en langue anglaise sont devenus si nombreux sur notre continent, qu’on serait tenté de croire que cette langue doit être bientôt la langue scientifique du nouveau monde, surtout quand on envisage l’influence que les Etats-Unis exercent déjà sur l’Amérique entière; et quoique le nombre de ces écrits l’emporte peut-être sur leur utilité, on ne peut nier que la langue anglaise ne possède aujourd’hui des richesses immenses, qui sont presque perdues pour la nôtre. La distance qui sépare la France du nouveau continent est une barrière peut-être moins insurmontable que la différence du langage; aussi ignore-t-elle presque entièrement les progrès que les sciences ont faits, depuis quelques années, et qu’elles font encore aujourd’hui, avec tant de rapidité, parmi nous.

“D’un autre côté, l’immense population française disséminée sur tous les points de l’Amérique ne connaît des travaux précieux de la France moderne, que ce qui lui en est transmis par une langue étrangère; ses propres recherches même ne peuvent être d’aucun fruit pour elle, parce qu’elle ne possède encore aucun moyen connu de communication avec le reste des savans.

“C’est dans la vue d’applanir ces difficultés, et pour rétablir et resserrer ce lien si désirable entre tous les descendants d’une même famille, que nous offrons notre travail; dans l’espérance que l’accueil qu’il recevra nous mettra bientôt en état de lui donner toute l’étendue et tout l’intérêt si impérieusement réclamés, et par les circonstances et par nos besoins.

“En nous efforçant de restituer à la langue française une partie des trésors dont elle reste privée, et en la rendant ainsi l’organe plus populaire des découvertes dans le nouveau monde, nous nous attacherons surtout à rendre un compte fidèle des recherches scientifiques des savans de l’ancien continent. Cette partie de notre travail ne manquera pas d’intéresser tous ceux pour qui la langue française n’est qu’une langue de cabinet, mais qui, comme tous leurs compatriotes, ne connaissent à peine de sa littérature que ce que l’on a rendu susceptible de passer dans un autre idiome. De plus, comme cette langue est la seule parmi les modernes qui ait été appropriée à toutes les sciences, il est évident qu’aucune d’elles, surtout la langue anglaise, n’est propre à devenir son interprête.”

NECROLOGIE.

DÉCÉDÉS:

A Carlisle, le 1er Février dernier, le général Paulus Emilius Irving. Il fut autrefois président de cette province; fit lever le siège de Québec, dans le printemps de 1776, et se trouva au combat des Trois-Rivières, au mois de Juin de la même année;

A l’Islet, le 27, Mr. Charles François Fortin, âgé de 91 ans;

Aux Trois-Rivière, le 7 du courant, Eleodor, enfant de P. Vezina, écr. âgé de 6 ans et 3 mois;

A Nicolet, le 19, Joseph Rolette, écr. âgé de 90 ans. Mr. Rolette se trouva au siège de Québec, en 1775 et 16; il était père du lieutenant Frédéric Rolette, de la marine provinciale, qui s’est distingué en plusieurs occasions, dans la dernière guerre avec les Etats-Unis;

A St. Denis, le 21, Dame Louise Catherine Soupirant, épouse de Louis Bourdages, écuyer, M. P.

A Nicolet, le 22, Dame Agathe Wolff, épouse de Mr. J. M. C. Duvernay, N. P.

A Québec, le même jour, à l’âge 75 ans, l’honorable Louis de Salaberry (père de l’honorable C. M. de Salaberry, C. B.) membre du Conseil Législatif de cette province, et Surintendant au département des Sauvages;

Aux Ecureuils, le 25, Messire O. R. Viau, Prêtre, Vicaire de Québec, âgé de 27 ans;

A Montréal, le 26, Dame Catherine Giasson, épouse de Mr. Edouard Cherrier;

Aux Trois-Rivières, le 29, Mr. Joseph Crevier Bellerive, âgé de 74 ans.

TRANSCRIBER NOTES

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Mis-spelled words and punctuation have been maintained except where obvious printer errors occur.

[The end of La Bibliothèque canadienne, Tome VI, Numero 4, Mars 1828. edited by Michel Bibaud]