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Title: La Bibliothèque Canadienne, Tome IV, Numero 4, Mars, 1827.
Date of first publication: 1827
Author: Michel Bibaud
Date first posted: Apr. 29, 2020
Date last updated: Apr. 29, 2020
Faded Page eBook #20200451
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La Bibliothèque Canadienne
Tome IV. | MARS, 1827. | Numero 4. |
Enfin, en 1667, les Français recouvrèrent tout ce que les Anglais leur avaient enlevé dans l’Amérique Septentrionale; mais la restitution ne fut complètement exécutée que trois ans après. Le 7 Juillet 1667, le chevalier Temple, muni des pouvoirs du roi d’Angleterre, et Hubert d’Andilly, chevalier de Grand-fontaine, commissaire, ou comme Charlevoix l’appelle, plénipotentiaire du roi de France, signèrent, à Boston, un instrument par lequel tout le pays qui s’étend depuis l’île du Cap Breton inclusivement, jusqu’à Pentagoët, était assuré à sa majesté très-chrétienne. Mais comme le tout avait été compris dans le traité sous le nom d’Acadie, le chevalier Temple refusa, pendant quelque temps, de rendre Pentagoët, où il commandait, prétendant que cette place n’était point de l’Acadie; et ce ne fut que le 5 Mars 1670, que la possession en fut remise au chevalier de Grand-fontaine, dont le gouvernement s’étendit depuis le Kinibequi, ou Kennebec, jusqu’au fleuve St. Laurent, comprenant une partie, sinon la totalité, de ce qu’on appelle aujourd’hui le district de Gaspé.
Les affaires étant ainsi réglées, la cour de France comprit que pour mettre l’Acadie et les provinces adjacentes à l’abri d’une nouvelle invasion, il fallait, comme on l’a déjà dit, faire en sorte qu’elles pussent être secourues promptement du côté de Québec, et pour cela, pratiquer un chemin commode entre cette capitale et le Port-Royal, ou Pentagoët, les deux seules places qu’on s’occupa d’abord de rétablir et de fortifier. M. de Courcelles, à qui sa mauvaise santé et l’attente de son prochain retour en France, ne permirent pas de mettre ce dessein à exécution, en écrivit à M. Colbert, qui envoya M. Patoulet, commissaire de marine, en Acadie, avec ordre d’en visiter tous les postes, et de lui en rendre un compte exact. La visite eut lieu, et le compte se rendit, mais le chemin projetté ne se fit point, et l’Acadie demeura sans communication aisée, par terre, avec le Canada proprement dit.
Avant de passer plus loin, il est à propos de dire un mot de l’île de Terre-neuve, où, dans la suite de cette histoire, nous verrons les Canadiens figurer avec avantage. Charlevoix prétend que les Français avaient un établissement dans cette île, vers le Cap de Raze, dès l’année 1504. Ils se fixèrent dans la suite à la baie de Plaisance et aux environs, et vers 1660, ils y avaient plusieurs forts et plusieurs habitations. C’étaient entr’autres le fort St. Louis, le bourg de Plaisance, et les habitations ou établissemens du Chapeau-rouge, du Petit-nord, et des îles de St. Pierre et de Miquelon. Les Anglais s’étaient aussi établis dans la partie orientale de Terre-neuve, d’abord à la baie de la Conception, et ensuite à St. Jean.—Ce voisinage fut cause d’hostilités presque continuelles, pendant un temps, entre les deux nations; car, remarque Charlevoix, l’île de Terre-neuve, toute grande qu’elle est, n’a pu contenir les pêcheurs de France et ceux d’Angleterre, comme autrefois la Sicile n’a pu contenter l’ambition des Romains et des Carthaginois; avec cette différence néanmoins, que la Sicile demeura toute entière à ceux qui y furent vainqueurs de leurs rivaux; au lieu que Terre-neuve est restée à ceux qui y ont toujours été battus. Il n’est (c’est toujours Charlevoix qui parle,) aucun des postes qu’y ont occupés les Anglais, dont nous ne les ayons chassés plus d’une fois; nos braves Canadiens ayant trouvé le secret de cueillir des lauriers dans le pays du monde le plus aride, et presque toujours au milieu des frimats.
Avant l’année 1660, la cour de France s’était peu mêlée de l’île de Terre-neuve, ayant laissé presque tout faire à des particuliers, qui armaient à leurs frais, pour y envoyer des pêcheurs. Enfin, cette même année, le sieur Gargot obtint du roi la concession du port de Plaisance, avec un brevet de gouverneur. Mais il y a apparence qu’il fut obligé d’abord de se désister de son droit de concession, et qu’il ne garda que peu de temps le titre de gouverneur; car au bout de quelques années, le sieur De La Poype fut envoyé à Plaisance, pour prendre possession, au nom du roi, du fort et de l’habitation, et y demeurer en qualité de gouverneur.
Telle était la situation des choses dans toutes les parties de la Nouvelle-France, lorsque M. Talon y revint, pour y reprendre les fonctions d’intendant. Il s’embarqua pour Québec le 15 Juillet 1669, avec quelques récollets, et une partie des cinq cents familles que le roi lui avait accordées pour peupler le Canada. Mais après trois mois d’une très rude navigation, le navire qui les portait fut obligé de relâcher à Lisbonne, d’où étant parti pour retourner à Larochelle, il périt, presque à la vue du port, avec une partie de l’équipage et des passagers.
M. Talon se rembarqua au mois de Mai de l’année suivante, avec d’autres récollets, et les compagnies du régiment de Carignan qui étaient retournées en France. Le voyage fut heureux, et l’on vit arriver avec joie, à Québec, cette nouvelle recrue d’habitans. On ne songeait alors qu’à peupler le pays, et l’on n’était plus aussi scrupuleux qu’autrefois sur le choix des colons. Il y avait déjà dans la colonie, des hommes peu estimables du côté de la conduite, et même quelques scélérats, comme on le voit par les faits suivants:
Trois soldats français ayant rencontré un chef iroquois, qui avait beaucoup de pelleteries, l’ennivrèrent et l’assassinèrent.—Quelques précautions qu’ils eussent prises pour cacher leur crime, ils furent découverts et mis en prison. Pendant que leur procès s’instruisait, trois autres Français rencontrèrent six Mahingans qui avaient pour environ mille écus de marchandises: ils les firent aussi boire, et après les avoir massacrés, ils eurent l’effronterie d’aller vendre leur butin, qu’ils voulurent faire passer pour le fruit de leur chasse. Les corps de leurs victimes furent trouvés percés de coups et tout sanglants, et reconnus par des sauvages de leur nation.
Ceux-ci soupçonnèrent d’abord les Iroquois, avec lesquels ils venaient de conclure un traité de paix, et ils se préparaient à en tirer raison, lorsque le bruit se répandit que c’étaient des Français qui avaient fait le coup. Un des trois meurtriers, mécontent des deux autres, en fit confidence à un de ses amis, qui ne lui garda pas le secret: il passa bientôt de bouche en bouche jusqu’aux sauvages; et les deux tribus, qui étaient sur le point de se faire une cruelle guerre, se réunirent contre les Français. Les Mahingans furent les premiers en campagne, et quatre d’entr’eux eurent l’audace d’assiéger en plein jour une maison française. Le maître était absent: les valets se défendirent bien, et deux des sauvages furent tués; mais les deux autres mirent le feu à la maison, et la maîtresse, qui s’y trouvait, y fut brulée.
Les Iroquois, de leur côté, ne tardèrent pas à être instruits de l’assassinat de leur chef: on leur assura même que deux des assassins avaient été accusés par le troisième d’avoir complotté d’empoisonner tous les gens de leur nation qu’ils rencontreraient. IL n’en fallut pas davantage pour les faire entrer en fureur, et ils résolurent de porter leur ressentiment jusqu’aux dernières extrémités. Il n’y avait pas un moment à perdre pour éviter de se voir replongés dans une guerre qui ne pouvait avoir que des suites fâcheuses; et M. de Courcelles, qui comprit d’abord toute l’importance de cette affaire, partit de suite pour Montréal, où il savait que venaient d’arriver des sauvages de différentes tribus.
Il les assembla, dès qu’il fut débarqué, et leur fit faire, par la bouche du P. Chaumonot, son interprète en cette occasion, un discours énergique sur l’intérêt qu’ils avaient tous de rester unis aux Français. Il se fit ensuite amener les assassins du chef iroquois, et leur fit casser la tête, en présence de l’assemblée. Une justice si prompte désarma les Iroquois. Il promit de traiter de la même manière les assassins des Mahingans, lorsqu’il les aurait en sa puissance. Enfin il dédommagea les deux tribus de ce qui leur avait été enlevé, et l’assemblée se sépara très satisfaite.
Cette affaire ainsi heureusement terminée, il restait à en traiter une autre, qui n’était ni moins importante, ni moins délicate. Les Iroquois et les Outaouais recommençaient à faire des courses les uns sur les autres, et il y avait à craindre que ces étincelles ne produisissent un embrasement général. M. de Courcelles, qui l’avait toujours pris sur un ton fort haut avec les sauvages, et qui les avait par là accoutumés à le respecter, fit déclarer aux deux partis qu’il ne souffrirait pas qu’ils troublassent plus longtems la paix des nations, et qu’il punirait sévèrement ceux qui refuseraient de s’accommoder à des conditions raisonnables: qu’ainsi les uns et les autres eussent à lui envoyer des députés; qu’il écouterait leurs griefs, et qu’il ferait justice à tous.
Il fut obéi: les chefs de toutes les tribus se rendirent à Québec: ceux qui se croyaient offensés firent leurs plaintes; et grâce à la prudence de Garakonthié, qui était venu de la part de son canton, et à la fermeté du gouverneur-général, l’accord fut conclu à la satisfaction de tout le monde.
Garakonthié choisit cette occasion solennelle pour se déclarer chrétien. Il avait été instruit par les missionnaires: il reçut le baptême de la main de l’évêque de Québec, et eut pour parrain le gouverneur-général, et pour marraine mademoiselle de Bouteroue, fille de l’intendant ad interim. “On n’omit rien, dit Charlevoix, pour rendre cette action célèbre; tous les députés des nations y assistèrent, et furent ensuite régalés avec profusion.”
Tandis que M. de Courcelles maintenait ainsi la bonne intelligence entre les Français et les sauvages, et faisait règner la paix parmi ces derniers, la petite-vérole ravageait le nord du Canada, et achevait de dépeupler presque entièrement ces vastes contrées. Les Attikamègues disparurent: Tadoussac, où jusque là on avait vu jusqu’à 1200 sauvages réunis, au temps de la traite, commença d’être presqu’entièrement abandonné, aussi bien que les Trois-Rivières, d’où les Algonquins se retirèrent au Cap de la Magdeleine. Il y eut pourtant cette différence entre ces deux postes, que les Français se maintinrent dans le dernier; au lieu que le premier, où ils n’avaient aucun établissement fixe, demeura désert. Quelques années après, la même maladie détruisit entièrement la bourgade de Sylleri. Quinze cents sauvages en furent attaqués, et pas un seul n’en guérit.
Vers le même temps, le P. Chaumonot rassembla tout ce qu’il y avait de Hurons dans les environs de Québec, à deux lieues de la ville, et donna ainsi commencement à la mission de Lorette.
Quelques peines que se donnât le gouverneur-général pour maintenir en paix les différentes nations sauvages du Canada, il ne put empêcher que les Tsonnonthouans, les plus éloignés de tous les Iroquois des habitations françaises, n’attaquassent les Pouteouatamis, au moment où l’on s’y attendait le moins. M. de Courcelles leur fit dire qu’il trouvait fort mauvais, que malgré ses ordres, et contre la parole qu’ils lui avaient donnée, ils eussent ôsé attaquer un peuple pacifique, et qui se reposait sur la foi des traités; qu’il ne souffrirait pas qu’ils troublassent une paix qu’ils devaient respecter comme son ouvrage et le leur; qu’il voulait qu’ils lui remissent les prisonniers qu’ils avaient faits sur les Pouteouatamis, et que s’ils refusaient de les lui envoyer sains et saufs, il irait les leur arracher des mains, et traiterait leur canton comme il avait fait celui d’Agnier.
Les Tsonnonthouans répondirent fièrement à une sommation si fière. “Quoi donc, dirent ils; est-ce que nous n’aurons plus le droit de venger nos injures, parce que des missionnaires ont bien voulu s’établir parmi nous? est-ce que nous ne pourrons plus ni lever, ni poser notre hache, parce qu’il a plu à Ononthio de bâtir quelques cabannes dans notre pays? Est-ce que pour avoir fait la paix avec lui, nous sommes devenus ses vassaux? Non; nous verserons, s’il est nécessaire, jusqu’à la dernière goutte de notre sang, pour défendre notre liberté et notre indépendance; et si les Français ont de la mémoire, ils se rappelleront que nous leur avons fait sentir, plus d’une fois, que nous ne sommes ni des alliés qu’on doive traiter avec tant de hauteur, ni des ennemis qu’on puisse mépriser impunément.”
Cependant quelque irrités que fussent les Tsonnonthouans du ton de hauteur de M. de Courcelles à leur égard, comme ils redoutaient les suites d’une rupture à laquelle ils n’étaient pas préparés, ils tinrent conseil pour délibérer sur le parti qu’ils avaient à prendre; et le résultat fut qu’on enverrait au gouverneur huit prisonniers, de trente-cinq qu’on avait faits. M. de Courcelles qui, de son côté, n’était pas trop en état de mettre ses menaces à exécution, crut, ou fit semblant de croire, qu’il n’y en avait pas davantage. Il les reçut des mains du grand chef des Goyogouins, dont Charlevoix ne nous donne pas le nom, mais qui était, suivant cet historien, le plus illustre Iroquois des cinq cantons, après Garakonthié. Ce chef se déclara chrétien, comme avait fait ce dernier: il voulut être, comme lui, baptisé par l’évêque, et fut tenu sur les fonts par M. Talon, qui fit en son nom, un grand festin à tous les sauvages chrétiens qui se trouvèrent à Québec, à Lorette et à Sylleri.
À-peu-près dans le même temps, un nombre d’Agniers chrétiens étant sortis de leur pays pour venir se fixer dans la colonie française, on les établit à la Prairie de la Magdeleine, où ils formèrent une peuplade qui fut dans la suite transportée au lieu appellé présentement le Sault St. Louis ou Cochnawaga.
Cependant M. Talon crut devoir profiter de la paix dont jouissait la colonie, et des bonnes dispositions de toutes les tribus sauvages à l’égard des Français, pour établir les droits de la couronne de France dans les quartiers les plus reculés du Canada. Il s’en était ouvert par lettre à M. de Courcelles, lorsqu’il était encore en France; et peu après qu’il fut débarqué à Québec, ils convinrent d’envoyer dans le nord un homme connu et estimé des sauvages, afin des les engager à se trouver par députés en un lieu désigné, où l’on pût traiter avec eux. Le choix tomba sur un voyageur nommé Nicholas Perrot, homme d’esprit, et assez instruit, qui contraint par la nécessité de se mettre au service des jésuites, avait eu occasion de traiter avec la plupart des peuples sauvages du Canada, s’était fait estimer d’eux, et était parvenu à se rendre presque maître de leurs esprits. Il partit muni des instructions nécessaires, et ayant visité toutes les tribus du nord avec lesquelles la colonie avait des relations de commerce, il les invita à se trouver, le printems suivant, au Sault Ste. Marie, où le grand Ononthio (le roi de France,) leur enverrait un de ses capitaines, pour leur déclarer ses volontés. Elles promirent toutes d’y envoyer des députés.
Perrot passa ensuite aux quartiers de l’ouest, puis rebattit au sud, et alla jusqu’à Chicagou, au fond du lac Michigan, où étaient alors les Miamis. Le chef de cette tribu, qui se nommait Tetinchoua, était un des plus puissants, et le plus absolu des chefs du Canada. Il pouvait mettre sur pied quatre à cinq mille combattans, et ne marchait jamais qu’accompagné d’une garde de quarante soldats, qui faisaient aussi, jour et nuit, sentinelle autour de sa cabanne, quand il y était. Ce chef communiquait rarement en personne avec ses sujets, mais se contentait de leur faire intimer ses ordres par ses officiers.
Tetinchoua, instruit de l’arrivée d’un envoyé du général des Français, voulut lui faire une réception qui lui donnât une haute idée de sa puissance. Il fit marcher un détachement pour aller au-devant de lui, et ordonna qu’on le reçût en guerrier; ce qui consista en des évolutions et un combat simulé, entre les Miamis et les Pouteouatamis dont Perrot était accompagné.
Après que ce député eut séjourné quelque tems chez les Miamis, et traité avec leur chef, il retourna au Sault Ste. Marie. Au mois de Mai 1671, M. de St. Lusson, subdélégué de l’intendant de la Nouvelle-France, se rendit au même endroit, où il trouva les députés de toutes les tribus que Perrot avait visitées. La cérémonie commença par un discours que le P. Allouez fit en algonquin, et dans lequel, après avoir donné à tous ces sauvages une grande idée de la puissance du roi de France, il tâcha de leur persuader que le plus grand bonheur qui pût leur arriver était de reconnaître ce monarque pour leur grand chef, et de mériter sa protection.—Ensuite, M. de St. Lusson fit demander aux députés s’ils consentaient à ce qui venait d’être proposé. Leur réponse étant telle qu’il la désirait, il fit creuser deux trous en terre, et fit planter dans l’un un grand poteau de cèdre, et dans l’autre une croix de même bois, pendant qu’on chantait le Vexilla regis. Ensuite on attacha à la croix et au poteau les armes du roi, puis on entonna le pseaume Exaudiat. M. de St. Lusson finit par déclarer qu’il mettait tous ces pays en la main du roi, et les habitans sous sa protection. Les députés s’écrièrent qu’ils ne voulaient plus avoir d’autre père que le grand Ononthio des Français. On leur fit des caresses et des promesses: on chanta le Te Deum, qui fut précédé et suivi de plusieurs décharges de mousqueterie, et un festin termina le congrès.
(A continuer.)
Les amateurs de l’histoire naturelle verront, sans doute, avec plaisir, le morceau suivant, traduit du Connecticut Mirror, imprimé à Hartford. Il sort de la plume de Mr. Frederick Hall, A. M. Professeur de Mathématiques, de Physique, de Chimie et de Minéralogie, attaché au collège de Washington, à Hartford, dans l’état de Connecticut. Ce monsieur a voyagé en Europe, où il a séjourné plusieurs années, pour se perfectionner dans les sciences. Il est un des collaborateurs du célèbre Journal des Arts du professeur Silliman, connu de tous les savans; et on lui doit plusieurs ouvrages et traités très intéressants, qui lui ont attiré une réputation méritée. Il a aussi voyagé plusieurs fois en Canada, et est bien connu à Montréal, où il a de nombreux amis. Son systême sur la formation des Iles de Corail, une des grandes merveilles de la nature, nous a paru nouveau, et aussi ingénieux que plausible. Son style a le mérite de la précision et de la clarté, et nous prendrons la liberté de lui offrir le tribut que lui a rendu le journal d’où nous empruntons ce morceau, en ajoutant que “l’écrivain connaissait non seulement ce qu’il décrivait, mais encore la manière dont il le devait décrire.” Voici comme s’exprime Mr. Hall:
Kotzebue, dans la relation de son voyage de découverte, entre les années 1815 et 1818, nous informe qu’il rencontra une chaîne d’îles s’étendant depuis le 6e. degré de latitude N. jusqu’au 12e.; et depuis le 187e. degré de longitude O. jusqu’au 193e.; et consistant chacune en récifs circulaires de rochers de corail, d’où s’élève, à des distances irrégulières, une multitude d’îlets plats, couverts d’arbres à pain, de pandanus et de cocotiers.
Ce voyageur entreprenant confirme l’avancé souvent fait par d’autres navigateurs, qu’il existe une zone traversant en longueur toute la mer pacifique, et s’étendant en largeur, depuis le 30e. degré de latitude N. jusqu’au même parallèle au sud de la ligne, laquelle se remplit partout de formations de corail.
Des îles de corail, dit Macculloch, sont répandues dans tout le grand Océan pacifique: elles rendent dangereuse la navigation de l’Archipel indien, et par leur accroissement journalier, ruinent celle de la Mer rouge.
Les opérations paisibles et presque inapperçues des plus petits insectes de la création, dit un autre écrivain, jettent, chaque jour, les fondations de nouveaux pays.
Les manufacturiers de corail sont activement employés à élever le fond de la mer, à travers la longue distance de plusieurs milliers de milles, entre la Nouvelle-Hollande et la côte occidentale de l’Amérique; et il ne serait pas surprenant de voir, dans le cours de 4 ou 500 ans, cette immense étendue d’océan, devenue un terrain sec, et habitée par des tribus d’êtres raisonnables.
Entre la Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Hollande et la Nouvelle-Calédonie, il y a des bancs de corail nombreux et étendus. Ils existent, et sont dans un état d’accroissement rapide, dans l’archipel indien, et aussi le long de la côte orientale du golfe de la Floride.
L’Ile de Tongatabou, décrite par le capitaine Cook, est de figure ovale, a 20 lieues de circuit, est élevée d’environ 10 pieds au-dessus de la surface de l’océan, et a environ 100 brasses d’eau tout à l’entour; et cependant cette masse énorme est entièrement composée de pierre calcaire organique, ou d’origine de corail.—Flinders fait mention d’une masse plus grande encore: elle est sur la côte orientale de la Nouvelle-Hollande, et s’étend, avec de très légères interruptions, l’espace de 1000 milles, ou plus, en longueur, et de 20 à 50 milles en largeur. Quel immense édifice pour une race d’aussi petits architectes!
La profondeur des eaux qui entourrent plusieurs de ces montagnes situées sous mer, n’a pu encore être connue, quoiqu’on y ait souvent jetté la sonde jusqu’à la profondeur de 200 brasses.—Ces bancs, ou îles, s’élèvent quelquefois en longues lignes droites; quelquefois en groupes accumulés. C’est un fait très curieux, qui a attiré l’attention de plusieurs navigateurs, que quand une nouvelle formation est disposée en lignes droites ou courbes, le côté de la structure sous-marine le plus exposé au vent et au battement des vagues, s’élève presque verticalement, en forme de parapet; tandis que de l’autre côté, elle penche graduellement, et forme un plan incliné, qui touche, par un bout, la surface de l’eau, et par l’autre, le fond de la mer. L’uniformité qu’on a observée avec étonnement dans la formation de ces structures de corail, tant dans l’océan indien que dans d’autres parties du “profond abîme,” prouve que l’effet ne peut-être attribué au hazard, mais qu’il est incontestablement le fruit de l’instinct. Ces bancs obliques ont été fatals à un grand nombre de vaisseaux, qui, sans s’y attendre, y ont touché, et s’y sont perdus.
Quand les groupes sont circulaires, on voit d’abord paraître un certain nombre de rocs détachés et de petites îles, qui s’unissent avec le temps. L’eau, à l’extérieur, est profonde, et les murs sont perpendiculaires. Ces murs forment un bassin rempli d’eau salée, qui devient plus profond à mesure qu’on approche du centre. Dans l’intérieur du bassin, les petits animaux sont encore occupés à travailler; tandis que dans la partie extérieure du périmètre, ou contour, ceux qui ont avancé leur ouvrage jusqu’à la plus grande hauteur possible,—la surface de l’eau,—sont déjà morts, et embaumés dans leurs propres cellules. A mesure que le fond du bassin s’élève graduellement, et atteint enfin le niveau du périmètre, ces petits travailleurs persévérants périssent tous, les uns après les autres; car ils ne sont pas capables de continuer leurs opérations un pouce au-dessus de l’océan.
Mais, va-t-on demander, comment cette masse organique qui, à marée haute, est entièrement submergée, peut-elle jamais devenir une île visible? On trouve que l’île commence à se former, à l’extérieur du mur perpendiculaire, du coté opposé au vent. Les eaux venant constamment y battre, transportent et déposent à son côté, de grandes quantités de sable, des coquillages et des fragmens de roc de corail. Après un certain laps de temps, ce mur vertical se transforme en un plan incliné, aux plus hautes parties duquel sont jettés des coquillages, des substances marines décomposées, qui bientôt deviennent un terreau végétal, et les semences des plantes, produit des régions étrangères, transportées là sur le sein des puissantes vagues, particulièrement les semences du pandanus, de la cerbera, et de l’hernanda, prennent racine, et d’abord croissent sur les bords de la formation de corail exposés au vent, puis gagnent l’extrémité opposée, et bientôt tapissent toute sa surface. Les substances végétales produites d’abord se décomposent, font place à d’autres qui, à leur tour, se changent en nourriture, pour alimenter d’autres générations.
Par cette opération, la surface s’élève lentement; elle n’est d’abord habitée que par les oiseaux aquatiques et autres; mais à la fin, elle est découverte, reclamée et possédée par l’homme. De cette manière, ou d’une manière à-peu-près semblable, se sont sans doute formées toutes les îles de corail qui existent dans les océans et les mers, et dont les surfaces sont basses et horisontales. Si j’en avais le temps, je pourrais compter, dans l’océan pacifique, plus de 30 îles qui doivent leur existence à cette cause.
Mais, demandera-t-on, comment rendrez-vous compte de l’élévation de l’île de Tongatabou, qui est de dix pieds au-dessus de la surface des eaux, ou du sommet conique d’Ioua, ou des montagnes d’Ohèhy, îles qu’on croit être formées de bancs de corail? Nous demanderons la permission d’introduire ici un nouvel agent, la force volcanique. Mais, demandera-t-on encore, comment savez-vous que c’est la force volcanique qui a produit ces élévations? C’est une conséquence des faits suivants, qui sont bien avérés.—Il y a maintenant des volcans en activité sur plusieurs des îles de corail; et l’on trouve sur plusieurs autres de ces îles des traces évidentes de volcans éteints. Il n’y a pas de volcans dans l’île d’Ioua, mais on y trouve des preuves manifestes de leur existence antérieure. Le capitaine Cook a trouvé dans cette île des rochers de corail, à la hauteur de 300 pieds au-dessus du niveau de la mer: il croyait que leur existence à une telle élévation était le résultat d’opérations volcaniques. La montagne conique est sans contredit formée de couches de lave produites à différentes époques par l’éruption de fournaises souterraines. Le cratère de ce réservoir embrasé a occupé le sommet de la montagne, jusqu’à ce que son énergie se soit éteinte, ou ait pris une nouvelle direction.
Sur l’île de Toufoua, à 70 milles de Tongatabou, il y a un volcan toujours en feu. Les îles des Amis sont au nombre de 150; et il y en a 35 d’élevées, et qui doivent très probablement leur élévation à des éruptions souterraines. De ce nombre sont Otahity, Bolabola et Eimio.
Kotzebue nous dit qu’Eap, un peu à l’ouest des Iles Carolines, est un vaste théâtre d’opérations volcaniques; que les tremblemens de terre y sont fréquents, et que quand ils arrivent, tous les récifs de corail du voisinage en sont ébranlés.
Les rochers de corail abondent dans l’île d’Ohèhy. Celui où fut tué le capitaine Cook, en 1779, est évidemment un ancien corail, un peu terni par l’action de l’atmosphère, ou par le feu volcanique. Un fragment, qui en a été détaché récemment par les missionnaires, m’a été envoyé par mon ami, le révérend Mr. Bingham. Je suis informé par une lettre de ce monsieur, que des volcans déchargent souvent leur contenu liquide sur quelque partie de l’île. Il m’a envoyé un échantillon de la lave de l’éruption de 1820. Le Mouna Kaah, ou Mont Kaah,[1] qui s’élève en trois prodigieuses pyramides, de beaucoup supérieures à celles d’Egypte, jusqu’à la hauteur probable de 18,400 pieds au-dessus du niveau de l’océan, n’est, à ce qu’on croit, qu’une masse immense de lave ou de corail fondu. “La côte du district de Kaou, à Ohèhy, dit un nouvelliste, offre un aspect d’une nature effroyable, tout le pays paraissant avoir subi un changement total, par l’effet de quelque convultion terrible. La terre est partout couverte de charbon, et intersectée de rayes noires, qui semblent marquer le cours de la lave qui coula, il n’y pas un grand nombre de siècles, depuis les montagnes jusqu’aux rivages.”
D’après ces faits, on peut raisonnablement conclure, qu’il existe dans la Polynésie une puissance sous-marine capable d’élever les bancs de corail à la hauteur où on les voit, et d’y produire des montagnes de la grandeur de celles qu’on y trouve aujourd’hui; et quelle objection solide peut-on opposer à la supposition que cette puissance a réellement produit ces effets?
Que ces îles aient été lancées du fond de l’océan, par la force du feu souterrain, c’est ce que nous apprend le témoignage de l’histoire et des hommes de la présente génération. Pline dit que, dans le siècle où il vivait, trois îles de la Mer Egée, Thérasie, Automatic et Thia, furent poussées du fond de la mer, (ab solo oceani,) où auparavant il n’y avait pas de terre. Une éruption sous mer, en 1767, fit naître une nouvelle île dans les échelles du Levant. Cette île s’éleva lentement; mais dans l’année qui s’écoula depuis l’époque de sa naissance marine, elle parvint à une circonférence de cinq milles, et à une hauteur de 40 pieds. Dans le siècle présent, l’île de Sabrina, échappant au trident de Neptune, éleva la tête au-dessus des plaints azurées, dans le voisinage des Açores, et après avoir gardé son poste pendant quelque temps, laissa échapper son cable, et se remit en mer “pour un voyage sans retour.” Cette île était entièrement composée de pierre ponce volcanique, qui n’avait pas assez de solidité pour résister à l’impétuosité des vagues.
On pourrait rassembler une foule d’autres faits, qui parlent le même langage, et qui affirment que beaucoup d’îles dans différentes parties de l’océan, et particulièrement les îles de corail de la mer pacifique, ont été produites par une race d’animaux très petits, et que ces îles doivent à la force volcanique leur situation, et leurs formes actuelles.
A l’appui du systême de Mr. Hall, nous ajouterons les observations suivantes, traduites du National Journal de Washington, du 30 Décembre dernier.
“On pense qu’il y a présentement sur la terre plus de 170 volcans en activité; et l’on a lieu de croire qu’il y en a au moins autant, et peut-être plus, sous la mer. Le capitaine King, dans son dernier voyage aux terres australes, rangea, l’espace de 700 milles, une chaîne de récifs de corail, interrompue seulement par quelques intervalles, n’excédant pas 30 milles. Ces récifs s’étendent de la côte N. E. de l’Australasie vers la Nouvelle-Guinée, et surpasse de beaucoup en longueur toutes les chaînes de montagnes secondaires de l’Europe. On a trouvé qu’il existe dans l’Australasie (ou plutôt dans cette partie de l’Australasie appellée Notasie ou Nouvelle-Hollande,) un roc calcaire sablonneux, dans une étendue d’au moins 25 degrés en latitude, et autant en longitude, sur les côtes du sud, de l’ouest et du nord-ouest.”
Puisqu’il s’agit de la Notasie, il n’est peut-être pas hors de propos de remarquer qu’on a découvert, depuis peu, dans ce continent, un grand fleuve, et une chûte ou cataracte, qui surpasse de beaucoup en hauteur celle de Niagara. Si nous nous en rappellons bien, cette hauteur est de 17 à 1,800 pieds. Nous n’en avons encore vu nulle part une description détaillée.
Extrait des “Observations d’un Catholique sur l’Histoire du Canada, par l’honorable William Smith,” publiées originairement dans la Gazette de Quebec du 11 Janvier dernier, ensuite dans le Spectateur Canadien, puis en un pamphlet de 15 pages in-12, à vendre, à Montréal, chez MM. E. R. Fabre & Cie.
“Quiconque a suivi d’un œil attentif les évènemens qui se sont succédés en ce pays, depuis sa conquête, est pleinement convaincu des efforts combinés et constants de la prévention et de la malveillance, pour dénigrer les Canadiens, déprimer leurs institutions, et jetter un nuage sur leur religion. D’abord, et assez long-temps, leurs traits ont été aiguisés et lancés à la faveur des ténèbres; ensuite elles ont ôsé, mais par degrés, et avec certains ménagemens proportionnés aux différentes époques, découvrir leurs batteries cachées; et voilà qu’elles ont fini par jeter tous les masques, pour se montrer sous leurs formes les plus hideuses.
“L’homme sage et réfléchi contemple, avec pitié, les anecdotes indécentes et mensongères, lancées périodiquement contre nous dans certaines feuilles vénales; il lit de sang-froid les assertions absurdes de quelques journaux, dirigés par des individus obscurs; et il s’égaye parfois aux dépens de ces étrangers voyageurs, qui ne visitent de notre Canada qu’une partie du fleuve et nos deux villes principales, et qui dans leurs descriptions, comme dans leurs routes, se suivent moutonnièrement. Mais lorsqu’il voit se ranger sous les drapeaux de nos ennemis, des citoyens respectables, dont quelques-uns vivent au milieu nous depuis près d’un demi-siècle, des hommes qui y tiennent un rang distingué, et qui ont à souhait the loaves and fishes, c’est alors qu’il rentre sérieusement en lui-même, qu’il se livre aux réflexions accablantes, et que dans sa douleur il s’écrie avec le poëte:
“Si mon âme, en ce moment, est en proie à des émotions profondement senties, elle les doit à cet ouvrage qui voit le jour sous le titre d’Histoire du Canada, etc., et auquel notre concitoyen M. William Smith a eu le rare courage d’attacher son nom. Cette production, si singulièrement informe sous tous les rapports, et si mystérieusement mise au jour après dix années de sommeil, nous annonce sans détour, les souhaits et les intentions de nos ennemis. Elle met en évidence cette vérité, non encore avouée ouvertement, que la conspiration, commencée à la conquête sous les ombres, et qui se poursuit aujourd’hui au grand jour, avec une violence qui ne connaît plus de mesures, tend directement à frapper de déloyauté le peuple canadien, et à anéantir sa religion.
“Je ne puis faire un volume, et je sais qu’un journal ordinaire ne pourrait accueillir le demi quart des réclamations à faire contre cette nouvelle histoire du Canada. Dans cet embarras, j’ôse appeler à l’aide votre feuille, toujours ouverte au malheur et à l’innocence, pour signaler au moins quelques-uns des passages les plus palpablement frappés au coin des passions haineuses. Et pour abréger davantage, je m’attacherai seulement à quelques-unes des inculpations les plus saillantes contre nos maisons religieuses, nos institutions saintes, et les membres de notre clergé; lesquelles inculpations se dirigent naturellement, et suivant l’intention dernière de l’auteur, contre cette religion si vénérée des Canadiens, et si chère à leur cœur.
“L’attaque contre l’abbé Leloutre, (pp. 217-28,) et surtout l’insinuation qu’il concourut au meurtre du nommé Howe, est à la fois indécente et mal fondée. J’ai eu l’avantage d’interroger à ce sujet des hommes d’honneur et dignes de foi; trois missionnaires qui ont vécu assez long-temps au milieu des Acadiens contemporains de cet abbé, et gouvernés civilement par lui. Leur témoignage unanime le donne pour un homme d’honneur, de talens, et de naissance. Il jouissait de la confiance entière de son gouvernement, et de son évêque, dont il tenait des pouvoirs extraordinaires. Et une chose qui surprendra quelqu’un, c’est que c’est cet abbé, dont la fermeté a été travestie par l’auteur en tyrannie, qui interdit et chassa ce mauvais récollet marchand, dont M. Smith a décuplé les vices à la page 246.
“La seule ombre de blâme qui pourrait tomber sur ce très-estimable ecclésiastique, ainsi que sur quelques autres missionnaires de ce que l’on appelait alors l’Acadie, serait d’avoir, par des motifs et religieux et temporels, exhorté les Acadiens à faire le sacrifice de leurs propriétés, plutôt que de prêter le serment d’allégeance au gouvernement britannique. A ces mots, j’entends crier à l’intolérance, à la bigoterie. Mais après tout, cet abbé Leloutre, ces missionnaires n’étaient pas tous des idiots. Une cruelle persécution, ouverte à cette époque, et qui continuait depuis plus de deux siècles, contre les catholiques en Angleterre, ne devait-elle faire aucune impression sur ces missionnaires? Les confiscations de biens, les chaînes, les cachots et l’exil ne devaient-ils pas entrer dans leurs calculs sur le sort futur de ces Acadiens?[2] J’abandonne avec confiance cette question au tribunal du sens-commun; et pour fermer la bouche à certaines gens, toujours imprudens, toujours mal-avisés, je me permets de leur donner cette leçon:—‘Men of glass, throw no stones.’
“Mais voici encore un mauvais prêtre, (note, p. 294,) et qui, à la méchanceté, ajoute la bêtise de tomber mort sur le rivage du fleuve Saint Laurent. Et de quoi?—De rage; non de celle que les médecins dénomment hydrophobie, mais de cette rage qui est synonyme de transport de fureur.—Et à quelle occasion?—A l’apparition de la flotte anglaise! Il faut que ce malheureux pécheur ait été privé de la sépulture des chrétiens: car nord et sud au bas de Québec, ni les régitres mortuaires, ni même la tradition, ne mentionnent ce fait extraordinaire, ni même la sépulture d’aucun ecclésiastique à l’époque désignée. Et j’affirme la chose pour avoir pris moi-même mes informations sur tous les lieux, à l’exception de trois ou quatre, dont je me suis procuré des renseignemens incontestables.
“Mais si ce misérable périt si ignoblement et sans coup férir, il n’en sera pas de même de son confrère du Château-Richer.—Tournez les feuilles, et arrivez à la page 308. Vous y lisez qu’un prêtre se fortifie au Château-Richer, dans une grande maison, avec quatre-vingt de ses paroissiens; que le général Wolfe y envoie un détachement de troupes; qu’une correspondance, dont l’auteur donne mot-à-mot une portion, a lieu entre le prêtre et le chef du détachement; et puis vous y trouvez une description de l’attaque, de la défense et du nombre des morts, parmi lesquels se trouve le prêtre, à qui on leva la chevelure. L’indignation sans doute s’empare de votre âme, à la vue d’un ministre de Dieu qui, contre toutes les règles de ses devoirs, endosse la cuirasse, s’enfonce dans la mêlée, et meurt les armes à la main. Mais qui viendrait tout-à-coup vous dire, la preuve en main, que toute cette histoire est une fable, un conte-bleu; votre indignation, en changeant d’objet, pourrait-elle se contenir dans les bornes ordinaires? Eh! bien, cette histoire est dans toute la force du terme un conte-bleu, tout aussi bleu que ce couvent de moines placé au même lieu par tant d’autres écrivains. Et si vous ne me croyez, le Château-Richer est encore là: plusieurs de ses vieillards, témoins des évènemens d’alors, vivent encore; la tradition est fraîche: interrogez, comme j’ai fait, des hommes intelligens et instruits des faits.
“Si toutefois il faut à l’auteur une victime réelle, prise dans le clergé, je puis lui en abandonner une dont l’imprudence conduisit à un horrible crime, mais qu’il verra sans doute avec regret consigné dans ces feuilles. Un petit détachement de soldats anglais, sous un capitaine fort connu depuis en cette province, débarqua à la côte N. Aussitôt les vieillards avec les femmes et enfans de s’enfoncer dans la forêt. Quelques Canadiens commandés par le capitaine N. et au milieu desquels se tenait le curé du lieu, (armé, dit-on, et par conséquent très-repréhensible,) furent surpris et mis en déroute. Le malheureux curé, atteint de trois balles et fait prisonnier, fut, contre le droit des gens, contre les lois de l’honneur et celles de l’humanité, massacré, in cold blood, et avec des circonstances si barbares, que ma plume se refuse à les retracer.[3] Se peut-il que le fait que je décris ici, ait donné lieu à la fable du Château-Richer? Il est hors de toute vraisemblance que l’auteur eût si mal choisi. Quoiqu’il en soit, détournons nos yeux de cette scène d’horreur, dont je tais le nom de l’auteur, par les égards dûs aux membres vivants de sa famille, et voyons des accusations d’un autre genre, qui se trouvent à la page 331.
“Le général Murray, y est-il dit, fit savoir à la supérieure de l’Hôtel Dieu, que c’était en punition de la correspondance qu’elle avait entretenue, pendant tout le cours de l’hiver, avec l’armée française (qui avait hiverné, remarquez-le bien, à Montréal,) qu’il avait donné ordre de détruire le moulin et la maison du Calvaire, (à Saint-Augustin.)
“A ce passage, dont l’auteur ne fournit aucune preuve, j’opposerai avec confiance la communication suivante, reçue d’un monsieur de la plus haute respectabilité, et datée du 30 Octobre 1826:—
“ ‘......Quelques troupes françaises stationnées à l’ancien domaine de Saint-Augustin et ailleurs, s’étant avancées jusqu’à la rivière du Cap-Rouge, y provoquèrent les Anglais. Ceux-ci les mirent en fuite, et les poursuivirent jusqu’au Calvaire. Après avoir tué une jeune fille dans la maison du domaine, où elle était restée seule avec son père, ils descendirent sur le rivage, et y mirent le feu au moulin, qui fut réduit en cendres.......’
“Mais je suis presque scandalisé des efforts que fait l’auteur ici et ailleurs, pour flétrir un nom cher aux armes britanniques. Supposez le fait de la correspondance vrai dans toutes ses circonstances; est-il croyable que le général Murray, placé si haut, ait pu oublier toutes les convenances au point de se venger si lâchement de pauvres filles, vu surtout que cette punition n’était plus un remède au mal? M. Smith cherche à me persuader que le général est en défaut; et comment s’y prend-il? Par le langage, je ne dis pas indécent, mais brutal, qu’il lui met à la bouche, à l’occasion de Madame Saint-Claude, supérieure de l’Hôpital-Général de Québec. Cette dame était d’une naissance distinguée (De Ramsay,) et d’une éducation fort soignée; elle mérita d’être élue deux fois à la supériorité de sa maison: aussi les personnes qui l’ont connue, et qui ont vécu avec elle, ne savent si elles doivent plus s’indigner du procédé déshonorant du général, si le fait est vrai, que de la singulière inadvertance de l’historien, qui reproche à cette dame précisément la chose qui devait le plus tourner à sa gloire. Et quel est ce reproche?—D’avoir, étant encore sous la puissance française, (remarquez bien ceci,) encouragé les Canadiens à la résistance, c’est-à-dire, à leur devoir. Quelle nouvelle espèce de crime!
“Mais comme si ce n’était pas assez d’avoir exposé, dans tout son jour, la brutalité du général envers le sexe,[4] l’auteur fournit, à la page 352, un morceau qui seul suffirait pour vouer à une exécration éternelle le nom de ce premier gouverneur du Canada après la conquête. Vous vous étonnez peut-être, de mes expressions; mais voyons. Le général (page 352,) après avoir harangué les habitans de Sainte-Croix et Lotbinière, qui venaient de mettre bas les armes, se tourna, dit le texte, vers un prêtre, et ajouta:—
“ ‘Le clergé est la cause de tous les malheurs qui sont arrivés aux pauvres Canadiens, qu’ils retiennent dans l’ignorance; qu’ils excitent à la méchanceté (wickedness) et à leur propre perte...... Prêchez l’Evangile, qui est votre seule affaire......et n’ayez pas la témérité......de vous mêler de la guerre.’
“Ici l’indignation cède à un autre sentiment, celui du plus profond mépris pour l’auteur d’un jargon si pitoyable. Mais j’ai à regretter en même temps de découvrir ici, sous le voile du langage d’autrui, les sentimens bien marqués de l’historien du Canada pour notre clergé, lesquels se manifestent en tant d’autres endroits de son ouvrage. Faire un crime aux membres du clergé de leur loyauté, et de leur dévouement à leur prince et à leur patrie; les blâmer de leurs efforts constans pour encourager les soldats de la nation à rendre à César ce qui est à César, est un langage qui, à mon gré, n’est guère en harmonie avec cet Evangile qu’on leur recommande tant de prêcher.
“En parcourant la page 356, je jette en passant un regard de pitié, mêlé de mépris, sur l’horrible qualification de révérend Judas, que l’auteur applique à un prêtre,[5] de son aveu même innocent, puisque les armées ennemies étaient en guerre ouverte, et que ce prêtre n’était ni prisonnier, ni sur sa parole d’honneur, &c.; et je m’empresse (contre ma promesse, je l’avoue,) de me rendre à la page 373, pour me distraire un moment par un nouveau conte-bleu.
“Une ville de 200 maisons détruite dans la Baie-des-Chaleurs! Cela me rappelle cette église succursale (chapel of ease,) que l’auteur place dans la paroisse de Varennes; ce port de Sainte-Croix à l’embouchure de la rivière Saint-Charles, où il fait hiverner Jacques Cartier, au lieu de la rivière qui porte son nom; cette expression, Saints Sulpitiens, dix fois répétée, au lieu de Sulpiciens; D’Eglis, au lieu de Desgly, l’un de nos respectables évêques, et contemporain de l’auteur; Lotbinière, nom d’une de nos familles distinguées, au lieu de Lavalinière, homme remarquable par son peu de génie, et encore davantage pas ses excentricités; etc. etc.
“En vérité, je serais porté à croire que ce Monsieur Smith a passé sa vie, et écrit son histoire au Cap-Horn, ou dans quelqu’une des régions polaires, s’il en existe; tant il défigure nos usages et notre langue; tant il ignore la géographie de notre pays; tant il confond les choses et les personnes, etc.”
Nommé Mona Roah dans le Voyage de Franchère. |
Ces faits étaient pareillement connus dans le Canada; et comment s’étonner qu’ils inspirassent aux Canadiens une nouvelle ardeur pour la défense de leur patrie, accompagnée d’une certaine horreur pour ceux qu’ils regardaient comme les persécuteurs de leur religion? |
J’ai sous les yeux un détail très-circonstancié de cette sanglante tragédie, fourni par un monsieur très-recommandable par ses connaissances, et qui a fort connu les acteurs de part et d’autre. |
Il paraît en effet, par le trait suivant, que M. Smith a raison de donner comme peu délicats sur l’honneur quelques-uns des chefs de l’expédition anglaise. Dans une descente à la Pointe aux-Trembles de Québec, on enleva les sœurs religieuses, avec toutes les jeunes filles du pensionnat, et après les avoir exposées et promenées dans un vaisseau de guerre, (quelle indécence!) on les jeta pêle-mêle sur le rivage du Cap-Rouge! C’est dans cette même descente que furent enlevés plusieurs vieillards, dont on n’a jamais eu depuis ni vent ni nouvelle. |
Un prêtre, dit le texte, alla à bord d’un vaisseau anglais, où il fut bien-traité par lord Rollo. Le lendemain, au moment où ce prêtre souhaitait du rivage un bon voyage au lord, la batterie des Trois-Rivières s’ouvrit contre le vaisseau et y tua du monde; et voilà le crime qui fait de ce prêtre un autre Judas, et qui lui donne place dans l’histoire. |
Abdiel, continue le narrateur, retourne dans les cieux, où il est accueilli par la foule des séraphims, qui le conduisent et le présentent à Dieu. Le Très-haut, après l’avoir loué, donne ordre à Michel d’aller combattre les rebelles. L’alarme est donnée, et déjà l’armée angélique marche au son des instrumens d’une musique guerrière.
......................................Mov’don
In silence their bright legions, to the sound
Of instrumental harmony................
Les deux armées se rencontrent: Satan est sur un char:
The apostate in his sunbright charriot sat.
Abdiel et lui se trouvent vis-à-vis l’un de l’autre: ils se font des menaces, des reproches; ils se disent des injures: enfin Abdiel frappe Satan, qui tombe. Sa chûte met la terreur dans son parti, et la bataille devenant générale, le choc retentit dans les airs.—Michel rencontre Satan, le menace, le frappe, et le blesse grièvement, mais non mortellement. Enfin les généraux de l’armée céleste redoublent d’efforts, et mettent la victoire de leur côté.—Pendant la nuit, Satan assemble son conseil de guerre. Après les avis proposés, il déclare qu’il a trouvé un secret meurtrier contre ses ennemis, l’art de fabriquer et d’employer la poudre à canon. Alors tous se lèvent, et s’en vont concourir à sa manufacture. La nuit s’est à peine passée, qu’ils ont fabriqué une grande quantité de poudre; et dès l’aube du jour, ils retournent à la charge. Zophiel les apperçoit le premier, crie aux armes, et les anges, rangés à l’instant en bataille, attendent de pied ferme les assaillants. Mais, ô terreur imprévue! la mitraille est déchargée sur eux: ces fidèles serviteurs de Dieu se sentent les entrailles déchirées par la grêle meurtrière, et cela les fait plier; en vain veulent-ils laisser passage aux boulets; tout est inutile. Ils sont obligés de s’envoler sur les monts célestes; ils prennent des quartiers de rochers, les lancent de là sur les révoltés, qui en sont foudroyés, et regagnent par là leur supériorité. Alors pendant le combat, Dieu parle à son fils: il lui fait remarquer la désobéissance criminelle de Satan, l’envoie au secours des anges, et l’arme, par provision, de ses propres flèches, de sa propre épée et de son propre tonnerre, comme dit le poëte:
........................Bring forth all my war,
My bow and thunder, my almighty arms,
Gird on, and sword upon thy puissant thigh.
Le Verbe, plein d’obéissance, s’apprête à partir. Il monte dans le char de son père, et il fend les airs pour se rendre au champ de bataille. En arrivant, il engage ses cohortes à se reposer, dans un discours qu’il leur fait, et leur annonce qu’il va aller seul asservir les rebelles. A l’instant il part; il arrive sur eux; il les perce de mille dards. Enfin il les conduit jusqu’au bord de l’enfer; et là, les pressant encore plus, ils tombent et s’abîment dans la profondeur des gouffres. Alors l’heureux vainqueur revient triomphant; il entre dans le ciel, au milieu des hymnes et des chants célestes; il s’approche du trône de son père, et lui remet les armes qu’il lui a prêtées. Raphaël finit son récit, en exhortant Adam à profiter de l’exemple terrible des vengeances divines; et lui conseille de toujours respecter Dieu, en soutenant la faiblesse de sa femme.
Au commencement de ce livre, est une invocation à Uranie, de la glus grande beauté, et dans laquelle, pour relever la grandeur de son sujet, il en fait un parallèle avec la fable: elle finit par ces beaux vers:
............So fail not thou who thee implores,
For thou art heavenly, she an empty dream.
Adam, après le récit de Raphaël, médite sur ce qu’il vient d’entendre; il cherche à découvrir la cause de la révolte des anges factieux; et sa curiosité augmentant, il est comparé à un voyageur qui vient de loin, et qui s’arrêtant auprès d’un ruisseau, le regarde couler: il prie l’ange de l’instruire des causes de la création du monde. L’ange y consent, et lui raconte qu’aussitôt que Satan est englouti dans le gouffre infernal, Dieu annonce à son fils qu’il va créer l’homme, conjointement avec lui. Les hiérarchies célestes applaudissent et chantent un cantique de louange. Cependant l’Eternel part, et avec le compas d’or qu’il a tiré de son magazin, il trace les limites du monde.
He took the golden compasses, prepar’d
In Gods eternal store, to circumscribe
This universe, and all created things.
Et la terre et les cieux sont à l’instant créés; à la voix du Tout-puissant, le chaos se débrouille, et les élémens se séparent l’un de l’autre: il commande à la lumière d’être, et à l’instant, la lumière est. Le firmament, les mers et la terre sont perfectionnés. Les animaux commencent leur existence. Enfin l’Eternel couronne son ouvrage par la création de l’homme, qui complète la nature, et qui donne un nom à tous les animaux. Il est créé heureux, libre de tout faire, excepté de manger du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, sous peine de mort. Dieu retourne dans le ciel. A son entrée, les cieux retentissent de chants d’allégresse et de cris de joie. Le poëte nous apprend que la porte du ciel est à deux battans, et qu’elle aboutit à un chemin sablé d’or et pavé en étoiles. L’architecte suprême consacre le septième jour à son repos; les anges passent toute cette journée en concerts. Les orgues se font entendre dans le lointain; les voix séraphiques se mariant aux sons mélodieux des instrumens. Un hymne d’action de grâces est chanté. L’ange finit sa narration, en donnant à espérer au premier homme que cette histoire de la création parviendra, par translation, à sa postérité la plus reculée.
Adam écoute encore l’ange, qui a cessé de parler. Enfin revenu à lui, il fait les plus vifs remercimens au narrateur. Il se livre à de profondes réflexions sur lui-même, sur la terre, les globes, enfin sur tout ce qui l’environne. Eve, qui n’entend rien à ces entretiens sublimes, s’en va dans son jardin; elle ne veut s’éclaircir sur les propos de l’ange qu’avec son époux. Raphaël, à la prière d’Adam, lui fait une longue description astronomique du mouvement des cieux, et l’exhorte à ne pas désirer d’en savoir plus long. Adam, docile à la voix de l’ange, reprime sa curiosité, et lui parle de sa reconnaissance pour Dieu, et de ses devoirs. Raphaël lui répond que Dieu l’a comblé de tous ses dons: il lui dit aussi que lors de sa création, il avait été explorer, avec une puissante escorte, l’endroit où Satan était enfermé; car on craignait que les prisonniers ne forçassent les barrières qui leur étaient opposées. Il finit en le priant de lui faire part des sentimens qu’il éprouva, lorsqu’il commença d’exister, et de ce qui lui arriva ensuite. Adam le fait d’une manière admirable. C’est là où Milton étincelle du feu d’un génie sublime; c’est là que l’on se sent pénétré d’admiration pour cet homme, qui a pu ainsi imaginer et décrire les sentimens du premier des humains.
Raphaël prend congé de son hôte, en l’exhortant à se méfier de Satan, son plus cruel ennemi. Tandis que le messager céleste se lève pour partir, son hôte lui dit adieu; il le supplie de revenir encore dans sa demeure; et ils se séparent tous deux.
(La suite au numéro prochain.)
C’est par erreur que dans les numéros précédents, nous avons mis C. au lieu de M. |
Kingston, 14 Juin 1814.
[*] Quelle gentille Epître! C’est un bijou, une miniature. Quel style animé! Quelle élégance! Quelles grâces! Je compare, mon charmant ami, votre succulente lettre du 6 à une petite maitresse qui flatte un de ses admirateurs, en se mocquant de lui de la manière la plus délicate: trêve de compliments. Vous écrivez à merveille, et vous auriez donné des leçons aux Sévigné et aux Chesterfield.... “Quel badaud!” allez-vous dire. “Comme il cherche ses mots! Comme il fait le pédant! Fi, fi! C’est un franc Lionnais: il ne sait pas flatter; ou, peut-être, veut-il flatter, pour qu’on le flatte davantage.... Voilà le mot. Quel Gascon! Il a dit ce que nous aurions dit.”
Succulente Lettre!...... Quelle épithète! mais, aussi, quelle jolie table! Ah, ah! nous y voici. L’épithète passe à présent: ce serait inique de la trouver mauvaise; et malgré d’Olivet, Harduin, Brocard, Du Marsais, Restaut, Girard, Douchet, Duclos, Lévizac, Beauzée, Wailly, Desfontaines, Batteux, et tous les autres bavards, braillards, babillards, je la trouve bonne....—“Et quoi?” “Cette épithète de succulente.”—“J’en sue.”—“Quel joli festin! Quel heureux choix de mêts et de convives! Tout est succulent.”—“Mr. le Chevalier!”—“Madame!” et un soupir. Encore—“Madame!” et on sourit. Combien de tendres “Non, Monsieur.”—“Oui, Madame,”—“Oh! oui!”—“Hélas, non!”—“d’honneur!”—“sur ma parole.”—“Foi de Chevalier!” ...Sensible Madame O. quels regards! Quel jeu dans les paupières!—Comme ces lèvres s’humectent, pour conserver leur fraîche rougeur! Quels jolis coups de langue! C’est une fraise qu’on promène sur des feuilles de rose!
Que ne suis-je auprès de vous, aimable Madame R! Que n’y suis-je avec toute l’amabilité de votre voisin du G, ...de cet heureux Chevalier, qui oublie huit mois de captivité, dans le trop court instant qu’il se trouve placé entre l’art d’aimer et l’art de plaire, ou plutôt entre deux dames qui réunissent ces deux arts! Alors, oui alors, je pourrais vous bégayer mes remercimens pour cette santé si finement proposée, et savourée avec tant de grâces. Un nectar couleur d’ambre......un vâse de cristal......des doigts d’ivoire ......une bouche de rose......ce beau bras......ce doux mouvement du coude......Quel joli tableau! Hélas! mon nom méritait-il cette faveur?
Offrez donc à ces aimables convives des deux sexes l’hommage de ma plus tendre affection, et quittons la table pour passer à l’office.
Votre ami,
P. H. C.
A Monsieur J. S. R. à Montréal.
Générosité.—La rareté du bois de chauffage fut si grande, à Montréal, dans l’hiver de 1808, qu’il s’y vendit de 48 à 50 francs, la corde. Un habitant du Sault-au-Récollet en avait amené deux voies sur le marché; il en vendit une deux piastres. Une femme vint bientôt marchander l’autre; on la lui fit douze francs. Elle n’avait qu’une piastre; elle l’offre, en faisant le récit de sa misère. Le bon paysan, ne consultant que son cœur, consent à donner sa voie de bois pour cette modique somme, et il suit la femme. Arrivé à son logis (c’était au faubourg Québec,) il jette le bois à la porte, et entre pour en recevoir le prix. Mais quel spectacle s’offre à ses yeux! Six petits enfants couverts de haillons, et se tenant pressés les uns contre les autres pour se réchauffer!—Une méchante paillasse pour tout meuble!......enfin, l’image de la plus grande pauvreté. Les enfants crient et demandent du pain. La mère, journalière par état, leur dit eu pleurant, “qu’elle n’a pas le sou—qu’elle vient d’employer le peu d’argent qu’elle avait à acheter de quoi leur faire du feu—qu’il faut qu’ils attendent jusqu’au soir, et qu’alors, du salaire de sa journée, elle leur donnera du pain;” en disant cela, elle présente la piastre à l’habitant. Mais celui-ci, qu’un tableau si déchirant avait ému jusqu’aux larmes, ne prend l’argent des mains de cette courageuse femme, que pour le lui remettre aussitôt, en lui disant: “prenez, prenez; je puis me passer facilement d’une piastre et d’une voie de bois, mais je ne saurais voir souffrir ces innocentes créatures. Faites-leur vite du feu, et courez leur acheter de quoi manger”......Et il se hâte de gagner la rue, et de se dérober aux bénédictions de cette famille.
Mr. Marin.—En 1757, Mr. Marin, officier canadien d’un grand mérite, fut envoyé, de Carillon, par Mr. de Montcalm, en parti contre le Fort Lidius. Il n’avait avec lui qu’environ deux cents sauvages. Il eut le courage, néanmoins, d’attaquer, avec un petit camp volant, les retranchemens avancés du fort ennemi, et le bonheur d’en enlever un principal quartier. Les sauvages n’eurent que le tems d’emporter trente-cinq chevelures, de deux cents hommes qu’ils tuèrent, sans que leur victoire fût ensanglantée d’une seule goutte de leur sang, et leur coutât un seul homme. Les Anglais, au nombre trois mille hommes, cherchèrent en vain d’avoir leur revanche, en les poursuivant dans leur retraite; elle fut faite sans la moindre perte.
La femme morte, et bien morte!—Madame P—— vivait à la campagne, et se faisait remarquer par son irréligion: il était extrêmement rare qu’elle assistât au service divin. Enfin elle meurt, et sa famille la fait inhumer dans l’église. Deux voisins se rencontrent:—“As-tu été à l’enterrement de Madame P——, demande l’un d’eux?”—“Comment! a-t-elle été inhumée aujourd’hui?”—“Sans doute.”—“Dis-moi donc en quel endroit.”—“Eh! mais, dans l’église.”—“Dans l’église! Et combien y avait-il d’hommes pour la porter?”—“Mais! quatre, comme à l’ordinaire.”—“Oh bien, elle était donc bien morte, assurément; car, de son vivant, huit hommes ne l’y auraient pas fait entrer.”
Droit de la Guerre.—Le droit de la guerre, si ouvertement reconnu en politique, et qui consiste à faire à son ennemi le plus de mal qu’on peut, exige la reconnaissance de ceux qu’on peut piller ou tuer impunément, quand il s’exerce avec modération. Ceci rappelle l’histoire de ce bon ecclésiastique qui, passant dans les rues de Paris, fut inondé d’eau bouillante par une fenêtre: il s’essuya, se sécha du mieux qu’il put, et regagna sa maison d’un pas chancelant. Arrivé, le visage gonflé et à moitié épilé, sa nièce, sa gouvernante jettaient des cris; elles l’excitaient à la vengeance:—“Mon Dieu! qu’avez-vous fait à ces misérables?”—“Je les ai remerciés.”—“Remerciés! et de quoi?”—“De ce qu’ils n’avaient pas jetté la marmitte; car, au lieu de m’échauder la tête, ils me l’auraient cassée.”—Linguet.
Peuple.—Le peuple est presque toujours à-peu-près comme les vieux garçons riches et infirmes—le jouet de tous ceux qui sont à ses gages.—Id.
Querelles des Souverains.—Dans les querelles des souverains, tous tant que nous sommes de spectateurs, nous ressemblons à des gens qui regarderaient jouer au trictrac, et qui verraient placer les dames, mais à qui l’on cacherait les dez. Le mal est que nous fournissons les enjeux: c’est à nos dépens que s’amusent ceux qui tiennent le cornet.—Id.
Breuvage empoisonné, serpent couvert de fleurs,
Sophiste injurieux, artisan de malice,
Passagère fureur, exemple de tout vice,
Plaisir mêlé d’ennuis, de regrets et de pleurs......
Loue Amour qui voudra, c’est une frénésie
Que les fous ont fait Dieu selon leur fantaisie,
Un mal, une fureur, un fort enchantement
Par ses charmes cruels troublant l’entendement:
Il le faut dire, Amour, tu n’es rien que misère,
Travail, perte de tems, fureur, trouble, souci.......
Jolis vers de Lainez.
Quoi! toujours, Raison trop sévère,
Tu t’opposes à mes désirs;
Tu viens troubler tous mes plaisirs!
Vois-tu cette bougie? Imite sa lumière;
Elle anime nos jeux et ce charmant repas,
Eclaire nos plaisirs et ne les trouble pas.
Un ouvrier de Sommersetshire, en Angleterre, a obtenu une patente pour le moyen qu’il a découvert de remplir un lit d’air, au lieu de plumes. Cette invention consiste à rendre les enveloppes du lit et de l’oreiller impénétrables à l’air, et à les souffler avec de l’air atmosphérique, au lieu de les remplir de laine, de crin, de plumes ou d’édredon (duvet.) On introduit l’air par une ouverture ou tube, qui se ferme à volonté. Ces lits sont plus élastiques, plus frais, et plus sains, que les lits de plumes ou de laine: on peut, à volonté, leur donner la dureté d’un matelas, ou la molesse d’un édredon. Au moyen de pompes, on renouvelle l’air facilement, en quelques minutes, sans qu’on soit obligé de se lever; avantage bien précieux pour des malades, qu’on peut ainsi entourrer d’un air salubre.—Revue Encyclopédique, Mai 1824.
Cette prétendue invention était connue en France depuis plus de cinquante ans, comme le prouve le morceau suivant, extrait du livre intitulé, La Récolte de l’Hermite.
Il m’est tombé sous la main, le mois passé, un des derniers volumes du Mercure de l’ancien format, je ne me rappelle plus lequel. Un religieux bénédictin y dit, qu’après s’être bien creusé l’imagination pour être utile aux hommes, et convaincu qu’il ne pouvait les faire vivre avec plus d’agrémens ou plus d’aisance, il avait au moins imaginé de les faire dormir douillettement et à très peu de frais, en leur indiquant le magazin inépuisable d’une matière gratuite, plus douce que la mère-laine, la ouate, le duvet ou l’édredon. Poursuivons; les plus belles inventions sont les plus simples, témoin celle-ci; puisque nous sommes dans ce magazin, entourrés, pénétrés même de cette matière, et que l’un et l’autre ne sont autre chose que l’atmosphère. Oui, messieurs, il n’est question, selon Dom ****, que de renfermer, à coup de piston, cette matière volage dans des enveloppes de peaux artistement jointes, de la longueur et de la largeur du lit qu’on veut avoir, et de l’y fixer, en bouchant soigneusement les issues par où elle pourrait s’échapper.
Enchanté de cette découverte, je mets aussitôt la main à l’œuvre, et suivant exactement les procédés indiqués, en moins de deux jours, me voilà couché sur un lit à la Sylphide, composé d’un sommier et de trois matelas, ou lits de plume, si l’on veut, d’une espèce assurément nouvelle, avec un traversin et deux oreillers de la même façon. La première nuit, je dors comme un pélerin; j’étais ravi. Je projette d’avoir un meuble de la même nature, fauteuils, ottomane, &c. Le second jour, à mon réveil, je vois que mes deux oreillers et mon traversin se sont évanouis. J’en cherche la cause, et la trouve à mon bonnet: une épingle, en ouvrant à l’air prisonnier une communication avec l’air extérieur, m’avait successivement privé de ces trois supports. Mais ce n’était là que le prélude des désagrémens que cette invention devait me causer.
Le soir, en rentrant chez moi, je me vois accablé de reproches par toute ma maison. Etourdi par tant de clameurs, je me fais instruire de ce qui les cause: voici le fait. Ma servante avait prêté mes oreillers soufflés à un de mes voisins, homme très puissant, et pour le moment très dangereusement malade: on le posa dessus; mais à peine un quart d’heure s’était-il écoulé, que sa pesanteur spécifique fit rompre avec fracas les parois de cette espèce d’outre; ce qui donna une telle secousse aux humeurs du moribond, et en même temps lui causa une si grande frayeur, qu’il en trépassa sur-le-champ.
Je me couche très dégoûté de mon invention, toujours cependant sur mon nouveau lit. Le lendemain, autre aventure; je me trouve sur mon bois de lit immédiatement. Mes quatre matelas avaient disparu, comme avaient fait, la nuit précédente, mes oreillers et mon traversin. Le corps tout meurtri des barres sur lesquelles j’avais dormi, je me lève en maugréant, avec la curiosité pourtant de savoir qui avait fait déloger de leurs corps les âmes aériennes par lesquelles j’avais été si bien soutenu, la veille. Des empreintes de griffes sur les enveloppes pelliculeuses qui me restaient, me firent voir, dans la personne de mon chat, l’auteur de mon infortune. Le bourreau, en s’exerçant sur mon lit, à la manière de ses confrères, m’avait, en quatre temps, mis sur le grabat.
Ces épreuves m’ont suffi, et je suis actuellement convaincu au physique, comme je l’étais au moral, qu’il est dangereux de s’endormir sur du vent.
Du Règne Militaire, pendant les quatre années qui ont suivi la Conquête, (1760-1764;) et de quelques Documents inédits qui ont particulièrement rapport au “Gouvernement de Montréal” durant partie de ce court période de l’Histoire du Canada, (1761-1764.)
Mr. Bibaud;—Permettez-moi de vous féliciter sur l’intérêt croissant qu’acquiert votre Bibliothèque Canadienne, depuis quelques mois; car, sans parler de votre Histoire générale du pays, où les faits sont aussi bien choisis que fidèlement relatés, vous nous y avez donné plusieurs pièces, qui feront conserver soigneusement votre livre, et lui donneront une place permanente dans toutes les bibliothèques canadiennes, et probablement aussi dans celles de nos voisins et ailleurs. C’est surtout de la Saberdache et des Matériaux pour l’histoire que je veux parler. Et pour commencer par la Saberdache, quelle délicatesse dans les pensées, quelle élégance, quel enjoûment dans le style des lettres qu’elle contient! que l’arrangement des faits y est naturel! que la narration en est coulante! que de goût dans les complimens! pouvait-on mieux dire sur des sujets de ce genre! Non, jamais deux amis ne furent plus capables de se rendre justice dans un commerce de lettres; jamais personne ne mania mieux le badinage. Je vous assure, Mr. Bibaud, que sans la certitude de l’histoire, qui m’apprend que Madame de Sévigné est morte depuis plusieurs dixaines de lustres, je me serais livré à l’illusion de la croire venue rendre visite aux parages rustiques de notre Colombie britannique. Au reste, il n’y a pas que cette correspondance qui nous plaise dans la Saberdache; toutes les anecdotes qu’elle contient respirent un air du pays qui doit les rendre chères à tous ses habitans: ce sont autant de traits qui dénotent leur caractère, et peuvent nourrir en eux l’amour de tout ce qui est bon, juste, noble et digne de louanges. C’est en montrant ce qu’ont été nos ancêtres, que l’on peut inspirer à la génération présente, comme à celles qui la suivront, le désir de les imiter dans ce qu’ils ont fait de bien et de remarquable.
Rien ne pouvait venir plus à propos que les Matériaux pour l’histoire du Canada, dans un tems, où, sortis depuis peu de leur condamnable apathie pour les choses de leur pays, les Canadiens semblent vouloir faire oublier leur négligence passée, par la diligence qu’ils apportent maintenant à en rechercher les plus minucieux détails: la publication de l’Ordonnance de Mr. Thomas Gage, précédée des remarques qui lui servent d’introduction, convenait admirablement à la présente conjoncture. J’en dis autant des matériaux, que vous nous donnez au No. 2: tout cela jette des lumières sur l’histoire légale et politique d’une époque, sur laquelle nous nous sommes, je crois, grandement trompés, et que nous semblions avoir condamnée à l’oubli, par cela seul que son titre de “Militaire” paraissait devoir nous rendre peu curieux d’en divulguer les évènemens. Sous ce rapport, nous avons les plus grandes obligations à Mr. S. R.
Quant à moi, Mr. l’Editeur, je n’ai pas le bonheur d’avoir mis la main sur aucun document de l’importance de ceux que s’est procurés votre correspondant S. R.; mais j’ai réfléchi sur ceux qu’il nous a communiqués, et c’est du résultat de mes observations, comparées avec quelques jugemens de cours martiales, tenues à Montréal, dans les années 1761 et 1762, que je veux vous entretenir aujourd’hui; afin de parvenir, s’il est possible, à une conclusion, qui nous apprenne, d’une manière sûre; 1o. quelle était l’étendue des pouvoirs donnés par l’Ordonnance aux Chambres de Justice; 2o. d’après quelles lois et quels principes on y jugeait; 3o. où se portaient les causes qui n’étaient pas de leur compétence.
D’abord, “quelle a été l’étendue des pouvoirs?” &c.—Sur ce chapitre, l’Ordonnance est assez claire; toute action pour dettes, compensation en dommages, exécution de marché, &c., pour un montant quelconque, était assurément du ressort des Chambres de Justice; elles étaient un vrai substitut aux Cours royales, que venait d’interrompre la conquête.—Elles avaient encore une certaine juridiction criminelle; car il est dit à la clause 19e. de l’Ordonnance: Lorsqu’il se trouvera dans quelques paroisses des gens sans aveu, ou des scélérats, ils seront conduits devant la Chambre du District où ils seront pris, laquelle les condamnera, soit au fouet, prison, ou amende, suivant l’exigence du cas. Pour déterminer jusqu’où s’étendait la juridiction comprise dans cette clause, il faudrait voir les régîtres des différentes Chambres de Justice, et y examiner les jugemens qui y sont consignés. Cet examen nous apprendrait, d’une manière rapprochée de la vérité au moins, quels délits se portaient devant les Chambres.
Pour moi je serais très porté à croire qu’elles firent rarement usage de leur juridiction criminelle; et la raison, qui me range de cette opinion, c’est que n’ayant point de prison pour confiner les criminels, soit avant, soit après le jugement, non plus que d’exécuteur public, pour l’application du fouet, quand elle aurait été ordonnée, en conformité de l’Ordonnance, il leur eût été assez inutile de condamner des gens auxquels ils n’avaient pas les moyens d’infliger les punitions méritées. Il est bien plus probable que pour les petits délits, comme pour les grands, les Officiers de milice, seuls ou réunis en Chambre, renvoyaient les coupables aux juridictions de la Ville, où l’on avait toute facilité de mettre les jugemens à exécution. Nous en donnerons quelques preuves, après avoir examiné la seconde question, par laquelle on demande “d’après quelles lois et quels principes on jugeait dans les Chambres de Justice.”
La onzième clause de l’Ordonnance de Mr. Gage, dit: Lorsqu’il conviendra parvenir à quelques ventes par décrets, ou retraits, il faut qu’elles soient faites dans les manières accoutumées; ce qui signifie que l’on devait observer les mêmes formalités et les mêmes précautions, que l’on observait, quand les tribunaux français étaient en opération; n’étant permis d’y dévier que pour certaines choses, énumérées dans les autres sections de l’Ordonnance. Et comme il n’y est point donné de direction sur la manière de procéder dans les poursuites, soit pour un grand, soit pour un petit montant; et qu’il n’y est pas non plus mentionné comment devait s’effectuer la vente des meubles, quand les Chambres l’ordonneraient, on doit en conclure que le Gouverneur ne prétendait faire à l’ordre de choses établi avant la conquête, d’autres changemens que ceux que requerraient les circonstances où se trouvait le pays, privé, comme il l’était, de ses gens de loi, qui étaient pour la plupart repassés en France avec Mr. de Vaudreuil. Il laissa donc subsister les anciennes lois, aussi bien que la procédure; et, de fait, si nous examinons bien sa position, nous trouverons qu’il n’était point en son pouvoir de faire davantage: car de tous les principes qui servent de règle à la conduite des nations civilisées, il n’en est point de plus universellement respecté que celui qui prescrit de laisser à un peuple conquis, ses lois et ses institutions locales, et de se contenter de son allégeance.[1] Si le souverain conquérant se permet d’y faire quelques changemens, ce doit être avec la plus grande réserve, et jamais avant de s’être assuré que ces changemens seraient du goût et pour l’avantage certain de ses nouveaux sujets, dont il ne peut gagner l’estime et la fidélité, qu’en se montrant favorable à leurs préjugés nationaux, quand bien-même il ne les regarderait pas comme tout-à-fait raisonnables. Il doit en agir à cet égard avec lenteur et prudence, et leur laisser leurs lois et leurs coutumes, jusqu’à ce qu’ils soient eux-mêmes convaincus du besoin d’y faire des changemens. Que de flots de sang ont arrosé les plaines de l’Angleterre et de l’Irlande, pour y avoir adhéré à des principes différents de ceux-ci! La première dut son salut à l’énergie de ses habitans, qui contraignirent enfin leurs monarques à s’en départir; la seconde est peut-être pour toujours destinée à languir dans la misère et dans l’anarchie, qu’y entretient la mise en pratique de ces principes, aussi erronés qu’ils sont inhumains, et se ressentent des temps de barbarie où ils ont pris naissance. Dans le cas du Gouvernement de Montréal, Mr. Gage n’avait point l’autorité du roi, pour y introduire de nouvelles lois, et quand il l’eût eue, la mesure n’en eût pas été moins illégale; car le Roi n’ayant point le pouvoir de statuer seul, ne possédant même ce droit qu’en commun et de concert avec les deux Chambres du Parlement, il ne pouvait le transmettre à son Gouverneur. Ce dernier dut donc laisser subsister les anciennes lois; elles seules, en autant au moins qu’elles furent connues des juges, durent former dans les Chambres de Justice la règle des décisions qui s’y rendirent; et s’il fallait une nouvelle preuve, pour nous confirmer dans cette opinion, nous la trouverions dans le choix que l’on fit des Officiers de milice, pour y faire les fonctions de Juges.
En effet, à l’époque dont nous parions, les places de Capitaines et d’Officiers de milice, dans les campagnes du Gouvernement de Montréal au moins, étaient généralement occupées par les Seigneurs et autres personnages notables, qui y faisaient leur résidence; et ces personnes étaient les plus instruites, celles qui avaient le plus de connaissances générales et même légales. Après le départ des gens de loi, on ne put donc mieux faire que de les choisir pour administrer la justice; et d’ailleurs, c’était aussi la classe d’hommes que le vainqueur avait été plus à même d’apprécier; les ayant vus braves militaires, il put leur supposer l’honneur, inséparable de cette profession, et par conséquent l’équité, nécessaire à des juges, et qu’il savait faire le partage ordinaire des cours et des conseils militaires. L’événement prouva qu’il ne s’était point trompé; car les Chambres de Justice donnèrent une satisfaction assez générale à tous les habitans; tellement, que lorsque, quelques années plus tard, ils se décidèrent à redemander à leur nouveau souverain le rétablissement de leurs anciennes lois, (qu’on leur avait si cruellement ôtées, à l’époque de l’institution du gouvernement civil,) ils ne le firent qu’après avoir exprimé combien ils avaient été heureux, quand leurs propres concitoyens leur avaient administré la justice, (sous le Règne militaire.) Ecoutons les eux-mêmes parler; ils vont nous dire quelles lois furent en force et de quelle manière ils furent jugés, sous ce prétendu règne militaire.
...............“Loin de ressentir, au moment de la conquête, les tristes effets de la gêne et de la captivité, le sage et vertueux Général qui nous a conquis, digne image du Souverain glorieux qui lui confia le commandement de ses armées, nous laissa en possession de nos lois et de nos coutumes. Le libre exercice de notre religion nous fut conservé et confirmé par le traité de paix; et nos anciens citoyens furent établis les juges de nos différens civils. Nous n’oublierons jamais cet excès de bonté: ces traits généreux d’un si doux vainqueur seront conservés précieusement dans nos fastes; et nous les transmettrons d’âge en âge, à nos derniers neveux.”—(Extrait de l’Adresse des Canadiens au roi, pour demander le rétablissement de leurs lois, en 1773.)
Ce langage est positif, et décide péremptoirement que les Chambres de Justice du Gouvernement de Montréal jugèrent d’après les lois et usages anciens du pays, et non d’après les lois anglaises, ou l’équité simplement, comme le prétendent ceux qui croient que tout fut purement militaire dans les quatre années qui suivirent immédiatement la conquête.
Dans quelques jours, Mr. Bibaud, je tâcherai de vous prouver, que malgré qu’à Québec, ce fussent les Officiers des troupes qui rendirent la justice, les mêmes lois et usages du pays n’y firent pas moins la règle de leurs décisions; et cela en conformité même aux dictées de la capitulation, comme j’espère alors le démontrer.—Pour aujourd’hui nous passerons, si vous voulez bien, à notre troisième question, qui est celle-ci: “Où se portaient les causes qui n’étaient point de la compétence des Chambres de Justice, et quelles étaient ces causes?”
L’article 20 de l’Ordonnance réserve (quoique indirectement) aux tribunaux de la Ville la connaissance des grandes félonies: mais quels étaient ces tribunaux? Était-ce la Chamore de cette ville? Lui avait-on accordé plus de pouvoirs qu’à celles des campagnes? C’est ce que ne nous apprennent point les documens qui nous sont jusqu’ici parvenus, par la voie de l’impression, et c’est peut-être ce que les régîtres de cette Chambre pourraient seuls nous faire connaître d’une manière certaine. Nous invitons donc Mr. S. R. à continuer là-dessus ses recherches: en attendant qu’il nous en communique le résultat, nous transcrirons ici quelques jugemens des cours martiales tenues à Montréal, dans les années 1761 et 1762: ils ont, trouvons-nous, beaucoup de rapport à la question qui nous reste à résoudre; et, s’ils ne la décident pas complètement, ils forment au moins de très grandes probabilités en faveur de l’opinion que nous ne tarderons pas à émettre, comme résultant de la teneur de ces jugemens.
Extraits (traduits) d’un “Livre d’ordre,” commencé à Montréal, au 1er. de Janvier 1761.
Juin 3.—“Cour martiale générale: Président, lieutenant-colonel Grant.”
Jean Marchand, de Boucherville, poursuivi pour le meurtre de Joseph Carpentier, Canadien, est acquitté.
“Cour martiale de garnison: Président le capitaine Martin.”
Mardi, le 30 Juin.—Wm. Bewen, accusé d’avoir enivré des soldats, et vendu du rum sans licence, est trouvé coupable, ayant été accessoire à son associé Isaac Lawrence, lequel a pour habitude de vendre du rum aux soldats.—Condamné à recevoir deux cents coups de fouet, et à être chassé de la ville, au bruit du tambour.
La sentence approuvée par le Général, est exécutée le lendemain, 1er Juillet, par les tambours de la garnison, à la garde montante.
Sibenberger, habitant de la ville, accusé d’avoir insulté une sentinelle, est acquitté.
Juillet 1er.—Isaac Lawrence, associé de Bewen, est convaincu de la même offence que lui, et condamné à la même punition—mise à exécution le lendemain, 2 Juillet.
“Cour martiale générale: président major Munster.”
Août 6.—Joseph Lavallée et François Herpin, habitans de la ville de Montréal, poursuivis pour vol, sont acquittés.
Joseph Burgen, un de ceux qui sont venus à la suite de l’armée, est accusé et convaincu de vol; condamné à être pendu par son cou jusqu’à ce que mort s’en suive.
Le général approuve la sentence, mais lui pardonne, à la condition qu’il laisse sans délai ce Gouvernement.
“Cour martiale de garnison: Président, le capitaine Martin.”
Août 13.—Jean Baptiste Lebrun, poursuivi pour avoir blessé Charles Fishburg avec un sabre, est trouvé coupable, et condamné à payer le compte des chirurgiens, ainsi que huit francs au dit Fishburg, pour l’indemniser de la perte de son temps, et des douleurs que cette coupure lui a causées. Il lui est fait défense de porter le sabre sous le gouvernement anglais.
George Skipper et Bellair, boulangers, accusés et traduits par le capitaine Disney, pour avoir vendu du pain qui n’avait pas le poids requis, sont acquittés.
15 Septembre.—Jacques Baninger (peut-être ont-ils voulu dire, Bellanger,) autrement dit Laurier, Canadien, accusé d’avoir vendu des liqueurs fortes sans licence; condamné à cinq louis sterling d’amende, et à la prison, s’il ne paye tout de suite.
“Cour martiale de garnison: Président capitaine Martin, (de l’artillerie royale.)”
19 Septembre.—Jean Charlette et un nommé Lameure, Canadiens, sont traduits, pour avoir sollicité Joseph Myra, tambour, à déserter. Charlette est acquitté. Lameure, trouvé coupable, est condamné à recevoir trois cents coups de fouet.—Le Général lui pardonne.
Décembre 13.—William Morris, accusé d’avoir tenu une maison de débauche, condamné à cinq livres sterling d’amende.
—— 24.—Deux Canadiens sont poursuivis pour avoir eu des outils du roi en leur possession. L’un est acquitté; l’autre, trouvé coupable, est condamné à recevoir quatre cents coups de fouet.
Le Général approuve la sentence, mais réduit les coups de fouet à cinquante; il les reçut, le jour suivant, de la main du bourreau.
Janvier 31.—John Rabb et David King, domestiques du major Christie, accusés d’avoir laissé le service de leur maître sans permission, d’avoir passé la nuit hors de chez lui, et d’avoir offert de s’enrôler dans les régimens, sont trouvés coupables, et condamnés à recevoir chacun trois cents coups de fouet.
Le général approuve la sentence, mais leur remet la moitié de la peine: ils reçurent l’autre moitié, le lendemain, par les tambours de la garnison.
“Cour martiale générale: major Munster, Président.”
Février 26.—Mr. Grant et Edward Chinn, marchands de Montréal, accusés d’avoir insulté et assailli l’enseigne Nott, du 4e. bataillon du 60e. régiment, ou Royal Américain, sont trouvés coupables et condamnés; Mr. Grant à £30 d’amende et Mr. Chinn à £20; “lesquelles sommes seraient employées, d’après la direction du général, au soulagement des pauvres malheureux du Gouvernement de Montréal, et aussi à demander solemnellement pardon à l’enseigne Nott, en présence de la garnison de Montréal, dans les termes suivants, savoir:
“Enseigne Nott, je suis très fâché de m’être rendu coupable d’assault à votre égard, et je vous en demande très-humblement pardon.”
Le général approuve la sentence, mais réduit l’amende de Mr. Grant à £20, et celle de Mr. Chinn à £13.
Un Mr. Forrest Oaks fut aussi poursuivi à la même cour, pour pareille offense, et condamné de même, à demander pardon à l’enseigne Nott, et à souffrir quatorze jours d’emprisonnement.
Le général réduisit l’emprisonnement à vingt-quatre heures, et exempta Mr. Oaks de demander pardon, parce qu’il lui parut que les injures avaient été réciproques.
Je m’arrête ici, Mr. Bibaud: si ces extraits vous paraissent mériter insertion dans votre Bibliothèque, je continuerai dans quelques jours de vous donner la suite de ceux qui furent rendus, depuis la date de mon dernier extrait, jusqu’au 10 Août 1764.
Quant à la conclusion que l’on doit tirer des extraits ci-dessus, elle me paraît fort aisée: les Chambres de Justice jugeaient des affaires purement civiles; mais les délits, tant petits que grands, d’une nature criminelle, se portaient au Conseil de guerre, autrement dit Cour Martiale: c’est là, pouvons-nous assurer, que se jugeaient les affaires, qui ressortissent maintenant à nos sessions de quartier, et à nos cours criminelles du banc du roi: nous en serons pourtant plus certains, en continuant notre examen des jugemens de nos Cours martiales: ce que je ferai volontiers, Mr. Bibaud, si vous accueillez cette communication.
L.
“There is not a maxim of the common law more certain, than that a conquered people retain their ancient customs, till the conqueror shall declare new laws. To change at once the laws and manners of a settled country, must be attended with hardship and violence; and therefore wise conquerors, having provided for the security of their dominions, proceed gently, and indulge their conquered subjects in all their local customs, which are in their own nature indifferent and which have been received as rules of property, or have attained the force of laws. It is the more material that this policy be pursued in Canada, because it is a great and ancient colony, long settled.” &c.—(Extrait d’un rapport adressé aux Lords du Commerce et des Plantations, par M. Yorke, Avocat-général, et WM. De Grey, solliciteur-général d’Angleterre, le 14 d’Avril 1766.) |
C’était le premier mois de l’année: les Romains lui avaient donné Minerve pour divinité tutélaire, quoiqu’il prît son nom du dieu Mars. Aux kalendes de Mars, on allumait du feu nouveau sur l’autel de Vesta; on ôtait les vieilles branches de laurier et les vieilles couronnes, tant de la porte du roi des sacrifices, que des maisons des flamines et des haches des consuls, pour en mettre de nouvelles; et l’on célébrait les matronales et la fête des boucliers sacrés. Ce mois était symbolisé par un homme vêtu d’une peau de louve; allusion à la nourrice de Rémus et de Romulus. Ausone place auprès de lui un bouc pétulant, une hirondelle qui gazouille, un vase plein de lait, qui, avec l’herbe verdoyante, annoncent le retour du printems. Les modernes l’ont représenté dans une contenance fière, coiffé d’un casque, vêtu d’un habit de couleur tannée, image de la terre encore privée de sa parure. Le bélier lui a été donné pour signe, parce que, dit-on, cet animal est fort par devant et faible par derrière; symbole du soleil, dont la chaleur, faible d’abord, s’accroît progressivement. La guirlande qui entourre le signe indique la première verdure, et un bœuf qui laboure annonce les semailles qui se font dans ce mois.—Diction. de la Fable.
Je venais de voir une de nos dernières pièces nouvelles; je rapportais du spectacle une envie de dormir qui m’avait pris dès le commencement de l’ouvrage, et avait résisté au bruit des sifflets et à la fureur des applaudissemens; pressé de me coucher, je parcourus rapidement les diverses lettres qui m’avaient été adressées dans la journée, et que mon vieux Philippe venait de me remettre; l’une était d’un grenadier de ma légion, qui m’informait du bonheur qu’il avait eu d’attraper la croix-d’honneur; l’autre était d’un de mes parens, qui m’annonçait qu’il venait solliciter à Paris une sous-préfecture, ou un secrétariat d’ambassade, ou tout au moins un emploi de commis dans un ministère: il comptait beaucoup sur ma protection pour obtenir l’une de ces trois places. La dernière contenait une invitation de déjeûner pour le lendemain; j’eus soin de la mettre de côté, et je recommandai à Philippe de me réveiller à huit heures précises.
J’étais à peine dans mon lit que le sommeil s’empara de moi; un songe assez bizarre me transporta fort loin de la capitale. En un moment je traversai un espace immense, et je me trouvai au milieu de cette ville naguère si vivement attaquée, si vaillamment défendue, et dont les habitans gardent encore le souvenir du courage de nos soldats et de la prudence de leur chef.
J’étais donc à Anvers, et j’y arrivais pour la première fois; mais lorsqu’on voyage en dormant, on n’est jamais embarrassé. Je me promenais seul sur le port; je regardais en soupirant le vide des chantiers, lorsque je me rappelai que j’étais porteur de plusieurs recommandations pour les principales autorités de la ville: au nombre de ces lettres, il y en avait une pour le directeur du Bagne; je ne sais pourquoi ce fut la première dont il me vint dans l’idée de faire usage.
Je me présentai chez lui sur-le-champ; il m’accueillit avec beaucoup de grâce. Je l’examinai à loisir pendant qu’il lisait ma lettre; c’était un homme d’environ cinquante ans, ayant les manières douces, les dehors polis et les expressions affectueuses: le voisinage ne l’avait pas gâté. Quoiqu’il fût logé au Bagne, la pièce dans laquelle il m’avait reçu était meublée avec une recherche qui aurait fait honneur à une petite maîtresse; je lui en témoignai mon étonnement; il eut honte de me répondre qu’il n’était pas chez lui, et qu’il me recevait dans l’appartement d’un de ses prisonniers. Ma surprise augmentant, il se hâta d’ajouter que la chaîne n’était pas si mal composée que je pourrais bien le croire; qu’il y avait, à la vérité, des hommes dont on ne pouvait sans rougir faire sa société, mais que dans le nombre il y avait des gens comme il faut......Et il me cita fort à propos, ce dicton populaire que les habitans de certain pays ont soin d’apprendre de très-bonne heure, et de répéter à ceux que leur accent effarouche: il y a des honnêtes gens partout. J’avouai fort ingénûment que ce n’était pas là où j’aurais été les chercher. “Vous auriez tort, me répondit-il; il y a des erreurs qui portent avec elles leur excuse, et qui n’impriment qu’une tache légère sur la vie d’un homme. J’ai, dans cette maison, quelques personnes dans ce cas-là; elles m’ont été recommandées par leur familles, qui, dans le monde, jouissent de la plus haute considération: au fait, ce sont de braves gens qu’une maladresse a mis dans les mains de la justice, et qui expient leur tort avec une résignation vraiment touchante. Ils ont chacun leur appartement séparé, qu’ils me paient très-cher, et se réunissent tous les soirs chez l’un d’eux: on cause, on joue, on chante, on fait de la musique. Je leur aurais bien permis de danser, mais je crains le bruit. Précisément, voilà l’heure à laquelle ils se rendent au salon: pour peu que vous soyez curieux de les connaître, je vais vous présenter. Vous arrivez de Paris; ils seront enchantés de vous recevoir; vous leur donnerez des nouvelles de la capitale.” Le directeur n’avait pas fini de parler, que je me trouvai dans le salon de ces messieurs; tout y respirait le faste et l’élégance; l’ameublement en était encore plus riche que celui de la pièce que nous venions de quitter.
Assis autour d’une table de jeu, ces messieurs se levèrent dès qu’ils m’aperçurent, et me saluèrent avec une aisance qui m’intimida; l’un d’eux s’apercevant de mon embarras, eut la bonté de venir à mon secours; il entama la conversation, se plaignit vivement du silence de ses amis, dont quelques-uns n’avaient pas ôsé lui écrire depuis son séjour à Anvers. Ah! monsieur, me dit-il, que les préjugés font de mal à la société! Ils rompent les liens de famille, détruisent les plus douces affections, et renversent toutes les lois de la nature....... Après cette sortie, il me demanda des nouvelles des connaissances qu’il avait laissées dans la capitale. Je dois lui rendre justice; cet homme-là était très-répandu dans le grand monde; il avait eu des relations avec les plus riches maisons, avec les meilleurs banquiers de Paris; il m’avoua qu’une trop grande précipitation avait causé son malheur. Pressé de jouir, il avait déposé son bilan avant d’avoir arrangé ses écritures; ses créanciers, à qui il ne faisait perdre que quatre-vingt pour cent, eurent l’indignité de demander la communication de ses régistres, et de le traiter de fripon; la justice s’en mêla, il fut arrêté; sa famille fit proposer cent mille francs au syndic chargé de diriger l’affaire, pour l’arranger. Par hasard le syndic était intègre, il refusa; la maladresse fut déclarée banqueroute frauduleuse; le jugement survint, et notre homme fut condamné. Je le plaignis sincèrement: mais il m’assura qu’on s’accoutumait à tout: d’ailleurs il avait pris ses précautions d’avance; et la certitude de sortir de là avec 50,000 francs de rente, lui faisait facilement supporter sa situation..... La philosophie est de mise partout.
On demanda un rentrant à la bouillotte; mon interlocuteur me quitta. Je profitai de son absence pour me rapprocher du directeur, et le prier de me dire au moins la profession des personnes avec lesquelles j’avais l’honneur de me trouver.
Celui que vous voyez devant vous, me dit-il, dont la laideur a fait dire qu’un homme était coupable d’avoir une figure comme la sienne, est un ancien Auvergnat, qui avait trouvé le secret de grossir un patrimoine de 10,000 francs, au point de lui faire produire 1,200,000 francs de rente; il s’était tiré fort adroitement de plusieurs procès, où il n’avait hasardé que son honneur; il devint moins heureux lorsqu’il fut question de sa fortune; elle avait excité l’envie de ses voisins; elle éveilla les soupçons de ses commettans et les regards inquisiteurs des tribunaux; l’adresse de son avocat, que vous voyez auprès de lui, les sacrifices de sa femme, qui vit retirée au milieu de Paris, n’ont pu le sauver. On me l’a envoyé, et j’en suis fort content; c’est un homme très-laborieux! Dans ce moment, il étudie la langue française, et j’ai l’espoir que d’ici à sa sortie, il parviendra à la parler correctement. Vous voyez qu’il aura bien employé son temps.
A sa droite, est un receveur-général qui a fait la mauvaise plaisanterie de se voler deux millions et de courir après; on le rencontra, mais tout seul, sur la route de la Hollande, et par complaisance, il retourna sur ses pas; il est ici depuis quinze jours: c’est un homme du meilleur ton, fort aimable, plein d’esprit et de talent; il est surtout d’une gaieté!......Tenez, le voyez-vous sourire, parce qu’en jetant un coup-d’œil à la dérobée, il a découvert le brelan de son voisin....J’aime beaucoup à l’avoir pour partner.
Cet homme âgé, qui placé près du receveur, joue avec réserve et gagne avec prudence, est un juge qui, pendant dix ans, a résisté à un millier de petites séductions, et dont l’austérité est venue échouer contre un porte-feuille de cent mille écus. Devinant, pour ainsi dire, le sort qui l’attendait, il avait, avant son accident, trouvé le moyen de placer sa petite fortune de rencontre sur la tête de sa femme, qui en fait le meilleur usage; elle ne vient pas le voir, par excès de sensibilité; mais elle lui écrit deux fois par an. Quant à lui, c’est un jurisconsulte profond, un légiste fort instruit; il traduit Sénèque et donne des consultations, qu’il fait payer un peu cher; personne au monde ne connaît les lois comme cet homme-là! aussi se trouve-t-il très-bien jugé.
Ce gros garçon, si frais, si rond, si jovial, qui fait toujours son vatout, et perd si gaîment son argent, est un ancien fournisseur, dont les comptes avaient été trouvés en règle par trois commissions, et qui n’a pu échapper à une quatrième. Le malheur avait placé dans celle-ci un administrateur qui n’a jamais voulu reconnaître sa signature, laquelle était cependant fort bien faite. Il n’est rien tel que l’exemple! cet entêtement gagna beaucoup de chefs de bureau; personne ne voulut reconnaître son nom; et ce pauvre diable, qui heureusement avait dénaturé ses biens, s’est vu forcé de venir ici manger ses revenus.
Celui qui chante auprès de la fenêtre, gémit sous le poids d’une accusation ridicule. On a voulu le forcer à retrouver un dépôt qu’un de ses amis lui a, dit-il, confié; et parce que plusieurs personnes se sont donné le mot pour faire des dépositions pareilles; parce que ce brave homme, dont on ne connaissait pas les moyens d’existence, s’est avisé, un beau matin, de prendre un équipage, d’acheter des châteaux, d’avoir une maison montée....., on l’a arraché à la société, dont il faisait les délices; on l’a enlevé aux femmes, qu’il comblait de bienfaits, aux muses dont il s’était déclaré le protecteur, pour le transférer ici, où sans doute il est comme chez lui, mais où il n’a été suivi ni par les belles, ni par les muses, ni par ses amis.
Ce grand homme, qui parle avec emphase de ses voyages en Angleterre, est le fils d’un médecin. Son père est mort de chagrin, en voyant son fils couvert d’or, descendre au rang des espions.
J’en étais-là, lorsque Philippe entra dans ma chambre et me réveilla; huit heures étaient sonnées: je me hâtai de m’habiller, et quoique la toilette d’un garçon ne soit pas bien longue à faire, il était dix heures et demie lorsque j’arrivai chez M. de M......... Qu’on juge de ma surprise en retrouvant chez lui les personnages que je venais de quitter! c’était, à peu de choses près, le même âge, les mêmes traits, le même costume, le même langage....... J’en étais tout honteux. L’un déclamait contre la lenteur qu’on apportait à vérifier sa comptabilité; l’autre parlait d’un procès qu’on lui intentait, et demandait des conseils à son avocat, qui, lui-même, était accablé de procès. Un juge annonçait qu’il venait de changer de manière de voir dans une affaire soumise à son tribunal; un négociant demandait à acheter de mauvais papiers pour remplir sa caisse; enfin, un receveur disait qu’il ne pouvait verser ses fonds que le lendemain, et un homme fort riche se plaignait des calomnies qu’on débitait contre lui.......Je déjeûnai à la hâte et je sortis en me disant: le Dante a placé dans son enfer des gens qui n’y étaient pas encore; aurais-je donc vu dans le bagne d’Anvers des gens qui y manquent?—Journal français.
VERS communiqués pour la Bibliothèque Canadienne.
Flamberge au vent, deux Suisses but à but,
Après bon vin, se battaient dans la rue;
Mû de pitié, le gros Simon courut
Les séparer à travers la cohue:
Mais de son zèle il eut mauvaise issue;
Le pauvre diable à la tête reçut
Un coup d’estoc, si bien que besoin fut
Pour le trépan d’appeller maître Ambroise,
Qui voulant voir si la cervelle ou non,
Était atteinte;......Ah! tout beau, dit Simon,
Je n’en eus point, quand j’entrai dans la noise.
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DESCRIPTION DU JEU DE BARRE.
Ici je vois deux camps; deux bruyantes armées
Paraissent d’un beau feu pour combattre animées:
Combat d’un nouveau genre, on doit vaincre en fuyant.
L’un d’entr’eux, provoqué par un fier assaillant,
S’élance de son but: une troupe légère
Court, vole sur ses pas, touche à peine la terre:
Le fuyard hâletant, s’arrête......mais soudain,
L’ennemi qui le suit l’a frappé de sa main;
Et par des cris de joie, annonçant sa victoire,
Le héros près des siens va jouir de sa gloire:
Triomphe passager; par des chemins couverts
Ulysse du vaincu vient pour briser les fers;
Il se glisse, éludant l’ennemi qu’on amuse,
Touche le prisonnier enchanté de sa ruse;
En pompe le ramène, et déjà sa valeur
Va chercher au grand jour un succès plus flatteur.
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Dialogue en vers monosyllabiques.
Silvandre.
Par ce feu vif et doux qui sort de tes beaux yeux,
Tu peux bien plus sur moi que les rois ni les dieux.
Leurs lois ne me sont rien près d’un mot de ta bouche:
Je fais mes biens, mes maux de tout ce qui te touche.
Je me plais dans tes fers; je ne suis que tes pas:
Ma vie est de te voir; je meurs où tu n’es pas.
Non, mon cœur sans ce bien ne peut ni ne veut vivre:
Loin de toi, jour et nuit, à mes pleurs je me livre;
Et si je n’ai t’a foi pour le prix de mon cœur,
Tous les traits de la mort ne me font point de peur.
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Climene.
C’en est fait, je me rends, et mon choix suit le vôtre:
Je sens que nos deux cœurs sont trop faits l’un pour l’autre.
Si vos vœux sont pour moi, tous les miens sont pour vous.
Je vous aime et vous plais, est-il un sort plus doux?
Que ce jour, s’il se peut, le plus saint nœud nous lie,
Et ce jour est pour moi le plus beau de ma vie.
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Sur la mort d’un vieux Poëte.
Ne dis plus que la faim fasse mourir les gens;
Un poëte a vécu plus de quatre-vingts ans.
Savez-vous pourquoi Jérémie
A tant pleuré pendant sa vie?
C’est qu’en prophête il prévoyait
Qu’un jour Le Franc le traduirait.
La Condamine est aujourd’hui,
Admis à la troupe immortelle;
Mais il est sourd, tant mieux pour lui,
Et non muet, tant pis pour elle.
Linière, ayant été battu par le sieur de St. Michel, on lit l’épigramme suivante:
Linière est un homme exécrable,
Et déjà réprouvé du ciel;
La preuve en est que St. Michel
L’a battu comme un diable.
Sessor equum rabidus torquebat calcare, flabris:
Crura in sessorem projiciebat equus.
Spumabant homini, sapientior esto, viator
Dixit: equo prœstet vir ratione decet.
Te fortem jactans, dùm te non provocat ullus,
Ense minare, Hector, quemque ferire tuo:
Percussus fugisti. Animus quos occupat artus;
Vir generose?...Pedes, ædepol, ille tenet.
Ut nox adveniens operit caligine terras,
Tristior apparet Cotta, dolensque gémit.
Non tristis gémit ob noctem noctisque tenebras,
Sed parcit candelæ officiosa dies.
Caseus ut flavus, cuperes quem frangere orsu,
Manè, jubar purum luna rotunda dabat....
Quid metuis? nullum, patietur, Morio, damnum;
Usque tuos gressus intégra luna reget.
Extremum jamjam Lucas propè spiritum agebat:
Blasius hunc vidit: (creditor ejus erat.)
Urget eum: nummos, quos debes, solve vigenti:
Non differre vacat; non mora; tempus adest...
Ah! sine tranquillà noxiar, Blasi!...Haud sinam ego, herclès
Illico ni solvas, non morieris, ait.
On vient de découvrir sur la montagne du Schonberg, dans le Brisgaw, des tombeaux très-remarquables, dont le nombre s’élève à 137. On y a trouvé des crânes, des armes, des bijoux, des poignards, des piques, des sabres, etc., qui portent les caractères de l’antiquité la plus reculée. Il y a aussi des baudriers et des flèches, qui, de même que les piques, sont d’un fer de même qualité que celui qu’on trouve à Kandem, dans le Haut-Brisgaw. Les poignards sont de l’acier le plus fin, et qui résiste à la lime. Les épées sont moitié fer, moitié acier.
Parmi ces différents objets, les plus remarquables sont des verres de couleur, dont plusieurs sont montés en argent; il y en a surtout d’un beau bleu de ciel et comme on n’en a point encore vu. Enfin, on a trouvé dans ces tombeaux des coraux rouges et couleur de pourpre, ainsi que de gros morceaux d’ambre; ces tombeaux sont tous tournés du côté de l’orient. On calcule que l’emplacement qu’ils occupent en renferme plus de 300, qui sont couverts de grandes pierres plates. M. Schreiber, préfet du gymnase de Fribourg, doit faire paraître sur cette découverte un ouvrage dans lequel les objets rares seront lithographiés.
On écrit de Dresde que la réunion des naturalistes et des médecins Allemands, qui a eu lieu dans cette capitale pendant le mois de Septembre, a été une des plus remarquables qu’on ait vues.—Une quantité de savans d’un mérite distingué s’y sont rendus de très-loin. Les princes Jean et Bernard de Saxe-Weimar, et plusieurs ministres ont assisté aux séances. Tous les musées ont été ouverts aux membres de la réunion, pendant leur séjour. Dans la dernière séance, qui a eu lieu le 23, on a fixé le lieu de la réunion de l’année prochaine à Munich.
Le libraire Ladvocat a payé 18,000 francs le manuscrit des neuf Messéniennes composées par M. Casimir Delavigne, pendant son voyage en Italie.
On compte maintenant en Allemagne cinq traductions simultanées de la Dame Blanche de Boyeldieu. Les théâtres de Francfort, Vienne, Berlin et Stutgard l’ont fait mettre à l’étude presque en même temps.
Nous voyons, dit un journal américain, par un article du Mercantile Advertiser de la Nouvelle-Orléans, qu’un médecin de cette ville travaille avec succès à rendre à la société et à leurs amis, des hommes et des femmes qui périssaient par suite de l’habitude pernicieuse de boire avec excès. Suivant ce journal, M. Loiseau, (le médecin en question,) a guéri naguère radicalement cinq blancs, quatre mulâtres et quinze nègres. Parmi ces individus, il y en avait deux que l’habitude de boire excessivement avait rendus fous, et plusieurs qui avaient, par la même cause, perdu l’usage de quelques-uns de leurs membres. M. Loiseau a maintenant sous ses soins treize malades, dont une partie seront guéris en quinze jours, et les autres, en dix seulement. Les honoraires d’un médecin si précieux, qui non seulement rend au corps l’habileté à remplir ses fonctions, mais met encore l’esprit en état de faire usage de ses nobles facultés, se règlent sur la fortune de ceux qui l’emploient.
Le Canal de Rideau.—Cette immense entreprise avance rapidement, et doit être achevée, s’il est possible, dans l’espace de quatre ans. Sa longueur, depuis le Sault de la Chaudière, sur la rivière des Outaouais, jusqu’à Kingston, sur le lac Ontario, sera de 133 milles. Il y aura sur la ligne 50 écluses, un grand nombre de jettées et de digues, et de longs aqueducs, au-dessus de profondes ravines. Cet ouvrage, pris en tout, sera un des plus étendus et des plus magnifiques qu’il y ait au monde, en ce genre.—Herald.
Le canal du Welland, qui joindra le lac Erié au lac Ontario en évitant la chûte de Niagara, et le canal du Rideau, destiné à joindre ce dernier lac à la rivière Ottawa, qui tombe dans le Saint-Laurent au-dessus de Montréal, étant d’une capacité suffisante pour recevoir des bâtimens du port de ceux qui sont ordinairement employés sur les grands lacs, ouvriront au commerce une communication qui ne sera égalée, pour l’étendue, dans aucun pays du monde: pendant plus d’un millier de milles, cette route présentera une navigation non interrompue, à travers un pays riche et fertile, et l’exécution de ces travaux et d’autres ouvrages importants, déjà commencés, tant pour la sûreté que pour la prospérité de ces provinces, offrira de nouveaux motifs pour l’émigration au Canada, et donnera un accroissement encore plus rapide à notre population.
Le nombre d’ouvriers employés à ces travaux augmentera la consommation des denrées agricoles, et les sommes considérables qui seront en conséquence répandues dans la circulation, donneront une activité toute nouvelle au commerce du pays.—Gaz. de Québec.
Tandis que les ingénieurs exploraient le pays haut pour la route du canal du Rideau, ils ont découvert, dans une chaîne de montagnes, dans le township de Hull, une immense couche de mine de fer de la meilleure qualité, dont ils ont apporté des échantillons à Montréal. On a aussi trouvé dans les mêmes montagnes, d’énormes blocs de marbre blanc, vert et pivelé, avec du granite bleu, noir et blanc, de la meilleure qualité; en conséquence de quoi un parti de messieurs entreprenants se sont associés pour exploiter ces mines, sous le nom de “Compagnie des Mines de Hull.”—Spect. Canadien.
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[The end of La Bibliothèque Canadienne, Tome IV, Numero 4, Mars, 1827. edited by Michel Bibaud]