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Title: La Bibliothèque Canadienne, Tome 5, Numero 3, Aout, 1827.

Date of first publication: 1827

Author: Michel Bibaud (editor)

Date first posted: May 7, 2020

Date last updated: May 7, 2020

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La Bibliothèque Canadienne


Tome V. AOUT, 1827. Numero 3.

HISTOIRE DU CANADA.

Les choses en étaient là, lorsqu’un nouveau gouverneur-général débarqua à Québec, avec de nouvelles troupes. Le roi ayant compris qu’à la manière dont la paix avait été faite, elle ne pouvait pas être de longue durée, et que la vieillesse et les infirmités de M. de la Barre ne lui permettraient pas de pousser la guerre avec vigueur, avait jugé à propos de lui donner pour successeur le marquis de Dénonville, colonel de dragons, homme qui avait déja fait preuve de courage et d’activité, et de qui on pouvait espérer de la fermeté et de la vigueur, lorsque les circonstances l’exigeraient.

A peine M. de Dénonville se fut-il remis de la fatigue de la navigation, qui avait été rude, qu’il partit pour Catarocouy, afin de voir de plus près et par lui-même, en quel état se trouvaient les affaires avec les Iroquois. Il y apprit que ces sauvages avaient conçu une grande méfiance des Français, et il fit tout ce qui dépendait de lui pour les rassurer. Il comprit néanmoins que cette nation en était venue à un ton de hauteur et d’insolence qu’il convenait de rabattre, et il écrivit à M. de Seignelay que les hostilités qu’elle continuait de faire aux Illinois étaient un motif suffisant de lui déclarer la guerre, mais qu’il ne fallait en venir à cette démarche qu’après avoir fait tous les préparatifs nécessaires.

Les connaissances que le nouveau gouverneur prit des affaires du Canada, pendant l’hiver, le confirmèrent dans la pensée que les Français n’auraient jamais les Iroquois pour amis, et que pour n’être pas exposé à avoir incessamment sur les bras un ennemi incommode et dangereux, il fallait le détruire, ou du moins l’affaiblir et l’humilier, de sorte qu’il fût contraint, pour sa sureté et son intérêt, de rechercher l’alliance de la colonie et de s’y maintenir. Il fut surtout persuadé qu’il n’y avait que ce seul moyen de soutenir le commerce des pelleteries, qu’on pouvait s’attendre à voir bientôt réduit à rien, si les choses demeuraient dans l’état où elles étaient. Ce commerce n’était plus guères libre à l’ouest, depuis que les Tsonnonthouans avaient attiré à Niagara les Anglais de la Nouvelle-York, qui, par le moyen des lacs, pouvaient faire des courses jusqu’à Michillimakinac. Ils avaient même déja commencé à se montrer aux environs de ce poste, et travaillaient, par le moyen des Iroquois, à mettre dans leurs intérêts les sauvages de ces contrées, qui étaient la principale ressource des Français, par rapport à la traite des pelleteries.

Pour empêcher un événement qui eût été un malheur pour le Canada, M. de Dénonville proposa au ministre des colonies, par une lettre du 8 Mai 1686, de construit à Niagara un fort de pierres capable de contenir une garnison de quatre à cinq cents hommes. Il lui représentait surtout qu’un fort en cet endroit procurerait le triple avantage de fermer aux Anglais le passage des lacs, et de mettre les Français en état d’empêcher les Iroquois de leur porter leurs pelleteries; de tenir ces barbares dans la crainte et le respect; enfin de servir de rendez-vous, ou même de refuge, en cas de besoin, aux sauvages alliés de la colonie, lorsqu’elle serait en guerre avec les Iroquois. Les marchands de Québec qui commerçaient aux pays d’en haut, goutèrent fort le projet du gouverneur, et s’offrirent même de contribuer de tout leur pouvoir à son exécution.

Environ un mois après que M. de Dénonville eut écrit la lettre dont nous venons de parler, il en reçut une du colonel Dongan, qui était datée du 22 Mai, et qui portait en substance: que les grands amas de vivres qui se faisaient à Catarocouy persuadaient aux Iroquois qu’on avait dessein de leur déclarer la guerre; que ces peuples étant sujets de la couronne d’Angleterre, les attaquer, ce serait enfreindre manifestement la paix qui subsistait entre les deux nations: qu’il avait aussi appris qu’on se proposait de construire un fort à Niagara, et que cette nouvelle l’avait d’autant plus étonné, qu’on ne devait pas ignorer en Canada, que tout ce pays était de la dépendance de la Nouvelle-York.

Après ce qu’on a lu plus haut, on aura, sans doute, de la peine à concevoir comment le gouverneur de la Nouvelle-York pouvait chercher de bonne foi à détourner les Français de faire la guerre aux Iroquois, lorsque lui-même venait d’exciter ces derniers à la soutenir, croyant apparemment y trouver son compte. Quoiqu’il en soit, la réponse de M. de Dénonville, au sujet des préparatifs de guerre, ne put être qu’évasive: l’intention de ce général était bien, comme nous venons de le voir, d’attaquer les Iroquois; mais comme il n’était pas encore prêt à le faire, il fit répondre au colonel Dongan, que si les Iroquois craignaient le châtiment, c’était apparemment parce qu’ils se sentaient coupables; mais que les soupçons et les craintes qu’ils avaient conçus, peut-être sur les discours de quelques transfuges français, étaient mal fondés; qu’y ayant une grosse garnison à Catarocouy, il était nécessaire d’y envoyer à la fois beaucoup de provisions, attendu qu’on ne le pouvait pas faire commodément en toute saison. Il ajoutait, peut-être avec plus de vérité, que les prétentions de l’Angleterre sur le pays des Iroquois étaient mal fondées; et qu’on y devait savoir que les Français en avaient pris possession avant qu’il y eût des Anglais dans la Nouvelle-York.

Ce colonel Dongan, ou mieux peut-être, Dungan, dont il a déja été parlé tant de fois, et dont il sera parlé encore, était bien l’homme le plus entreprenant, le plus actif, et le plus vigilant qu’il y eût alors dans toute l’Amérique du nord: rien ne lui échappe, ni des démarches, ni même des intentions de ses adversaires; et on le voit, pour ainsi dire, partout, soit par lui-même, soit par ses émissaires. Dans la présente occasion, il avait assemblé les députés de tous les Cantons à Orange; les avait avertis que le nouveau gouverneur du Canada était déterminé à leur déclarer la guerre, et les avait exhortés à le prévenir, en les assurant que quoiqu’il arrivât, il ne les abandonnerait point.

Une irruption dans la baie de Saguinam, sur la côte occidentale du lac Huron, fut le premier fruit de cette délibération.—Le P. de Lamberville en fut informé à Onnontagué, ainsi que des autres projets formés contre les Français. Par son habileté et l’estime dont il jouissait dans les Cantons, il parvint à détourner une partie de l’orage: et après avoir tiré parole des principaux chefs du canton d’Onnontagué, qu’ils ne consentiraient à aucune hostilité contre les Français, durant son absence, il partit pour aller instruire le gouverneur-général de tout ce qu’il savait.

Le gouverneur Dongan, qui fut bientôt informé du départ du missionnaire, en devina le motif, et ce fut alors qu’il écrivit à M. de Dénonville la lettre dont on vient de parler. Il envoya en même temps des exprès à tous les Cantons, pour hâter l’exécution du projet formé à Orange, et somma celui d’Onnontagué de lui remettre le P. Jacques de Lamberville, frère de celui qui était allé à Québec, et qui avait été laissé comme en otage dans ce canton. Il alla plus loin: il entreprit de débaucher les Iroquois chrétiens de la Montagne et du Sault St. Louis, en leur faisant dire qu’il leur donnerait dans son gouvernement, un terrain où ils seraient beaucoup mieux et plus en sureté que dans la colonie française, et où ils auraient des missionnaires de leur religion, qui était aussi, ajoutait-il, la sienne et celle de son souverain. Il ne gagna pourtant rien, ni du côté des Iroquois chrétiens, ni de celui du canton d’Onnontagué, qui refusa de lui livrer le P. de Lamberville.

Il fut plus heureux à Michillimakinac, où s’étaient retirés, depuis quelque temps, tous les sauvages, Hurons, Outaouais et autres, qu’on avait rassemblés d’abord au Sault Ste. Marie. Il leur envoya des traitans anglais, qui eurent soin de publier d’avance qu’ils donneraient leurs marchandises à beaucoup meilleur compte que ne le pouvaient faire les Français. Ils furent bien reçus, firent leur traite en toute liberté, et furent reconduits par une escorte, jusqu’à ce qu’ils eussent rencontré les Tsonnonthouans, qui venaient au-devant d’eux.

M. de Dénonville regarda, avec raison, comme d’une conséquence dangereuse, ce commencement de commerce entre la Nouvelle-York et les sauvages qui avaient été regardés jusqu’alors comme les plus fidèles alliés de la colonie française. Il aurait bien souhaité pouvoir ne pas différer davantage de faire la guerre aux Tsonnonthouans, qui étaient les entremetteurs de ce commerce, mais ne se trouvant pas encore en état de faire face de toutes parts aux ennemis, il lui fallut dissimuler, et chercher des prétextes pour couvrir ses préparatifs. Il renvoya le P. de Lamberville à Onnontagué, avec de riches présens pour ceux des chefs qu’il avait espérance de gagner, ou de retenir dans ses intérêts. Il était temps que ce religieux revînt à son poste; car les envoyés du colonel Dongan avaient travaillé avec succès, pendant son absence: sur leur invitation, les députés des Cantons s’étaient assemblés, et déja une partie des guerriers étaient prêts à se mettre en campagne. L’arrivée du missionnaire français fit changer la face des affaires: il donna aux chefs les présens qui leur étaient destinés, et dissipa par ses discours les soupçons et les craintes qu’on leur avait inspirés. Le reste de l’été se passa en négociations, principalement au sujet des prisonniers à rendre de part et d’autre. Les Onnontagués remirent tous ceux qu’ils avaient entre les mains; mais les Tsonnonthouans retinrent les leurs, sous le prétexte qu’ils refusaient de s’en retourner dans leur pays.

Tandis que ces choses se passaient dans le centre de la colonie, les affaires changeaient de face à la Baie d’Hudson, qui était le théâtre, sinon de faits de grande importance, du moins d’incidens qui nous paraissent assez intéressants pour être rapportés ici.

Après les plaintes à peu-près inutiles que le roi de France avait fait faire à celui de la Grande-Bretagne, par M. de Barillon, son ambassadeur à Londres, les intéressés de la compagnie du Nord, à qui sa Majesté très-Chrétienne avait concédé le fort dont les Anglais s’étaient rendus maîtres, ne voyant nulle apparence d’obtenir de France des forces suffisantes pour s’en remettre en possession, prirent le parti d’en faire eux-mêmes les frais. Ils demandèrent à M. de Dénonville des soldats et un officier pour les commander; et ce général leur accorda quatre-vingts hommes, presque tous Canadiens, et pour commandant, le chevalier de Troye, ancien capitaine et homme de résolution. MM. de Ste. Helene, d’Iberville et Maricourt, tous trois fils de M. Lemoyne, voulurent être de l’expédition, comme volontaires. Cette petite troupe partit de Québec, au mois de Mars de cette année, 1686, et arriva, le 21 Juin, au fond de la Baie d’Hudson. Malgré les fatigues qu’elle avait essuyées dans le voyage, elle entra de suite en action. Le chevalier de Troye attaqua d’abord le fort de Monsipi, sur la rivière de Monsoni, à dix-huit lieues environ du fort Rupert. Ce fort était bâti de pieux et avait quatre bastions revêtus de terre. Il y avait au milieu une maison de quarante pieds en quarré, et d’autant de hauteur, terminée en plate-forme. Le canonier seul se mit en défense, et mourut en brave: les autres demandèrent quartier, et se rendirent prisonniers de guerre. Ils étaient au nombre de seize, et ils avaient douze canons de huit et de six, trois milliers de poudre, et dix de plomb.

Ste. Hélène, qui fut détaché ensuite avec cinquante hommes, ayant rencontré, sur la côte, un bâtiment qui n’était point gardé, s’y embarqua, avec sa troupe, et alla débarquer sans opposition, près du fort Rupert. Il donna aussitôt l’assaut à la place: la garnison, étonnée de cette hardiesse, se rendit sans coup férir. Ce fort était rebâti tout nouvellement, et le canon n’y était pas encore monté sur les affuts.

D’Iberville, qui s’était embarqué en même temps, avec neuf hommes, dans deux canots d’écorce, avait rencontré, à l’ancre, un petit bâtiment où il y avait quatorze hommes, y compris le commandant de la Baie, et s’en était rendu maître, après une courte et faible résistance. Tous les Français se réunirent ensuite, s’embarquèrent sur les prises de Ste. Hélène et de d’Iberville, et allèrent attaquer le fort de Quitchitchouen, dont la garnison se rendit aussi, après s’être laissé canoner pendant quelque temps, à la condition d’être envoyée au port Nelson. Les grands magazins des Anglais étaient dans cette place, et furent le principal fruit de l’expédition, qui rendit les Français maîtres de toute la partie méridionale de la Baie d’Hudson. On n’y trouva néanmoins que pour cinquante mille écus de pelleteries, soit, dit Charlevoix, que les sauvages n’y vinssent pas en grand nombre, soit que les Anglais ne sussent pas encore traiter avec ces peuples.

On se recria beaucoup, à la cour de Londres, sur cette entreprise, qui pourtant n’était qu’une représaille de la prise du fort de la rivière Ste. Thérèse. Il y eut des négociations, puis des arrangemens, dont le principal fut que le fort Nelson demeurerait commun aux deux nations, et qu’elles y pourraient faire le commerce en toute liberté. Le gouverneur et les principaux traitans du Canada reclamèrent contre cet arrangement, parce qu’ils le trouvaient sujet à de grands inconvéniens, et qu’ils étaient persuadés surtout que les Anglais n’y tiendraient pas. En effet, dit notre historien, dès l’année suivante, ils firent une tentative sur le fort de Quitchitchouen, qui portait le nom de Ste. Anne, depuis que les Français s’en étaient rendus les maîtres; mais ils y trouvèrent le brave d’Iberville, qui les repoussa avec perte, leur prit un bâtiment richement chargé, et brûla le petit fort de Charlestown, qu’ils avaient bâti sur le bord de la mer, à quelques lieues de Ste. Anne.

Cette même année, 1687, M. Dénonville ayant reçu, en apparence, les secours qu’il avait attendus de France, se disposa à déclarer définitivement la guerre aux Iroquois. Il fit précéder cette déclaration d’une démarche, qui lui était ordonnée, à la vérité, mais qui portait de si frappants caractères d’inhumanité et d’injustice, qu’il aurait dû en prévoir les suites fâcheuses, et pu prendre sur lui d’en modifier au moins l’exécution.

Depuis longtemps, Louis XIV avait donné ordre que les prisonniers de guerre iroquois fussent envoyés en France, pour être mis aux galères; “parce que,” disent les lettres royales, “ces sauvages étant forts et robustes, serviront utilement sur nos chiourmes.”

“Dans quel code,” s’écrie un historien, “est-il écrit que des prisonniers de guerre doivent être relégués parmi les coupables, et jettés au milieu de la lie des hommes?” Sans doute, ce code ne pourrait être que celui de la barbarie: mais il y a ici quelque chose de plus; ce n’est pas de prisonniers de guerre dont il s’agit, mais des chefs d’un peuple avec qui l’on est encore en paix, qu’on fait tomber dans le piège, par des discours trompeurs et perfides, et à l’égard desquels on viole le droit des gens, de la manière la plus indigne. Sous divers prétextes, le gouverneur général attira les principaux chefs des Iroquois à Catarocouy, les fit enchainer, conduire à Québec, par une forte escorte, et enfin embarquer pour la France, où les galères les attendaient. Ce qu’il y eut de pis, du moins quant aux conséquences, ce fut que M. Dénonville se servit pour cette affaire, du ministère de deux missionnaires, les PP. de Lamberville et Millet; sans faire attention, non seulement qu’il mettait ces religieux en danger de perdre la vie, mais qu’il décréditait, peut-être sans retour, aux yeux des sauvages, la religion qu’on leur prêchait depuis si longtemps, et qu’on avait tant à cœur de leur faire embrasser.

Le P. Millet, qui tomba, quelque temps après, entre les mains des Onneyouths, fut d’abord destiné au supplice du feu, et n’en fut préservé que par la générosité d’une matrone, qui l’adopta pour son fils. Le P. Lamberville, qui était demeuré entre les mains des Onnontagués, ne dut son salut et sa liberté qu’à la grande estime et au sincère attachement qu’on avait pour lui dans ce canton. A la première nouvelle de ce qui venait de se passer à Catarocouy, les anciens le firent venir devant eux, et après lui avoir exposé, avec toute l’énergie d’une première indignation, le fait qu’ils venaient d’apprendre, l’un d’eux se leva et lui dit:—

“Certes, Ondesson, tu ne peux disconvenir que toutes sortes de raisons nous autorisent à te traiter en ennemi; mais nous ne pouvons nous y résoudre: nous te connaissons trop pour n’être pas persuadés que ton cœur n’a point eu de part à la trahison que tu nous a faite; et nous ne sommes pas assez injustes pour te punir d’un crime dont nous te croyons innocent, que tu détestes, sans doute, autant que nous, et dont nous sommes convaincus que tu es au désespoir d’avoir été l’instrument. Il n’est pourtant pas à propos que tu restes ici; tout le monde ne te rendrait peut-être pas la même justice que nous te rendons; et quand une fois notre jeunesse aura chanté la guerre, elle ne verra plus en toi qu’un perfide, qui as livré nos chefs au plus indigne esclavage; sa fureur tomberait sur toi, et nous ne serions plus les maîtres de t’y soustraire.”

Ils l’obligèrent à partir sur le champ, et lui donnèrent des guides qui le conduisirent par des routes détournées, et ne le quittèrent que quand ils l’eurent mis hors de tout danger.

(A continuer.)

BIOGRAPHIE CANADIENNE.

A ce titre, qui paraîtrait annoncer d’autres articles de même genre, sinon de même étendue, que celui qui suit, il me semble entendre certains lecteurs se recrier et dire en eux-mêmes: quoi donc! y a-t-il eu en Canada, parmi ceux des habitans du pays qu’on appelle proprement Canadiens, des grands hommes, des hommes illustres, dont les noms méritent de trouver place dans un dictionnaire biographique? Pourquoi non? leur répondrai-je: pourquoi les hommes, dans les mêmes situations, seraient-ils plus petits en Amérique, en Canada, qu’ils ne le sont en Europe ou en Asie? ou plutôt, pourquoi faudrait-il qu’un homme fît beaucoup plus ici qu’il ne faut faire ailleurs, pour que son nom méritât de passer à la postérité? Supposons, pour un moment qu’il le faille en effet: on sera encore forcé de convenir qu’un prélat qui a gouverné, pendant vingt ans, un diocèse renfermant plusieurs provinces, et exigeant, par l’état des choses, des changemens et des améliorations presque continuelles; qui a fondé un collège florissant, et bâti une grande et belle église; qui a fait, en un mot, tout ce qui est rapporté dans l’article qu’on va lire; on sera forcé, dis-je, de convenir qu’un tel homme mérite bien autant qu’on se souvienne de lui, après sa mort, que l’auteur de quelques épigrammes ou de quelques chansons, bonnes ou mauvaises; quoique le premier soit né et soit mort en Canada, et que le second ait vécu en Italie, en France, ou en Angleterre.

Peut-être pourtant conviendra-t-on généralement que le dernier Evêque de Québec a réellement été un grand homme: mais on doutera, je veux dire, plusieurs douteront que notre pays ait fourni, auparavant ou simultanément, aucun Canadien digne d’une notice biographique. Je dis auparavant ou simultanément, car pour un grand nombre de ceux qui vivent actuellement, ce doute serait tout-à-fait déraisonnable, pour ne pas dire ridicule. Et pour se convaincre que plusieurs de ceux qui les ont dévancés ne sont pas non plus indignes de vivre dans notre mémoire et dans celle de notre postérité, qu’on ouvre un dictionnaire universel de biographie, et qu’on en lise seulement quelques pages: on y verra qu’il n’est pas nécessaire de faire plus, ni même autant, que n’ont fait plusieurs de nos compatriotes, pour y mériter au moins un petit article. A la vérité, dans plusieurs de ces dictionnaires, on ne trouvera pas même les noms du colonel Dungan, dont il est tant parlé dans notre histoire; de notre gouverneur de Frontenac, de notre chevalier d’Iberville, &c. D’où vient cela? c’est que l’histoire de notre pays est ignorée de tout le monde, excepté d’un petit nombre de nos concitoyens; c’est que, comme le remarque judicieusement un écrivain moderne, “on n’est pas sorti du cercle de la vieille Europe; c’est qu’on s’en est tenu aux éternelles annales de l’ancien monde.” C’est enfin que nous n’avons pas fait comme nos voisins des Etats-Unis, qui out écrit la biographie de leurs hommes illustres, et les ont par-là fait connaître aux auteurs d’ouvrages semblables en Angleterre et en France; comme le prouve le XIXe. tome (supplément) du dictionnaire biographique de MM. Chaudon et Delandine. Mais ces auteurs, ou leurs successeurs, après avoir trop négligé le nouveau monde, ont donné dans l’excès opposé, en introduisant dans le volume supplémentaire dont je viens de parler, une foule de noms qui me paraissent peu dignes de la place qu’ils y occupent. Qu’on me permette de donner pour preuve de ce que j’avance les articles suivants:

Drinker (Edward), remarquable par la longue durée de sa vie, mourut en 1782, âgé de 102 ans. Drinker s’était marié quatre fois, et avait eu dix-huit enfans, tous de sa première femme. Il avait vu ratifier le premier traité entre la France et les Etats-Unis; il vit ratifier le dernier traité de Guillaume Penn avec les Indiens, et il fut sujet de sept princes couronnés.

Hobart (Pierre), premier ministre de Hingham, Massachusetts, né en 1604, dans la ville de ce nom, en Angleterre, élève de l’université de Cambridge. Après avoir prêché quelques sermons, il retourna en 1635 dans son pays, pour y demander l’imposition des mains; et dans la même année, il commença avec un nombre de ses amis, une nouvelle plantation à Hingham. Il y resta jusqu’à sa mort en 1679. Quatre de ses enfans ont été ministres.

Lockwood (Samuel), ministre d’Andover, Connecticut, né à Norwalk, gradué en 1745 au collège d’Yale, prit les ordres en 1749, et mourut en 1791. Il contribua en 1787, pour cent livres sterling aux dépenses du cabinet de physique de son collège. On a de lui un Sermon sur la mort du colonel Williams, 1755.

Remarquons que ces articles ne sont pas extraits d’une biographie américaine, où sans doute on les pourrait voir sans y trouver à redire, mais d’un dictionnaire universel de biographie. Or combien de nos compatriotes défunts, (car je ne parle pas de ceux qui vivent actuellement,) mériteraient autant, ou mieux, de figurer dans une biographie canadienne, que les sujets des paragraphes précédents, et de cent autres du même volume, même dans une biographie américaine. Qu’on ne s’étonne donc pas du titre donné à l’article qu’on va lire: s’il n’y a pas de Biographie Canadienne de faite, il y a certainement de quoi en faire une, quand même on n’y ferait entrer que des hommes nés et morts dans le pays.

M. D.

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Notice sur la vie de feu Monseigneur J. O. PLESSIS,
Evêque de Québec.

Joseph-Octave Plessis nâquit dans la ville de Montréal, le 3 Mars 1763. Ses vertueux parens lui inspirèrent, de bonne heure, une haute estime pour tout ce qui a rapport à la piété, et le confièrent, dans un âge encore tendre, à Messieurs du Séminaire de St. Sulpice, en Canada, qui prirent plaisir à cultiver les grands talens qu’ils reconnurent bientôt dans leur jeune élève. Ils remarquèrent en lui un tempérament robuste, une santé inaltérable, un courage à toute épreuve, un grand amour du travail, un cœur docile à la vérité, capable de résister à ses passions et de compâtir au sort des malheureux; un esprit avide des sciences et propre à les apprendre; une âme née pour la vertu et faite pour la pratiquer: aussi, fit-il dans ses études des progrès si rapides, qu’il se trouva prêt à entrer dans l’état ecclésiastique à un âge où un grand nombre de jeunes gens ne font que commencer à fréquenter les collèges.

Cette nouvelle situation lui procura des distinctions nouvelles; et il professa avec applaudissement les Humanités et la Rhéthorique au Collège de Montréal. Peu après, il fut se faire remarquer par nos Seigneurs les Evêques de Québec, dont trois se l’attachèrent successivement, en qualité de Secrétaire du Diocèse. C’est à l’école de ces dignes Prélats qu’il acquit cet assemblage de belles qualités qui le rendirent l’ornement de notre clergé; cette dextérité dans les affaires, cette fécondité dans les moyens, cet esprit d’ordre et de détail, cette facilité à discuter les matières les plus abstraites, cette connaissance exacte de chaque partie du diocèse: c’est aussi à la suite de nos Evêques, et dans les bibliothèques de l’Evéché, qu’il puisa des connaissances aussi variées qu’approfondies sur les langues, l’écriture sainte, la théologie, les SS. Pères, le droit-canon, l’histoire ecclésiastique et profane, et même sur les lois civiles; en sorte qu’il devint comme nécessaire au gouvernement épiscopal en Canada, et que, jeune prêtre encore, il vit rouler, pour ainsi dire, sur lui seul toutes les affaires du diocèse. Mais au milieu de tant d’occupations, jamais il ne négligea le soin de son avancement spirituel: tous les jours, il renouvellait sa ferveur par la célébration des saints mystères: jamais les affaires les plus pressantes ne lui firent omettre l’oraison mentale, ou les autres exercices de piété qu’il s’était prescrits par un sage règlement; et il avait coutume de traiter d’abus monstrueux la pratique de certains savans, qui ne cherchent qu’à enrichir leur esprit, sans songer à la nourriture de leur âme.

Tant de vertus et de talens ne demeurèrent pas longtemps sous le boisseau. Après peu d’années de prêtrise, il fut nommé (en 1792) Curé de Québec, à la place de Messire Augustin Hubert, si regretté pour ses bonnes œuvres. Mais le nouveau Curé ne dégénéra pas de l’ancien, par l’ordre qu’il mit dans l’administration d’une si grande paroisse. Il prévoyait pour lui et pour ses collaborateurs, la tâche journalière: assidu au pénible ministère du confessionnal, toujours prêt à distribuer le pain de la parole, à visiter les malades dans les hôpitaux, les prisons, les lieux les plus éloignés dans la ville et les fauxbourgs, il trouvait encore le temps de vaquer, chaque jour, à quelque étude analogue à son état, et d’augmenter la masse de ses connaissances théologiques et littéraires.

Cependant le siège de Québec vint à vaquer en Juillet 1797, par la démission du Titulaire, feu Monsgr. Hubert. Monsgr. Denaut devint par là-même Evêque en titre. Il lui fallait un Coadjuteur cum futurâ successione, et déjà la voix publique nommait le Curé de Québec. En vain quelques personnes s’avisèrent d’intriguer, et le Duc de Kent (qui était alors dans cette Capitale,) de traverser une nomination si généralement désirée: la fermeté de I’Evêque Denaut déjoua les efforts de la cabale et ceux de la protection; et Mr. Plessis, ayant été présenté par lui, fut accepté par le gouvernement, comme Coadjuteur de l’Evêque de Québec. Sa consécration, sous le titre d’Evêque de Canathe, eut lieu le 25 Janvier 1801; ce fut vraiment une fête nationale. Parmi les spectateurs sans nombre, de toutes les communions, qui assistèrent à cette auguste cérémonie, on distingua les Officiers de sa Majesté, ayant à leur tête le Lieutenant Gouverneur de la Province, Sir Robert Shore Milnes, Baronet: heureux présage de l’harmonie qui devait durer, pendant son épiscopat, entre l’Evêque catholique et le Représentant du Roi.

Pendant quelques années, l’Evêque de Canathe ne fit que partager les travaux de l’administration avec l’Evêque diocésain, Monsgr. Pierre Denaut: mais à la mort de ce Prélat, arrivée le 17 Janvier 1806, il prit d’une main ferme la conduite du diocèse, et commença cette carrière brillante de près de vingt ans, qui renouvella toute la face de l’Eglise du Canada. Placé à la tête d’un clergé respectable par sa vertu et sa science, il fit tout pour entretenir et augmenter en lui cette science et cette vertu: il veillait lui-même sur les écoles les plus célèbres du pays; il assistait aux exercices littéraires des différents séminaires ou collèges, et se fesant rendre un compte exact des talens et de la piété des jeunes élèves, il choisissait pour l’état ecclésiastique ceux qui promettaient davantage. Dès ce moment, il ne les perdait plus de vue: il leur donnait un accès facile auprès de lui; leur fesait lui-même d’excellentes conférences; leur inspirait la piété, la régularité, l’amour de l’étude, l’union avec leurs confrères, le respect pour les anciens curés, et la soumission envers leurs supérieurs. Cette conduite, pleine de sagesse, le mettait en état de connaître tous ses coopérateurs, et de les employer ou de les placer à propos dans son immense diocèse. Tous les membres de son clergé n’étaient qu’une famille dont il était le père, et il eut toujours des entrailles paternelles pour chacun d’eux. Il assistait à leur sépulture, quand les circonstances le lui permettaient; et jamais il ne leur rendit ces derniers devoirs, sans donner des larmes à la perte que fesait son Eglise.

La prospérité de l’Eglise du Canada était le principal objet de ses pensées: c’était le but de toutes ses entreprises. Si on le vit, dans un âge avancé, traverser l’Atlantique et se rendre à Rome, c’est que le bien de son Eglise exigeait une entrevue avec le Souverain Pontife. Dès lors, rien ne lui coûte: dépenses, dangers, fatigues, infirmités, tout est méprisé: il part, emportant les regrets et les bénédictions de tout son peuple, et il est le premier Evêque de Québec qui va porter les hommages et la vénération de son Eglise sur le tombeau des SS. Apôtres. Comme autrefois St. Paul, il confronte sa doctrine avec celle du chef de l’Eglise universelle, et celle du Canada brille à Rome même dans la personne et le mérite de son Evêque. Ce fut dans ce voyage qu’il concerta avec les puissances ecclésiastique et civile la division du territoire étendu soumis à sa jurisdiction. Il se proposait plus de surveillance, plus d’ordre, plus de bien à faire, en y multipliant les Evêques: mais ce plan, approuvé en tout à Rome et en partie à Londres, ne reçut ici qu’un assentiment partagé. Il a été cependant suivi, et le temps fera connaître la sagesse de celui qui l’avait tracé: les générations futures en recueilleront les fruits, et béniront l’auteur de ce nouvel ordre de choses.

La vigilance et le zèle de ce digne Prélat ne se renfermaient pas dans le sanctuaire: ils s’étendaient encore au salut et au bonheur de tout son peuple. Pasteur de toutes les paroisses, il aimait à s’y acquitter de toutes les fonctions pastorales. Il prenait plaisir à distribuer, même dans une langue qui ne lui était pas familière (l’Anglais,) le pain de la parole, parce qu’il se croyait redevable à toutes ses ouailles; et il le fesait avec la simplicité d’un père, l’exactitude d’un théologien, la majesté d’un orateur. C’est surtout dans ses visites pastorales qu’il se livrait sans relâche aux fonctions du saint ministère. Jamais l’embarras des affaires, ni les maladies, ni les guerres ne l’empêchèrent de visiter, chaque année, du moins une partie de son nombreux troupeau. Il n’est point d’église, même à plus de trois cents lieues à l’orient ou à l’occident de sa cathédrale, qu’il n’ait édifiée par ses exemples et ses instructions. Occupé, une année, à parcourir toutes les Missions de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick; une autre, celles qui se trouvent jusqu’au Détroit et au-delà; tantôt visitant les Postes de la Baie-des-Chaleurs; plus souvent les paroisses de l’intérieur de son vaste diocèse; on l’a vu affronter cent fois, dans ces courses, l’inconstance des saisons, la fureur des vents, la vicissitude des climats. L’année même qu’il mourut, accablé qu’il était d’infirmités toujours croissantes, il commença encore sa visite, et il répondit à son clergé, qui le conjurait avec larmes de ménager ses précieux jours: Dùm tempus habemus, operemur bonum. (Galat. 6, 10.)

Aussi, les vœux qu’inspiraient aux fidèles l’amour et la reconnaissance l’accompagnèrent-ils dans toutes ces visites. Le regret paraissait peint sur le visage des bons habitans de nos campagnes, quand ils voyaient le père commun s’éloigner de leurs paroisses: tous sollicitaient ses bénédictions, et ils le suivaient en foule jusqu’à une longue distance de leur église. Mais, d’un autre côté, la joie brillait dans les yeux de tous ceux de la paroisse voisine, qui venait en masse au-devant de lui pour le recevoir; et ce contraste frappant était pour le saint Evêque un triomphe plus doux que ce qu’on aurait pu lui dire de plus flatteur. Il n’est pas jusqu’à nos villes qui n’aient donné cet exemple d’enthousiasme pour leur Pasteur. Lorsqu’il arriva d’Europe, après plus d’un an d’absence, la ville de Québec parut toute en mouvement pour lui donner des témoignages de son allégresse. Plusieurs de ses citoyens les plus recommandables furent à sa rencontre jusqu’aux Trois-Rivières. Il trouva à Québec les quais couverts d’une population impatiente de recevoir son Pontife, et fut reçu au bruit des cris de joie et des acclamations d’une foule immense: quoiqu’il fût déjà nuit, la cathédrale se remplit en un moment; et la multitude, prosternée devant le Seigneur, lui rendit mille actions de grâces de lui avoir conservé son Pasteur chéri.

Il n’était pas moins estimé du gouvernement, soit dans cette province, soit en Angleterre. Longtemps avant son élévation à l’épiscopat, il s’était concilié la confiance des Gouverneurs du pays, qui trouvèrent toujours en lui un sujet de sa Majesté d’une loyauté à toute épreuve, un savant estimable, un conseiller sage et prudent; et, en cette considération, ils coopérèrent de tout leur pouvoir à son avancement. Placé ensuite entre le gouvernement et le peuple, il ménagea avec dextérité les intérêts de l’un et de l’autre, et sut plaire aux deux par son seul mérite, sans s’abaisser au métier de flatteur. Les différents Gouverneurs qui se succédèrent sous son épiscopat, le regardèrent comme un des premiers hommes du pays, et le recommandèrent comme tel au Cabinet britannique. Cette loyauté, qui ne se démentit jamais, eut occasion de paraître avec plus d’éclat pendant la guerre de 1812. Les services qu’il rendit, à cette époque, surpassèrent tout ce qu’il avait déjà fait pour son Roi et sa patrie. Après la guerre, sa Majesté crut devoir récompenser une si noble conduite, en lui donnant une place au Conseil-Législatif, et en le gratifiant d’une pension de £1000,—qu’il lui a plû de continuer à son vénérable successeur, Monseigneur Bernard Claude Panet.

Monseigr. Plessis profita de ces faveurs du gouvernement et du bon accueil qu’on lui fit à Londres, en 1819, pour consolider un établissement qu’il avait beaucoup à cœur,—le Séminaire de Nicolet; et il obtint alors pour ce Collège des lettres d’amortissement, avec faculté d’acquérir pour cette maison des fonds du revenu annuel de £5000. Mais le Séminaire de Nicolet lui doit bien plus que cela: c’est Monsgr. Plessis qui l’a fait tout ce qu’il est. Cette maison, fondée d’abord en 1795 comme simple école élémentaire, par feu Messire Brassard, Curé de Nicolet,—convertie ensuite, en 1803, en collège par Monsgr. Denaut, d’heureuse mémoire,—était tombée, par accident, en des mains étrangères, et risquait de perdre sa noble destination. Monsgr. Plessis s’en assura la propriété; et, pendant dix-neuf ans, il soutint cet établissement aux dépens de son modique revenu, aidé du secours de ses amis. Mais surtout il veilla sans cesse à y faire fleurir les sciences et la piété. Choix de Supérieur, de Directeur, de Régens, tout était de lui; et l’on peut dire qu il était l’âme de cette maison. Sous la conduite de ce grand homme, elle fit des progrès considérables, et ses jeunes élèves marchèrent de pair avec ceux des anciens collèges de la Province. Nicolet n’a encore que vingt-quatre ans d’existence; et déjà, il peut se glorifier d’avoir fourni au diocèse un Evêque recommandable, un grand nombre de Curés édifiants, des Missionnaires zélés, sans compter une foule de Laïcs habiles et vertueux dans nos villes et nos campagnes. C’est à Monseigr. Plessis que le Canada doit cette source de biens, qui ne tarira jamais.

Ce Prélat infatigable n’attendait pas qu’une œuvre fût terminée pour en commencer une autre. Nicolet n’était encore qu’au berceau, et déjà il pensait à construire une église et un presbytère dans le vaste fauxbourg de St. Roch, à Québec. Il est vrai qu’il ne pouvait réaliser que de faibles ressources pour une si grande entreprise: mais le besoin était pressant, et il se fondait sur les soins paternels de la divine providence. Il est encore vrai que Dieu, qui se plaît à éprouver ses plus fidèles serviteurs, permit un fâcheux accident, qui semblait devoir faire échouer cette glorieuse entreprise. L’édifice touchait à sa fin, quand un violent incendie n’en fit plus, en moins de deux heures, qu’une triste mâsure. Mais un tel échec ne fut pas capable de détourner ce grand homme du dessein qu’il avait conçu pour la gloire de Dieu. Il relève le courage des habitans de St. Roch, met à contribution ses amis, épuise ses propres finances; et, par une espèce de miracle, que le Seigneur accorde à la persévérance, l’église projettée sort de ses ruines fumantes plus belle qu’elle n’était auparavant: le pieux Evêque a la consolation de la consacrer, au milieu des applaudissement d’un peuple étonné du succès brillant de cette double entreprise.

St. Roch, Nicolet, n’absorbaient pas toute l’attention du Pontife à multiplier les établissemens religieux: son vaste génie embrassait toute l’étendue du diocèse. Ses lettres nombreuses et fréquentes suppléaient à sa présence, et tout allait par son ordre; il prenait part à tous les sujets de joie et d’affliction qui arrivaient à son clergé, ou à son peuple. Mais rien ne l’affligeait tant que l’aveuglement des tribus payennes qui bordent principalement au nord, à l’ouest et au nord-ouest, les confins de ce pays. Depuis l’extinction des Jésuites, aucun missionnaire n’avait travaillé constamment à la conversion des infidèles. Le clergé peu nombreux du diocèse suffisait à peine pour la desserte des cures et des missions de l’intérieur: comment les Evêques de Québec n’auraient-ils pas regardé comme impossible ce que l’illustre défunt entreprit ensuite avec succès? Par ses soins, une mission stable prit naissance à la Rivière-Rouge, dans le département du Nord-Ouest: un Evêque, des Missionnaires, annoncent depuis neuf ans le royaume du ciel à divers peuples barbares. Il est vrai que plusieurs de ces infidèles ne correspondent pas aux grâces qui leur sont offertes. La conversion des sauvages a toujours été difficile, à cause de leurs vices et de leur brutalité; et des hommes apostoliques, tels que les R. P. Brebeuf et Lallemant, y out travaillé de longues années, sans autre fruit que d’administrer le baptême à quelques enfans moribonds. On ne doit pas être étonné si la Mission de la Rivière-Rouge n’a pas encore fait tout le progrès qu’attendaient des personnes qui ne connaissent ni le génie, ni le caractère des barbares de cette contrée. Mais la sainte parole est annoncée; sa semence y a été jetée; le devoir du premier Pasteur est donc accompli: c’est maintenant à Dieu de donner l’accroissement et de faire connaître ses élus.

Je ne finirais pas, s’il fallait énumérer les bonnes œuvres dont il fut l’âme et l’instrument. Il faudrait parcourir tous les points de cet immense diocèse, et compter les paroisses nouvelles qu’il érigea, les églises qu’il fit bâtir, les prêtres qu’il forma, les écoles qui lui durent naissance, tels que les deux établissemens légués à la fabrique de Québec pour continuer cinq écoles, dont trois au fauxbourg St. Roch et deux dans celui de St. Jean; maisons qu’il bâtît à même ses épargnes, pendant qu’il avait la cure de Québec, dont le revenu était, alors, bien au-dessous de ce qu’il est aujourd’hui. J’aurais à parler des vocations ecclésiastiques qu’il encouragea, des vierges sacrées qu’il dota, des travaux publics auxquels il contribua, des missions qu’il fonda, des sujets qu’il fournit aux diocèses voisins,.... de tout ce qu’il fit enfin pour la gloire de Dieu, l’intérêt public et sa propre satisfaction. Il suffit de dire que sa vie entière a été une application continuelle à atteindre de si louables fins. Il y travaillait encore!..... lorsque le 4 Décembre, 1825,—jour à jamais déplorable dans les fastes de l’Eglise du Canada,—vers les trois heures après-midi, il s’endormit, tout-à-coup, du sommeil des justes.

Cette mort inattendue causa un deuil général dans les villes et dans les campagnes. Des larmes abondantes coulèrent des yeux de plusieurs de leurs habitans; et jamais homme ne fut plus universellement et sincèrement regretté. Messire Turgeon, qui avait été longtemps Secrétaire de l’illustre défunt, et son compagnon de voyages, fut le dépositaire de ses dernières volontés. Il permit, pour la consolation des habitans du fauxbourg St. Roch, que le corps fût ouvert et que son cœur fût enfermé dans le mur de leur église. Un service fut chanté avec la plus grande solemnité, dans la cathédrale, sur le corps, qui, ensuite, fut déposé dans une voute sous le sanctuaire. Le gouvernement même s’empressa de donner à cette cérémonie lugubre tout l’éclat possible, en y fesant rendre à l’Evêque catholique les honneurs militaires et civils dûs à son rang élevé. Bientôt les diverses églises du diocèse imitèrent à l’envi la cathédrale: plusieurs oraisons funèbres furent prononcées; et les vertus de ce digne Evêque ne s’effaceront jamais de la mémoire de ceux qui l’ont connu.

Monseigneur Plessis était d’une taille médiocre et d’un embonpoint considérable. Sa figure annonçait de la grandeur et de la noblesse. La force de son tempérament fut telle, qu’il méprisa les infirmités qui le minaient sourdement et causèrent à la fin sa mort subite. Avec un génie vaste et fertile en ressources, il conduisait chaque paroisse, chaque mission, chaque école même, comme s’il n’avait eu que d’elle à s’occuper. Son sang-froid imperturbable le rendait propre à juger sainement des choses; et son œil perçant envisageait les hommes sous leur vrai point de vue. Il possédait cette force d’âme qui subjugue et domine.

Sa présence commandait le respect; mais la conversation ne languissait pas en sa compagnie. Son entretien était spirituel et intéressant, semé d’anecdotes et de réflexions judicieuses.—Doué d’une mémoire étonnante, il citait, selon l’occasion, plusieurs morceaux des auteurs classiques qu’il avait appris dans sa jeunesse; et il répondit, plus d’une fois, sur le champ, aux consultations,—appuyant ses décisions de nombreuses autorités.

Ses occupations continuelles ne lui ont pas permis de communiquer au public le trésor de son érudition. Il a néanmoins composé, outre ses Mandemens, plusieurs Discours d’appareil, qui n’auraient pas été indignes du siècle de Louis XIV. On a de lui d’excellents Sermons latins, prononcés dans diverses réunions du clergé. Le volumineux recueil de ses Lettres, qui se conserve dans les archives de l’Evêché, offre une source abondante de lumières, et sera toujours d’une grande utilité à ses successeurs.

D’habiles artistes, Canadiens et Etrangers, ont employé le pinceau et le burin pour nous conserver ses traits; et les citoyens de Québec lui out érigé un monument dans l’Eglise de St. Roch, au lieu même où le cœur du saint Prélat est déposé.

C. L.

Québec, Juin, 1827.

MOIS D’AOUT.

Aout, ab Augusto, d’Auguste. Il s’appellait avant Sextilis, étant le sixième dans l’ordre des mois. Cérès présidait à celui-là. Ausone le caractérise par un homme nu, qui plonge la bouche dans une large tasse pour boire et se rafraichir. On lui a donné, pour la même raison, un éventail fait de queue de paon. Voici l’allégorie des modernes. Son habillement est de couleur de feu, sa couronne de roses de Damas, de jasmin, &c. Le chien placé près de la figure annonce que c’est le temps de la canicule. On lui donne pour signe la Vierge, à laquelle on fait tenir un épi, pour marquer le temps de la moisson. Winckelman propose, pour désigner ce mois, un aigle exerçant ses petits au vole, parce que cet oiseau, qui fait son nid au commencement du printemps, couve pendant trente jours, et que ses petits ne sont en état de voler et de chercher leur nourriture qu’au bout de six mois, c’est-à-dire au mois d’Août. Cl. Audran a dessiné ce mois et les autres, que son frère, J. Audran, a gravés, et qu’on a exécutés en tapisserie. On trouvera à chaque mois l’idée de chacune de ces estampes. Voici comment il figure le mois d’Août: Cérès est caractérisée par son habit blanc, son flambeau, sa gerbe et sa faucille. Au-dessous sont les dragons de son char. Ses attributs sont la charrue, le joug, le fléau, &c. les épis, les pavots, et autres fleurs dont on faisait des couronnes à cette déesse.

L’ORANG-OUTANG.

(Extrait en substance des “Merveilles du Monde.”)

Ce singulier animal, auquel on donne le nom de satyre, de grand singe, d’homme des bois, d’homme nocturne, d’orang-outang, (homme sauvage,) est de tous les singes celui qui ressemble le plus à l’homme. Aussi a-t-il attiré et attirera-t-il toujours l’attention des naturalistes. Il est originaire de la partie méridionale de l’Afrique et de l’Asie. Il habite les forêts, et s’y nourrit de fruits. Sa taille, lorsque sa croissance est finie, est d’environ six pieds. Sa peau est d’un brun obscur; sa figure pelée, ses mains et ses pieds, semblables à ceux de l’homme. Cependant lorsqu’on examine, avec les lumières de l’anatomie, ces deux dernières parties, on voit que la nature les a formées pour qu’il marche comme les autres quadrupèdes, et non pour qu’il aille sur les pieds de derrière. A la vérité, M. de Buffon donne aux singes, dont l’orang-outang est l’espèce perfectionnée, la propriété particulière de marcher en se tenant debout, et l’on est forcé de convenir avec ce savant, qu’effectivement l’orang-outang se tient plus habituellement et plus facilement sur ses pieds de derrière qu’aucun autre quadrupède.

L’orang-outang, apprivoisé, perd la dégoûtante férocité que l’on remarque dans les magots et les guenons. Il est doux, docile, et apprend à rendre une infinité de petits services domestiques, comme rincer des verres, donner à boire, tourner la broche, &c. M. Leguat parle, dans ses Voyages, d’un orang-outang, qu’il dit avoir vu à Java, et qui était très extraordinaire. C’était une femelle; elle était de grande taille, et marchait souvent fort droit sur ses pieds de derrière. Elle n’avait d’autre poil sur le visage que celui des sourcils, et ressemblait assez, en général, à ces faces grotesques des femmes hottentotes que l’on voit au Cap. Elle faisait, tous les jours, proprement son lit, s’y couchait, la tête sur un oreiller, et se couvrait d’une couverture. Quand elle avait mal à la tête, elle se la serrait d’un mouchoir, et rien n’était aussi plaisant que de la voir ainsi coiffée dans son lit.

Gemelli Carreri dit avoir vu un orang-outang qui se plaignait comme un enfant, et qui marchait sur ses pieds de derrière, en portant sa natte sous son bras, pour se coucher et pour dormir. Il dit aussi que lorsque ces animaux ne trouvent plus de fruits sur les montagnes et dans les bois, ils vont au bord de la mer, où ils attrappent des crabes ou des huitres, et autres coquillages semblables. S’il arrive qu’ils prennent une huitre de l’espèce de celles qu’on nomme taclavo, qui pèsent plusieurs livres, et qui sont souvent ouvertes sur le rivage, la crainte où ils sont qu’elles ne leur saisissent la patte, en se refermant, les engage à jetter dans la coquille une pierre qui l’empêche de se fermer, et alors ils la mangent sans risque.

Les orangs-outangs sauvages sont plus méchants sur les côtes de la rivière de Gambie que dans aucun autre endroit de l’Afrique. Les Nègres les redoutent, et ils ne peuvent aller seuls dans la campagne, sans s’exposer à être attaqués par ces animaux, qui leur présentent un bâton et les forcent de se battre. Souvent on leur voit porter sur des arbres des enfans de sept à huit ans, qu’on a une peine incroyable à leur ôter. Aussi la plupart des Nègres croient-ils que c’est une nation étrangère, qui est venue s’établir dans leur pays, et que s’ils ne parlent pas, c’est qu’ils craignent qu’on ne les oblige à travailler.

L’orang-outang que M. de Buffon a vu, et dont il parle dans son Histoire naturelle, était doux et affectionné. Son air était mélancolique, sa démarche grave, ses mouvemens mesurés, et il différait essentiellement de tous les autres singes. Il n’avait ni l’impatience du magot, ni la méchanceté des babouins, ni l’extravagance des guenons. Il n’était pas nécessaire de le battre pour le faire agir: les signes et les paroles suffisaient. Il présentait sa main pour reconduire les personnes qui venaient le visiter, et se promenait avec elles, comme de compagnie. Il s’asseyait à table, déployait sa serviette, s’en essuyait les lèvres, se servait de la cuillère et de la fourchette pour porter à sa bouche, versait lui-même sa boisson dans son verre, le choquait lorsqu’il y était invité, allait prendre une tasse et une soucoupe, l’apportait sur la table, y mettait du sucre, y versait du thé, le laissait refroidir pour le boire, et tout cela sans autre instigation que les signes ou la parole de son maître, et souvent de lui-même. Il ne faisait de mal à personne, s’approchait même avec circonspection, et se présentait comme pour demander des caresses.

Deux petits orangs-outangs achetés par M. de Labrosse, faisaient d’eux-mêmes, à ce qu’il assure, une grande partie des choses que nous avons racontées ci-dessus. Mais indépendemment de cela, ils avaient, lorsqu’ils étaient à table, assez d’esprit et de malice pour se faire entendre des mousses, et les obliger à leur donner ce dont ils avaient besoin; et si, par malheur pour eux, ces enfans refusaient de les satisfaire, ils se mettaient en colère, leur saisissaient les bras, les mordaient, et les abattaient sous eux. Le mâle fut malade en rade; il se faisait soigner comme une personne; il fut même saigné deux fois au bras droit; et depuis ce moment, chaque fois qu’il se trouvait incommodé, il montrait son bras pour qu’on le saignât, comme s’il eût su que cela lui avait fait du bien.

Mr. Henri Grosse, dans son Voyage aux Indes orientales, dit que M. Horne, gouverneur de Bombay, avait deux orangs-outangs, l’un mâle et l’autre femelle, qui par leur mélancolie, faisaient voir clairement qu’ils sentaient leur captivité. Ils faisaient leur lit avec soin, dans la cage où ils étaient renfermés; ils montraient de la pudeur, et la femelle étant morte de maladie sur le vaisseau, le mâle donna toutes sortes de signes de douleur, et prit tellement à cœur la mort de sa compagne, qu’il refusa de manger, et ne lui survécut pas de deux jours.

François Pyrard rapporte qu’il a vu des orangs-outangs qui avaient une telle industrie, que lorsqu’on les instruisait de jeunesse, ils servaient comme une personne; qu’ils pilaient ce qu’on leur donnait à piler dans des mortiers, et qu’ils allaient chercher de l’eau à la rivière, dans de petites cruches, qu’ils portaient toutes pleines sur leurs têtes; mais que si on ne les leur prenait pas, dès qu’ils étaient arrivés à la maison, ils les laissaient tomber; et qu’à la vue de la cruche renversée et rompue, ils se mettaient à crier et à pleurer.

Maintenant que nous avons cité tout ce qui peut prouver une grande ressemblance entre cet animal et l’homme, il nous reste à exposer toutes les différences qui l’éloignent de notre espèce. Elles existent à l’extérieur dans le nez, qui n’est pas proéminent; le front, qui est trop court; le menton, qui n’est pas relevé à sa base; les oreilles proportionnellement trop grandes; les yeux trop voisins l’un de l’autre; l’intervalle entre le nez et la bouche, trop étendu; les cuisses trop courtes, les bras trop longs, les pouces trop petits, la paume de la main trop longue et trop serrée; les pieds plutôt faits comme des mains que comme des pieds humains. Quant à l’intérieur, les différences sont également nombreuses. La plus remarquable est que l’orang-outang a treize côtes, tandis que l’homme n’en a que douze.

RECETTES UTILES.

MOYENS DE DÉTRUIRE LES PUNAISES.

Mr. Bibaud,—La Bibliothèque Canadienne a déjà indiqué un moyen de détruire cet insecte incommode. Ce moyen, pris du London Journal of Arts, est inséré au Tome III. page 230 du vôtre. Voici quelques autres recettes qui, mises en œuvre, peuvent nous promettre des nuits plus tranquilles: elles sont également extraites de publications européennes très recommandables.

Un Souscripteur de Chambly.

1ère. Recette.—Prenez un demiard d’esprit de vin rectifié au premier degré, qui brulera entièrement et ne laissera aucune humidité, et un demiard d’huile nouvellement distillée, ou d’esprit de térébenthine; mêlez le tout ensemble, et cassez-y, en petites parcelles, une demi-once de camphre, qui s’y dissoudra en quelques minutes; brassez bien le tout, et avec un morceau d’éponge ou une brosse, que vous tremperez dans une partie de ce mélange, lavez bien le lit ou le meuble où se trouvent les punaises, et elles seront infailliblement détruites, ainsi que leurs œufs, quelque quantité qu’il y en ait. Avant de frotter les meubles, &c. de ce mélange, il faut avoir soin d’en bien ôter toute la poussière, avec une brosse, ou autre chose: par ce moyen on évite de faire la moindre souillure, la moindre tache, ou le plus petit dommage au plus beau lit de soie ou de damas.

L’odeur que répand ce mélange n’est point malsaine, et se dissipera en deux ou trois jours. Il ne faut pas oublier de bien remuer le mélange avant de s’en servir, et de ne s’en servir que de jour, et non à la chandelle, de peur d’accident.—Traduit du London Magazine.

2de. Recette.—Voici un moyen que l’on indique pour faire mourir les punaises, qui n’est point sujet à répandre de mauvaise odeur. On prend une once de vif-argent, et le blanc de cinq ou six œufs: on bat bien le tout ensemble, jusqu’à ce qu’on ne voie plus de globules de vif-argent; ensuite on frotte toutes les jointures et toutes les fentes avec cette pommade mercurielle; et, dès la première application, presque toutes les punaises sont détruites.—Journal Français.

MOYENS DE DÉTRUIRE LES RATS ET LES SOURIS.

Quelques personnes prennent les rats et les souris, en plaçant un grand vase rempli d’eau, dont l’ouverture soit plus étroite que le fond: ils mettent sur cette eau une planche légère, ou un liège qui en couvre toute la surface: ils attachent sur ce liège un appât; l’animal se fiant sur l’apparence de ce terrain solide, avance pour manger l’appât; mais le liège plongeant sous lui, il tombe dans l’eau et se noie: l’appât surnage et présente aux autres, qui veulent venir le manger, un nouveau précipice.

Voici un autre procédé singulier; il ne s’agit que de transformer un fripon de rat en destructeur de son espèce. Il faut pour cet effet attraper une douzaine de rats vivants, les enfermer dans quelque vaisseau, dont ils ne puissent sortir, et les y laisser tous ensemble sans aucune nourriture. On verra, au bout de quelques jours, qu’ils commenceront à se manger les uns les autres. Lorsqu’on verra que le plus vigoureux sera resté seul de sa bande, on le lâchera dans la maison: accoutumé au sang et au carnage, il ne cherchera pour autre nourriture que ses semblables; s’introduira au milieu d’eux, et les détruira jusqu’au dernier. Lorsque la maison sera bien nétoyée, il ne s’agira que de tâcher d’attraper ce ratophage et d’en faire justice.

Le moyen facile, dit-on, pour exterminer les souris, est de bruler dans les chambres et dans les greniers qu’on veut purger de ces ennemis domestiques, trois ou quatre poignées de bruyère un peu verte, de façon que la fumée puisse pénétrer suffisamment dans tous les coins et recoins.—Dictionnaire de l’Industrie.

Remede contre le mal occasionné par la piqûre des Maringouins.

“Depuis que je suis à Sorel,” m’écrivait dernièrement on ami, “je ne vis plus: les maringouins nous dévorent. Vous ne sauriez croire les impatiences qu’ils nous causent, les juremens qu’ils nous font faire, par les souffrances qu’ils nous font éprouver, le jour, et le malaise ou les inquiétudes où ils nous mettent et tiennent, toute la nuit. Quelle maudite engeance que celle de ces pompiers de sang humain! C’est vraiment commencer son enfer de son vivant que d’habiter parmi eux; car dans une telle société, on ne peut espérer de faire son salut: et pourtant vous savez, mon ami de collège, que j’ai de bonne heure formé la ferme résolution de ne point habiter les pays chauds, qui sont si contraires à mes goûts, mes habitudes, et, mieux que tout cela, à ma constitution. A mon secours, mon cher ami; vite, s’il vous plaît. Si vous connaissez quelque préservatif contre la piqûre (je dirais presque la morsure) de cette infernale vermine, comme on les appelle ici, faites-m’en donc part, sans délai....”

Voulez-vous bien, Mr. Bibaud, rendre cette lettre publique, ainsi que ma réponse, qui, contenant une prescription pour l’âme et le corps à la fois, peut-être utile à tant de nos semblables! et qui mérite par cela même d’être conservée et disséminée pour le bonheur en ce monde et le salut dans l’autre des générations présentes et futures!

“Si je ne connais pas,” mon cher ami, “de préservatif contre la piqûre des maringouins, on enseigne contre le mal qu’elle occasionne, outre la PATIENCE et la RESIGNATION, que vous ne me paraissez pas connaître, l’application sur la plaie (qu’il faut d’abord sucer) de feuilles odorantes et douces, comme celles du cassis et du persil, qu’on écrase par le frottement et dont on insère ainsi le suc dans la plaie. A défaut de ces feuilles,” dit Le bon Jardinier, que je copie, on frotte la plaie avec de la terre.

“Tenez ferme, mon ami, à votre bonne résolution de collège, et suivez ma prescription.”

Un Copiste.

JARDINAGE.

DE LA TRANSPLANTATION DES ARBRES.

Québec, 21 Avril, 1827.[1]

Mr. Bibaud,—Désirant planter ici un verger de vos excellentes pommes de Montréal, je m’adressai, l’an dernier, à Mr. Donnellan, que l’on me dit être, sans contredit, le premier pépiniériste de votre ville. Les arbres qu’il m’envoya avaient la plus belle apparence du monde. Je me hâtai de les mettre en place. De trente de ces arbres que j’ai ainsi plantés, dix seulement paraissent avoir pris racine et promettre de me donner du fruit; les vingt autres...il faudra en faire des fagots; et pourtant Pat, mon bon Pat, le Nestor et le Phénix des Jardiniers de dix lieues à la ronde, soutient, mordicus, qu’il n’y a ni de sa faute, ni de celle de Mr. Donnellan, son compatriote, qui, “Erin go bragh!” dit-il, “est aussi honnête que je suis fidèle.” Tout cela est bien beau, sans doute,—bien vrai, peut-être; mais tout cela ne fait pas, ni ne fera, je crains fort, bourgeonner mes arbres morts. Pat même en paraissant à la fin convaincu, qu’ai-je fait aussitôt, pour déchagriner Pat, rétablir l’honneur de Mr. Donnellan et faire verdir mon verger?—Hé! j’ai fait, Mr. Bibaud, ce que tant d’autres auraient fait à ma place, vous le premier: j’ai écrit, il y a quelques jours, au même jardinier, pour de nouveaux plants; mais ayant appris qu’il se fesait un plaisir de donner des “Instructions sur la transplantation, &c.” à quiconque lui en demandait, je l’ai prié d’en joindre une copie à son envoi. Je vous les adresse pour publication dans votre Bibliothèque Canadienne. Je ne dis point que sa recette soit nouvelle, originale, ou le fruit de son expérience personnelle; mais enfin il la recommande et elle peut-être bonne: la voici donc en anglais; veuillez bien la traduire pour vos lecteurs Canadiens.

Votre Serviteur,      P.

Instructions.—“Make a circular hole, large enough to receive all the roots freely, without touching the sides. Then trim the roots, if any of them should be broke or too straggling. Let one person hold the tree erect whilst another casts in the earth, previously breaking it fine. Let it be settled in equally between all the roots, by gently and frequently shaking the tree a little up and down, which will cause the mould to settle in close about all the small roots and fibres; and also to raise the tree gradually up, that the crown of the roots may not be more than about 3 inches below the general surface. When the hole is filled up, tread it gently, first round the outside, then near the stem of the tree, forming the surface a little hollow to admit water, if found necessary, with more convenience; and be sure to have some rotten dung laid on the surface, about two inches thick, and the width of the hole: and next fall point in the same dung lightly, which will help the trees in their growth, next year. Put a good stick to each tree, to keep the wind from blowing them about.

J. D.

Traduction.—Faites un trou circulaire assez grand pour recevoir librement les racines sans qu’elles touchent aux côtés. Placez les racines convenablement, si quelques unes se trouvent rompues, trop écartées ou rapprochées. Qu’une personne tienne l’arbre, tandis qu’une autre jette la terre dans le trou, après qu’elle aura été broyée. Il faut secouer l’arbre doucement et fréquemment, pendant qu’on remplit le trou, afin que la terre soit également répartie entre les racines, et se presse contre les radicules et les fibres. Il faut aussi soulever l’arbre graduellement, afin que la couronne ou le sommet des racines ne soit pas plus d’environ trois pouces au-dessous de la surface générale. Lorsque le trou est rempli, marchez dessus légèrement, d’abord au-dehors, ensuite près du tronc de l’arbre, formant une surface un peu concave, afin que l’eau y pénètre, s’il est nécessaire, plus aisément. Répandez sur la surface du trou, du fumier pourri, à l’épaisseur d’environ deux pouces; et l’automne suivant, remuez, ou piquez ce même fumier légèrement; ce qui aidera à la crue des arbres, l’année suivante. Plantez un bon piquet auprès de chaque arbre, et attachez l’y, afin que le veut ne les puisse pas abattre.


Cette communication, qui nous avait été remise à temps,s’était perdue dans nos paperasses: mais si elle est publiée trop tard pour le printemps, elle ne l’est pas trop tôt pour l’automne, saison où l’on transplante aussi.

LA GLOIRE.

A UN POETE EXILÉ.

Genereux favoris des Filles de mémoire,

Deux sentiers différents devant vous vont s’ouvrir:

L’un conduit au bonheur, l’autre mène à la gloire;

      Mortels, il faut choisir.

 

Ton sort, ô Manoël! suivit la loi commune;

La muse t’enivra de précoces faveurs;

Tes jours furent tissus de gloire et d’infortune,

      Et tu verses des pleurs!

 

Rougis plutôt, rougis d’envier au vulgaire

Le stérile repos dont son cœur est jaloux:

Les dieux out fait pour lui tous les biens de la terre,

      Mais la lyre est à nous.

 

Les siècles sont à toi, le monde est ta patrie.

Quand nous ne sommes plus, notre ombre a des autels,

Où le juste avenir prépare à ton génie

      Des honneurs immortels.

 

Ainsi l’aigle superbe au séjour du tonnerre

S’élance, et, soutenant son vol audacieux,

Semble dire aux mortels: Je suis né sur la terre,

      Mais je vis dans les cieux.

 

Oui, la gloire t’attend; mais arrête, et contemple

A quel prix on pénètre en ces parvis sacrés;

Vois: l’infortune assise à la porte du temple

      En garde les degrés.

 

Ici, c’est ce vieillard que l’ingrate Ionie

A vu de mer en mer promener ses malheurs:

Aveugle, il mendiait au prix de son génie

      Un pain mouillé de pleurs.

 

Là le Tasse, brulé d’une flamme fatale,

Expiant dans les fers sa gloire et son amour,

Quand il va recueillir la palme triomphale,

      Descend au noir séjour.

 

Partout des malheureux, des proscrits, des victimes,

Luttant contre le sort ou contre le bourreau:

On dirait que le ciel aux cœurs plus magnanimes

      Mesure plus de maux.

 

Impose donc silence aux plaintes de ta lyre:

Des cœurs nés sans vertu l’infortune et l’écueil;

Mais toi, roi détrôné, que ton malheur t’inspire

      Un généreux orgueil!

 

Que t’importe après tout que cet ordre barbare

T’enchaîne loin des bords qui furent ton berceau?

Que t’importe en quels lieux le destin te prépare

      Un glorieux tombeau?

 

Ni l’exil, ni les fers de ces tyrans du Tage,

N’enchaîneront ta gloire aux bords où tu mourras:

Lisbonne la réclame, et voilà l’héritage

      Que tu lui laisseras!

 

Ceux qui l’ont méconnu pleureront le grand homme;

Athène à des proscrits ouvre son Panthéon;

Coriolan expire, et les enfants de Rome

      Revendiquent son nom.

 

Aux rivages des morts avant que de descendre,

Ovide lève au ciel ses suppliantes mains:

Aux Sarmates grossiers il a légué sa cendre,

      Et sa gloire aux Romains.

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LA VIE.

Vers écrits en 1779, par un jeune Ecolier Canadien de Montréal, dont je tairai le nom, parce qu’il vit encore, et que je veux lui reprocher, (sans le faire connaître,) de n’avoir pas cultivé le talent bien décidé pour la poésie, que ce brillant début annonçait.. .. .

Sat Est.

De la vie à la mort et du néant à l’être,

  Que l’étendue est immense à mes yeux!

    Oh! si l’homme, avant que de naître,

    Avait le pouvoir de connaître

La chaîne de douleurs qui l’attend en ces lieux!

Dans la nuit du chaos, mille fois plus heureux,

    Loin d’ôser fournir la carrière,

Pour se mettre à l’abri du sort le plus affreux,

  Avec horreur, il fuirait la lumière.

Hé! qu’est-il, en effet, sur ces bords malheureux,

    Qui puisse exciter notre envie?

Exister un moment, est-ce bien une vie?

Une vie!. . . Oh! non, mais, un tourment rigoureux.

F.

AGRICULTURE.

DES ENGRAIS DE NATURE VÉGÉTALE.

Les différents engrais contiennent différentes proportions des élémens nécessaires à la végétation, et c’est d’après ces proportions qu’on doit déterminer leur emploi dans l’agriculture. Détaillons donc la nature et les propriétés des engrais les plus connus, et nous trouverons aisément la meilleure manière de nous en servir.

Les plantes vertes et succulentes, contiennent beaucoup de sucre, de mucilage, et de fibres; on ne peut donc les employer trop tôt après leur mort. Si on veut enrichir un sol avec des herbes vertes, on doit les enfouir quand elles boutonnent, parce qu’alors les plantes et leurs feuilles contiennent plus de matière nourrissante. Les herbes vertes, celles qu’on arrache dans les étangs et dans les fossés, les taillures de hayes, &c. doivent être employées de suite; elles se décomposent graduellement dans le sol, et la fermentation insensible qu’elles occasionnent rend les fibres ligneuses plus solubles, sans occasionner l’évaporation de trop du gaz élastique. Ainsi lorsque d’anciens pâturages sont mis en culture, le sol qui s’était déjà enrichi par la mort et le dépérissement des plantes, reçoit une augmentation de nourriture par la décomposition des feuilles, des tiges et des racines de celles qu’on y entère, décomposition qui ajoute au sol des matières sucrées, mucilagineuses et extractives.

Les gâteaux de toute espèce de graine dont on a retiré de l’huile, sont un engrais utile, parce qu’ils contiennent beaucoup de mucilage, d’albumen, et un peu d’huile. On doit les employer récemment faits, et aussi secs que possible; on les réduit en poudre et on les sème, en même temps que les navets, &c. &c.

La poussière des brasseurs est principalement formée par les petits radicles qui se sont séparés du grain; elle doit contenir beaucoup de matière sucrée, et doit être employée sèche pour que la fermentation ne détruise pas l’effet qu’on en attend.

Les gâteaux de graine de lin sont trop utiles à la nourriture des animaux pour être employés comme engrais.

L’eau dans laquelle on a fait rouir le chanvre et le lin, afin d’en séparer leurs fibres, doit être propre à la végétation, puisqu’elle contient de l’albumen et beaucoup de matière extractive; elle se putréfie aisément, et doit donc être employée aussitôt que possible.

Les plantes que la mer rejette sont employées comme engrais sur presque toutes les côtes. Elles contiennent du mucilage, de l’eau dont le goût est empireumatique, point d’ammoniac, et leurs cendres donnent du sel marin, du carbonate de soude, et une matière charboneuse: les gaz ne s’en détachent qu’en très petite quantité, mais cet engrais dure peu, tout au plus l’année, parce qu’il contient trop d’eau. Il se décompose promptement à l’air, et les fermiers de l’ouest de l’Angleterre l’employent aussitôt qu’ils peuvent se le procurer. Les bons effets de cet engrais sont dûs à l’acide carbonique, et au mucilage qu’il contient.

Les pailles sèches de froment, d’avoine, d’orge, de fèves, de pois, et de foin gâté, ou de toutes espèces de végétaux du même ordre, font toujours un excellent engrais. On veut en général que ces substances fermentent avant de les employer; mais on peut douter de la vérité de ce principe; on pourrait même assurer que la paille de différentes récoltes enfouie de suite dans la terre donnerait plus de nourriture aux plantes. En faisant fermenter la paille, elle devient plus facile à employer, mais elle perd une grande partie de la matière nutritive. Le fumier de paille produira peut-être plus à la prochaine récolte, mais le sol sera moins enrichi que si on enterre la paille bien coupée et bien divisée.

Les fibres ligneuses paraissent être les seuls produits des végétaux qui aient besoin de la fermentation pour leur servir de nourriture. L’écorce de tanneur est de cette espèce. M. Young assure qu’elle est nuisible à la végétation, parce qu’elle contient trop de matières astringentes; ce qu’il y a de sûr c’est que cette écorce ne contient plus de matière soluble, dont elle a été privée par l’action de l’eau. Les matières tourbeuses sont du même genre; elles peuvent rester des années entières exposées à l’action de l’air et de l’eau sans éprouver aucun changement. Les fibres ligneuses ne fermentent que quand elles sont mêlées avec du mucilage, des parties sucrées, albummeuses, &c. On peut donc conclure qu’on pourra rendre des terrains tourbeux susceptibles de fermenter, en y mêlant du fumier, ou toute autre matière plus aisée à passer à l’état de putréfaction: et s’il existe encore quelques végétaux vivants dans ces sortes de terrains, la fermentation aura lieu plutôt. Nous verrons dans la lecture prochaine que l’emploi de la chaux est le meilleur moyen de rendre soluble les fibres du bois.

Les cendres, même celles qui contiennent encore beaucoup de charbon, sont, dit-on, un bon engrais. Leur utilité vient sans doute de l’état de division qu’elles donnent à la terre, et du charbon qu’elles contiennent, qui en absorbant l’oxigène, devient acide carbonique.

Leçons de Chimie.

DES NOMS PROPRES DE LIEUX EN CANADA.

(Traduit librement du Canadian Review, No. II.)

Chaoniamque omnem trojano à Chaone dixit.Virgil.

On a toujours été persuadé, depuis le temps de Locke, que les définitions exactes des termes ont été une des grandes causes des progrès prodigieux que l’esprit humain a faits dans les sciences mathématiques; et qu’au contraire, l’usage vague et indéfini des mots a donné lieu à la plus grande partie de la confusion qui a accompagné les discussions des sujets de morale et de méthaphysique. Nous sommes en outre persuadés que la géographie deviendrait plus facile, si les noms des lieux étaient fixes, déterminés, et permanents. Il ne nous sera pas difficile de trouver dans l’histoire des faits au soutien de notre opinion.

Les noms des principales rivières et montagnes de l’Europe sont demeurés les mêmes, depuis les premiers temps historiques jusqu’à ce jour. En lisant Tite-Live, Tacite, ou Herodote, l’écolier n’a pas besoin de recourir à des systêmes de géographie ancienne, ou de consulter les notes élaborées des commentateurs, pour reconnaître le cours des rivières, ou la situation des montagnes dont parlent ces auteurs, en traitant de l’Europe. Le Rhin, le Danube, l’Ebre, le Rhône, la Vistule, les Alpes, les Pyrénées, se reconnaissent sans l’aide d’un dictionnaire. Il en est autrement des noms de pays, de districts et de villes. Tous ces noms ont été ou entièrement changés, ou tellement métamorphosés, par les dialectes barbares que parlaient les conquérans de l’empire romain, qu’il est souvent très difficile, et quelquefois absolument impossible, de découvrir la situation des lieux dont ces auteurs anciens font mention. L’incertitude, l’embarras et la confusion qui résultent de ce changement de noms sont tels, qu’il a fallu de longs et laborieux commentaires pour expliquer la géographie des auteurs classiques. Celui qui veut connaître avec précision les limites des provinces et districts dont parlent les auteurs grecs et latins, le lieu des batailles qu’ils décrivent, et les autres objets remarquables dont ils font mention, doit consacrer sa vie à de pénibles recherches sur le sujet. Et malgré ces recherches, la situation de plusieurs objets intéressants demeure enveloppée dans une obscurité impénétrable. Tels sont en partie les inconvéniens provenus du changement des noms des lieux.

Aucun de ces changemens ne doit être attribué aux Romains: ce peuple éclairé n’a jamais changé les noms des lieux. Ils ignorèrent absolument les rafinemens des modernes colons de l’Amérique, et particulièrement du Canada, qui ne sont jamais contents du nom d’un endroit, si c’est celui qui lui a été donné par les anciens habitans. Presque tous les noms donnés par les Romains aux villes de la Gaule et de la Grande-Bretagne, ont une signification distincte, si on les rapporte aux anciennes langues celtique et bretonne. Les noms mêmes de leurs camps, de leurs stations militaires, et de leurs colonies, dans les diverses parties de leur empire, étaient, pour la plupart, les noms primitifs de ces lieux, auxquels ils s’étaient contentés de donner des terminaisons latines. Combien a été différente la conduite de ceux qui se sont établis dans ce pays! Ils semblent avoir été persuadés qu’un lieu n’était jamais convenablement dénommé, s’il ne portait le nom de quelque place d’Europe, de quelque Saint, ou de quelqu’un de leurs parens. Il y a lieu de croire que la confusion qui règne dans les anciens noms de lieux, en Europe, a été l’effet du hazard, et non d’un dessein formel. Ils sont provenus du mélange des dialectes des différents peuples qui se sont succédés rapidement, les uns aux autres, dans la possession des riches provinces de l’Europe méridionale. Dans ces circonstances, on a pu et dû se tromper sur les noms, les mal prononcer, les oublier, et les remplacer de mille manières différentes. Mais nos Goths modernes procèdent systématiquement; et rien ne peut-être plus clair et mieux défini que le systême suivant lequel ils opèrent. Ses principes sont renfermés dans des bornes si étroites, qu’il est impossible, même à l’esprit le plus borné, de ne les pas comprendre. Il ne s’agit que de se rappeller le nom d’une rivière, ou d’une ville d’Europe, et d’y joindre le mot new, nouveau ou nouvelle; d’emprunter le nom de quelqu’un des Saints du kalendrier, ou de prendre celui de son père, de son grand-père, ou de son oncle, ou enfin, dans le cas d’une grande difficulté, le nom d’un guerrier ou d’un marin célèbre. Mais ce systême, quelque borné qu’il soit dans la théorie, ne laisse pas que d’être très étendu dans la pratique: car ce ne sera pas sitôt que nous aurons autant de townships qu’il y a de villages en Angleterre, ou que nous connaîtrons autant de rivières qu’il y a de ruisseaux en Europe.

On a vraiment sujet d’être étonné du goût qu’on a montré dans le choix des noms qui ont été adoptés. Les exemples suivants feront voir jusqu’où les améliorateurs de notre nomenclature locale ont consulté le rythme et la mélodie. Pour le nom majestueux et sonore de Toronto, ils nous ont donné l’Humber; pour Essécunisipi, la Tamise, (the Thames); pour Sinian, Simcoe; pour Tonti, Amherst; pour Sorel, le nom double de William-Henry, et pour l’Ottawa, la Grande-Rivière, comme si c’était la plus grande rivière du monde, ou qu’il n’y eût que cette rivière de grande.[1] Quel dommage n’est-ce pas qu’aucun de ces admirables améliorateurs de la géographie ne se soit transporté dans l’Inde! Nos immortels compatriotes, les auteurs des “Recherches Asiatiques,” qui ont jetté un si grand jour sur l’histoire et les antiquités de l’Indostan, n’ont jamais songé aux améliorations qui ont lieu dans l’occident. Les noms des lieux, des rivières, &c. dans cette immense région, depuis le cap Comorin jusqu’aux sources du Gange, sont demeurés, et demeureront probablement les mêmes, pendant un nombre de siècles. C’est, sans doute, un avantage prodigieux pour ceux qui lisent les historiens et les poëtes de l’Inde, et qui peuvent ainsi reconnaître la localité des scènes décrites dans les plus anciennes productions de ce peuple intéressant: mais aussi il faut qu’ils consentent à se voir privés de l’élégance, de la mélodie et de la belle composition de noms tels que, New-Portsmouth, New-London, New-Edinburgh, New-Thames, New-Carlisle, New-Newcastle, &c. &c. Il est impossible de ne pas remarquer combien est ingénieux et convenable un nom tel que celui de New-Thames. Ceux qui, dans mille ans, feront des recherches sur l’histoire naturelle de ce pays, seront sans doute prodigieusement satisfaits de la découverte que cette rivière est sortie de la terre, et s’est acheminée vers l’océan, bien plus tard que la rivière d’Angleterre de même nom. Ils se donneront sans doute beaucoup de peines inutiles pour savoir dans quel siècle, à quelle époque, ce phénomène a paru pour la première fois. On doit convenir néanmoins, que les derniers colons ont généralement retranché des noms de lieux le monosyllable New: mais si cet usage ajoute à la mélodie de nos noms, il ajoute aussi à leur confusion.

Nous rions et nous nous moquons des Yankis, comme on les appelle par dérision, et certes, leurs noms hébreux d’hommes et de femmes sont assez ridicules. Mais à l’égard du sujet que nous traitons, ils ont montré un jugement dont ont manqué la plupart de ceux qui se sont établis dans ce pays. Quels que soient leurs autres noms, ceux des rivières, au moins, depuis celle de Ste. Croix, à l’Est, jusqu’au Missouri, à l’Ouest, sont tous, à une ou deux exceptions près, d’origine indienne.

En dépouillant les Sauvages des régions étendues qu’ils possèdent maintenant, ils ont au moins conservé aux propriétaires primitifs l’honneur d’avoir donné des noms aux rivières et aux eaux renfermées dans leurs limites. Ils ont cru que quoique la préservation de ces noms ne fût qu’une faible compensation de l’extermination que cette race dévouée était destinée à subir dans quelques siècles, c’était néanmoins un honneur, dont, morts ou vivants, on ne pouvait honnêtement les priver, comme nation. Lorsqu’on arrive en Canada, la différence que l’on rencontre dans les noms des rivières est frappante. A très peu d’exceptions, dont le nombre ne passe pas cinq ou six, il n’y a pas un cours d’eau, depuis Gaspé jusqu’au lac Ontario, qui ne porte le nom d’un Saint ou d’une Sainte. Et lorsqu’on arrive à la ligne des découvertes anglaises, on trouve des noms d’une espèce différente, à la vérité, mais également fantastiques, tels qu’Albany, Nelson, Churchill, the Severn, et le nom admirable de New-Thames, déjà mentionné.

Peut-être pourrait-on laisser passer sans censure le nom de Rivière McKenzie, donné à l’Unjigah, puisque c’est récompenser d’une manière juste et raisonnable ceux qui découvrent ou inventent quelque chose, que de donner leurs noms à leurs découvertes et à leurs inventions. Pourtant, quant aux découvertes géographiques, il nous paraîtrait plus convenable de récompenser ceux qui les font, en donnant leurs noms à des villes bâties dans des endroits auparavant peu remarquables. On éviterait par là la nécessité de changer des noms qu’un usage immémorial a appropriés aux objets naturels les plus remarquables et les plus permanents.

Les Romains récompensaient leurs guerriers illustres en leur donnant des surnoms dérivés des noms des villes qu’ils avaient prises, ou des pays qu’ils avaient conquis; et récemment, l’Angleterre et la France ont imité cet usage, en donnant à leurs généraux ou amiraux victorieux, des titres pris des scènes de leurs brillants exploits. Pourquoi les découvertes géographiques ne seraient-elles pas récompensées de la même manière? Cook, par exemple, aurait pu être créé Comte d’Ohèhy (Owihihee); Park, Vicomte du Niger; McKenzie, Baron de l’Unjigah; et les autres auteurs de découvertes, d’une manière semblable.

Laissant là les noms de rivières, nous devons admirer l’heureux concours de circonstances qui a jusqu’ici laissé intacts les noms de nos spacieux lacs. Quelles qu’aient été les causes de ce singulier bonheur, on ne saurait guère espérer qu’elles opéreront toujours. L’orgueil ou la vanité privera très probablement la postérité de ces noms qui ont été jusqu’ici regardés comme sacrés. Quant aux noms de villes et de districts, il suffira de remarquer qu’on en pourrait à peine trouver une demi douzaine de vraiment originaux dans tout le Canada. On entend tous les jours parler de nouveaux townships ou de villages naissants, nommés d’après quelque village ou quelque lord anglais. Est-ce qu’aucun de nos colons ne pensera jamais à perpétuer les noms des Algonquins, des Hurons, des Iroquois et des Eskimaux? Ne restera-t-il rien pour rappeller à la postérité l’existence des premiers habitans du pays, lorsqu’ils ne seront plus? A la manière dont vont les choses, les historiens futurs seront certainement induits à supposer que les colons français et anglais ont été les premiers êtres humains qui aient traversé les forêts du Canada.

Quand on considère l’immense étendue de pays nécessaire à la subsistence d’un peuple qui ne vit que de chasse, et la manière dont les Sauvages sont repoussés d’un territoire sur un autre; quand on considère de plus les ravages affreux que font parmi eux la petite vérole, l’usage des liqueurs fortes, et les guerres cruelles qu’ils se font les uns aux autres, on ne peut s’empêcher de partager l’opinion générale, que dans quelques siècles, les Sauvages de l’Amérique du Nord seront exterminés de la face de la terre. L’auteur d’un ouvrage récent sur le Canada pense que ce ne serait pas une perte pour le genre humain: quant à nous, nous ne pouvons qu’envisager avec regret la perspective d’un tel annéantissement. Tout le monde admet que les Américains naturels sont une race distincte, qui diffère par les mœurs, les habitudes et les dispositions, de tous les autres hommes. Leur découverte a ouvert un champ nouveau aux spéculations de la philosophie: elle a fourni les moyens de rectifier plusieurs erreurs anciennes concernant la marche et les progrès de l’esprit humain. On avait conjecturé que les premiers hommes avaient été de simples chasseurs; mais il n’existait aucun monument de leur manière de subsister dans cet état. Nul document ne pouvait faire connaître avec certitude les habitudes et les dispositions que devait produire un tel état de société, non plus que les avantages ou les désavantages dont il était accompagné. C’est aux naturels de l’Amérique que nous devons tous nos renseignemens certains sur ce sujet. Verrons-nous donc sans regret périr ces peuples intéressants? Ne nous donnerons-nous donc pas la moindre peine pour perpétuer leur mémoire? Ferons-nous, au contraire, tous nos efforts pour effacer jusqu’au moindre souvenir de leur existence? Abolir les noms mêmes des forêts qu’ils ont parcourues, des hauteurs sur lesquelles ils ont campé, des rivières sur lesquelles ils ont conduit leurs canots, quoiqu’en disent la vanité et la puissance, ne serait-ce pas un procédé que condamneraient la reconnaissance et le respect dûs à l’antiquité?

En repassant tout ce sujet en revue, nous ne pouvons que regarder comme blâmables les Européens qui se sont établis en Canada, d’avoir rejetté les anciens noms indiens; et voici, en résumé, les raisons qui nous font penser ainsi:

1o. Les noms sauvages sont beaucoup plus sonores et plus harmonieux que les noms modernes, qui consistent, pour la plupart, en des combinaisons de consonnes qui sont difficiles à prononcer, et qui produisent des sons désagréables à l’oreille.[2]

2o. Les nouveaux noms peuvent aisément se prendre pour ceux des lieux auxquels ils sont appropriés en Europe; ou même pour ceux d’autres endroits de ce côté-ci de l’océan: car nos ingénieux nomenclateurs ne se contentent pas de donner un ancien nom à un seul lieu; ils le donnent souvent à deux, trois, ou quatre endroits différents, et quelquefois à un plus grand nombre.

3o. Ce systême confond et embrouille, dans les pays où il est pratiqué, tous les anciens faits d’histoire et de géographie. Dans deux cents ans, il sera impossible de rien comprendre à ce qu’ont fait les premiers habitans de ce pays. Les évènemens mêmes du temps présent, si l’on continue a suivre ce systême, deviendront par la suite, inintelligibles.

4o. Il y aurait de l’injustice et de l’ingratitude à laisser périr la mémoire, et encore plus, à s’efforcer de faire perdre le souvenir des Sauvages, peuples auxquels nous sommes grandement redevables, sous le point de vue philosophique, &c.

Le sort des Sauvages, et de leurs langues, nous rappelle le grand mur de pierre construit par l’Empereur Severe, à travers la largeur de l’île d’Albion, depuis la baie de Solway jusqu’à la mer d’Allemagne. On a entièrement négligé et laissé exposée à toute espèce d’injure cette structure étonnante, durant tout le cours du moyen âge. “Pendant plus de mille ans,” dit le Dr. Henry, dans son admirable Histoire de la Grande-Bretagne, “ç’a été la carrière commune pour toutes les maisons et tous les villages bâtis dans les environs.” Mais ce mur n’eût pas plutôt été entièrement démoli, que l’on commença à en avoir une toute autre idée. Ses restes devinrent l’objet de la curiosité, et le sujet de recherches profondes. Tous les fragmens de cette célèbre structure furent préservés avec le plus grand soin, pour orner les cabinets des curieux, les bibliothèques des savans, et les palais des grands. Et telle est maintenant la curiosité qu’excite ce fameux ouvrage, qu’il n’y a pas, comme le remarque le même historien, un antiquaire qui ne fît volontiers mille milles à pied, pour voir ce mur, s’il le pouvait voir, tel que Sévère l’a laissé. Tel, ou à peu-près tel, sera, en toute probabilité, le sort des nations sauvages. Tant qu’il en existera une seule tribu sur ce continent, ils seront méprisés et exposés à tous les traitemens qui pourront tendre à ensevelir leur souvenir dans l’oubli. Mais la dernière tribu n’aura pas plutôt été annéantie, que les sentimens des hommes curieux et contemplatifs sur cette race singulière seront entièrement changés. Le philosophe regrettera de ne pouvoir plus se trouver ni converser avec les hommes les plus extraordinaires du globe; de ne pouvoir plus contempler leurs mœurs, leurs habitudes, leur train de vie, que dans les pages obscures de l’histoire, ou dans les narrations trompeuses de voyageurs exagérateurs. Et ce qui devra ajouter beaucoup à sa mortification, ce sera de trouver les noms des lieux et des objets naturels tellement changés et confondus, qu’il lui sera impossible de découvrir la moindre trace de leurs langues, dans les lieux qu’ils auront habités. Les descriptions des différentes nations, sauvages qui ont été imprimées depuis une couple de siècles, deviendront absolument inintelligibles. A peine la postérité pourra-t-elle croire que les tribus dont parlent Charlevoix et Raynal aient jamais fréquenté les bords du St. Laurent, de l’Ottawa et du Saguenay. Il lui sera impossible de croire que les langues dont il est fait mention dans les Voyages de McKenzie, aient jamais été parlées entre l’Océan atlantique et la Mer du Sud.


Tonti et Sorel sont des noms historiques, comme Chambly, Sylleri, &c.—“Sorel,” dit Mr. John Lambert, dans ses Travels through Canada, “est maintenant nommé William-Henry, en l’honneur du Duc de Clarence, qui a visité le Canada, il y a environ vingt-cinq ans. L’île St. Jean, dans le golfe St. Laurent, a aussi été nommée île du Prince Edouard, en l’honneur du Duc de Kent: et c’est ainsi que les noms de plusieurs autres lieux et places ont été changés sans nécessité. C’est en conséquence de cette pratique absurde, que des villes et des cités vénérables par leur antiquité, ou remarquables par leur histoire, sont maintenant confondues avec les plus chétifs villages, et qu’on est si souvent sujet à se tromper en géographie.”—(Note de l’Editeur.)

Cette observation s’applique on ne peut plus convenablement à la plupart des noms donnés aux comtés de cette province. Outre qu’ils n’ont rapport ni à la géographie ni à l’histoire du pays, ils sont presque tous d’une dureté et d’une difficulté de prononciation insurmontable pour quiconque n’a pas été habitué dès son enfance à parler la langue anglaise; témoins, Warwick, Effingham, Huntingdon, Hampshire, Northumberland, Buckinghamshire, &c. Notre Chambre d’Assemblée, dans son Bill de la meilleure Division et Représentation de la Province, a eu le bon esprit de rejetter presque tous ces noms insignifiants et imprononçables, et d’y substituer des noms presque tous géographiques ou historiques, et toujours d’une prononciation facile pour tous les habitant du pays...... (Note de l’Editeur.)

CURIOSITÉ NATURELLE.

(Extrait du Canadien; Septembre 1808.)

Il y a à la Rivière-Ouelle, à un endroit appellé la Pointe, une curiosité à laquelle peu de personnes ont fait attention, mais qui est vraiment intéressante.—Ce sont des pistes de raquettes imprimées, d’environ un quart de pouce de profondeur, dans une suite de rochers. Les pistes sont bien marquées, et vont toutes vers le même endroit, en faisant quelquefois de petits détours, suivant toujours les mêmes distances que les pas d’un homme qui va en raquettes, d’un lieu à un autre; comme si un homme eût marché sur la neige, en raquettes en faisant des détours, et que les pistes de ces raquettes fussent restées sur la neige. Ces pistes, dans ces rochers, sont celles d’un homme grand; et à côté, et quelquefois derrière ces pistes, il s’en trouve de petites, qui vont vers le même côté que les grandes, et qui paraissent comme celles d’un enfant marchant en raquettes, et suivant un autre homme. Les petites pistes quelquefois croisent les grandes, comme si l’enfant eût quelquefois marché sur les pistes de l’autre. Il se trouve aussi imprimées sur les mêmes rochers des pistes d’un homme qui va à pied raquettes, et allant vers le même lieu.

Il y a tout lieu de croire que ces pistes ont été faites sur une terre calcaire délayée, et que cette terre se sera ensuite pétrifiée.

Il faut supposer aussi que ces pistes auraient été faites le printemps, durant la fonte des neiges; ce qui ne serait point une chose impossible; car on sait que la neige disparaît plus vite sur les hauteurs que dans les vallées; et un homme qui marcherait en raquettes ne prendrait pas la peine de les ôter, lorsqu’il n’aurait que quelques pas à faire sur la terre pour retomber ensuite sur la neige.

BONS-MOTS.

Le comte de Grammont voulant railler un gentilhomme de Bretagne, nouvellement arrivé à la cour, s’approcha de lui, et lui demanda ce que signifiaient ces trois mots, parabole, faribole et obole. Le Breton, sans hésiter, lui répliqua: “Une parabole est ce que vous n’entendez pas; une faribole, ce que vous venez de me dire, et une obole, ce que vous valez.”

Un avare dit un jour à son laquais, qui mangeait vite et beaucoup, et qui faisait trop lentement ses commissions, à son gré:

Cascaret, tu mâches trop vite,

Et vas à pas un peu trop lents:

Veux-tu demeurer à ma suite?

Mâche des pieds, et vas des dents.

Le prince de Condé assistait avec Marmontel, à la représentation d’une pièce intitulée, Le Berceau: le public trouva cette production froide. Le prince de Condé ayant demandé l’avis de Marmontel, ce dernier répondit: “Monseigneur, il faudrait bassiner ces lits-là.”

Quelqu’un ayant demandé à un célèbre poëte français ce qu’il pensait de Milton: “Ma foi, répliqua-t-il avec enthousiasme, ses conversations infernales sont toutes célestes.”

Un homme se présenta, un jour, à Ferney, et s’annonça comme homme de lettres: “J’ai l’honneur d’être de l’académie de Soissons, dit-il à Voltaire; elle est, comme vous savez, fille de l’Académie Française.—Oh! oui, monsieur, répondit-il, et une brave fille, qui n’a jamais fait parler d’elle.”

Linguet vit entrer dans sa chambre, peu de jours après son arrivée à la Bastille, un grand homme sec, qui lui inspira quelque frayeur. Il lui demanda qui il était: “Je suis, répondit l’inconnu, le barbier de la Bastille.” “Parbleu! répliqua brusquement Linguet, vous auriez bien dû la raser.”

Lorsque Bievre, à la première représentation de la Fausse Magie, vit le miroir sur la scène, il s’écria: “Ah! quel dénouement à la glace!”

Un colporteur, pour mieux piquer la curiosité du peuple, criait: Mort de l’abbé Maury! L’abbé passe, s’en approche, lui donne un vigoureux soufflet, et lui dit: “Tiens, si je suis mort, au moins tu croiras aux revenans.”

SOCIÉTÉ D’HISTOIRE NATURELLE DE
MONTRÉAL.

Le New-Montreal Gazette du 20 de ce mois a annoncé la formation en cette ville d’une Société pour l’avancement de l’Histoire Naturelle en général, et de celle de ces provinces en particulier. Cette Association a pour but d’explorer les différentes productions que fournit ce pays, dans les trois règnes; de former un Cabinet ou Musée d’Histoire Naturelle, et de procurer par là au public, et particulièrement, sans doute, à la jeunesse studieuse, un moyen plus facile de s’instruire dans les différentes branches d’une science si agréable et si utile en même temps.—Les fondateurs de cette Société ont adopté les règles suivantes:

1o. Il sera formé une Société dont l’objet principal sera de faire des recherches sur l’Histoire Naturelle du Canada, et qui sera appellée Société d’Histoire Naturelle de Montréal.

2o. La Société sera composée d’un nombre indéfini de membres ordinaires qui, tous les ans, le 16 Mai, (anniversaire de son établissement,) choisiront d’entr’eux, un Président, trois Vice-présidens, deux Secrétaires, un Trésorier, un Bibliothécaire et un Gardien du Cabinet, et un Comité de trois Membres, qui, avec les officiers, auront le Musée en charge, et conduiront les affaires ordinaires de la Société: trois d’entr’eux constitueront un quorum. Tout événement extraordinaire sera référé à la Société elle-même.

3o. La Société s’assemblera le dernier Lundi de chaque mois, pendant toute l’année. Il pourra être convoqué des assemblées extraordinaires, toutes les fois qu’elles seront jugées nécessaires; cinq membres formant un quorum.

4o. Tout membre, lors de son admission, paiera au trésorier la somme de cinq piastres, comme sa souscription, laquelle se continuera annuellement, et sera dûe le dernier Lundi de Mai.

5o. Il pourra être admis des membres honoraires et correspondants.

6o. La Société s’étudiera principalement à former un Musée, ou une collection des productions naturelles de ce pays, de toutes les sortes, savoir: Minéraux, Plantes, Coquillages, Insectes, Oiseaux, Poissons, et autres Animaux; et pour faciliter l’étude et la connaissance positive de ces objets, en fournissant des moyens de comparaison, on admettra dans la collection des objets semblables venant d’autres pays.

7o. Dans la vue d’atteindre le but que se propose la Société, les membres seront priés d’user de leur influence, par correspondance ou autrement, pour induire leurs amis à contribuer à l’aggrandissement du Musée.

8o. On recevra avec reconnaissance les dons faits au Musée, et l’on inscrira les noms des donateurs.

9o. Les membres et autres seront priés de confier aux soins de la Société, tout ce dont ils ne désireront pas faire un don permanent pour le Musée.

Les Messieurs suivants ont été élus officiers pour l’année, savoir: S. Sewell, Ecr. Président; le Colonel Hill, le Colonel McKay, et Wm. Caldwell, M. D. Vice-présidens; John S. McCord, Ecr. et A. F. Holmes, M. D. Secrétaires; Mr. H. Corse, Trésorier; Mr. H. H. Cunningham, Libraire et Gardien du Cabinet; le Rév. H. Esson, J. Stephenson, M. D. et Mr. J. M. Cairns, Comité.

VARIETÉS.

PROPOSITION POUR L’ERECTION D’UN MONUMENT A LA
MÉMOIRE DE WOLFE ET DE MONTCALM.

C’est depuis longtemps un sujet de surprise aussi bien que de regret, qu’il n’y ait encore dans Québec aucun monument qui transmette la mémoire de la mort glorieuse de Wolfe et de Montcalm. Ces sentimens ont suggéré au Gouverneur-en-Chef l’idée de soumettre à la considération ultérieure du public et des officiers qui servent actuellement sous ses ordres, en Canada, le dessin d’une colonne qu’on se proposerait d’ériger sur la Place d’Armes, en face du Château St. Louis. On peut voir ce dessin dans la Bibliothèque de la Garnison, où le Bibliothécaire a ordre d’en permettre l’inspection à tous messieurs qui se présenteront pour le voir.

Le Gouverneur-en-Chef ne s’étendra pas davantage sur ce sujet, et se borne à dire qu’il apportera toute l’attention possible aux suggestions qui pourront lui être envoyées, et donnera tout l’encouragement et l’assistance en son pouvoir, pour un ouvrage public aussi intéressant.—Gaz. de Québec publiée par autorité.

BATISSE D’UNE EGLISE POUR LES CATHOLIQUES A ST. JEAN.

Extrait d’une lettre datée de St. Jean, le 26 Aout.

“La bénédiction de la première pierre de l’Eglise catholique qui se bâtit dans cette ville, a eu lieu aujourd’hui, en présence d’un grand concours d’habitans des paroisses circonvoisines.—M. Paquin, Archi-prêtre, Curé de Blairfindie, a officié, accompagné de M. Blanchet, Curé de St. Luc, M. Giroux, Curé de St. Athanase,et M. Marcot, Vicaire de Blairfindie.

“La cérémonie, qui a été très solennelle, a fini par une exhortation très touchante prononcée par M. Paquin; après quoi, les personnes présentes, protestantes et catholiques, ont déposé leurs dons montant à £49, sur la pierre, qui avait été préparée par Mr. Jos. Doyon, maître maçon et entrepreneur, à cet effet, ainsi que pour recevoir l’inscription des noms des syndics, savoir: MM. L. H. Gauvin, Jos. Simard, Pierre Jolin, Pierre Gabourieux, Gab. Marchand, Frs. Marchard, et Ls. Marchand.”

AURORE BORÉALE.

Extrait d’une lettre datée de St. Benoît, le 31 Août.

“Le 27, on avait remarqué, le soir, peu de temps après la fin du crépuscule, un brouillard assez obscur vers le septentrion, le centre ayant une très petite déclinaison à l’orient. Sa forme prit insensiblement à peu près celle d’un segment de cercle étendu sur le coteau, ou dont l’horizon formait la corde. La partie visible de sa circonférence se borda peu à peu d’une lumière blanche; ce qui joint aux rayons, aux drapeaux, aux flocons lumineux qui se jouaient en cent manières vers cette partie du ciel, me fit prendre ce phénomène pour l’extrémité, ou pour mieux dire, pour l’extension de ces aurores boréales qui ne sont que peu ou presque point apperçues des pays un peu éloignés du pôle septentrional. Quoiqu’on Canada nous soyons dans certains jours favorisés de quelque partie de ce magnifique spectacle réservé aux peuples du Nord, j’avoue que je ne m’attendais pas à voir ce que j’allais voir. En effet, dans quelques instans, on apperçut tous ces jets de lumière, ces flocons, ces tirans, comme nous les nommons souvent, et que nous voyons communément dans cette partie du ciel, on les apperçut, dis-je, se replier, se contourner, et simultanément se coucher, en s’accumulant sur le même orbe, et former une couche éclatante sur le limbe du segment, dont le fond obscur ne contribuait pas peu à faire ressortir la blancheur de cette large bordure. Mais ce mouvement était à peine fini que la belle bordure dont je viens de parler, en s’élargissant se régularisa, s’augmenta considérablement par un mouvement général; une espèce de trouble se mit dans les flocons, qui s’étaient pour ainsi dire ralliés aux rebords du segment dont je viens de parler; ils s’étendirent en directions divergentes, en conservant toujours dans leur mouvement un contour assez régulier et visiblement bien concentrique avec l’arc décrit d’abord. Ce superbe mouvement se continuant, le phénomène s’aggrandit de plus en plus, en avançant parallèlement à l’équateur, et il finit par se fixer dans la forme d’une belle bande lumineuse décrivant un arc complet, ou d’une moitié d’une grande ellipse, de l’Est à l’Ouest, et embrassant toute l’hémisphère visible. Ce que je remarquai de bien singulier dans ce bel arc, c’est la régularité de sa forme et de sa largeur surtout, qui paraissait composée de filamens ou de rayons coupés, dont la direction répondait assez bien au centre de l’arc, ou plutôt aux foyers de l’ellipse. Ils avaient entr’eux un mouvement semblable à à celui que l’on imprime aux feuillets d’un livre que l’on tient de la main gauche, lors que de la main droite on fait successivement passer les feuilles sous l’ongle du pouce. Vers les 11 heures, ce mouvement se ralentit; on observa quelque désordre dans le phénomène; la bande se rétrécit sensiblement; mais au bout de quelques minutes, il se forma en un superbe arc, à la vérité beaucoup plus étroit que le premier, mais d’une lumière bien plus intense. Enfin, ce spectacle perdant peu à peu de son éclat, ne fit plus que diminuer; la portion de l’arc qui s’appuyait au couchant se replia; l’autre extrémité, qui se plongeait à l’occident, s’effaça, et un peu avant minuit, tout avait disparu.”

La Minerve.

GAMALOGIE ET NECROLOGIE.

Mariés.—Le 2, Etienne Mayrand, Ecuyer, de la Rivière du Loup, à Madame Veuve Gauvreau, de Québec.

—Le 7, Philippe Bruneau, Ecr. Avocat, à Demoiselle Lucie Scholastique, fille de Jos. Bedard, Ecr. de Montréal.

—Le 20, P. L. Panet, Ecr. Grand-voyer des Trois-Rivières, à Demoiselle Clorinde, fille de Jean Bouthillier, Ecr. de Montréal.

—Le 29, A. G. Chenet, Ecr. Seigneur du Cap St. Ignace, à Demoiselle M. Hermine, fille de N. G. Boisseau, Ecr. de St. Thomas.

Décédés.—Le 6, à l’Hôpital-général de Québec, Messire Frs. Huot, Curé du Sault au Récollet, âgé de 43 ans.

—Le même jour, à Montréal, Dame Charlotte Fourreur, Veuve de D. Rousseau, Ecr. âgée de 75 ans.

—Le 15, à La Prairie, Jos. Hebert, Ecr. Capitaine de Milice, âgé de 87 ans.

—Le 17, à St. Hyacinthe, Dame Françoise Normand, Veuve de feu Guil. Bouthillier, Ecr.

—Le 18, à Plattsburg, J. N. Faribault, Ecr. ci-devant Avocat de Montréal.

—Le 21, à Québec, Jean Belanger, Ecr. Juge de Paix, et Membre de la Chambre d’Assemblée, âgé de 44 ans.

TRANSCRIBER NOTES

Mis-spelled words and printer errors have been corrected. Where multiple spellings occur, majority use has been employed.

Inconsistency in hyphenation has been retained.

Inconsistency in accents has been corrected or standardised.

When nested quoting was encountered, nested double quotes were changed to single quotes.

[The end of La Bibliothèque Canadienne, Tome 5, Numero 3, Aout, 1827. edited by Michel Bibaud]