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Title: La bibliothèque canadienne, Tome 1, Numero 4, Septembre, 1825.
Date of first publication: 1825
Author: Michel Bibaud (editor)
Date first posted: Mar. 24, 2020
Date last updated: Mar. 24, 2020
Faded Page eBook #20200352
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La Bibliothèque Canadienne
Tome I. | SEPTEMBRE, 1825. | Numero 4. |
On ne tarda pas néanmoins à s’appercevoir qu’on avait fait un mauvais choix. L’hiver venu, on se trouva sans eau douce et sans bois; et comme on fut bientôt réduit aux chairs salées, et que plusieurs, pour s’épargner la peine d’aller chercher de l’eau sur le continent, burent de la neige fondue, le scorbut se mit dans la nouvelle colonie, et y fit de grands ravages. Aussi, dès que la navigation fut libre, M. de Monts n’eut rien de plus pressé que de chercher un endroit plus avantageux. Il prit sa route au sud, et rangea la côte l’espace de 80 lieues; mais n’ayant pu, dans une aussi longue course, se déterminer à aucun endroit, pour s’y fixer, il retourna à Ste. Croix, où Pontgravé le vint bientôt joindre, en arrivant de France. Ils trouvèrent cette habitation en fort mauvais état, et M. de Monts, convaincu qu’il fallait la placer ailleurs, se rembarqua avec Pontgravé, et entra, chemin faisant, dans le Port Royal. Il le trouva tellement à son gré, qu’il prit sur le champ la résolution d’y transporter sa colonie, chargea Pontgravé de ce soin, et le déclara son lieutenant.
Il n’était guère possible, en effet, de faire un meilleur choix: ce port, qui doit son nom à M. de Monts, est un des plus beaux et des plus sûrs qu’il y ait au monde. Il a pourtant un défaut, remarque Charlevoix, qui est la difficulté d’y entrer et d’en sortir. Il n’y peut entrer, ajoute-t-il, qu’un seul vaisseau à la fois, et encore avec beaucoup de précaution, à cause des courans et de la marée. Ce port n’est qu’à quelques lieues de l’embouchûre de la rivière St. Jean. Le pays dans les environs est beau et fertile. M. de Pontgravé ne trouvait pas les avantages compensés par les difficultés qu’offrait le Port Royal; mais M. de Poutrincourt n’en porta pas moins le même jugement que M. de Monts, et comme en s’associant avec ce dernier, il avait conçu le dessein de s’établir en Amérique, avec sa famille, il lui demanda ce port, et l’obtint sans peine. Cette concession, faite en vertu du pouvoir que M. de Monts avait reçu du roi, fut encore confirmée par des lettres patentes de sa majesté; mais M. de Poutrincourt, plus occupé de la traite avec les sauvages que de la culture des terres, n’eut pas autant de soin de donner de la solidité à son établissement qu’il avait montré d’empressement à acquérir un si beau domaine, et nous l’en verrons bientôt chassé par une poignée d’Anglais.
Aux approches de l’automne, M. de Monts repassa en France. A son arrivée à la cour, il trouva les choses bien changées à son égard: les pêcheurs de tous les ports de France avaient représenté au roi que sous prétexte de les empêcher de commercer avec les sauvages, on les privait des choses les plus nécessaires pour leur pêche, et qu’ils se verraient contraints d’y renoncer, si l’on ne faisait cesser ces vexations. Ils furent écoutés, et le privilège de M. de Monts, qui devait durer encore deux ans, fut révoqué. Il ne se découragea pas néanmoins: il fit un nouvel arrangement avec M. de Poutrincourt, qui l’avait suivi en France, et lui fit armer à la Rochelle, un vaisseau qui mit à la voile le 13 Mai, 1606.
Le voyage fut long, ce qui fit croire aux habitans du Port Royal qu’on les abandonnait. Pontgravé, qui était resté à cet établissement, fit tout ce qu’il put pour les rassurer, mais à la fin, comme on manquait de tout, il fut contraint de s’embarquer avec tout son monde, pour reprendre la route de France. Il ne laissa dans le fort que deux hommes pour garder les effets qu’on ne pouvait pas emporter. Il était encore presque à la vue de la Baie Française, lorsqu’il apprit par une barque l’arrivée de M. de Poutrincourt à Camceaux. Il rebroussa chemin, et rentra dans le Port Royal, où Poutrincourt s’était déjà rendu, sans qu’ils se fussent rencontrés.
M. de Poutrincourt ayant ramené l’abondance dans son habitation, il ne songea plus qu’à se fortifier, et Pontgravé, homme sage, habile, infatigable, s’y livra tout entier. Il tenait ses gens continuellement occupés, et les garantissait par là des maladies qui avaient désolé l’établissement de Ste. Croix. La culture des terres faisait des progrès; le froment et les autres grains qu’on avait semés, fructifièrent audelà de ce qu’on en avait espéré: les travaux se faisaient avec joie, parceque les vivres ne manquaient pas, et que la fertilité du pays semblait répondre que la source de cette abondance ne tarirait point. Les maladies, dont on avait retranché la cause, diminuaient, et les sauvages commençaient à s’apprivoiser.
Un avocat de Paris, nommé Marc Lescarbot, homme d’esprit, et fort attaché à M. de Poutrincourt, avait eu la curiosité, peu ordinaire aux gens de sa profession, de voir le Nouveau Monde, tout sauvage qu’il était alors, et servit beaucoup à mettre et à maintenir les choses dans cet heureux état. Il animait les uns, piquait les autres d’honneur, se faisait aimer de tous, et ne s’épargnait lui-même en rien. Il inventait tous les jours quelque chose de nouveau pour l’utilité publique, et jamais on ne comprit mieux, remarque l’historien, de quelle ressource peut être dans un nouvel établissement, un esprit cultivé par l’étude, et que le zèle de l’état engage à se servir de ses connaissances et de ses réflexions. Lescarbot a laissé des mémoires de ce qui s’est passé sous ses yeux en Acadie, et une histoire de la Floride Française. On y voit, dit l’historien de la Nouvelle France, un auteur exact, judicieux; un homme qui a des vues, et qui eût été aussi capable d’établir une colonie que d’en écrire l’histoire. Cette histoire, accompagnée de quelque poésies sur les désagrémens des voyages dans ces pays-là, parut en 1609. Il publia en 1612, d’autres pièces de vers qu’il avait composées tant en Canada que dans le vaisseau où il s’était embarqué. Celles-ci sont dédiées au Chancelier de Sillery, et l’auteur le prie de considérer que si elles sont mal peignées et rustiquement vêtues, c’est que le pays d’où elles viennent est inculte, sauvage, hérissé de forêts, et habité de peuples vagabonds, et d’attribuer leurs défauts à la communication qu’elles ont eue avec eux, et aux flots de la mer. Les auteurs du Dictionnaire des Hommes Illustres ne font pas à beaucoup près autant de cas des vers de Lescarbot, que Charlevoix en fait de sa prose.
Tandis que le Port Royal donnait de si belles espérances, les ennemis de M. de Monts achevèrent de le perdre, et parvinrent à lui faire ôter sa commission. Cependant, l’année suivante, il eut le crédit de se faire rétablir pour un an dans son privilège; mais ce fut à la condition qu’il ferait un établissement sur le St. Laurent. Ses associés équippèrent deux navires à Honfleur, et les confièrent à MM. de Champlain et de Pontgravé, qui furent chargés d’aller faire la traite à Tadoussac, tandis que M. de Monts solliciterait une prorogation de son privilège. Il ne put y réussir; ce qui ne l’empêcha pourtant pas d’envoyer encore, au printems de 1808, des vaisseaux dans le St. Laurent.
Sa compagnie se multipliait à mesure que le commerce des pelleteries devenait plus considérable: les Malouins surtout y étaient entrés en grand nombre, et avaient beaucoup augmenté ses fonds; mais il s’apperçut bientôt que son nom nuisait à ses associés, et il se retira. En effet, dès que la compagnie ne l’eut plus à sa tête, le privilège lui fut rendu; mais ces marchands, qui n’avaient point d’autre objet que de s’enrichir, ne faisaient rien pour la colonie, qui dépérissait en Acadie, et ne s’établissait point ailleurs.
Cependant, cette même année, M. de Champlain, qui, disent les historiens, pensait en citoyen plus qu’en marchand, après avoir soigneusement examiné en quel lieu on pourrait fixer l’établissement que la cour voulait qu’on fît sur le St. Laurent, s’arrêta sur la rive septentrionale de ce fleuve, à 120 lieues de son embouchure, entre la petite rivière St. Charles et le Cap Diamant. Il y avait sur le cap même un village sauvage appellé Stadaconé; mais il paraît que l’endroit s’appellait en langue algonquine ou abénaquise, Quebeio ou Quélibec, qui veut dire rétrécissement ou fermeture, d’où est venu le nom de Québec. D’autres dérivent le nom de la capitale du Canada, des mots français, quel bec, ou, suivant la prononciation populaire, queu bec ou que bec, prononcés par un des hommes qui accompagnaient Champlain, en arrivant à la vue du cap. Un beau bassin, dit l’auteur des Beautés de l’Histoire du Canada, où plusieurs flottes pourraient mouiller en sureté, des rivages bordés de rochers à pic et parsemés de forêts; deux promontoires pittoresques (de Lévi et du Cap Diamant,) une jolie île (d’Orléans,) la belle cascade de la rivière Montmorency, tout justifie le choix fait par Champlain, et concourt à donner à la capitale du Canada un aspect imposant et magnifique. Il y arriva le 3 Juillet, 1608, y construisit quelques cabanes pour lui et les siens, et commença à y défricher des terres qui se trouvèrent bonnes.
Pour revenir à l’Acadie, dès l’année précédente, 1607, le roi ayant confirmé la concession que M. de Monts avait faite du Port Royal à M. de Poutrincourt, avertit ce dernier qu’il était tems de travailler à la conversion des sauvages de l’Amérique, et que son intention était qu’il y menât des jésuites. Les Pères Pierre Biart et Enemond Masse s’offrirent pour ce ministère; mais ils s’apperçurent bientôt qu’on ne voulait point d’eux en Amérique. Ce ne fut qu’au bout de quatre ans, après beaucoup de démarches du Père Cotton, confesseur du roi, et de la Marquise de Guercheville, qui s’était déclarée d’avance la protectrice des missions de l’Amérique, que les deux missionnaires purent enfin s’embarquer. Ils arrivèrent au Port Royal, le 12 Juin, 1611, avec M. de Biencourt. Ils crurent que leur premier devoir, en arrivant en Acadie, était d’apprendre la langue des naturels du pays; mais ils furent assez étonnés de ne trouver personne parmi les Français, qui pût, ou qui voulût leur faciliter cette étude: ils y parvinrent pourtant avec l’aide d’un sagamo, ou chef, nommé Mambertou, qui avait appris un peu de français.
L’année suivante, M. de Biencourt et le P. Biart partirent pour visiter toute la côte jusqu’au Kinnibequi, qu’ils remontèrent assez loin. Ils y furent bien reçus des Canibas, tribu abénaquise qui a donné son nom à cette rivière, et en reçurent des vivres pour le Port Royal, où l’on commençait à en manquer. Le missionnaire leur annonça l’évangile, et trouva en eux un peuple docile, qui lui parut peu éloigné d’embrasser le christianisme. Peu auparavant des Anglais avaient tenté de faire un établissement sur leur rivière; mais ils avaient eu, dit Charlevoix, de si mauvaises manières avec ces sauvages, que ceux-ci les avaient contraints de se retirer. Les Français les traitèrent plus humainement, et s’en firent des amis et une barrière contre des voisins entreprenants et plus puissants qu’eux en Amérique.
(A continuer.)
Lierre à trois feuilles du Canada. Hedera trifolia canadensis.—Ce lierre, non plus que le suivant, ne conserve point pendant l’hiver ses feuilles, qui comme celles du phaséole, sont soutenues trois à trois par de longs pédicules, (pétioles,) d’où, lorsqu’on les rompt, il sort un suc blanc, qui peu de tems après devient noir comme de l’encre. Il n’y a rien de meilleur pour noircir les cheveux. Ses petites fleurs blanches pâles sont suivies de baies en grappes, qui n’ont presque point de chair. Les grains qu’elles renferment contiennent une semence ronde, très-dure, de couleur de cendres, couverte d’une membrane sèche et ridée. Ce lierre fleurit au mois de Juillet, et sa semence est mûre en Septembre. Son bois est plus mou et plus moelleux que celui du lierre d’Europe; et ce qu’il a encore de particulier, c’est qu’il varie beaucoup dans sa manière de pousser: on en voit qui se tiennent droit et sans appui; d’autres, à peine sortis de leurs racines, rampent et s’attachent aux rejetons des arbres. Si on les sème au pied d’un mur, ils s’y cramponnent par le moyen de petites fibres, qui s’insinuent dans les trous, y prennent racine, et poussent de petites branches, comme le lierre commun. Ses feuilles rougissent au tems des vendanges, et de loin on les prendrait pour de véritables vignes; aussi lui a-t-on donné en France le nom de Vigne du Canada; mais il ne lui ressemble ni par l’écorce, ni par la figure des feuilles, ni par les baies.
Lierre à cinq feuilles du Canada. Hedera quinquefolia canadensis.—Ce lierre à cinq feuilles a le tronc, ou la tige, de la nature du sarment, noueuse et moëlleuse. Elle est couverte d’une peau plutôt que d’une écorce, et cette peau est comme celle de la vigne, coriace et difficilement friable. Il s’élève aussi haut que le mur ou l’arbre auquel il s’attache, et s’étend à proportion. Des pédicules sortent alternativement des nœuds de la tige, et sont inégalement placés. Chacun soutient cinq feuilles qui y sont attachées par de petites queues. Dans l’entre-deux des feuilles, il sort des deux cotés de la tige comme de petits clous, d’où naissent de petites fibres frisées, dont l’extrémité forme un durillon. C’est par le moyen de ces fibres qu’il s’attache à tout ce qu’il rencontre. Quand un mur en est couvert, c’est la plus belle verdure qu’on puisse imaginer. D’ailleurs il ne nuit point aux murs, comme le lierre d’Europe. Cette plante est aigre et même un peu âcre au goût; ses feuilles tombent en hiver.
Bluet du Canada. Vitis Idæa canadensis myrti folio.—Cette plante, qui est fort commune dans les bois du Canada, parait être la même que les anciens ont nommée Vigne du Mont Ida, et qui se trouve aussi dans les montagnes d’Auvergne, où il ne croit point d’autre bois, et en plusieurs autres endroits de l’Allemagne et de l’Italie. Pline l’appelle figue aléxandrine, du nom de la ville d’Aléxandrie de Troade, et les Italiens, uva d’ell orso, Vigne de l’Ours. Elle est petite: elle jette plusieurs branches dont les plus grandes sont d’une coudée: ses feuilles rondes, ou plutôt ovales, sont d’un vert foncé, de la figure à peu près de celle du bouis, ou du myrte. Ses fleurs rondes, creuses, sortent autour des branches, parmi les feuilles. Les fruits sont ronds, faits en forme de nombril, verts d’abord, et noirs, quand ils ont acquis leur maturité, pleins d’un suc noir, doux et d’assez bon goût. Il renferme de petits grains comme ceux du raisin. La racine est longue, grasse, souple et ligneuse. Ce fruit est mûr au mois de Juin ou de Juillet. Il est rafraichissant, au second degré, astreingent et un peu dessicatif: mangé cru ou cuit, avec au sucre ou sans sucre, il est bon contre les fièvres chaudes et billieuses, contre la chaleur d’estomac, contre l’inflammation du foye et des autres parties intérieures; il resserre le ventre et ôte l’envie de vomir.
Les fleurs ont quelquefois des enveloppes secondaires. Ce sont les bractées, petites feuilles qui naissent à la base des fleurs, et qui diffèrent toujours des autres feuilles, soit par leur consistance, soit par leur forme, soit par leur couleur.
Les bractées, réunies plusieurs ensemble audessous des fleurs, forment une colerette, ou, pour parler le langage des botanistes, un involucre.
La glume des graminées, qui est une sorte de calice ou d’involucre, suivant qu’elle renferme une ou plusieurs fleurs, et la bâle, qui, comme la corolle, recouvre immédiatement les organes de la génération, dans cette même famille, ne sont autres choses que de petites bractées, semblables à des écailles ou à des paillettes.
On doit encore considérer comme bractées les spathes, organes membraneux, et quelquefois ligneux, qui environnent et cachent d’abord absolument une ou plusieurs fleurs, et ne les laissent voir que lorsqu’ils viennent à s’ouvrir, à se déchirer et à se dérouler. Les spathes n’existent et ne peuvent exister que dans les végétaux, dont les feuilles sont de nature à former un étui autour de la tige.
Le support principal de plusieurs fleurs et le support d’une fleur solitaire, est un pédoncule ou une hampe, selon qu’il part de la tige et des rameaux ou de la racine. Les pédicelles sont les dernières ramifications du pédoncule commun à plusieurs fleurs, ou, si l’on veut, ce sont les pédoncules particuliers de chaque fleur.
Ordinairement, après la fécondation, les styles, les stigmates, les étamines, les périanthes se flétrissent ou se dessèchent. L’ovaire seul survit et continue de se développer. Considérons le végétal dans ses moyens de reproduction. C’est en quelque sorte l’époque de la maternité qui commence.
L’ovaire prend alors le nom de fruit: on y distingue le péricarpe et la graine.
(A continuer.)
Nous lisons ce qui suit dans le livre intitulé Choix de Curiosités, publié en 1822.
“On a dernièrement communiqué à la Société Horticultrice, un détail curieux d’un jardin souterrain formé au fond de la principale mine de charbon de Percy à Newcastle, en Angleterre, par le gardien du fourneau. Les plantes y parviennent à leur maturité, au moyen de la chaleur vive et à la lueur d’un poële découvert, qu’on entretient constamment, afin de procurer la ventilation nécessaire. La même lettre rend compte d’une grande couche près de Dudley, dans le comté de Stafford, qui est échauffée au moyen d’un feu de charbon qui brule lentement, et qui est placé à quelque distance audessous de la surface de la couche. Un jardinier recueille tous les ans de cette couche naturelle des légumes de diverses sortes, et ces légumes atteignent leur maturité quelques semaines avant ceux des jardins avoisinants.”
Nous continuons la topographie des environs de la rivière Saguenay et du lac St. Jean, commencée dans le premier numéro.
Les réponses de Mr. M’Kenzie au Comité de la Chambre d’Assemblée diffèrent peu de celles de Mr. M’Douall, si ce n’est qu’il parait avoir plus de renseignemens que ce dernier sur l’ancien établissement des Jésuites au lac St. Jean, et sur la rivière Assuapmousoin. Mr. M’Kenzie a vu le lieu de l’établissement des Jésuites; il y a présentement au même endroit un poste de commerce: on y voit des pommiers, des pruniers et des cerisiers qui sont devenus sauvages: les sillons de leurs champs sont encore visibles; il y croît présentement du mil. On y a trouvé des socs de charrue, des bêches, des marmites, &c. Mr. M’Kenzie croit que la cloche de leur église, ou de leur chapelle, est encore dans l’endroit. On lui a dit que les Jésuites avaient été obligés d’abandonner cet établissement en conséquence des représentations de la Compagnie des Indes, qui se plaignait que ces pères faisaient le commerce avec les sauvages. La terre aux environs de cet établissement est excellente.
La rivière Assuapmousoin est une des plus considérables qui se jettent dans le lac St. Jean: elle peut avoir 120 lieues de longueur, et 120 verges de largeur: elle est pleine de rapides, et n’est navigable que pour de petits canots. Il y a un poste de commerce appellé aussi Assuapmousoin, sur cette rivière, à 60 lieues de son entrée dans le lac.
Mr. M’Kenzie n’a pas une idée bien avantageuse des facultés intellectuelles et des qualités morales des sauvages qui fréquentent ces postes, et qu’on appelle Montagnez ou Montagnais: ils sont, dit-il, si stupides, ou si soupçonneux, que quoique j’aie été quinze ans dans l’endroit comme associé hivernant et directeur du commerce qu’y faisait la Compagnie du Nord-Ouest, je n’ai jamais pu rien apprendre d’eux concernant leur histoire ou leurs usages, bien que je l’aie souvent tenté.
Mr. M’Kenzie ne contredirait pas sans doute ce que d’autres disent des Montagnais, qu’ils sont trop indolents pour faire même, du sucre d’érables, quoique ces arbres soient très-communs dans les lieux qu’ils fréquentent, qu’ils en voient faire sous leurs yeux, et qu’ils en mangent avec avidité, quand il ne leur en coute que la peine de le demander.
La terre est généralement bonne, autour du lac St. Jean, particulièrement au sud, et le long des rivières qui s’y jettent, et le climat y est à peu près le même qu’aux environs de Québec: Mr. M’Douall le croit plus tempéré; mais il parait qu’il est à peu près le seul de cet avis. Nous omettons quelques particularités peu importantes dans les réponses de Mr. M’Kenzie, ainsi que dans celles des messieurs dont nous allons parler, pour ne pas trop allonger cet article.
Le sauvages ont été, il parait, moins soupçonneux, ou moins réservés, avec Paschal Tasché, écuyer, seigneur de Kamouraska, qu’avec Mr. M’Kenzie; car c’est d’eux qu’il a appris que le ci-devant ordre des Jésuites avait un établissement à Métabitchouan, sur les bords du lac St. Jean; qu’ils y avaient érigé une chapelle, une maison, et un magazin, où ils commerçaient. Il a vu les ruines d’un moulin à scie qu’ils avaient bâti, et mangé des pommes qui croissaient dans un verger qu’ils avaient planté.
Il y avait en 1775, dans cette partie du Bas-Canada appellée les Postes du Roi, y compris Mingan, 3500 âmes, suivant ce que Mr. Tasché a appris de Mr. P. Stuart, qui en avait fait le recensement; mais on lui a dit que ce nombre avait beaucoup diminué depuis, en conséquence des ravages de la petite vérole, et de la rareté croissante des moyens de subsistance.
A commencer près de la Pointe aux Roches, trois lieues audessous de Chicoutimy, au nord du Saguenay, jusqu’à la rivière Mista-achimitche, il y a un espace de 23 lieues de front sur quatre de profondeur, d’un sol riche et fertile. A la Pointe aux Roches, la plaine s’élargit à la profondeur d’environ 15 lieues. Au sud du Saguenay, depuis la baie de Ha, Ha, six lieues audessous de Chicoutimy, jusqu’au lac St. Jean, en passant au nord des lacs Tsinogami et Tsinogamitchiche, il y a un espace de 20 lieues de long sur cinq ou six de large, de terres labourables. Le climat y est généralement bon, à cause du grand nombre de montagnes qui entourrent ces terres. Les bois au nord du lac St. Jean ont brulé en 1775, et n’ont pas encore repris leur hauteur ordinaire; mais le sol est excellent. Mr. Tasché a planté des patates et des choux à Chicoutimy, de 1780 à 1785, et ces légumes y sont venus à perfection. Les choux qui s’apportent sur les marchés de Québec sont des choux nains, en comparaison de ceux qu’il a eus à Chicoutimy. L’orge, les pois et le bled qu’on y a semés sont venus à parfaite maturité.
Mr. Tasché connait plusieurs rivières, outre celles dont il a déjà été parlé, qui se jettent dans le Saguenay et le lac St. Jean. Toutes ces rivières ont des noms français ou sauvages. Mr. François Verrault parle d’un plus grand nombre encore de rivières et de lacs, et donne en français l’explication de leurs noms sauvages, quand ils en ont de tels. C’est de tous ceux qui ont répondu aux questions du comité, celui qui entre dans le plus grand détail sur ce sujet. Il est à remarquer que plusieurs de ces rivières et plusieurs de celles qui se jettent dans le St. Laurent, près des Trois-Rivières, ont leurs sources peu éloignées les unes des autres.
La tribu des Montagnais se nomme dans sa langue, Papinachoua, ce qui signifie rieurs ou railleurs, et ils sont tels, dit Mr. Verrault: ils ont même l’habitude de donner à ceux qu’ils voient pour la première fois, des sobriquets, afin de pouvoir rire et plaisanter sur leur compte, sans qu’ils s’en apperçoivent. Ils s’amusent souvent à se railler entr’eux, et ils le font si adroitement, que celui qui est l’objet de la raillerie s’en apperçoit rarement. Ils sont doux, charitables et hospitaliers, mais extrêmement poltrons.
Suivant Mr. Louis Sivrac, pilote, la navigation est ouverte à Tadoussac, 15 ou 20 jours plus tôt, et fermée environ un mois plus tard, qu’à Québec. A Chicoutimy, elle commence plus tard et finit plus tôt. La différence de la haute à la basse marée à Chicoutimy, est de 15 à 18 pieds.
On peut conclure de tous ces renseignemens que les bords du Saguenay, du lac St. Jean et des rivières qui se jettent dans l’un ou dans l’autre, offrent un pays fertile et tempéré, susceptible de recevoir une population aussi nombreuse, sinon plus, que celle que contient présentement le district des Trois-Rivières. Tadoussac, et Chicoutimy surtout, comme le dit Mr. M’Douall, deviendraient alors des villes florissantes, qui seraient l’une et l’autre l’entrepôt d’un commerce considérable et avantageux au pays. Le Saguenay, qui a roulé jusqu’ici presqu’inutilement l’immense volume de ses eaux, serait couvert de vaisseaux de toutes sortes, pendant les deux tiers de l’année, et l’emporterait de beaucoup en importance sur le Richelieu et l’Ottawa, qui ne sont navigables que pour de petits bâtimens, et à une petite distance de leur entrée dans le St. Laurent.
Il y avait autrefois un missionnaire à Tadoussac, ce qui donnait à ce lieu l’apparence d’une paroisse canadienne. Il devrait, ce nous semble, y en avoir un à Tadoussac et un à Chicoutimy: cela donnerait au moins au pays l’apparence d’un commencement de population, et pourrait y attirer un plus grand nombre d’habitans. Plusieurs de ceux des dernières paroisses du district de Québec, au nord et au sud, pourraient y émigrer avec avantage: ils se trouveraient sur un sol plus fertile et dans un climat plus tempéré, et il ne leur serait pas difficile sans doute d’obtenir la propriété d’autant de terres qu’ils en pourraient cultiver.
Dans notre premier numéro, nous avons promis de donner la description de l’Église de St. Jacques, aussitôt que possible. Les renseignemens que nous avons obtenus, quant aux dimensions, &c. nous mettent en état de nous acquitter maintenant de cette promesse, du moins autant que nous le permet le peu que nous connaissons en architecture.
On a déja dit ailleurs que l’Église de St. Jacques était, ou serait, lorsqu’on l’aurait achevée, la plus grande et la plus belle qu’on eût vue jusqu’à présent dans cette province; qu’elle se faisait remarquer surtout par la beauté et la régularité de son portail; qu’il n’était pas nécessaire d’avertir que le fronton audessus du portail n’était pas achevé, et qu’il devait s’élever de chaque côté deux tours quarrées en pierre de taille, pour faire pendant aux chapelles, et donner à l’édifice plus de grandeur et de symétrie; pour se convaincre que l’Église de St. Jacques est, ou sera en effet la plus grande et la plus belle qu’on eût encore vue en Canada, il suffira de connaitre les dimensions, les proportions et les ornemens d’architecture de cette église. Voici donc d’abord quelles en sont les dimensions:
Longueur du corps de l’église, 160 pieds; y compris les tours, qui sailleront de 18 pieds en avant, comme de chaque côté, 178 pieds, mesure française, ou 189 pieds, mesure anglaise.
Largeur, entre les tours, 66 pieds; y compris les tours, 102 pieds français, ou 112 pieds et huit pouces anglais.
Hauteur du mur, audessus des lambourdes, 36 pieds français, ou 38 pieds et trois pouces anglais.
Hauteur des tours à faire, audessus des lambourdes, 78 pieds, mesure française, ou 83 pieds et six pouces, mesure anglaise.
Les tours seront surmontées de clochers en flêches, de hauteur proportionnée, avec beffrois pour recevoir des cloches.
Le portail se compose de deux ordres, l’ionique audessous et le corinthien audessus, et dans lesquels les proportions nous paraissent avoir été exactement suivies. La même proportion et la même régularité se font remarquer dans les trois grandes portes, et les trois fenêtres qui sont audessus.
Il y aura au front de l’église un portique formé par une rangée de colonnes, dans l’alignement des tours, d’ordre ionique, comme le premier du portail, et correspondant aux pilastres de ce premier ordre, dont l’entablement sera posé sur ces colonnes, pour cacher la maçonnerie en pierre brute, entre les deux ordres; de sorte que la façade entière, ou son tout ensemble, réunira la grandeur, l’exacte symétrie, et une beauté architecturale, s’il était permis de s’exprimer ainsi, qu’on ne pourra voir, surtout pour la première fois, sans éprouver le sentiment d’une agréable surprise.
Ce n’est que pour ceux qui ne sont point venus à Montréal depuis une couple d’années, qu’il est nécessaire de dire qu’il y a partout deux rangs de fenêtres, excepté au rond-point, où elles sont plus élevées que celles d’en bas, pour la raison que nous allons mentionner.
Si du dehors de l’Église on passe dans l’intérieur, on y retrouvera encore dans les colonnes et les entablemens les deux ordres d’architecture qui décorent le portail, l’ordre ionique qui soutiendra les tribunes, et l’ordre corinthien qui soutiendra, ou paraitra soutenir la voute. Les colonnes dans le corps de l’église étant dans l’alignement du mur du rond-point, sur lequel il y aura des demi-colonnes, et les fenêtres dans ce rond-point étant à une élévation convenable, rien n’interrompra la continuité et la régularité des ordres, tout autour de l’église. La grande tribune du fond sera jointe à celles des chapelles par des tribunes latérales qui se trouveront entre les colonnes et le mur du quarré de l’église, et comme en dehors de la voute, qui sera appuyée, comme nous venons de le dire, sur ces colonnes, et non sur des pilastres adossés au mur.
Il n’y aura que trois autels: le maître-autel sera, ou plutôt est déjà couvert d’une pierre de 11 pieds de long sur 4½ de large, qu’on a tirée des carrières de la Côte de la Visitation, près cette ville, et à laquelle on a donné un poli approchant de celui que peut prendre le plus beau marbre.
La nef aura 12 pieds, et les allées de chaque côté, 9 pieds, de largeur. Le nombre des bancs sera de 180 dans le bas de l’église, et d’environ 120 dans les tribunes, de cinq pieds et quatre pouces chacun. Mais, l’intérieur n’étant point achevé, nous terminerons ici, en répétant ce qui a déja été dit de cet édifice, qu’il sera un des plus grands ornemens de cette ville, et qu’en louant l’esprit de religion, l’esprit d’entreprise, et la libéralité des personnes qui ont projetté et élevé cette Église, pour l’usage de Monseigneur l’Evêque de Telmesse et de ses successeurs, on ne doit pas passer sous silence l’habileté et la générosité de l’architecte, Mr. J. Fournier, qui s’est engagé à conduire l’ouvrage depuis le commencencement jusqu’à la fin, pour une rémunération bien moindre que celle qui lui avait été offerte.
De chaque côté de l’église, et dans l’alignement des tours, on se propose d’élever deux grands édifices, savoir un palais épiscopal et un collège. Il y a déja de fait de ce dernier une aîle à trois étages de 75 pieds sur 40, mesure française, destinée à la résidence de l’Evêque, en attendant la bâtisse du palais épiscopal, de l’autre côté de l’église, lequel sera de même situation et dimensions que cette aîle déja faite. Entre cette aîle et celle à faire, il y aura, au milieu, un corps de logis de 88 pieds sur 35, de même hauteur que les aîles; en sorte que l’édifice aura la forme symétrique d’un H.
En face de l’église est une place publique de 204 pieds de long sur 74 de large, et dont le milieu répond au milieu ou la grande porte de l’édifice. Cette place sera applanie et probablement ornée de rangées d’arbres, ou autrement. Nous ne devons pas oublier de dire en finissant, que le terrain destiné à recevoir les édifices dont nous venons de parler, a été donné en pur don par D. B. Viger, écuyer, et celui de la place publique devant l’église, par l’honorable L. J. Papineau.
En relisant dernièrement d’anciens journaux canadiens, je suis tombé sur un morceau qui m’a paru intéressant, en ce qu’il peut faire voir par la comparaison, combien les avocats canadiens parlent mieux présentement qu’ils ne faisaient alors, c’est-à-dire en 1818, et mériter, par conséquent, d’être republié, au moins en substance.
Ce morceau est intitulé le Barreau: l’auteur se dit résidant à la campagne, dans une paroisse éloignée. Il était venu, ajoute-t-il, à Montréal, avec un voisin qui avait une affaire en cour, et était obligé de s’y trouver en personne. Il n’avait assisté que rarement à l’audience depuis sa première jeunesse; il était flatté de pouvoir juger par lui-même des progrès que la science et l’éloquence y avaient dû faire. Il ne put pourtant assister à la cour qu’une fois, et peut-être, dit-il, l’occasion n’était-elle pas favorable. L’audience était peu nombreuse. On parla pourtant; mais le langage et les expressions de quelques uns de ceux que l’auteur entendit, lui parurent nouveaux et étranges: il ne put reconnaître dans leurs discours le langage qu’on parlait dans la ville, lorsqu’il y demeurait; et cela le surprit d’autant plus, que ce langage n’avait pas changé, dit-il encore, parmi celles de ses anciennes connaissances qu’il y avait retrouvées, et que d’autres avocats s’exprimèrent en termes clairs et précis, qui lui parurent tous du bon vieux tems. C’était pour lui un mystère inexplicable. “Il ne se plaida point de cause, à proprement parler, continue l’auteur; on discutait ce qu’on appelle des motions, qui me paraissent avoir beaucoup d’analogie avec ce qu’on nomme dans nos livres de Droit, les requêtes par lesquelles on introduit les incidens nécessaires aux progrès d’une cause, et les remplacer assez heureusement, autant que j’en puis juger. On discuta donc des motions. Il s’en fit plusieurs dont je ne pus deviner l’objet. Quelques unes furent faites à voix si basse que je ne pus les entendre. D’autres étaient accompagnés de termes dont je ne pus saisir le sens, tant parceque c’était des mots techniques, et qu’ils n’étaient qu’à demi prononcés.
“Voici des échantillons de phrases dont j’ai pu conserver la mémoire, tirées de quelques uns de ces discours en miniature, que je ne pus comprendre, et que je notai aussitôt mon retour au logis.
“L’un avait payé la plus grande attention à ce qui était tombé du savant conseil du Demandeur. Un autre ne pouvait concevoir qu’on pût faire cette objection à un writ retournable dans le terme précédent qui avait été servi sur le Défendeur, plus de quinze jours avant que l’action instituée en cette cause eût été retournée. Le Défendeur était trop tard dans l’étage de cette cause. Un troisième demanda comment le savant conseil pouvait entretenir l’idée que les offres qu’il faisait de filer la somme de —— à la suite des raisons qu’il avait plaidées à cette action pussent le décharger d’une demande fondée sur un acte qu’il ne pouvait renier; au surplus, un semblable reniement ne pouvait lui procurer aucun bénéfice. Il lui aurait fallu s’inscrire en faux. A la face de la déclaration la demande était fondée, sur un record qui lui-même à sa face faisait loi. Un quatrième demandait à fixer une cause pour l’évidence sur quelqu’objet particulier de la cause: il disait que l’issue était jointe sur ce point. Son adversaire était positif à dire qu’on ne pouvait recevoir cette application. La Cour l’avait décidé plusieurs fois, il en pouvait citer plusieurs instances. Un cinquième disait qu’il ne pouvait arguer la motion faute de notice; mais si le Demandeur voulait la prendre en forme de règle de montrer cause, il consentait à l’argument pour le lendemain. J’entendis parler d’autorités pointées, d’informalités, de donaisons, de raisons satisfactoires. On était prêt à rencontrer le Demandeur, on invoquait des précédens, &c.”
L’auteur demande si c’est sa faute, ou celle des orateurs, s’il n’a pu rien comprendre à ce langage? Je réponds que si ces orateurs se sont exprimés comme il le dit, ce doit être leur faute, et non la sienne, s’il ne les a pas entendus; car ce langage me parait à moi-même, et paraitra sans doute à tous ceux qui l’entendront, un jargon barbare et inintelligible. “La discution de plusieurs de ces motions, continue-t-il, fut remise au lendemain: on eût pu soupçonner que c’était pour étudier le sens des termes dont ces parleurs néologues s’étaient servis. Au moins j’aurais été forcé de le faire, si j’avais été dans la nécessité de décider entre eux. J’ai vainement cherché plusieurs de ces mots dans le Dictionnaire de l’Académie. Il serait à désirer que quelque personne éclairée parmi ceux qui fréquentent le Barreau, voulût bien en composer un dans lequel on pût trouver tous ces mots nouveaux, ou qui comportent un sens différent de celui que l’on a coutûme de leur donner ailleurs, avec des explications à l’usage de ceux qui n’ont pas travaillé cinq ans dans l’étude d’un Procureur. Cet ouvrage serait d’un grand débit, parcequ’il serait nécessaire à tous ceux que les circonstances entrainent dans des procès, qui aimeraient au moins à entendre la langue de ceux qui discutent leurs intérêts dans les Cours de Justice. Pourtant il serait peut-être plus court de parler sa langue au lieu d’employer ce barbare mélange, et de ne pas non plus en bégayer une autre qu’on ne sait et qu’on ne peut guères savoir qu’à demi. Ce qui put me surprendre encore davantage, c’est que j’entendis des Avocats qu’on appelle Anglais, qui estropient leur propre langue comme quelques uns des Avocats Canadiens dont j’ai cité les expressions, et à côté des uns et des autres des hommes qui par la pureté de leur langage, et à bien d’autres titres, auraient pu briller ailleurs et sur un théâtre digne de talens distingués.”
Si l’auteur assistait aujourd’hui à l’audience, il pourrait y observer un grand changement pour le mieux: il n’y entendrait plus les termes et les constructions barbares qu’il rapporte, mais un langage clair, correct et élégant, également propre à faire honneur à ceux qui le parlent, et plaisir à ceux qui l’entendent. Ceux qui parlaient mal alors parlent bien à présent; ceux qui parlaient bien parlent mieux encore, s’il est possible; et ceux qui sont entrés au barreau depuis ne tombent jamais dans les fautes qu’on a pu reprocher à leurs dévanciers. Si je connaissais l’auteur du morceau en question, je lui écrirais pour le prier de vouloir bien assister encore une fois l’audience, pour être témoin auriculaire de cet heureux changement. Il ne manquerait pas sans doute d’être agréablement surpris, et de faire part au public de son agréable surprise. Cet écrivain ne parle pas de la prononciation; mais je suppose qu’elle était aussi, vicieuse alors, chez quelques uns, qu’elle est correcte aujourd’hui chez tous.
M.
Lorsqu’il fut question de recevoir à l’Académie, François Joseph de Beaupoil, Marquis de St. Aulaire, Despréaux s’y opposa vivement, et répondit à ceux qui lui représentaient qu’il fallait avoir des égards pour un homme de cette condition: “Je ne lui dispute pas ses lettres de noblesse, mais je lui dispute ses titres du Parnasse.” Un des Académiciens ayant répliqué que M. de St. Aulaire avait aussi ses titres du Parnasse, puisqu’il avait fait de fort jolis vers: “Eh bien, monsieur, lui dit Boileau, puisque vous estimez ses vers, faites-moi l’honneur de mépriser les miens.”
Le Marquis de St. Aulaire répondant dans l’Académie Française, à M. le Duc de la Trimouille, qui remplaçait le Maréchal d’Estrées, dit ingénieusement: “Il me convient d’arroser de larmes la respectable cendre que vous venez de couvrir de fleurs. La différence des hommages que nous lui rendons est assortie à celle de nos âges.”
Madame la Duchesse du Maine goutait extrêmement le Marquis de St. Aulaire, et l’avait attiré à sa cour. On s’y amusait quelquefois à ces petits jeux d’esprit où l’on se fait les uns aux autres des questions auxquelles il faut répondre d’une manière ingénieuse. Un jour, la princesse proposa celui où chacun est obligé de dire son secret à la personne qui est préposée pour le demander. Elle voulut bien elle-même s’en charger. Le Marquis de St. Aulaire, qui était des derniers de la compagnie auquel son Altesse devait s’adresser, fut assez heureux pour mettre le sien en quatre vers, qu’il crut qu’un homme de 90 ans pouvait dire à la princesse sans lui manquer de respect. Aussi fut-il bien reçu, et il méritait de l’être par le tour fin et délicat de la pensée. Le voici:
La divinité qui s’amuse
A me demander un secret,
Si j’étais Apollon, ne serait pas ma muse,
Elle serait Thétis, et le jour finirait.
Vers de M. le Marquis de St. Aulaire à Madame la Duchesse du Maine.
Est-il bien vrai, divine Astrée,
Que d’indissolubles liens
Nous assurent enfin les véritables biens
Dont on vit tant de fois notre attente frustrée?
Les grands ont-ils enfin appris
Quel est de tes bienfaits le véritable prix?
Sont-ils désabusés de croire
Que sous le titre de vainqueurs,
Ils porteront au loin le pouvoir et la gloire,
Objet de leurs avides cœurs?
Quelles mains ont eu la puissance
De ramener chez les mortels
La bonne-foi, la confiance,
Nécessaires appuis de tes sacrés autels?
Tandis que quelque coin du monde
Gémira des fureurs de Mars,
Nous verrons donc ici, dans une paix profonde,
Fleurir le commerce et les arts.
O Ciel! acheve ces miracles;
Fais que l’homme de vérité
Soit toujours aussi respecté
Que tes plus célèbres oracles
Le furent de l’antiquité.
Réponse de M. le Cardinal de Fleuri à Madame la Duchesse du Maine, qui lui avait envoyé les vers précédents.
Je me rends, enfin, Madame, et je consens à laisser jouir votre berger de l’immortalité que vous lui accordez; il la mérite; et ce n’est point ce qu’il dit de flatteur pour moi qui m’engage à l’avouer; mais il est beau pour la nation et pour l’humanité, qu’un homme de près de cent ans fasse des leçons à nos poëtes modernes, de la belle et coulante versification. Personne ne joint plus élégamment la rime et la raison, et c’est un de ces miracles qui vous sont si ordinaires. Que votre berger vive donc autant qu’il a déjà vécu, puisque vous l’ordonnez; et si vous lui destinez un survivancier, je prie votre Altesse de ne pas oublier un homme qui défie en prose votre berger, de vous respecter plus que lui, et de vous être plus attaché.
Rondeau de M. de St. Aulaire à M. le Cardinal de Fleuri, qui en lui envoyant l’ordonnance de sa pension, lui mandait que le Roi ne prétendait pas la lui payer audelà de six-vingts ans.
A six-vingts ans vouloir que je limite
De mon hiver la course décrépite,
C’est ignorer que par enchantement,
A notre cour les jours passent si vite,
Que les plus longs ne sont que des momens.
Quand vous aurez chassé le Moscovite,
Et rabaissé l’orgueil des Allemans,
On voudra voir quelle en sera la suite,
A six-vingts ans.
Nos pastouraux enchantés et dormans
Sous les berceaux que notre Fée habite,
Attendront là ces grands évenemens,
Et le comptant de leurs appointemens:
Car, Monseigneur, vous n’en serez pas quitte,
A six-vingts ans.
Réponse de M. Fourmont de Rouen.
A six-vingts ans, mourir de mort subite,
Pour le commun le malheur n’est pas grand;
Mais quand on peut, d’un tour pur, sans redite,
A quatre-vingts, écrire élégamment,
On ne devrait jamais voir le Cocyte.
Le doux plaisir est un bon restaurant:
Il faut en nous par son baume puissant,
Entretenir la chaleur qui nous quitte,
A six-vingts ans.
Goutez-le donc sans que rien vous agite,
Berger aimable, et dont l’heureux talent
Joint la houlette au luth de Théocrite;
Le Cardinal plaindra-t-il son argent,
Si pour l’avoir vous lui rendez visite,
A six-vingts ans?
L’Abbé de St. Pierre étudiait au collège de Caen, avec M. Varignon. Frappé des dispositions de ce jeune homme pour les mathématiques, il le logea avec lui; et, enfin, toujours plus touché de son mérite, il résolut de lui faire une fortune qui le mît en état de suivre pleinement ses talens et son génie. Cependant cet Abbé, cadet de Normandie, n’avait que 1800 livres de rente; il en détacha 300, qu’il donna par contrat à M. Varignon. Ce peu, qui était beaucoup par rapport au bien du donateur, était beaucoup aussi par rapport aux besoins du donataire: l’un se trouva riche, et l’autre plus encore d’avoir enrichi son ami.
Québec, le 10 Juillet, 1825.
Monsieur,—J’ai lu avec un véritable intérêt le 1er numéro de l’ouvrage périodique que vous offrez au public sous le nom et titre de Bibliothèque Canadienne. Un tel ouvrage nous manquait, et j’ai été tenté vingt fois de l’entreprendre. Mais je crains bien que quelque louable que soit votre entreprise, le succès n’y réponde pas. Il est vrai que la population française de ce pays se monte à un demi million d’âmes; mais c’est tout le bout du monde s’il y en a un par chaque 500 qui sache lire. Mais entre savoir lire, c’est-à-dire, savoir épeller ses lettres suffisamment pour suivre les prières, et savoir lire et comprendre ce que l’on lit, la différence est encore immense, et je crois ne pas être éloigné de la vérité en réduisant à 500 le nombre de Canadiens assez instruits pour sentir le besoin de s’instruire davantage, et pour trouver du plaisir à le faire. Sur ces 500, il faut en rabattre la moitié, dont les moyens de subsistance dépendent de leur travail et auxquels, par conséquent, il reste bien peu de tems pour se livrer à des études étrangères à leur profession, ou bien dont les moyens pécuniaires ne leur permettent pas de se pourvoir des sources d’instruction. Nous voila donc réduits à 250 Canadiens parmi lesquels vous avez l’espoir de trouver des souscripteurs. Mais vous n’ignorez pas qu’il existe malheureusement plus d’esprit de parti que d’esprit public; que si vous cherchez à plaire à l’un vous offenserez l’autre, et vous vous le mettrez à dos; que si vous observez l’impartialité la plus stricte envers tous, vous deviendrez suspect à tous; car si non pro nobis, contra nos, est la devise de l’esprit de parti, et qu’ainsi vous serez environné d’écueils aussi dangereux que difficiles à éviter: car il est peu vraisemblable que votre ouvrage puisse se soutenir sans y mêler quelque peu de politique, science encore bien dans l’enfance parmi nous. Tout ceci n’est pas fort encourageant, direz-vous! Cela est vrai, mais cela ne doit cependant pas vous décourager. Il est possible que je me sois trompé dans mes calculs, et je le souhaite de tout mon cœur........................
Nous prenons la liberté d’arrêter ici notre correspondant, pour lui dire qu’il se trompe en effet, et grandement, dans ses calculs. Quoi! 500 Canadiens seulement en état de lire, tant bien que mal, et 250 seulement en état de souscrire à des journaux! En vérité, nous ne savons où notre correspondant avait l’esprit, quand il a avancé cela. Il pensait surement à toute autre chose qu’à ce qu’il disait, par un effet de cette distraction assez ordinaire aux gens de lettres comme aux poëtes. Pour lui faire voir qu’il y a beaucoup plus de Canadiens qui savent lire, et beaucoup plus qui peuvent souscrire, qu’il ne le croit, ou ne parait le croire, il suffira de lui faire passer en revue les différentes classes, ou les différentes professions que l’on trouve dans le pays, et c’est ce que nous faisons par les deux tableaux suivants:
Tableau des Canadiens qui savent lire. | |
Evêques, Curés, Vicaires, Missionnaires, | 200 |
Professeurs, Maîtres de Langues, Instituteurs, | 100 |
Seigneurs et Agens de Seigneuries, | 100 |
Juges, Avocats, Greffiers, | 125 |
Médecins, Chirurgiens, Apothicaires, | 100 |
Notaires, | 150 |
Arpenteurs, | 100 |
Clercs, ou Etudians en Droit, en Médicine, &c. | 200 |
Officiers et Commis de différents départemens, | 100 |
Huissiers ou Sergens, &c. | 100 |
Maîtres de Poste, Couriers, Messagers, | 50 |
Journalistes, Ecrivains de profession, Imprimeurs, | 50 |
Chantres de Paroisses, | 300 |
Négocians et Commerçans, | 500 |
Commis, ou Courtauds de boutique, | 600 |
Bourgeois, ou Rentiers, | 100 |
Artisans, Entrepreneurs, Maîtres et Compagnons, | 100 |
Aubergistes, Traiteurs, Maîtres de Pension, | 100 |
Capitaines, ou Maîtres de Vaisseaux, Pilotes, | 50 |
Cultivateurs ou Fermiers, | 100 |
Sacristains et Bedeaux, | 50 |
———— | |
3,275 | |
Femmes, | 3,275 |
———— | |
6,550 | |
Enfans de l’un et de l’autre sexe, | 6,550 |
———— | |
Total, | 13,100 |
Tableau des Canadiens qui peuvent souscrire. | |
Tous les Evêques et Curés, mettons | 150 |
La moitié des Maîtres de Langues et Instituteurs, | 50 |
Tous les Seigneurs et Agens de Seigneuries, | 100 |
Tous les Juges, Avocats et Greffiers, | 125 |
Tous les Médecins, Chirurgiens, &c. | 100 |
Les quatre cinquièmes des Notaires et Arpenteurs, | 200 |
La moitié des Etudians en Droit et en Médicine, | 100 |
Tous les Chefs de départemens et la moitié de leurs Commis, | 75 |
Le quart des Huissiers ou Sergens, | 25 |
Tous les Marchands, | 500 |
Le quart des Commis, | 150 |
Tous les Bourgeois sus-mentionnés, | 100 |
Tous les Entrepreneurs et une partie des autres Artisans, | 50 |
Les trois quarts des Aubergistes, Traiteurs, &c. | 75 |
Le quart des Maîtres de Vaisseaux et Pilotes, | 25 |
La moitié des Cultivateurs lisant, | 50 |
Le dixième des Sacristains et Bedeaux, | 5 |
Artisans ou Cultivateurs lisant par leurs femmes ou leurs enfans, | 500 |
Dames, Veuves, ou Filles majeures usant de leurs droits, | 100 |
———— | |
Total, | 2,480 |
Voila donc, suivant ces tableaux, 13,100 Canadiens en état de lire, et 2,480 en état de souscrire à des journaux ou productions périodiques. Et qu’on ne dise pas que quelques uns de ces nombres sont posés arbitrairement et sans trop d’exactitude; car s’il y en a de trop forts, il y en a aussi de trop faibles, et l’excès est amplement compensé par le défaut. On pourrait donc, ici comme ailleurs, compter les souscripteurs par milliers, au lieu de les compter par centaines, si pouvoir et vouloir était la même chose.
Mais quoique ces deux choses soient différentes, loin que nous ayons sujet de nous plaindre, le succès a surpassé notre attente, dans cette ville, et dans la plupart des grands villages de ce district. Nous ajouterons, pour rassurer notre correspondant, et ceux qui penseraient comme lui, que si le nombre des abonnés à la Bibliothèque Canadienne n’est pas encore tout-à-fait de 400, il en approche beaucoup, et que ce nombre augmente tous les jours, du moins tontes les semaines. Il serait de 500 au moins, si les districts de Québec et des Trois-Rivières en fournissaient à proportion de celui de Montréal, ou même si nous eussions fait imprimer d’abord un plus grand nombre de numéros, pour en envoyer à un plus grand nombre de personnes de marque: car nous nous sommes aussi trompés dans nos calculs; mais notre erreur a été l’inverse de celle de notre correspondant. Ce succès, (car nous croyons pouvoir appeller ainsi la chose,) nous le devons en grande partie à la bienveillance et à la recommandation de personnes respectées et estimées, tant dans les villes que dans les campagnes, et c’est ici pour nous le lieu et l’occasion de leur faire nos remercimens sincères et de leur témoigner notre vive reconnaissance. Ce serait peut-être aussi le lieu et l’occasion de faire voir aux étrangers, et même à une partie des régnicoles, en s’entendant davantage sur ce sujet, qu’il y a parmi les Canadiens, plus d’éducation, et plus de goût pour la lecture, les lettres et les sciences, qu’ils ne se l’imaginent; mais nous nous proposons de le faire dans notre 7e. No. qui sera le 1er. du tome II.
Dans ce pays, comme en France avant la révolution, le mois d’Août est l’époque des exercices littéraires, ou examens publics, pour les collèges et la plupart des écoles inférieures. Nous ne parlerons pas des exercices littéraires des collèges de Québec, de Montréal, de Nicolet et de St. Hyacinthe: ces exercices se renouvellent d’année en année, et à Québec et Montréal, de tems presque immémorial; et tout le monde connait l’excellent régime qu’on suit dans ces maisons, et l’excellent cours d’études qu’on y peut faire, et qu’y font en effet les jeunes gens doués de talens et appliqués au travail. Nous bornerons nos remarques à quelques unes des écoles où l’on apprend quelque chose de plus qu’à lire et à écrire sans s’élever jusqu’aux sciences enseignées dans les collèges.
Parmi ces établissemens, deux portent le nom d’Ecoles Latines; ce sont les écoles tenues par Mr. Bardy, à Boucherville, et par Mr. Laviolette, à la Rivière du Chêne. “Les exercices littéraires de l’Ecole latine de Boucherville, ont eu lieu le 3 Août dernier, en présence de Mgr. l’Evêque de Telmesse, de M. Tabeau, curé de la paroisse et patron de cette école, de plusieurs curés des paroisses voisines, et de tout ce qu’il y a de personnes notables dans l’endroit. Les écoliers y ont expliqué des morceaux de divers auteurs latins, tels que Cornelius Népos, Virgile, Horace et Cicéron, et ont répondu sur la grammaire anglaise, la grammaire française et la grammaire latine, ainsi que sur la géographie, l’histoire, et les belles-lettres, à la grande satisfaction de l’auditoire. Ces exercices ont été suivis d’un plaidoyer intéressant, (probablement de la composition de Mr. B.) dont le sujet était la conspiration de Philotas contre Alexandre. Le tout s’est terminé par la distribution des prix, faite de la main du prélat, toujours porté à encourager à bien faire, par sa présence et son approbation, lorsqu’elle est méritée, et les maîtres et les disciples.”
Sa Grandeur est, il paraît, le patron spécial de l’Ecole latine de la Rivière du Chêne. Les examens publics de cette école ont eu lieu le 24 du mois dernier, en présence de son révérendissime patron, de M. Paquin, curé de la paroisse, de plusieurs autres prêtres, et d’un concours nombreux des citoyens les plus respectables de l’endroit et des paroisses circonvoisines. Les écoliers y ont traduit de vive voix du latin en français, et y ont répondu sur la grammaire française et la grammaire latine, l’histoire sacrée et les belles-lettres, à la satisfaction de toutes les personnes présentes. Plusieurs jeunes messieurs américains y ont donné des preuves de leur progrès dans la langue française. Le manque de tems ne permit pas d’interroger sur l’Anglais et l’Arithmétique ceux qui en avaient fait leur étude ou principale, ou secondaire. Les différentes parties de l’examen furent entrecoupées par des récitations de fables et autres morceaux dont le choix et l’exécution font honneur à l’institution. Un dialogue composé par Mr. Laviolette, fixa surtout l’attention des auditeurs. Cinq des élèves y discutent sur la langue latine, et Lucius, l’un d’entr’eux, plus agé et plus avancé que les autres, en démontre l’utilité, en prouvant que l’étude du latin nous facilite l’intelligence de la langue française, et que de plus elle se rattache à celle des lettres en général, sans lesquelles personne ne saurait se flatter d’exceller dans les professions scientifiques. Après avoir donné à ce principe tout le développement dont il paraissait susceptible, et avoir signalé les avantages que procurent des études régulières à l’homme de loi, au marin, à l’arpenteur, au médecin, Lucius en vient à l’homme d’état, et particulièrement au délégué du peuple en parlement.
Cette partie du dialogue, dit un des assistans, nous a paru un morceau sublime et digne des grands maîtres dont on venait de nous faire l’éloge. Mais l’intérêt de l’auditoire devint plus vif encore, lorsqu’en venant à des citations, l’orateur dit d’un ton expressif: “Rappellerai-je à votre souvenir un fait qui doit faire époque dans l’histoire de notre pays? De lâches ennemis conspirent contre notre liberté, nos coutumes, nos lois, nos usages! un homme, aussi profond politique que savant littérateur, élève une voix éloquente en notre faveur. Aux accens de cette voix qui traverse l’océan et retentit parmi nous, la population se lève en masse contre cet attentat inoui. Un autre homme, notre compatriote, déjà recommandable par ses connaissances, devenu cher à son pays par une longue suite de services, se charge d’aller porter nos justes reclamations aux pieds du trône, et la patrie fut sauvée.”
La distribution des prix vint ensuite, et fut suivie de remercimens au public, et de quelques remarques sur les progrès de l’éducation en Canada, et les efforts du clergé et autres personnes notables pour la répandre. Lorsque le tout fut terminé, sa Grandeur voulut bien exprimer son entière approbation de l’institution, et des progrès que les élèves y avaient faits.
Les exercices publics de l’Ecole tenue par Mr. Augustin Vervais, à Terrebonne, sous la direction de l’Institution Royale, ont eu lieu le 2 du mois dernier, en présence d’un grand nombre de spectateurs respectables, tant de cette paroisse que des paroisses voisines. Les écoliers y ont répondu, (dit la notice qui nous a été envoyée,) aux applaudissemens des assistans, sur le catéchisme, la lecture en français et en latin, la grammaire française et la grammaire latine, l’arithmétique, l’histoire sacrée, l’histoire d’Angleterre, et particulièrement celle des trois rois du nom de Georges, qui ont précédé notre souverain actuel. Ces exercices ont été terminés par une petite scène exécutée par de jeunes enfans.
Il y a 14 ans, nous dit-on, que Mr. Vervais tient l’Ecole de Terrebonne; preuve certaine de la satisfaction réciproque et de l’Instituteur d’une part, et des écoliers et des parens, de l’autre.
L’examen public de l’Ecole de St. Antoine, sur la Rivière Chambly, a eu lieu le 13 du mois passé, en présence d’un auditoire respectable et nombreux. Les écoliers ont été examinés sur la lecture en français, en latin et en anglais; sur l’écriture, l’arithmétique et la grammaire française. On a vu (dit la notice) à cet examen, des enfans de 18 à 20 mois d’école, lire sans faire une seule faute, montrer une belle écriture, et des cahiers d’arithmétique très bien faits, et répondre avec justesse et facilité aux questions les plus difficiles de la grammaire française, branche d’éducation si utile, et cependant si négligée dans nos paroisses. Cet examen a fait beaucoup d’honneur à l’Instituteur, Mr. S. J. Lewis, et les messieurs qui ont établi et soutiennent cette école, nous semblent avoir bien mérité et être dignes de la reconnaissance des habitans de la paroisse.
Les écoles ci-dessus ne sont pas les seules qui soient tenues sur un bon pied dans ce district: on parle avec éloge surtout de celle de Varennes, tenue par Mr. P. Vauquelin, où l’on enseigne, comme à St. Antoine, l’arithmétique et la grammaire française; de celle de l’Assomption où, quoiqu’elle ne soit établie que depuis peu de tems, le nombre des écoliers est déjà très considérable, et de celle de Mr. O’Dogherty, à Berthier, où les écoliers ont fait en peu de tems des progrès rapides dans l’anglais, langue devenue d’une grande utilité dans ce pays, surtout pour ceux qui se destinent aux professions scientifiques ou au commerce.
Nous terminerons cet article par un résumé du compte rendu dans le Spectateur Canadien, des exercices publics de l’Ecole de Demoiselles de la Rivière du Chêne, qui ont eu lieu le 16 et le 17 du mois dernier.
On enseigne dans cette école, la lecture, l’écriture, l’arithmétique et la grammaire, le tout dans les langues française et anglaise; la géographie et l’histoire, particulièrement celles du Canada, pour lesquelles deux petits traités ont été composés, nous a-t-on dit, par le Dr. Labrie, patron de cette école. On y enseigne en outre, la broderie, le dessin et la musique, arts dans lesquels les écolières ont fait voir qu’elles avaient fait des progrès, aussi bien que dans les branches d’éducation dont nous venons de parler. On attribue encore au Dr. Labrie, et probablement avec raison, un petit drame rempli d’excellentes leçons de morales et de sentimens nobles et généreux, dont l’expression, dans une scène conduite avec art, a fait verser des larmes à plus d’un spectateur attendri.
Il se trouvait à cette fête, (car c’en était une pour l’endroit,) des personnes de presque toutes les parties de ce district, les unes ayant des enfans à cette école, les autres attirées par l’intérêt vif que commence à prendre dans ce pays tout ce qui a rapport à l’éducation. Mr. Paquin, curé de la paroisse, préluda à la distribution des prix, qu’il fit lui-même, par un petit discours adressé aux écolières, où il eût été impossible de mettre plus d’élégance dans le style et plus de sagesse dans les préceptes. Après avoir rendu le juste tribut d’éloge dû au Dr. Labrie, fondateur et patron de cette école, et après avoir rappellé aux écolières la reconnaissance qu’elles lui devaient, M. Paquin leur fit remarquer surtout que les lumières procurées par l’éducation étaient un acheminement à de plus hautes vertus, et en particulier à la piété, qui en est comme la mère; qu’elles en avaient déjà donné la preuve par leur conduite, et que sans doute elles continueraient à faire sentir le prix qu’on devait attacher à l’éducation, en se rendant de plus en plus respectables, et par là même à inspirer à leurs parens le désir de la procurer à leurs enfans, pour les faire participer aux mêmes avantages.
L’examen a été suivi d’un diner donné par le Dr. Labrie à un grand nombre de ses amis, parmi lesquels se trouvaient plusieurs des pareils des écolières; et la fête s’est terminée par un feu d’artifice bien entendu, et l’ascension d’un ballon qui s’est élevé à plusieurs centaines de pieds; le tout par les soins et sous la direction de Mr. J. Genevay.
On ne sait, ajoute la notice, ce qu’on doit le plus admirer, du zèle et de l’activité du Dr. Labrie, des talens des institutrices, de l’application et des progrès des élèves, ou de l’intérêt vif que toutes les personnes de l’endroit et des environs paraissent prendre à cet établissement.
L’amour, dit Plutarque, a tant de retenue, de modestie et de fidélité, qu’en prenant possession d’un cœur corrompu, il le détache aussitôt de toutes ses autres passions. Il lui ôte sa fierté, son arrogance, son effronterie, pour le rendre tranquille, réservé, silencieux, et entièrement soumis au seul objet de sa tendresse. On se rappelle l’aventure de cette Laïs, si fameuse par le grand nombre de ses amans, qui enflamma les désirs de la Grèce entière, et vit les deux mers qui la baignent, se disputer sa possession. Devenue amoureuse du Thessalien Hippolochus, elle quitta l’Acro-Corinthe, qu’arrosent de si belles eaux, se déroba secrètement à la foule nombreuse de ses amans, pour aller vivre retirée, avec le nouvel objet de son amour. Mais les femmes de la ville, jalouses de sa beauté, la lapidèrent dans le temple de Venus, qui, à cause de cet événement, fut appellée Venus homicide. On a vu des femmes esclaves refuser de vivre avec leurs maîtres, et de simples particuliers mépriser des reines mêmes, parceque leur cœur était déjà sous l’empire de l’amour.
Anciennement, les femmes russes avaient une manière de s’habiller uniforme, et dont elles n’auraient pas cru pouvoir s’écarter sans crime. Elles ne se trouvaient jamais dans la société des hommes. Même les maisons des personnes de qualité avaient une entrée particulière et des réduits séparés pour elles. Quelquefois seulement, lorsqu’un maître de maison avait compagnie, il faisait paraitre un moment sa femme, accompagnée de ses servantes, pour être saluée par les convives, et leur présenter un verre d’eau de vie; après quoi, elle retournait, par une voie dérobée, à son appartement. Pierre I. ordonna qu’à l’avenir, les femmes seraient invitées, aussi bien que les hommes, aux nôces et aux autres divertissemens, mais qu’elles ne s’y trouveraient qu’habillées à la française; que les deux sexes se réuniraient dans la même chambre, et que ces parties de plaisir seraient terminées par des concerts et des danses. Il assistait souvent lui-même à ces sortes de fêtes, et y amenait les seigneurs et les dames de sa cour. Il était averti des nôces de toutes les personnes de distinction, et ne manquait pas de s’y rendre, apportant, presque toujours, un cadeau pour la mariée, surtout lorsqu’elle épousait un officier nouvellement arrivé en Russie.
Ceux qui veulent expliquer tout, quoique le plus souvent ils ne sachent rien, prétendent que ce sentiment naturel d’opposition qu’on a pour quelqu’un ou pour quelque chose, est produit par les astres. Ainsi, suivant eux, deux personnes nées sous le même aspect, auront un désir mutuel de se rapprocher, et s’aimeront sans savoir pourquoi; de même que d’autres se haïront sans motif, parcequ’elles sont nées sous des conjonctions opposées! Mais comment expliqueront-ils les antipathies que de grands hommes ont eues pour les choses les plus communes? On en cite un grand nombre auxquelles on ne peut rien comprendre.
Lamothe-Levayer ne pouvait souffrir le son d’aucun instrument, et goutait le plus vif plaisir au bruit du tonnerre.
César ne pouvait entendre le chant du coq sans frissonner.
Le chancelier Bacon tombait en défaillance, toutes les fois qu’il y avait une éclipse de lune.
Marie de Médicis ne pouvait souffrir la vue d’une rose, pas même en peinture, et elle aimait toute autre sorte de fleurs.
Le duc d’Epernon s’évanouissait à la vue d’un levraut.
Le maréchal d’Albret se trouvait mal dans un repas où l’on servait un marcassin ou un cochon de lait.
Henri III (de France) ne pouvait rester seul dans une chambre où il y avait un chat.
Uladislas, roi de Pologne, se troublait et prenait la fuite, quand il voyait des pommes.
Scaliger frémissait de tout son corps, en voyant du cresson.
Erasme ne pouvait sentir le poisson, sans avoir la fièvre.
Un Anglais se mourait quand il lisait le chapitre 53 d’Isaie.
Le cardinal Henri de Cardonne tombait en syncope, quand il sentait l’odeur des roses.
Ticho-brahé sentait ses jambes défaillir à la rencontre d’un lièvre ou d’un renard.
Cardan ne pouvait souffrir les œufs; le poëte Arioste, les bains; le fils de Crassus, le pain; César de Lescalle, le son de la vielle.
On trouve quelquefois la cause de ces antipathies dans les premières sensations de l’enfance. Une dame qui aimait beaucoup les tableaux et les gravures, s’évanouissait lorsqu’elle en trouvait dans un livre. Elle en dit la raison: étant encore petite, son père l’apperçut un jour, qui feuilletait les livres de sa bibliothèque, pour y chercher des images: il les lui retira brusquement des mains, et lui dit d’un ton terrible, qu’il y avait dans ces livres des diables qui l’étrangleraient, si elle osait y toucher. Ces sottes menaces, assez ordinaires aux parens, occasionnent presque toujours de funestes effets qu’on ne peut plus détruire.
Pline, qui était aussi crédule qu’éloquent, assure qu’il y a une telle antipathie entre le loup et le cheval, que si le dernier passe où le premier a passé, il sent aux pieds un engourdissement qui l’empêche presque de marcher.
On ne va plus guère aux bals pour danser; les jeunes personnes seules aspirent encore au moment où elles feront un pas d’été, une trénis; mais il semble que les jeunes gens ne soient plus Français; ils dédaignent, ils négligent la danse. Eh! messieurs, croyez-vous que la danse ne soit pas un art digne de fixer votre attention? lisez les Lettres et Entretiens de Ch. Baron, l’ouvrage de M. Faget, et tant d’autres dont les noms ne me sont pas présents. Vous y verrez tout le mérite qu’un connaisseur découvre dans une pirouette; toutes les qualités que reclame un entre-chat.
Moi, qui suis encore assez novice pour préférer la danse à l’écarté, et le sourire d’une jolie demoiselle à la vue d’un roi d’atout, je me rends dernièrement à une soirée où l’on m’avait bien promis que l’on danserait. J’arrive à neuf heures; j’entends le son de la musique; je reconnais le quadrille de la Gazza. Fort bien, me dis-je, ici du moins, la danse n’est pas totalement abandonnée pour le jeu.
Je pénètre dans les salons; je vois de forts jolies femmes, de charmantes demoiselles, et tout cela dansait; il n’en restait pas une seule pour faire tapisserie. “Diable, dis-je, au maître du logis, je n’ai plus qu’une crainte, c’est de ne point trouver de danseuses. Il est vrai, me dit-il, que j’ai tellement recommandé aux jeunes gens que j’ai invités, de faire danser les demoiselles, sous peine de ne plus leur donner de bal, que jusqu’à présent, ils s’en sont fort bien acquittés; et j’ai invité six fois plus d’hommes que de dames, parceque je sais que celles-ci n’aiment point à faire tapisserie.”
D’après cela, je pense qu’il faut m’y prendre d’avance pour avoir une danseuse. A peine le quadrille est-il fini, que m’approchant d’une jeune personne fort gentille, je fais mon invitation. “Je suis, bien fâchée, monsieur; je suis engagée.” Je vais à une autre; même refus; à une troisième, je ne suis pas plus heureux; je fais ainsi le tour du salon; je me décide alors à engager pour la suivante... c’est bien autre chose... l’une est retenue pour dix contredanses; l’autre pour neuf: celle-ci a pris tellement d’engagemens qu’elle s’y perd; il faudrait un album à chacune de ses dames. Il me semble être encore en province, où, pour avoir une danseuse, il faut la retenir huit jours d’avance.
Je veux danser cependant; je l’ai mis dans ma tête. J’ai bien remarqué là-bas une dame qui ne dansait pas pendant le dernier quadrille; mais aussi, quarante-huit ans au moins!... une parure d’un ridicule!... la tête surchargée de fleurs, de plumes, de rubans; une figure couverte de rouge et de mouches, un nez plein de tabac; tout cela n’est pas fort engageant; n’importe, je me décide. Cette dame s’est placée entre deux jeunes personnes, probablement dans l’espérance qu’on invitera ce côté là en bloc; je m’avance vers cette dame; je commence la phrase d’usage... elle ne me laisse pas achever; elle se lève, me saisit la main; c’est elle qui m’entraîne au premier quadrille qui se forme, en repoussant toutes les personnes qui se trouvent sur son passage... Je me laisse mener comme un enfant; je suis tout étourdi de ce que je vois; je crains que cette dame n’ait des crispations.
Ah! mon Dieu! à peine le signal est-il donné, que ma danseuse part, s’élance, m’entraîne, tourne et balance devant moi sans me laisser respirer. Je ne sais où j’en suis; la danse extraordinaire de ma dame ne tarde pas à faire sensation; on nous entourre; les parieurs quittent le tour de la table pour venir admirer ma danseuse, qui, enchantée de l’effet qu’elle produit, et ne doutant pas que sa danse ne cause l’admiration générale, ne veut pas rester un moment en repos, et me fait faire des passes ou de petits ronds, même lorsque ce n’est pas à nous à partir. C’est en vain que je lui dis, tout-à-l’heure, madame, ce n’est pas encore à notre tour; on ne fait plus de passes; restez donc là. La dame est lancée; elle veut se dédommager de deux heures d’inaction; elle va toujours son train; la sueur qui coule de son front se mêle à son rouge, ses boucles tombent en repentir, ses plumes volent au gré du vent, une guirlande de fleurs s’est détachée, et lui sert de collerette; mais rien ne l’arrête, et quand par hazard ses yeux se tournent vers le cercle qui nous entourre, elle sourit d’un air qui semble dire: vous ne vous attendiez pas à me voir danser ainsi; une autre fois, vous m’inviterez plutôt.
Mon martyr touchait à sa fin; on venait de crier le fameux, chassez les huit, lorsqu’un jeune homme va, par malice, demander une gigue. Ah! pour le coup, c’est pour en mourir. Je feins de ne point entendre, et veux reconduire ma danseuse, mais elle m’arrête: “comment, monsieur, vous quittez la place! n’entendez-vous pas le violon? c’est une gigue, monsieur.”—“Ah! madame, pardon, je croyais...—Ah! je raffole de la gigue; je la danse quelquefois chez moi avec ma femme de chambre.—Madame, c’est que je ne connais pas cette figure-là.—Oh! je vous ferai bien aller, moi, c’est si joli; vous verrez mes pas russes.”
Je veux en vain me défendre; il faut céder. Heureusement que la gigue permet de changer de dames et de cavaliers. Pendent que ma danseuse tourne comme un toton, voltigeant de l’un à l’autre comme un ballon, je m’esquive, je me perds dans la foule, je sors enfin du bal, et cours sans m’arrêter jusque chez moi. Il me semblait toujours avoir sur les talons mon intrépide danseuse, et la maudite gigue ne me sortait pas des oreilles.
Deux de ces honnêtes cultivateurs dont les mœurs rappellent quelquefois l’idée de celles que les poëtes attribuent aux hommes pendant la durée de l’âge d’or, étaient établis dans la même paroisse. Ils s’étaient mariés aux deux sœurs, et élevaient chacun une famille à laquelle ils apprenaient à chérir la vertu, dont ils leur donnaient des préceptes soutenus de leur exemple. Les parens s’aimaient. Les enfans, imitateurs fidèles de leurs parens, vivaient dans la plus parfaite concorde, et donnaient l’exemple de cette harmonie si commune autrefois en ce pays entre tous les membres et les alliés d’une même famille. Deux des enfans de chaque maison, garçon et fille, avaient surtout contracté l’un pour l’autre une amitié encore plus étroite. Cette union assez naturelle, fruit des liens du sang, et des sentimens que leur inspiraient leurs parens, était encore augmentée par une conformité plus marquée de goûts et d’inclinations, qui avait percé dès la plus tendre jeunesse. Au lieu de diminuer de vivacité, ce sentiment prit de nouvelles forces avec l’âge. Ils grandirent, et comme la modestie la plus sévère présidait à tous les amusemens auxquels tous ces enfans se livraient dans leurs rassemblemens journaliers, on ne fit qu’une très légère attention d’abord à une liaison aussi intime, qui, avec d’autres mœurs, aurait pu faire soupçonner de ces inclinations vicieuses, souvent précoces, dont ces âmes, simples et innocentes, n’étaient pas susceptibles.
Cependant le tems vient où la nature développe en nous son empire, et l’exerce sur les cœurs. Ces deux jeunes personnes se livrèrent sans y songer, à des sentimens plus vifs, et ne commencèrent à en sentir la force que quand ils n’eurent déjà plus assez de liberté pour imaginer qu’il leur fût possible de vivre l’un sans l’autre, et qu’il y eût dans l’univers un autre objet auquel ils pussent réciproquement s’attacher. En même tems la pureté de leurs mœurs était portée au plus haut degré. Par une réserve extrême, suite de cette première vertu, ils passèrent plusieurs années sans se faire part l’un à l’autre de leur attachement mutuel. Mais l’amour pénètre le secret des cœurs. Ils s’aimaient trop pour ne pas s’être devinés. Il ne fût bientôt plus en leur pouvoir de le cacher. Ils se virent réduits à se faire en rougissant des aveux réciproques d’un sentiment qu’ils s’étaient en vain dissimulé, et qu’il ne leur était pas possible de taire plus longtems.
Il fallait avoir recours aux parens, à qui nos jeunes amans demandèrent réciproquement la permission d’unir pour toujours leur sort aux pieds des autels. La religion catholique défend les mariages entre cousins germains et même entre ceux de dégrés plus éloignés. Les parens qui auraient été portés à désirer celui-ci, qu’ils pouvaient envisager comme propre à reserrer les liens de famille et d’amitié qui existaient entre les deux maisons, se trouvèrent très embarrasés en songeant à l’obstacle que cette prohibition mettait à l’accomplissement de leurs désirs. Après avoir balancé entre eux toutes les circonstances qui pourraient les autoriser à cette démarche, ils parlèrent à leur curé des vœux des jeunes personnes. C’était un vieillard aussi respectable par sa conduite que par ses lumières, qui exerçait sur ses paroissiens l’empire que donnent la vertu, l’âge, les talens et la dignité de ses fonctions réunies. D’ailleurs, il gouvernait la paroisse depuis quarante ans. Il en avait marié presque tous les habitans, et baptisé et instruit tous les enfans dans les devoirs de la religion dont il était le ministre. Quoique ce vénérable pasteur eût toute la douceur et l’indulgence qu’inspire une charité éclairée pour les faiblesses des humains, il avait aussi toute la sévérité des principes qui doit s’armer contre les passions qui trop souvent les égarent, et qu’il faut leur apprendre à combattre. Sa réponse fut, comme on l’imagine bien, dictée par son devoir. Il travailla aussi à les détourner d’un projet d’alliance qui blessait les règles de la discipline de l’église, et dont il ne voyait aucune raison de s’écarter. Néanmoins sur les représentations des parens, il les engagea à leur envoyer les deux jeunes personnes pour leur parler à eux-mêmes. Ceux-ci allèrent le trouver. Ils lui rendirent de leur conduite un compte qui dut le satisfaire. De son côté, il leur fit observer que l’union qu’ils voulaient contracter répugnait à l’esprit de l’église, et les exhorta à faire leur possible pour oublier des sentimens qui se trouvaient en opposition aux règles qu’elle prescrit. La vertu de ces deux jeunes personnes avait pour appui la religion même dont leur pasteur leur parlait le langage: ils prirent la résolution d’oublier, s’il se pouvait, leurs premiers amours. Ils cessèrent de se voir. Un grand écrivain a dit qu’on n’aimait bien qu’une fois, et que c’était la première. Ceux-ci n’avaient jamais connu d’autre attachement. Un amour de cette trempe une fois allumé dans des cœurs sensibles et tendres est d’autant plus difficile à éteindre qu’il est accompagné de plus d’innocence et de vertu. Nos jeunes amans étaient absolument étrangers à toutes les circonstances capables d’affaiblir leurs affections et de leur faire imaginer la possibilité d’être infidèles. Ils n’étaient plus maîtres de leurs cœurs. Leur résolution fut vaine. Ils n’avaient jamais connu d’autres plaisirs que celui de vivre ensemble. Ils ne pouvaient se persuader qu’il y eût pour eux au monde une autre espèce de bonheur. Cependant, rigoureusement attachés à leurs devoirs, ils étaient décidés à les observer fidèlement, quelque dût être le prix du sacrifice. Mais leur raison ne put soutenir longtems ce combat inégal. Le chagrin s’empara de ces âmes neuves. Leur santé s’affaiblissait à vue d’œil. Les parens alarmés avaient en vain cherché la cause de ce dépérissement. Ce ne fut qu’à force de sollicitations qu’ils purent arracher leur secret à ces victimes de la tendresse et du devoir.
Il fallait se résoudre à aller de nouveau vers le pasteur qui avait résisté à leurs désirs. Les vertueux parens lui firent avec naïveté le tableau de la situation de leurs enfans, et des motifs qui les avaient déterminés eux-mêmes à venir lui faire part de leurs peines, et des justes sujets d’inquiétude qu’ils avaient sur leur sort. Le curé, après avoir pris des renseignemens exacts, et après avoir vu les jeunes personnes elles-mêmes, convaincu de l’innocence de leurs mœurs et de la sagesse de leur conduite, crut que c’était une de ces occasions où il pourrait être à propos de reclamer l’indulgence dont l’église use quelquefois envers ses enfans, et qu’il était juste dans celle-ci de se relâcher, autant qu’elle pourrait le permettre, de la sévérité des règles qu’elle prescrit à cet égard. Il se chargea lui-même d’écrire à l’Evêque, qui, sur ses représentations, accorda les dispenses nécessaires pour procéder à la célébration du mariage. Les deux jeunes amans reçurent la bénédiction nuptiale. Ils sont aujourd’hui l’exemple de la paroisse, et comme leurs parens, un modèle de toutes les vertus qui peuvent accompagner l’union conjugale. Il y a plus de quinze ans qu’ils sont mariés. Leur famille est déjà nombreuse. La religion, les bonnes mœurs, l’économie, l’industrie, le travail et l’ordre président au gouvernement de leur maison. On n’a jamais vu de mariage mieux assorti, et de ménage plus heureux. Si ce n’est pas un exemple à imiter, c’est au moins un de ces traits qui prouvent qu’il est des exceptions aux règles les plus sages.
D.
PORTRAIT DU MESSAGER DU MANS.
Trapu, courteau, mais bien pris dans sa taille;
Le teint luisant, les cheveux longs et droits:
Un nez haut en couleur, et dont vaille que vaille,
Je crois qu’en un besoin l’on en ferait bien trois.
Œil agard, front étroit, la tête un peu pointue;
La bouche noire, large, et, dieu sait quelles dents:
Le dos si rond qu’on croit qu’on voit une tortue,
Lorsque l’on voit le messager du Mans.
SONGE DE PATRICE.
Je songeais, cette nuit, que de mal consumé,
Côte à côte d’un pauvre on m’avait inhumé,
Et que n’en pouvant point souffrir le voisinage,
En mort de qualité, je lui tins ce langage:
Retire-toi, coquin, va pourrir loin d’ici;
Il ne t’appartient pas de m’approcher ainsi...
Coquin, me repart-il, d’une arrogance extrême,
Va chercher tes coquins ailleurs, coquin toi-même.
Ici tous sont égaux, je ne te dois plus rien;
Je suis sur mon fumier, comme toi sur le tien.
LE VRAI HÉROS.
Est-on héros pour avoir mis aux chaînes
Un peuple ou deux? Tibère eut cet honneur.
Est-on héros, en signalant ses haînes
Par la vengeance? Octave eut ce bonheur.
Est-on héros, en regnant par la peur?
Séjan fit tout trembler, jusqu’à son maître.
Mais de son ire éteindre le salpêtre;
Savoir se vaincre, et réprimer les flots
De son orgueil, c’est ce que j’appelle être
Grand par soi-même; et voila mon héros.
CHANSON.
Après le malheur effroyable
Qui vient d’arriver à mes yeux,
J’avoûrai désormais, grands dieux,
Qu’il n’est rien d’incroyable.
J’ai vu sans mourir de douleur,
J’ai vu... siècles futurs, vous ne pourrez le croire:
Ah! j’en frémis encor de dépit et d’horreur;
J’ai vu mon verre plein, et je n’ai pu le boire!
A QUATRE SŒURS.
Sur l’air: O Fontenoy.
Tous les amours voltigent sur vos traces;
Par les beaux arts, vous regnez sur les cœurs:
Une de moins, vous seriez les trois grâces;
Et cinq de plus, vous seriez les neuf sœurs.
SUR UN POËTE PLAGIAIRE.
Qui pourrait de ses vers lui disputer la gloire?
Chacun sait que sa muse est fille de mémoire.
CONTRE LE JEU. (Par feu Mr. Q.... L.)
Du tems si précieux dévorateur futile,
Des plaisirs de l’esprit substitut puérile,
Stérile amusement, où l’âme s’amoindrit,
Où rien ne plaît au cœur, ni ne parle à l’esprit,
Vaine occupation des têtes sans étoffe,
Maudite invention qu’à bon droit j’apostrophe,
Où plus d’une vertu fit trop souvent faux bond;
Toi qui sais transformer une dupe en fripon;
Stimulant dangereux qui flatte l’avarice,
Triste Jeu, qu’es-tu donc, si tu n’es pas un vice?
Né, à L. M. Viger, Ecuyer, un fils, le 21 Août dernier.
Marié, à St. Eustache, le 15, par M. Paquin, J. B. Archambault, Ecr. Notaire, de St. Roch, à Madame Veuve M. Seguin, N. P. ci-devant de St. Denis.
Décédés, le 5 du mois dernier, Barthelemy Antoine Edmond, enfant de L. B. Leprohon, Ecr. âgé de 16 mois.
Le même jour, Charles Robert, âgé de 17 mois, et Jean Benjamin, âgé de trois ans, tous deux enfans de Frédéric Goedicke, Ecuyer.
A Lachenaie, le 11, à l’âge de 14 ans, J. B. Etienne Rochon, Etudiant au Collège de cette ville, fils de J. M. Rochon, Ecr. M. P.
A Boucherville, le 16, Dame Magdeleine St. Blin, veuve de feu l’hon. René Amable de Boucherville.
Le 23, Marie Olivier Arthur, enfant de l’hon. L. J. Papineau, âgé de 11 mois.
Le 26, Dame M. Louise Meziere, épouse de J. B. Douaire Bondy, Ecuyer.
Le 29, Mr. F. X. Chatillon, Etudiant en droit.
A Laprairie, le 30, Dame Eunice Parker, épouse d’E. Henry, Ecuyer.
Bureau du Secrétaire Provincial, 17 Août. Il a plu à Son Excellence le Lieut. Gouverneur, nommer Mr. Godefroy Gagnon, Notaire Public.
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[The end of La bibliothèque canadienne, Tome 1, Numero 4, Septembre, 1825. edited by Michel Bibaud]