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Title: L'Abeille Canadienne Issue 03 of 12
Date of first publication: 1818
Author: Henri-Antoine Mézière (editor)
Date first posted: Mar. 7, 2020
Date last updated: Mar. 7, 2020
Faded Page eBook #20200313
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A M. Valentin L*******, qui venoit de quitter les lettres pour
le commerce.
Est-il bien vrai? quoi! du Permesse
Tu désertes les bords fleuris,
Pour suivre l’aveugle déesse
Qui chaque jour flatte et caresse
De ridicules favoris?
Muses! quelle douleur extrême!
Couvrez-vous de cyprès et d’if!
Valentin, Valentin lui-même,
De votre cour, est fugitif;
Et le successeur, de Moncrif
Devient le rival de Barrême.
Quoi! je n’entendrai plus ton vers,
Dans une romance naïve,
Soupirer les chagrins amers
D’une pastourelle plaintive!
Au lieu de jolis madrigaux,
Au lieu de dizains, de rondeaux,
De chansons et d’épithalames,
Il faut débiter, créditer,
Accuser, payer, escompter,
Faire et refaire mainte course;
Souvent à l’heure de la Bourse
Sacrifier un rendez-vous;
Et quoique ton cœur en murmure,
Pour une lettre de voiture,
Abandonner un billet doux!
Mais la nature enfin l’emporte:
On a beau lui fermer la porte,
Malgré nos clés et nos verroux,
Toujours elle rentre chez nous
Et plus obstinée et plus forte.
Je crois te voir dans tes bureaux,
Entouré du livre de caisse,
De lettres d’avis, de journaux,
Rimant pour ta jeune maîtresse
Des couplets qu’elle croit nouveaux,
Et faisant plus d’un compte faux
Pour mieux lui peindre ta tendresse.
On dit même, et j’en suis confus,
Que dans un paîment en écus,
Distrait par des soins plus sublimes,
On t’a vu, pour chercher des rimes,
Ou pour sauver un hiatus,
Te tromper de quelques centimes.
Crois-moi, du temple des beaux arts
Poursuis la route peu commune;
Mais de l’autel de la fortune
Ne détourne point tes regards.
Enfant du dieu de l’harmonie,
Aime, calcule, versifie,
Réunis des talents divers;
Et forme une triple alliance
Entre le dieu de la finance,
Et l’Amour et le dieu des vers.
A. L.
Ruche d’Aquitaine.
Les mémoires de Dangeau forment cinquante-huit volumes in-4o. Madame de Genlis en a extrait ce qui pouvoit paroître intéressant ou nouveau: c’est un service que sauront apprécier ceux qui aiment à connoître les détails de la cour de Louis XIV, c’est-à-dire, un grand nombre de lecteurs.
Je ne prétends pas juger ces mémoires; Voltaire et Madame de Genlis en ont parlé, l’un avec trop de sévérité, l’autre avec trop de bienveillance. C’est dans ce milieu qu’on pourrait trouver la vérité. Je ne veux m’occuper ici que de l’auteur.
Madame de Genlis a fait précéder l’extrait qu’elle nous donne de ces mémoires, d’une, notice sur la vie de Dangeau, et d’un discours préliminaire. Elle n’a pour objet, dans ce dernier morceau, que de se justifier du reproche d’avoir accusé Fénélon d’injustice envers Louis XIV. Je me trompe: son but est de prouver que c’est avec raison qu’elle lui a fait ce reproche.
Il importe assez peu de savoir aujourd’hui si c’est justement que Louis XIV crut trouver, dans quelques passages de Télémaque, des allusions à son règne, et par conséquent une critique assez dure de sa conduite. Ce dont il est facile de se convaincre, c’est que ces mêmes passages, rapportés par Madame de Genlis comme justifiant l’indignation du grand monarque, sont incontestablement ceux où la morale la plus pure s’allie à la politique la plus noble et la plus généreuse; d’où il résulte que si Louis XIV a eu raison de les prendre pour une critique, la postérité ne peut savoir mauvais gré à Fénélon de les avoir écrits.
Quant au précis de la vie du marquis de Dangeau, il contient, avec une scrupuleuse exactitude, les emplois dont il fut revêtu et les charges qu’il remplit. Toutefois il est permis de dire que par ce même sentiment de bienveillance de l’éditeur, on n’y retrouve pas ce que les contemporains de Dangeau nous ont transmis sur son caractère.
Dangeau fut parfaitement ce que l’on appeloit alors un courtisan Faire sa cour, fut l’affaire de toute sa vie. C’étoit alors une profession lucrative.[1] Peu s’en falloit qu’elle ne fût honorable; du moins est-il certain qu’elle conduisoit aux honneurs, et ceux dont Dangeau fut revêtu, nous en fournissent une preuve incontestable.
Petit gentilhomme de la Beauce, sa manie fut d’être grand seigneur. Il avoit servi dans sa jeunesse, et montré de la valeur: il la laissa depuis oisive; et s’il préféra la cour de Louis aux fatigues des camps, peut-être avoit-il senti que c’étoit là que l’attendoient les honneurs même militaires. C’est du moins ce que feroit croire ce mot si piquant rapporté par Madame de Sévigné: Encore dix ans de paix, et Dangeau sera maréchal de France.
Doué du talent le plus extraordinaire pour la combinaison des jeux, il lui dut toute sa fortune. Madame de Genlis mentionne aussi cette singulière aptitude, mais elle a négligé de nous en faire savoir les résultats. Madame de Sévigné, témoin oculaire, nous apprend que “les deux cent mille francs en dix jours, les cent mille écus en un mois, tout cela se mettoit sur le livre de recette.” Ajoutons que jamais sa probité ne fut même soupçonnée, et que c’est le duc de Saint-Simon, si connu par sa malignité, qui l’atteste. Le Roi vouloit s’en convaincre par lui-même. Il parvint à se placer derrière le fauteuil de Dangeau, à l’insu de ce dernier, il reconnut que son courtisan n’étoit qu’un joueur habile, et “il fallut bien”, dit encore Madame de Sévigné, à qui nous devons cette circonstance, “il fallut bien le laisser gagner tout à son aise.”
Mais si l’on fit grâce à Dangeau des soupçons injurieux qui pouvoient naître de son bonheur constant, on ne lui épargna point le ridicule. Sa manie d’être grand seigneur, ses adulations perpétuelles de tout ce qui étoit en faveur, son ostentation à relever les honneurs que Louis XIV laissa tomber sur lui, tout prêta matière à rire à ces bons courtisans, qui savoient bien qu’à la cour un ridicule est pire qu’un vice.
C’est ainsi qu’on s’égaya beaucoup du cadeau qu’il fit à Madame de Montespan pour sa ménagerie de Clagni, pour laquelle il ramassa “les truies les plus grasses, les vaches les plus pleines, les moutons les plus frisés, les oisons les plus oisons;” troupeau qu’il fit passer en revue devant la cour, “comme celui de Jacob;” et cela pour ne pas être en reste avec Langlée, qui avoit donné à Madame de Montespan “cette robe d’or sur or, rebordé d’or, et par dessus un or frisé, rebroché d’un or mêlé avec un certain or,” qui, suivant Madame de Sévigné, “faisoit la plus divine étoffe qu’on eût imaginée.”
Mais le ridicule fut à son comble, lorsque le Roi l’eut nommé grand-maître de l’ordre de Saint-Lazare. Il se fit, dit Saint-Simon, le singe du Roi, dans les promotions de cet ordre, où toute la cour accouroit pour rire avec scandale, tandis qu’il s’en croyoit admiré.
Il épousa en secondes noces une demoiselle de Lœvestein, issue d’une branche cadette des électeurs Palatins. Le Roi désiroit vivement ce mariage, et la demoiselle, qui, suivant la plaisante expression de Saint-Simon, sentit le tuf à travers tous les ornemens qui le couvroient, résista long-temps; mais ce fut en vain: il fallut obéir.
Ce mariage n’eut pas les suites que redoutait pour Dangeau Madame de Sévigné, qui, après avoir raconté qu’il épousoit la plus belle nymphe de la cour, ajoute si plaisamment: “Oh! trop heureux d’avoir une si belle femme! il faut en croire Molière.” Pour le coup, Molière eut tort. Madame de Dangeau, dans un mariage du goût du Roi et fort peu du sien, vécut comme un ange. C’est encore le duc de Saint-Simon qui l’atteste, et je suis fâché, je l’avoue, de trouver la satire dans la bouche de Madame de Sévigné, et la justification dans celle de Saint-Simon: c’est le monde renversé.
Ce mariage si brillant fut cependant encore un ridicule, et Dangeau eut cette fois le malheur d’en sentir le désagrément.—Dès qu’il eut épousé Madame de Lœvestein, “il se crut électeur Palatin.” Malheureusement pour lui la Dauphine étoit de la même maison. Elle apprit que Madame de Dangeau avoit signé “Sophie de Bavière.” Cette princesse fut transportée d’une telle colère, que le Roi se crut obligé d’aller chez elle pour l’appaiser, “craignant pour ses couches;” c’étoit prendre la chose au vif. Par égard sans doute pour la France, qui attendoit un Dauphin, Madame de Dangeau raya sa signature, et signa simplement Lœvestein. La Dauphine, dit Madame de Sévigné, exigea “qu’elle ne fût point Bavière, ou qu’autrement ils ne seroient pas cousins;” Dangeau, qui connoissoit tout le prix de la faveur, aima mieux sans doute rester cousin.
Les courtisans plaisantèrent beaucoup de cette aventure; et l’on voit, dans ses lettres, Madame de Sévigné en rire avec le président de Mousseau, mais tout bas et en cachette, car Dangeau étoit son ami. Il est vrai que cela n’empêchoit pas de s’en moquer, s’il faut en croire le mot si piquant de Madame de Montespan, qui disoit de lui, “qu’on ne pouvoit s’empêcher de l’aimer ni d’en rire.”
Tels furent les grands événemens de la vie de Dangeau: la postérité s’embarrassera peu d’ailleurs de savoir qu’il fut chevalier d’honneur de madame la Dauphine, et qu’il soutint, avec la plus minutieuse exactitude, les prérogatives de sa place. Il survécut à Louis XIV, c’est-à-dire, à sa propre existence, car il l’avoit concentrée dans ses devoirs de courtisan; et le seul trait de sensibilité qui lui soit échappé dans ses mémoires, est relatif à la mort de ce roi qui l’avoit comblé de bienfaits. Cela prouve que s’il ne les avoit pas mérités par de longs services, du moins il en sentoit le prix; et la reconnoissance, dans un courtisan, est une vertu assez rare pour, qu’on lui en tienne compte.
Ses mémoires sont un véritable journal; sans réflexion, il se gardoit bien d’en faire; sans blâme ni louanges; une gazette sans feuilleton: ils ont l’espèce d’intérêt qu’on éprouve à la vue d’un grand roi dans son intérieur, et le défaut de ne faire ni penser ni sourire. On peut dire avec quelque raison de leur lecture, ce que Voltaire a dit de la promenade: “C’est le premier des plaisirs insipides.”
J.
[Ruche d’Aquitaine.
C’en est encore une aujourd’hui, et il y a toute apparence qu’étant née avec l’état de civilisation, elle ne s’éteindra qu’avec lui. |
Les souvenirs du bel âge ne s’effacent jamais: c’est principalement sur les imaginations vives et brillantes qu’ils exercent leur empire: aussi vit-on souvent Delille se plaire, dans ses vieux jours, à récapituler toutes les jouissances qui l’environnoient lorsqu’il faisoit retentir dans Paris les sons harmonieux de sa lyre.
De toutes les réunions qui s’étoient formées dans la capitale de la France pour entendre ce grand poëte réciter ses vers; celle qui le plus souvent se présentoit à son souvenir, étoit un déjeuner donné en 1780, par une dame que ses talens littéraires et sa haute naissance rendoient également célèbre. Cette réunion, composée de l’élite des beaux esprits du temps et des femmes les plus distinguées, avoit eu lieu au Cadran-Bleu, sur le boulevard du Temple. Ce fut là que Delille fit entendre, pour la première fois, des fragmens de son poëme sur l’Imagination; ce fut là qu’en récitant ce bel épisode où il dépeint un artiste égaré dans les catacombes de Rome, il produisit l’impression la plus profonde. Chacun suivoit par la pensée ce jeune infortuné dans le ténébreux labyrinthe où il s’était si imprudemment engagé: on répondoit à ses cris déchirans; on cherchoit avec lui, dans l’obscurité, ce fil si précieux qui seul pouvoit lui rendre la lumière et la vie......... O Delille! tu parus en ce moment aussi riche que Virgile; aussi terrible que le Dante; on ne savait ce qu’on devait admirer le plus en toi, ou le poëte, l’honneur de sa patrie et de son siècle, ou le lecteur inimitable, dont le charme et l’expression sembloient ajouter à l’éclat de son génie.
Cette réunion mémorable fit éprouver à Delille une jouissance qui lui inspira pour le Cadran-Bleu une prédilection dont il ne pouvoit se défendre. Chaque fois que le printemps se renouveloit, il alloit, avec ses amis les plus intimes, y faire ce qu’il appeloit un dîner populaire. Il aimoit à se confondre parmi les convives qu’il y rencontroit; à suivre les différentes conversations qui parvenoient à son oreille attentive. C’étoit tout à la fois la joie des uns, l’impatience des autres, et par-tout un mouvement, une vie, une abondance, qui, frappant l’imagination par la variété la plus amusante, sembloient, disoit Delille, ranimer la santé, remettre en verve, et disposer le cœur aux plus doux épanchemens.
Privé long-temps, par les troubles politiques, de ces dîners qui toujours avaient pour lui tant de charmes, cet homme célèbre, exilé de sa patrie, voulut les renouveler à Londres; mais il ne trouvoit, dans les tavernes les plus fameuses, ni cette gaieté franche, ni cette attrayante urbanité, véritable patrimoine des François. Oh! combien de fois il regretta le boulevard du Temple et son cher Cadran-Bleu!........ Cependant l’horizon s’éclaircit, Delille revint à Paris, et s’empressa d’aller visiter ces lieux qui lui offroient tant de souvenirs; mais la publication de ses œuvres, dont il venoit d’enrichir la France, avoit augmenté sa renommée au point qu’il ne pouvoit plus se montrer en public sans être entouré d’une foule d’admirateurs qui fatiguoient sa modestie. Le sort enfin, voulant nous offrir dans ce grand poëte l’image vivante d’Homère, l’avoit privé de la vue.
Le chantre des Jardins et du Bonheur des Champs souffroit plus que tout autre, éloigné de la scène du monde, et retenu dans un appartement solitaire. “S’il ne m’est plus permis, disoit-il, de contempler cette voûte azurée où j’ai trouvé mon Dithyrambe sur l’immortalité de l’âme; si je ne jouis plus de cet aspect imposant de la nature, je puis du moins entendre les accens de l’amitié; je puis encore, me mêlant à des scènes plus piquantes, entendre souvent les mots heureux, les cris variés de ce bon peuple, qui me réveillent, me réjouissent, et me font oublier les infirmités de l’âge....... O mes amis! ajoutoit-il à ceux qui l’approchoient, faites qu’avant de m’endormir pour toujours, je puisse aller encore une fois dîner au Cadran-Bleu!”
Vainement osoit-on lui représenter qu’il y seroit reconnu, assailli, et qu’à son âge il étoit imprudent de s’exposer aux fatigues d’une semblable apparition; ce grand peintre de la nature ne répondoit à toutes ces objections, qu’en répétant avec la voix suppliante d’un enfant qui réclame un moment de plaisir: “Faites que je puisse aller encore une fois dîner au Cadran-Bleu!—Eh bien! dit un des amis de Delille, à son Antigone, il est un moyen de lui procurer la jouissance qu’il désire, sans l’exposer aux dangers de se montrer en public; et puisqu’il est privé de la vue, profitons en pour le servir sans qu’il s’en doute. J’habite au faubourg Saint-Germain une maison spacieuse et commode, où se trouve une terrasse, donnant sur des jardins, et couronnée de feuillages; c’est là que nous conduirons notre vieil enfant: reposez-vous sur moi; je vous promets qu’il y trouvera tous les plaisirs qu’il se propose, et qu’il se croira bien véritablement à son dîner populaire.”
Cette, offre fut acceptée avec empressement, et le jour fut marqué pour la réaliser: c’étoit peu de temps après la séance mémorable de l’Académie, où le Virgile François, qui la présidoit, fit en quelque sorte ses adieux à ses contemporains, en récitant, pour la dernière fois, des vers dans lesquels brilloient encore l’élégance et la vigueur du bel âge. Ce dîner tant désiré sembloit occuper Delille comme une des époques les plus importantes de sa vie. Il vit arriver le jour convenu avec une joie inexprimable: paré dès le matin, comme pour un jour de fête, il se disposoit à descendre avec orgueil dans la foule commune, et brûloit d’être confondu parmi les nombreux convives du boulevard du Temple.
Enfin la voiture se fait entendre: son ami lui donne le bras; il y monte escorté de sa compagne chérie, et tous les trois gagnent rapidement la maison du faubourg Saint-Germain, où se trouvoient réunis d’avance plusieurs membres de l’Académie Françoise, des gens de lettres, des artistes célèbres, des femmes aimables, et l’élite des premiers théâtres de la Capitale, qui tous s’étoient distribué différens rôles, pour amusés l’honorable vieillard et lui faire accroire qu’il étoit parmi ce bon peuple dont il recherchoit la présence.
En descendant de voiture, Delille entend la portière de la maison, qu’on avait mise dans le secret, lui demander avec la voix prononcée d’une écaillère: “Mosieu veut-il des huîtres? C’est du tout frais, du vrai Cancale.”—Oui, oui, répond le poëte dans la plus joyeuse illusion; je ne veux rien me refuser aujourd’hui..... Il monte et traverse un grand salon où plus de soixante personnes, réunies autour de petites tables rondes, font tout à coup entendre un mélange de voix et de conversations particulières, qui font dire au célèbre aveugle: “Oh! le voilà bien ce bourdonnement populaire que j’aime à la folie! Que de nuances à saisir! que d’esquisses à faire!... Garçon?—Monsieur! répond en s’avançant un des premiers acteurs du Théâtre-Français, qu’y a-t-il pour votre service?—Mon bon ami, ne pourriez-vous me procurer une table à trois couverts dans un endroit à part; mais d’où néanmoins je voudrois tout entendre?—Il reste justement ce qu’il faut à Monsieur, une table dans un coin près de la cheminée.—C’est à merveille; comment vous nommez-vous?—Paul, chef de service, et entièrement à vos ordres.—Eh bien, mon cher Paul, servez-nous avec exactitude, et vous n’aurez point à vous en plaindre. Apportez-nous la carte, et d’abord une bouteille de sauterne, du véritable sur-tout! Je vous préviens que je suis un vieux gourmet.—Tant mieux, Monsieur, nous ne les craignons pas ici.”
On mange les huîtres auxquelles succède le premier service, dont le digne ami de Delille nomme et lui fait choisir les différens mets sur une carte préparée. Pendant ce temps un groupe bruyant fait entendre à l’une des tables voisines les mots de prime, d’usance, de livraisons à crédit.... “Ce sont, dit le poëte en souriant, des agens de change ou des courtiers de commerce: comme ils s’en donnent! il paroît qu’il y a eu ce matin de la hausse dans les effets publics!....” D’une autre table s’élève par dégrés le caquet de trois femmes, dont les ris immodérés et quelques entorses données adroitement à la langue françoise, firent croire à Delille que c’étoient quelques riches marchandes de bois de l’île Louviers, qui, dans l’absence de leurs maris, venoient renouveler le dîner des Trois Commères. “Quel feu de file!” s’écrioit-il en riant aux éclats. “Oh! si j’étois jeune et vaillant compère, que j’aurois de plaisir à les agacer, à lutter avec elles! Non, jamais je n’entendis rien de plus original, de plus divertissant.”
On passe au second service, pendant lequel l’ami du vénérable aveugle prépare la scène la plus gaie, en lui disant d’une voix élevée, et avec intention: “Eh bien, mon cher Delille, comment vous trouvez-vous?—Ne me nommez donc pas si haut; vous me feriez reconnoître, et je serois forcé de m’en aller....” Comme il achevoit ces mots, s’avance un membre de l’Académie françoise, connu par sa gaieté franche, et qui lui dit, avec le ton enroué d’un habitué du port Saint-Bernard: “D’après ce que je viens d’entendre, Monsieur, sans doute, est monsieur Delille, gros marchand d’vins, rue des Marmouzets, à la Femme sans Tête;—Non, Monsieur, non; je ne suis point marchand de vins, et je n’ai point pour enseigne, la Femme sans Tête...... n’est-il pas vrai, ma bonne amie? dit-il à madame Delille, avec le plus aimable sourire.—Ce n’est pas, ajouta gaiement l’ami, que monsieur Delille n’ait un riche magasin avec lequel il enivre chaque jour bien des gens.—Je ne me trompe donc point, reprit l’académicien, c’est mon homme. Je pars dans deux heures pour Auxerre, par le coche: si monsieur Delille a quelques commandes à faire, il peut compter sur mon exactitudes: je suis un des frères Bertrand, commissionnaires depuis deux cents ans, de père, en fils.—Je vous rends mille graces, répondit, le poëte; je n’ai aucunement besoin de vos services.”
Cette plaisante conversation se trouve interrompue tout à coup, par une dispute qui s’élève à une autre table, entre plusieurs convives, sur celle des Œuvres de Delille, qui lui donnoit le plus, de droits à la célébrité. L’un prétend que c’est traduction des Géorgiques, où il s’est mis au niveau de son modèle; l’autre affirme qu’on ne peut rien comparer à cette masse prodigieuse de talent que renferme sa traduction de l’Enéide. Celui-ci préfère celle du Paradis Perdu, en ce qu’elle offroit plus de difficultés à vaincre; celui-là soutient que c’est le génie qu’on doit priser, avant tout; il met au-dessus des traductions de Delille, son Poëme des Jardins, celui sur l’Imagination. Un autre enfin prétend que c’est le poëme de la Pitié qui doit être regardé comme le fondement de la renommée de son auteur. “Honneur, dit-il, à qui charme l’esprit! mais, reconnoissance éternelle à qui nous rend sensibles aux maux de nos semblables!—Eh bien! résumons-nous! s’écrie gaiement un sixième convive. Préférer tour à tour les nombreux ouvrages de Delille, ah! c’est en faire le plus digne éloge!.... Buvons à celui qui sait plaire à tous les gouts, à tous les âges!—Au Virgile François! prononcent en même-temps un grand nombre de voix, au bruit joyeux du cliquetis des verres: puissions-nous voir le laurier du Parnasse briller sur son front centenaire!—Le voir! reprend l’un d’eux, avec adresse: eh! comment? en quel endroit? on cherche vainement à jouir de sa présence.—Pourquoi nous priver, ajoute un autre, de contempler ses traits vénérables? cela fait tant de bien, l’aspect d’un homme célèbre! il semble que sa voix nous inspire; on diroit que son geste nous indique le chemin de la gloire.—Ah! dit tout bas le vieillard, ému jusqu’aux larmes, si je ne me retenois, j’irois les aborder, me nommer moi-même, et tomber dans leurs bras.”
Arrive enfin le dessert, pendant lequel plusieurs autres scènes de différens genres confirment Delille dans la certitude où il est de dîner au Cadran-Bleu, et sur-tout de n’être connu de personne. Il demande la carte, et, se disposant à l’acquitter, il passe sa bourse à Madame Delille, en lui disant: “C’est moi qui régale, sur mes petites économies: oh! comment payer tout le plaisir que j’ai ressenti!”.... Mais quelle est sa surprise, lorsqu’on lui dit, qu’à la place de l’énumération des mets qu’il avoit ordonnés, la carte portoit ces simples mots: “L’honneur de recevoir chez moi le plus grand poëte de la France, est mon plus doux et mon unique salaire.... Henneveu, restaurateur.”—“Comment!” dit le vieillard, en se levant, je ne saurois accepter cette offre, et ne me connois aucuns droits à la générosité du chef de cette maison.—Aucuns droits!.... répond quelqu’un, faisant le rôle du restaurateur; ah? monsieur Delille, n’en avez-vous pas à l’admiration de tout ce qui porte un cœur François?—Quelque chose que nous ayons pu vous offrir, ajoute aussitôt l’épouse de son ami, se disant Madame Henneveu, “l’honneur que nous fait l’auteur de tant de chefs-d’œuvre, nous rend encore ses débiteurs.” En achevant ces mots, elle saisit involontairement une des mains du vieillard, et y dépose le baiser le plus respectueux. “Mon ami, dit à son tour Madame Delille, vous ne pouvez humilier, par un refus, d’aussi honnêtes gens.—Ah! je n’en ai pas le courage, répond-il d’une voix altérée; mais c’est à condition que M. et Madame Henneveu me feront l’amitié de venir dîner chez moi, le jour qui leur sera le plus convenable: je ne leur offrirai pas des mets aussi recherchés; mais du moins, ils y trouveront la preuve de mon estime, et l’expression de ma reconnoissance........ Après les débats et les complimens d’usage, après avoir remis au prétendu Paul, six francs pour la récompense de Son service, Delille, se croyant reconnu, et désirant se soustraire aux hommages dont il craignoit d’être accablé, propose à son Antigone d’aller prendre le café au Jardin Turc, pour se remettre de la vive émotion qu’il éprouvoit, et respirer l’air, dont il avoit grand besoin.
On lui fait donc descendre l’escalier, traverser une cour, un jardin spacieux; et après lui avoir fait parcourir à peu près la distance qu’il y a du Cadran-Bleu au Jardin-Turc, on le conduit sur une terrasse ornée de fleurs et de feuillages, où s’étoient réunis les nombreux acteurs du Grand-Salon, qui déjà se distribuoient de nouveaux rôles, pour faire croire à Delille qu’il étoit réellement dans l’un des bosquets de ce jardin public, qui donne sur le boulevard du Temple.
“Oh, qu’on respire bien ici! dit-il en se découvrant: j’aime à retrouver la fraîcheur de la verdure et le parfum des fleurs; j’aime à sentir les rayons du soleil sur ma tête septuagénaire.”
Il prend son café, qu’à son grand étonnement, et en vieux connoisseur, il proclame du moka délicieux. “Oh! lui dit son ami, je viens ici très-souvent avec ma famille, et j’étois bien sûr qu’on nous serviroit ce qu’il y a de mieux.—Ces messieurs veulent-ils des glaces? dit un peintre célèbre, jouant le rôle d’un garçon limonadier. Oh, point de glaces! dit madame Delille, cela pourrait vous incommoder.—Au contraire, reprit le vieillard, c’est un tonique excellent.... Garçon qu’avez-vous à nous donner?—Monsieur peut choisir; nous avons ici tout ce qu’on peut désirer, glace à la vanille, glace à la fraise ou à la framboise, au citron, à la pistache; sorbet au rhum, au marasquin, crème à la Jacques-Delille.... —Comment! comment! reprend celui-ci avec un mouvement involontaire: qu’est-ce que c’est que la crème à la Jacques-Delille?—C’est un mélange des productions les plus rares, du goût le plus exquis; rien n’est plus en vogue, et le débit en est considérable. Les jeunes poëtes sur-tout se l’arrachent; ils prétendent que cela les reconforte, les inspire: si Monsieur veut que je lui en serve, j’ose me flater qu’il en sera content.—Eh bien, soit; répond Delille, commençant à soupçonner qu’il est reconnu. C’est singulier, ajoute-t-il, en s’adressant à son ami; j’étois loin de m’attendre à un pareil hommage.—Que voulez-vous? répond ce dernier: chacun pare sa marchandise le mieux possible; et votre nom fera peut-être la fortune des limonadiers, comme il a déjà fait celle des libraires.”
On sert donc les glaces en question, qui n’étoient autre chose qu’une crème aux ananas; et le poëte enchanté avoue que, soit prévention, soit effet d’un amour-propre irrésistible, il n’a de sa vie rien mangé de plus exquis. Pendant qu’il se livre à cette jouissance imprévue, il entend dans un bosquet voisin des voix qu’il affirme être celles de plusieurs académiciens, ses collègues, qui alors avaient en effet repris leur ton naturel. “Oui, lui dit l’ami: ils sont avec ceux de nos gais chansonniers qui nous rappellent le mieux Pannard et Collé.—Oh! reprit Delille, s’ils alloient me reconnoître!....” A ces mots il remet son chapeau qu’il rabat sur sa figure, et tourne le dos au bosquet où tout à coup se font entendre les couplets les plus ingénieux, et dignes du grand poëte qu’ils célébroient. L’un, entr’autres, finissoit par ces mots remarquables:
“On a vu l’autre jour Homère
Présider l’Institut.”
“Homère! répétoit Delille avec la plus touchante modestie: ils n’ont vu que mes yeux.......” Un autre couplet vint à prédire que les ouvrages de ce nouvel Homère iroient bien loin dans la postérité. “Est-ce que par hasard, dit-il à son ami, ces aimables chansonniers seroient aveugles comme moi?....”
Enfin l’on entend résonner à quelque distance les sons harmonieux d’une harpe. “Ce sont, dit madame Delille, ces deux jeunes frères Languedociens qui depuis quelque temps parcourent les rues de Paris, et rassemblent tous les passans autour d’eux: justement ils s’arrêtent devant nous.” Au même instant deux jeunes personnes placées au bout de la terrasse, préludent sur des harpes; et l’un des célèbres chanteurs de l’Europe, imitant un reste d’accent provençal, s’écrie: “Messieurs et dames, nous allons avoir l’honneur de vous chanter le fameux cantique de Saint-Jacques. Ce n’est pas Jacques-l’Hermite, Jacques-de-Compostelle, ni Jacques-le-Mineur; mais bien Jacques-le-Majeur, autrement dit Jacques-Delille, patron des poëtes françois et des vieillards aimables.....” Aussitôt les harpes font entendre de nouveaux accords auxquels s’unit une voix ravissante qui chante la vie entière du poëte inspiré, depuis son enfance dans la Limagne, jusqu’à son dernier retour à Paris. Cette heureuse époque sur-tout est célébrée par un chœur si mélodieux et si touchant, que Delille ne peut plus retenir les pleurs qui mouillent ses traits vénérables; et se croyant alors plus que jamais au Jardin-Turc, environné d’une foule immense, il dit à son Antigone, dont il saisit le bras avec empressement: “Sortons d’ici! tâchez de me soustraire à ces hommages publics dont je crains les effets, et qui, je n’en puis plus douter maintenant, étoient préparés d’avance.”—Il n’est que trop vrai, lui répond son ami; mais rassurez-vous, et ne craignez rien de tous ceux qui vous entourent. Vous n’êtes point sur le boulevard du Temple.—Comment?—Vous n’avez point dîné an Cadran-Bleu.—Que dites-vous?—mais bien chez moi, mon cher Delille, au sein de ma famille et de mes nombreux amis, qui depuis cinq heures représentent les différens personnages qui vous ont causé tant de douces émotions.—Non, non, reprit le poëte, je ne puis croire qu’on produise à ce point l’illusion. On n’imite pas ainsi les divers accens, le mouvement, la gaieté franche du peuple.—Rien pourtant n’est plus vrai, cher confrère, lui dit le joyeux académicien, qui avoit rempli le rôle du commissionnaire de vins. C’est moi qui vous logeois rue des Marmouzets, à la Femme sans Tête.—Vous devez reconnoître Paul, dit le premier comique du Théâtre-François; Paul, chef de service, à qui-vous avez remis un écu de six francs, qu’il vous demande la permission de conserver toute sa vie.—Nous sommes les courtiers de change qui fêtoient si bien la hausse, disent plusieurs artistes célèbres.—Et nous, ajoutèrent leurs épouses, les commères de l’île Louviers.—C’est moi qui vous ai chanté le cantique Saint-Jacques, dit celui qu’on surnomme en France le moderne Orphée.—Et c’est moi, continua l’un de nos premiers peintres, qui faisois le garçon limonadier, et qui vous ai proposé cette crème à la Jacques-Delille.—C’est nous qui disputions avec tant de chaleur sur vos ouvrages, s’écrient, en lui serrant les mains, plusieurs membres de l’Académie françoise.—Enfin c’est moi, dit la dame de la maison, qui représentois madame Henneveu: vous avouerez qu’il m’étoit impossible de recevoir le montant de la carte, et que j’avois bien raison de vous dire que “honneur de vous recevoir chez moi, seroit mon unique salaire.” Dieux! s’écria Delille, se laissant aller dans leurs bras, comment exprimer ce que j’éprouve?.... Quoi, tant de monde pour amuser un pauvre vieillard!..... Ce n’est qu’en France que l’on peut inventer une scène aussi délicieuse; ce n’est que dans sa patrie qu’on peut recevoir de si touchans hommages...... Mes amis .... mes confrères, hommes aimables, artistes célèbres qui m’entourez .... et vous femmes charmantes que je sens près de moi, que je crois voir encore, puissiez-vous tous partager mon ivresse! Ah, quand ne serai plus, vous aurez le droit de vous dire: “Nous avons prolongé la carrière du poëte-aveugle; ce fut parmi nous que Delille passa le plus beau jour de sa vie.”
[Par J. H. Bouilly.[1]
Auteur d’un ouvrage, intitulé Les encouragemens de la jeunesse, dont nous avons extrait cette charmante anecdote. |
Aperçu d’un Ouvrage intitulé “Essai d’un Cours élémentaire et général des Sciences Physiques. Par F. S. Beudant, Sous-Directeur du Cabinet de Minéralogie du Roi, Professeur de Physique, dans l’Université Royale, membre ou correspondant de diverses Sociétés savantes.”
(Suite.)
La forme des liquides est celle des vaisseaux mêmes qui les contiennent, avec une surface horizontale unie, ou plutôt une surface convexe, qui est le segment d’une sphère concentrique avec la terre. Quelques foibles parcelles des liquides prennent cependant une forme globulaire, ce qu’on doit attribuer à l’attraction de cohésion agissant également en tout sens sur des particules qui se meuvent librement entr’elles. Le dégré plus ou moins grand de fluidité modifie cette action, de même que l’attraction du corps sur lequel elles reposent, et l’influence de la gravité.
La facilité avec laquelle se meuvent entr’elles les plus minces particules des liquides, leur a fait assigner une forme sphérique; tandis que d’une autre part, la conversion réciproque des solides en liquides, et des liquides en solides, a fait conclure leur similarité.
La porosité et l’impénétrabilité sont des propriétés qui, en commun avec toute autre matière, appartiennent aux liquides. Ils sont aussi élastiques, mais compressibles. L’adhésion des liquides aux solides, l’imbibation de ceux-ci par ceux-là, l’action hygrométrique, et certaines actions des liquides les uns sur les autres, comme l’expansion de l’huile sur l’eau, sont vraisemblablement autant de modifications réunies de la cohésion et de l’affinité.
La propriété essentielle des corps liquides, est la parfaite mobilité de leurs particules. Cette propriété, jointe à l’impénétrabilité, nous conduit au principe d’égalité de pression en tout sens, qui est la base de l’hydrostatique. (Poids des liquides.)
Un corps solide qui remplit exactement le vaisseau dans lequel il est placé, au moyen de l’affinité de ses diverses parties, presse seulement dans la direction de gravité sur le fond de ce vaisseau; mais un liquide, dans la même position, exerce pareillement une pression perpendiculaire à celle-là. Dans certains cas particuliers, le liquide presse aussi de bas en haut; comme, par exemple lorsqu’il est confiné dans un vaisseau dont la partie supérieur est close: alors, une force appliquée dans une direction quelconque agit sur la surface supérieure aussi bien que sur les côtés et sur le fond. Les lois par lesquelles ces diverses pressions sont réglées et proportionnées, se trouvent développées par le calcul.
Lorsqu’un corps solide est plongé dans un liquide d’une gravité spécifique moindre que la sienne, il en déplace une portion égale à son propre volume, et il perd une partie de son poids égale au poids du liquide déplacé. C’est sur ce principe qu’est fondée la méthode usuelle de déterminer les gravités spécifiques.
Si un corps solide est placé sur la surface d’un liquide d’une gravité spécifique plus forte que la sienne, il déplace un volume qui lui est égal en poids ou en pesanteur. On a fondé sur ce principe la pratique de l’aréométrie, ou le mesurage de la densité des liquides par des corps flottans.
L’attraction capillaire, ou l’élévation et la chûte spontanées des liquides dans de petits tubes ou tuyaux, dépend d’un résultat d’attraction moléculaire, qui a été déterminé par Mr. Laplace. Ce célèbre physicien a démontré qu’un corps terminé par une surface courbe, exerce un dégré d’action sur les particules de sa surface, différent de celui qu’il exerce quand il est terminé par une surface plane. La tendance de l’attraction est toujours vers l’intérieur du corps, mais cette tendance est plus grande quand sa surface est convexe, et moindre si elle est concave. Ainsi, lorsqu’un corps solide est plongé dans un corps liquide, si l’attraction mutuelle entre les particules de celui-ci est moindre que celle entre le solide et le liquide, le liquide s’élèvera au dessus de son niveau en contact immédiat avec le solide, formant une courbe concave sur sa surface. Si deux corps solides se trouvent ainsi enfoncés, et tellement en contact que leurs courbes respectives se joignent les unes aux autres, tout le corps du liquide s’élevera entr’eux; car sont attraction moléculaire est moindre sous la surface concave qu’elle ne l’est en toute autre partie de la surface plane contigue. Si l’on remplace ces deux corps par un tube, il en résultera évidemment le même effet, mais dans un plus haut dégré entre ses deux surfaces, et l’effet sera en proportion de la petitesse du calibre du tube, c’est-à-dire en proportion de la concavité croissante de la surface intérieure. On démontre ce résultat par l’immersion d’un petit tube dans un verre d’eau.—Si, au contraire, on plonge le tube dans du vif-argent, les attractions des particules de celui-ci étant plus grandes les unes à l’égard des autres qu’elles ne le sont pour le verre, il en résulte une surface convexe; et l’attraction moléculaire se trouvant, dans ces circonstances, plus grande que sous la surface plane contigue, le liquide s’abaisse au dessous de son niveau.
Les liquides en mouvement font le sujet de plusieurs observations également curieuses et importantes. En s’échappant d’un vase par une petite ouverture, toute la masse liquide est mise en mouvement. On peut en voir l’effet en mélangeant avec un liquide transparent de légères particules d’un corps quelconque: si l’ouverture est au fond du vase, on les verra descendre verticalement jusqu’à une petite distance de l’ouverture, puis s’y précipiter toutes ensemble dans une direction plus ou moins oblique. On remarquera le même effet, si l’ouverture est dans un côté du vase, et non seulement les particules placées en haut, mais encore celles qui se trouvaient en bas, tendront toutes au même point. A mesure que le vase se vide, la surface du liquide reste horizontale, et tombe graduellement jusqu’à quelques pouces du fond, où se forme une cavité en forme d’entonnoir, dont le point s’appuie immédiatement sur le centre de l’orifice, et dont la concavité s’élargit par dégré au fur et à mesure que le liquide diminue. Si l’orifice se trouve dans le côté, ceci n’arrive point, mais le niveau du liquide tombe vers ce côté-là.—Le liquide se contracte en sortant par l’orifice, et s’en va décroissant jusqu’à la distance du demi diamètre de l’ouverture. La cause de ce phénomène est attribuée aux courbes que décrivent les particules dans l’intérieur; lesquelles convergeant ensemble par leurs côtés convexes, ne peuvent être réduites en lignes parallèles, qu’alors qu’elles sont parvenues à une certaine distance de leur plus proche point de réunion. Si la colonne de liquide s’abaisse, elle va en décroissant, à cause du mouvement accéléré qu’elle acquiert; au contraire, si elle s’élève en jet, elle grossit en proportion de sa hauteur, à cause du retard graduel de sa vélocité.
Les mouvemens des liquides, par une ouverture pratiquée dans les côtés minces d’un vase, et en dedans de tuyaux additionnels; leur pression sur les côtés de ces tuyaux, leur passage par des canaux ouverts, et le frottement qu’ils exercent sur leurs cotés et sur leurs fonds, sont autant d’objets curieux soumis aux supputations de l’hydraulique.
En considérant la percussion des liquides, et en évaluant sa force, il est indispensable de faire entrer dans le calcul le volume et la vîtesse du courant, de même que la forme et le volume du corps sur lequel il agit. La résistance des liquides est proportionnée à leur densité.
Si un solide tombe perpendiculairement sur la surface d’un liquide, il pénétre la masse et perd une partie de sa vélocité, mais il ne dévie point de son cours; au lieu que s’il tombe obliquement sur cette surface, il perd sa direction primitive, et est réfléchi d’une ligne perpendiculaire jusqu’au point de sa première immersion. L’angle de réfraction est proportionné à la densité du liquide; et comme cet angle est nécessairement plus petit que l’angle d’incidence, il s’ensuit que le mouvement réfléchi d’un corps deviendra horizontal, ou coincident avec la surface du liquide avant le mouvement originel. Si le mouvement originel se rapproche plus de la direction horizontale que ce point-ci, le corps sera réfléchi tout de même que s’il avoit rencontré un solide; c’est-à-dire qu’il décrira un angle de réflection égale à l’angle d’incidence.
Les liquides sont susceptibles d’un mouvement d’oscillation, sur lequel se fonde la théorie des vagues; ils sont encore susceptibles d’un mouvement de vibration, comme on peut le voir par l’agitation de l’eau dans un verre dont on tire des sons.
Les fluides aériformes prennent, comme les liquides, la forme même des vases qui les contiennent, différant néanmoins des liquides en ce que leurs surfaces ne prennent jamais d’elles-mêmes la direction horizontale.
Les caractères de porosité et d’impénétrabilité s’étendent à cette espèce de corps. Leur compressibilité est parfaite, au point qu’on peut les resserver en un espace infiniment plus petit que celui qu’ils occupent naturellement.
Leur élasticité provient d’un changement de volume, et non pas d’un changement de forme, ni de l’oscillation de leurs molécules constituantes. Leur pesanteur, comme celle des solides et des liquides, peut-être déterminée au moyen d’une balance.
Tout fluide aériforme, renfermé dans un vase, fait continuellement, en vertu de son élasticité, un effort pour se dilater; en conséquence duquel il presse et agit sur les cotés du vase qu’il pousse, ses efforts étant toujours en proportion de sa densité et de sa température. Abstraction faite de toute autre considération, cette pression est égale sur chaque partie; et combinée avec l’effet de la pesanteur, elle varie selon la hauteur de la colonne. La modification ainsi produite, (ayant égard à la compressibilité,) est telle qu’en supposant la hauteur divisée en plusieurs couches horizontales, la dernière couche qui supporte la pression de toutes les autres, sera comprimée jusqu’à un certain point; tandis que les autres couches en ayant successivement moins sur elles, par conséquent ayant aussi moins de poids, seront moins comprimées et moins élastiques. Cet effet n’est point sensible dans les petits vases dont on se sert pour faire des expériences, mais il l’est beaucoup assurément dans ce vaste réservoir de fluide élastique, que l’on nomme atmosphère. Nous ne nous apercevons guère de la pression de l’air sur nos corps ou sur les objets environnans, parce qu’elle agit également en tout sens; mais si l’équilibre vient à se rompre, et que le fluide s’échappe de quelque partie d’un corps, tandis que le reste de ce corps demeure exposé à son action, alors l’effet se manifeste immédiatement. C’est à l’application de ce principe que nous devons le baromètre, le siphon, et les différentes sortes de pompes. Des corps flottent dans les fluides élastiques, de la même manière que d’autres flottent sur les liquides. De-là on a imaginé les ballons, au moyen desquels l’homme dispute le domaine des airs à l’espèce emplumée.
La cause principale et la plus ordinaire du mouvement des corps aériformes, est le changement de température. Les effets de leur mouvement et de leur percussion sont modifiés par leur densité et leur vélocité, de même que par la surface du corps sur lequel ils frappent.
L’air est susceptible d’un mouvement de vibration qui produit le son, comme dans les instrumens à vent. Ce mouvement lui est aussi communiqué par d’autres corps vibrant, et c’est ainsi que se transmet ordinairement le son. Comme il reçoit l’impulsion, il peut également la communiquer; ainsi les vibrations d’une corde, après avoir fait impression sur l’air, sont conduites par lui jusqu’à une autre corde.
Les ondulations de l’air ressemblent le plus souvent à celles des liquides. Rencontrent-elles des obstacles? comme celles-ci, elles les réfléchissent; et c’est ainsi que l’on se rend raison de l’écho.
(A CONTINUER.)
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La peinture est une poésie muette.
Mot de Simonide, cité par Plutarque.
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Au nombre des tableaux envoyés par S. Ex. le ministre de l’intérieur au muséum de la ville de Bordeaux, il en est deux que l’on doit à des artistes de l’école moderne, et qui nous ont paru dignes d’un examen particulier.
Le premier, représentant un Ganimède, est assurément un ouvrage très-agréable de M. Grancher; mais on ne peut guère considérer dans ce tableau que le mérite de l’exécution, puisqu’il se compose d’une seule figure portée sur un nuage, et offrant à l’aigle de Jupiter une coupe de nectar. Si pourtant l’extrême simplicité de la composition donne peu de mouvement à l’imagination du spectateur, l’on n’en sent pas moins une sorte d’invention poétique dans l’expression de cette belle figure, dont les yeux baissés annoncent tant de modestie. Un voile d’innocence semble en effet l’envelopper tout entière. Son bras, relevé avec grâce, tient une large coupe d’or, où l’oiseau va plonger son bec acéré. Le noble échanson sourit, mais une pudeur pleine de charme accompagne ce sourire. Bien que l’artiste ait donné à son visage une forme un peu carrée, il offre néanmoins ce caractère virginal qui faisoit dire à Horace:
Quem si puellarum insereres choro
Mirè sagaces falleret hospites
Discrimen obscurum, solutis
Crinibus, ambiguoque vultu.
Si vous le mêliez dans un chœur de jeunes filles, ses traits douteux et ses cheveux épars tromperoient merveilleusement les yeux les plus habiles.
On regrette seulement que cette figure, dessinée avec tant de finesse et de suavité, repose sur un fond cru, qui en découpe tous les contours avec un peu de sécheresse. Il n’y a point de vapeur, point d’air autour de cette tête: ce n’est point un ciel que nous voyons, c’est une couche de bleu, c’est de la peinture prise sur la palette et tout simplement portée sur la toile. Le ton des chairs est beaucoup plus vrai sans doute, il est bien mieux étudié; mais on y désireroit peut-être quelque chose de moins froid, et sur-tout un peu plus de transparence. En un mot, pour sentir ce qui manque au coloris de M. Grancher, nous croyons qu’il suffira de jeter les yeux sur une figure de jeune berger, qui se trouve dans le tableau voisin, et dont nous aurons occasion de parler tout à l’heure. Là circulent en effet le sang et la vie.
Les nuages qui roulent sous les pieds de Ganimède, sont d’un ton argentin et d’un effet très-harmonieux: cependant, comme on l’a très-bien remarqué lors de l’exposition de 1812, “cette composition, d’ailleurs très-recommandable, n’est peut-être pas tout-à-fait exempte de ce système d’école, que depuis quelques années les pensionnaires de Rome cherchent à reproduire. On seroit tenté de croire que l’art, à sa naissance, est pour eux à sa perfection, et qu’ils étudient le système naïf, mais sec et maigre, du Cimabuë, du Giotto, du Massacio, de préférence à celui de Raphaël, du Titien et des Carrache.”
Le second de ces tableaux, celui sur lequel les yeux se portent de préférence et qui captive le plus fortement l’attention, offre un de ces sujets pleins de poésie, et dont le choix seul est déjà d’un favorable augure; car en tout genre, comme on sait, le choix du sujet est encore du talent.
Bajazet ayant appris la mort de son fils Ortogule, à qui Tamerlan avoit fait couper la tête dans la ville de Sébaste, jura la perte de son cruel ennemi, et s’avança pour le combattre à la tête de ses troupes. On rapporte que pendant la marche de son armée, il apperçut sur une montagne voisine un pauvre berger qui, sans crainte au milieu des horreurs de la guerre, jouoit paisiblement de la flûte. Pénétré de douleur, agité des plus funestes pressentimens, et jaloux peut-être du sort de ce pâtre, le sultan s’arrêta quelques momens pour l’écouter. “Berger, lui dit-il ensuite, en étouffant un profond soupir, que le refrain de ta chanson soit désormais, je te prie: O malheureux Bajazet! tu ne reverras plus ton cher fils Ortogule ni ta belle ville de Sébaste.”
Tel est le sujet qu’a choisi M. Dedreux, jeune artiste dont le début a donné de grandes espérances. Son tableau, offert pour la première fois au public de Paris dans l’exposition de 1812, lui valut les suffrages les plus flatteurs. Il nous suffira sans doute d’en détailler l’ordonnance et la disposition, pour prouver qu’il les méritoit.
Sur la croupe d’une colline, à l’ombre d’un platane et sous un beau ciel d’orient, est assis un jeune berger presque nu. Occupé à jouer d’une flûte dont les accens ont une douceur selon son goût,[1] il ne semble pas même se douter de l’approche de Bajazet et de son armée. A côté de lui s’élève cette grande figure du monarque Ottoman, dont le premier aspect a quelque chose des sinistre et de formidable. Il écoute le jeune pâtre, et ses yeux pleins d’une rêverie sombre, révèlent toute l’affliction de son ame.
Ce contraste d’une sécurité naïve et d’une douleur qui n’a point de trève; ce rapprochement du guerrier qui épouvante la terre du bruit de ses armes, et du pasteur qui charme ses destins obscurs au son de la flûte champêtre; tout, dans ce tableau, émeut et fait rêver. En le considérant, le spectateur est à la fois pénétré de tous les sentimens qui nous intéressent aux productions des arts; et quand les yeux se portent ensuite sur les derniers plans du tableau, lorsqu’on voit s’avancer, à travers la plaine, cette forêt de lances et ces mille pavillons de l’armée du sultan, lorsqu’on se rappelle sur-tout la fin déplorable de ce père malheureux, il devient presque impossible de ne pas s’abandonner à ces pensées morales qu’inspire toujours l’aspect d’une grande infortune, comparée au bonheur d’une existence pauvre, mais paisible.
Si nous passons néanmoins de ces beautés de l’ensemble à l’examen des détails, quelques critiques devront nécessairement se mêler aux éloges. La figure du jeune berger paroît, sans contredit, ce qu’il y a de mieux exécuté dans cette composition.—Elle est peinte avec amour, comme disent les Italiens; et si l’on en excepte le pied de la jambe droite, dont le raccourci peu correct est assurément d’un effet désagréable, toutes les formes de ce personnage sont dessinées avec une grande pureté de contours. Tandis que le corps est entièrement voilé d’une demi-teinte qui semble favoriser la finesse des tons et la transparence des chairs, une lumière vive joue agréablement sur la draperie dont sa tête s’enveloppe, et vient y produire les effets les plus piquans.—Cette draperie elle-même est jetée avec une grâce infinie, et toute cette figure a je ne sais quel charme de poésie et d’abandon qui se fait d’abord sentir à l’œil le moins exercé.
Il n’en est pas de même de celle de Bajazet. Enveloppée de la tête aux pieds d’un lourd manteau rouge, qui laisse mal deviner la pose et l’agencement de certaines parties, elle ne produit qu’une impression vague de surprise ou de crainte. D’ailleurs, soit par l’effet d’une mauvaise distribution de la lumière, soit par quelque défaut de dessin ou de perspective aérienne, le haut du corps avance trop, et toute la figure semble manquer d’aplomb. La tête est d’une expression très-belle et très-juste, mais peut-être un peu trop noire; et l’on regrette que ce nouveau personnage soit, ainsi que le premier, plongé dans la demi-teinte. Plus vivement éclairé, il offriroit avec le jeune pâtre un contraste savant et l’artiste auroit du moins le mérite d’une plus grande difficulté vaincue.
Quoi qu’il en soit, ce tableau, d’une exécution très-brillante, prouve que M. Dedreux sait unir au talent du coloriste et du dessinateur, le don de bien choisir et de bien penser un sujet; sorte d’avantage sans lequel on ne mérita jamais le nom de peintre. Il seroit à désirer que le muséum de Bordeaux offrît à l’étude et à l’émulation de nos jeunes artistes, beaucoup de modèles semblables; car on gagne toujours à considérer un tableau “avec lequel on raisonne, qui met le spectateur en scène, et dont l’ame reçoit une sensation délicieuse.” Les jeunes gens ne doivent jamais l’oublier: l’un des plus beaux vers de Virgile, et en même temps l’un des plus beaux principes de l’art imitatif, est sans contredit celui-ci:
Sunt lacrymæ rerum et mentem mortalia tangunt.
Il est certains objets qui font toujours couler nos larmes, et les infortunes de l’homme intéressent tous les cœurs.
Au demeurant, les deux tableaux dont nous venons de présenter l’analyse, contribuent singulièrement à l’ornement d’un musée où, parmi quelques morceaux très distingués, il s’en trouve malheureusement beaucoup trop qui n’ont pour eux que le mérite de la vétusté ou la protection de certains préjugés; car, il faut le dire, la peinture a les siens comme la littérature; et si jamais on parvient à s’en affranchir, plus d’une collection trop vantée verra considérablement diminuer le nombre de ses prétendus chefs-d’œuvre.[2]
E.
M. de Châteaubriand, poëme des Martyrs. |
Un nouveau tableau acheté par S. Ex. le ministre de l’intérieur, doit être incessamment réuni à ceux dont nous venons de parler. Ouvrage de M. Menjaud, l’un de nos peintres les plus estimés, il représente le moment où l’abbé Edjeworth de Firmont, dernier confesseur de Louis XVI, expire entre les bras de S. A. R. Madame, duchesse d’Angoulême. Dès que les salles du muséum offriront aux regards de nos compatriotes une composition qui doit être pour eux d’un si haut intérêt, nous nous empresserons d’en entretenir nos lecteurs. [Ruche d’Aquitaine. |
Système de Mesurage créé et usité en France, depuis environ
vingt-cinq ans.
Cinq espèces de mesures remplacent, dans ce nouveau système, celles dont on faisoit usage auparavant; savoir:
Les mesures linéaires, qui servent à mesurer un corps dans un seul sens.
Les mesures agraires, employées pour connoître l’étendue d’un terrein.
Les mesures de capacité, à l’aide desquelles on juge de la contenance d’un vase.
Les poids.
Les monnoies.
On a pris les nouvelles mesures dans la nature, en les faisant dériver de la grandeur de la terre; et pour les déterminer, on s’est servi de la longueur du quart du méridien, qui est la ligne que l’on suivroit en allant, par le plus court chemin, de l’Equateur au Pôle.[1] On a donc mesuré cette longueur à l’aide de la géométrie et de la physique; ce qui peut se faire beaucoup plus aisément et plus promptement qu’on ne le croirait, à en juger d’après les apparences, parcequ’il suffit de mesurer immédiatement une certaine partie du quart du méridien, savoir celle qui en occupe le milieu, pour trouver ensuite tout le reste avec une grande exactitude, au moyen du calcul.
La longueur du quart du méridien étant bien connue, on l’a supposée successivement divisée en parties toujours dix fois plus petites, dans la vue de chercher, parmi ces parties, une longueur qui fût propre à servir d’unité de mesure linéaire, pour remplacer celle dont on faisoit usage. En conséquence, prenant d’abord la dixième partie de la longueur du quart du méridien, on a trouvé que cette partie contenoit 225 lieues, ce qui est à-peu-près la longueur de la France entre Perpignan et Dunkerque. Cette même partie divisée en 10 à son tour, a donné une longueur de 22 lieues ½, un peu moindre que la distance de Paris à Amiens.—Par une 3ème. division, on a eu une longueur d’environ 5132 toises. Par une 4ème. une de 513 toises; par une 5ème. une de 51 toises; par une 6ème. une à-peu près de 30 pieds; et enfin par une 7ème. une de 3 pieds 11 lignes et quelque chose de l’ancienne mesure.—Cette dernière longueur, qui ne diffère pas beaucoup de celle de l’aune, a paru commode pour être employée comme unité de mesure. La longueur précédente, qui égaloit à peu près 30 pieds, étoit évidemment trop grande; la suivante, qui n’avoit pas 4 pouces, auroit été beaucoup trop petite. On se trouvoit donc conduit à adopter la longueur intermédiaire, par préférence à toutes les autres longeurs.
On conçoit aisément qu’à l’aide de la division dont nous venons de parler, le quart du méridien s’est trouvé sous-divisé successivement en 10, en 100, en 1,000, en 10,000 parties, &c.; et c’est au terme où le nombre des parties étoit de 10 millions, que l’on a eu la longueur d’environ 3 pieds, qui a fourni l’unité de mesure; en sorte qu’elle est la dix millionième partie du quart du méridien. On lui a donné le nom de mètre, qui signifie mesure.
Le mètre étant déterminé, on l’a aussi divisé en parties toujours dix fois plus petites, propres à tenir lieu des pouces et des lignes; et cette division n’est qu’une continuation de la division du quart du méridien. La 10ème. partie du mètre, dont la longueur approche de 44 lignes 1/3, a été nommée Décimètre; la 10ème. partie du décimètre, qui est en même tems la 100ème. partie du mètre, et qui égale à-peu près 49èmes. de ligne, porte le nom de millimètre. On s’est arrêté à ce terme, qui suffit pour les usages ordinaires. Ceux qui voudroient une plus grande précision, pourront continuer la division du mètre, jusqu’aux dix millièmes et au-delà.
Ainsi, représentez-vous une longueur de 3 pieds 11 lignes ½ à-peu-près de l’ancienne mesure, vous aurez l’idée du mètre, ou de l’unité usuelle des nouvelles mesures de longueur; et au lieu que le pied étoit divisé, par douze, en pouces et en lignes, figurez vous le mètre divisé par dix, en parties toujours plus petites et de même que vous disiez, pied, pouce, ligne pour exprimer l’ancienne unité de mesure, avec ses divisions; vous direz à l’avenir mètre, décimètre, centimètre, millimètre, ce qui vous donne une division de plus.
On a choisi de préférence la division en dix, que l’on appelle division décimale, parcequ’étant conforme à notre échelle arithmétique, elle facilite et simplifie de beaucoup les calculs. Cette division a été adoptée, par la même raison, pour toutes les autres espèces de mesures; au lieu que dans l’ancien système, chaque fois que l’on changeoit de mesures, on avoit presque toujours un nouveau mode de division; et même telle mesure changeoit de mode, en passant d’une sous-division à l’autre. Ainsi la toise étoit divisée d’abord en six pieds, puis chaque pied en douze pouces, puis chaque pouce en douze lignes, &c.; ce qui occasionnoit noit, dans les calculs, des longueurs et des difficultés qui n’auront plus lieu, d’après la manière dont les nouvelles mesures ont été divisées.
On a d’abord divisé le quart de cercle en parties toujours dix fois plus petites, et ensuite on a pris les divisions de deux en deux, pour en faire les dégrés, les minutes, et les secondes.—De cette manière le quart de cercle renferme 100 dégrés, le dégré 100 minutes, et la minute 100 secondes.—On voit à présent pourquoi l’on a donné à la centième partie du quart du méridien, le nom de dégré décimal du méridien.
On étendit aussi la division par 10 à la durée du jour, et au lieu que cette durée jusqu’alors avoit été partagée en 24 heures, chaque heure en 60 minutes, et chaque minute en 60 secondes, on la divisa, d’un minuit à l’autre, d’abord en 10 heures; et prenant ensuite les autres parties décimales de deux en deux, on sous-divisa chaque heure en 100 minutes, et chaque minute en 100 secondes, ce qui donnoit 100,000 secondes, pour la durée du jour, au lieu de 86,400; et telle étoit la division qui eut lieu pendant quelque tems, dans le nouveau Calendrier François.—La nouvelle seconde étoit ainsi, à-peu près, les six septièmes de l’ancienne; et la pendule[2] des horloges à secondes, qui avoit environ 3 pieds 8 lignes ½ de longueur, se trouvoit nécessairement raccourci, puisqu’il falloit qu’il battît des secondes qui étoient elles-mêmes plus courtes. Sa longueur étoit de 27 pouces et près de 5 lignes, ce qui rendoit les horloges plus commodes et plus portatives.—Cette nouvelle division du jour n’étant point en harmonie avec les institutions religieuses des François, ni avec la division du tems consacrée chez les autres peuples, la France ne tarda pas à y renoncer.
Moyen de vérifier ou de trouver le Mètre.
Si jamais l’étalon du mètre venoit à se perdre, ou qu’on voulût dans la suite le vérifier, on n’auroit plus besoin pour cela de recommencer les opérations relatives à la mesure du quart du méridien; on y parviendroit au moyen d’une expérience simple et facile, faite sur le pendule, à-peu près à la moitié de la distance entre l’Equateur et le Pôle. Il suffira de chercher quelles longueurs doit avoir ce pendule, pour faire, dans l’espace d’un jour, un nombre de balancemens ou d’oscillations qui sera connu d’avance, et cette longueur donnera celle du mètre.
L’Equateur est un cercle que l’on imagine partager la terre en deux moitiés, en passant par tous les points où la durée du jour est constamment égale à celle de la nuit.—Les deux points les plus éloignés de ce cercle s’appelent, l’un Pôle Nord, et l’autre Pôle Sud. |
Les physiciens appelent pendule un corps suspendu de manière à pouvoir se balancer, en allant et venant, comme on le voit dans les horloges qui portent elles-mêmes le nom de pendules. On sait que le pendule se balance avec plus ou moins de vîtesse, suivant que sa verge est plus courte ou plus longue. |
Cette politesse si recommandée, sur laquelle on a tant écrit, tant donné de préceptes, et si peu d’idées fixes, en quoi consiste-t-elle?
La politesse est l’expression ou l’imitation des vertus sociales; c’en est l’expression, si elle est vraie, et l’imitation, si elle est fausse: et les vertus sociales, sont celles qui nous rendent utiles et agréables à ceux avec qui nous avons à vivre.
Mais comment arrive-t-il qu’un homme d’un génie élevé, d’un cœur généreux, d’une justice exacte, manque de politesse, tandis qu’on la trouve dans un homme borné, intéressé, et d’une probité suspecte?......... C’est que le premier manque de quelques qualités sociales, telles que la prudence, la discrétion, la réserve, l’indulgence pour les défauts et les faiblesses d’autrui.—(Une des premières vertus sociales est de tolérer dans les autres ce qu’on doit s’interdire à soi-même.) Au lieu que le second, sans avoir aucune vertu a l’art de les imiter toutes. Il sait témoigner du respect à ses supérieurs, de la bonté à ses inférieurs, de l’estime à ses égaux, et persuade à tous qu’il en pense avantageusement, sans avoir aucun des sentimens qu’il imite.
On n’exige même pas toujours ces sentimens, et l’art de les feindre est ce qui constitue la politesse de nos jours. Cet art est souvent si ridicule et si vil, qu’il est donné pour ce qu’il est, c’est-à-dire, pour faux.
Les hommes savent que les politesses qu’ils se font ne sont qu’une imitation de l’estime: ils conviennent en général que les choses obligeantes qu’ils se disent, ne sont pas le langage de la vérité; et pourtant, dans les occasions particulières, ils en sont les dupes. L’amour propre persuade grossièrement à chacun que ce qu’il fait par décence, on le lui rend par justice.
Quand on seroit convaincu de la fausseté des protestations d’estime, on les préféreroit encore à la sincérité, parceque la fausseté a un air de respect dans les occasions où la vérité seroit une offense.
Un homme sait qu’on pense mal de lui, cela est humiliant; mais l’aveu qu’on lui en feroit seroit une insulte; on lui ôteroit par là toute ressource de chercher à s’aveugler lui-même, et on lui prouverait le peu de cas que l’on en fait.
Les gens les plus unis, et qui s’estiment à plus d’égards, deviendroient ennemis mortels, s’ils se témoignoient complètement ce qu’ils pensent les uns des autres.
Il y a un certain voile d’obscurité qui conserve bien des liaisons, et qu’on craint de lever de part et d’autre.
Je suis bien éloigné de conseiller aux hommes de se témoigner durement ce qu’ils pensent, parcequ’ils se trompent souvent dans les jugemens qu’ils portent, et qu’ils sont sujets à se rétracter bientôt, sans juger ensuite plus sainement. Quelque sûr qu’on soit de son jugement, cette dureté n’est permise qu’à l’amitié; encore faut-il qu’elle soit autorisée par la nécessité et l’espérance du succès.—Les opérations cruelles n’ont été imaginées que pour sauver la vie, et les palliatifs que pour adoucir les douleurs.—On ne corrige les particuliers qu’en leur prouvant de l’intérêt pour eux, et en ménageant leur amour-propre.
Quelle est donc l’espèce de Dissimulation permise,—(ou plutôt.)
Quel est le milieu qui sépare la fausseté vile de la sincérité offensante?
Ce sont les égards réciproques: ils forment le lien de la société, et naissent du sentiment de ses propres imperfections, et du besoin qu’on a d’indulgence pour soi-même.
On ne doit ni offenser, ni tromper les hommes.—La politesse d’usage n’est qu’un jargon fade, plein d’expressions exagérées, aussi vides de sens que de sentiment.
“La politesse,” dit-on, “marque cependant l’homme de naissance: les plus grands sont les plus polis.........” J’avoue que cette politesse est le premier signe de la hauteur, un rempart contre la familiarité. Il y a bien loin de la politesse à la douceur, et plus loin encore de la douceur à la bonté. Les grands qui écartent les hommes à force de politesse sans bonté, ne sont bons qu’à être écartés eux-mêmes à force de respect sans attachement.
“La politesse,” ajoute-t-on, “prouve une éducation soignée, et qu’on a vécu dans un monde choisi; elle exige un tact si fin, un sentiment si délicat sur les convenances, que ceux qui n’y ont pas été initiés de bonne heure, font dans la suite de vains efforts pour l’acquérir, et ne peuvent jamais en saisir la grace.........”
Premièrement, la difficulté d’une chose n’est pas une preuve de son excellence. Secondement, il seroit à désirer que des hommes qui, de dessein formé, renoncent à leur caractère, n’en recueillissent d’autre fruit que d’être ridicules; peut-être cela les rameneroit-il au vrai et au simple.
D’ailleurs cette politesse si exquise n’est pas aussi rare que voudraient le persuader ceux qui n’ont pas d’autre mérite. Elle produit aujourd’hui si peu d’effet, la fausseté en est si reconnue, qu’elle en est quelquefois dégoûtante pour ceux à qui elle s’adresse, et qu’elle a fait naître à certaines gens l’idée de jouer la grossièreté et la brusquerie pour imiter la franchise, et couvrir leurs desseins. Ils sont brusques sans être francs, et faux sans être polis........
Ce manége est déjà assez commun, pour qu’il dût être plus reconnu qu’il ne l’est encore.
Il devroit être défendu d’être brusque à quiconque ne feroit pas excuser cet inconvénient de caractère par une conduite irréprochable.
Ce n’est pas qu’on ne puisse joindre beaucoup d’habileté à beaucoup de droiture; mais il n’y a qu’une continuité de procédés francs, qui constate bien la distinction de l’habileté et de l’artifice.
On ne doit pas pour cela regretter les tems grossiers où l’homme, uniquement frappé de son intérêt, le cherchoit toujours, par un instinct féroce, au préjudice des autres. La grossièreté et la rudesse n’excluent ni la fraude, ni l’artifice, puisqu’on les remarque dans les animaux les moins disciplinables.
Ce n’est qu’en se polissant que les hommes ont appris à concilier leur intérêt particulier avec l’intérêt commun; qu’ils ont compris que, par cet accord, chacun tire plus de la société qu’il n’y peut mettre.
Les hommes se doivent donc des égards, puisqu’ils se doivent tous de la reconnoissance. Ils se doivent réciproquement une politesse digne d’eux, faite pour des êtres pensans, et variée par les différens sentimens qui doivent l’inspirer.
Ainsi, la politesse des grands doit être de l’humanité; celle des inférieurs, de la reconnoissance, si les grands la méritent; celle des égaux, de l’estime et des services mutuels.
Loin d’excuser la rudesse, il seroit à désirer que la politesse qui vient de la douceur des mœurs, fût toujours une à celle qui partiroit de la droiture du cœur.
Le plus malheureux effet de la politesse d’usage, est d’enseigner l’art de se passer des vertus qu’elle imite. Qu’on nous inspire, dans l’éducation, l’humanité et la bienfaisance, nous aurons la politesse, ou nous n’en aurons plus besoin.
Si nous n’avons pas celle qui s’annonce par les grâces, nous aurons celle qui annonce l’honnête homme et le citoyen: nous n’aurons pas besoin de recourir à la fausseté.
Au lieu d’être artificieux pour plaire, il suffira d’être bon; au lieu d’être faux pour flatter les foiblesses des autres, il suffira d’être indulgent.
Ceux avec qui l’on aura de tels procédés, n’en seront ni enorgeuillis, ni corrompus; ils n’en seront que reconnoissans, et en deviendront meilleurs.
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Une grande dame avoit demandé à Delille des vers de fête, une chanson; et depuis quelques heures il y travailloit sans avoir rien pu trouver qui le satisfît. Survient un de ses plus anciens amis, l’abbé Colson.—Ah! l’abbé, s’écrie le poète en l’apercevant et en lui sautant au cou; ah! mon ami, mon cher ami, c’est la providence, c’est le ciel lui-même qui t’envoie à mon secours. Ah! grand Dieu! tu vas me tirer de peine. Tiens, mets-toi là, assieds-toi; voilà de l’encre, du papier, une plume. On m’a demandé une chanson; c’est pour une dame à laquelle je ne peux rien refuser. Tu vas me la faire, entends-tu; oui, tu vas me la faire. Point de raison, mon bon ami; il faut que tu me la fasses.—Et tout en parlant ainsi, voilà notre malicieux poëte qui s’élance hors de la chambre et ferme la porte à double tour sur le pauvre abbé Colson. Celui-ci jure, s’emporte, et crie au guet à pens.—Tu as beau dire, ajoute le perfide à travers le trou de la serrure; tu as beau tempêter, il me faut une chanson. Règle-toi là-dessus; car tu ne sortiras, je t’en avertis, que lorsqu’elle sera faite. Adieu, travaille, je vais me promener.—En effet, sourd à ses cris, l’espiègle se rend au Luxembourg, y passe trois ou quatre heures le plus tranquillement du monde, et ne rentre au logis que lorsqu’il conjecture que son captif peut avoir fini sa besogne. Avant d’ouvrir, il se fait lire les couplets à travers la porte, et délivre enfin le malheureux abbé, qu’il faillit étouffer dans les embrassemens de sa reconnoissance.
——Le poëte Lebrun, dans son ode sur l’Enthousiasme, avoit représenté Montgolfier se précipitant dans les cieux; et cet étrange néologisme fournit à son antagoniste Urbain Dommergue, la petite épigramme que voici:
Qui pourroit s’empêcher de rire?
Lebrun, d’un vol audacieux,
Se précipite dans les cieux,
Et tombe dans la poêle à frire.
Trait qui parut d’autant plus plaisant, que le poëte, comme chacun sait, avoit épousé sa cuisinière.
Mr. Meziere,
In the first number of the Abeille Canadienne, page 12, you have stated it as a generally acknowledged fact, that the brother of the great poet Walter Scott, is the author of the Antiquary, and preceding works of the same class, which have recently enraptured the lovers of English literature. It is singular that a circumstance so generally known to be without foundation in North Britain, should have gained such credit abroad. I feel assured, from the best information, that the author of those works is a Clergyman of the Church of Scotland, who for many years past has been resident in London, where he has edited one of the principal daily papers.
There are several persons in this province, well acquainted with the truth of what I advance, who have it in their power to oblige the public by communicating the name of the author and perhaps other particulars.
There were some circumstances which first led to the supposition that Walter Scott was the author, namely, from the friendship which subsisted between him and the Clergyman, which induced him to superintend the printing of the first works, and to write some or perhaps all the poetry contained in them.
Your obedient servant,
J. T.
Montréal, 15th August, 1818.
N.B. Nous prions les personnes qui pourroient jeter quelque jour sur la question suscitée par J. T. de vouloir bien nous faire part de leurs observations et des renseignemens qu’elles auroient receuillis. Cette question vaut bien la peine d’être approfondie, puisqu’il s’agit de décider à qui la république des lettres est redevable d’une production récente, que recommandent également le mérite de l’invention, un intérêt dramatique on ne peut mieux soutenu, et sur-tout le but moral et religieux que l’auteur s’y est proposé.
H. M.
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Il faut des saints à la Religion et des citoyens à l’État.—Ainsi pensent les respectables professeurs de ce collége, fondé et entretenu par la libéralité des Messieurs du Séminaire de Montréal. Les devoirs de l’homme envers Dieu, envers sa patrie et envers lui-même y sont inculqués dans le jeune cœur de l’élève, en même tems qu’il reçoit les élémens d’une instruction substantielle, propre à le diriger un jour vers le choix d’une profession, et à le mettre en état de la remplir dignement.
Le régime intérieur de cette noble institution est combiné de manière à la faire chérir et respecter. Les sujets, les moins âgés y sont toujours tenus à une certaine distance de leurs aînés; effet d’une prévoyante sollicitude qui, en ménageant la pudeur de l’enfance, met aussi le plus foible à l’abri des entreprises du plus fort. Les voies de douceur, d’encouragement et de persuasion sont les principaux ressorts que l’on y fait mouvoir. On cherche à gagner la confiance de l’élève, plutôt qu’à comprimer son cœur par la crainte.—Prenant la foiblesse de l’âge en considération, le précepteur, moins jaloux de créer de petits prodiges, que des écoliers solides, procède méthodiquement et par dégré à l’enseignement de ses pupilles.—Une nourriture saine, abondante et variée, des jeux et des exercices propres à faciliter les développemens de la nature, des salles vastes et bien aérées, enfin une sage répartition du tems entre la prière, l’étude, la récréation, les repas et le repos, sont, avec les bons exemples que la jeunesse y a constamment sous les yeux, autant de motifs de sécurité et de consolation pour les pères et mères qui s’arrachent des bras de leurs enfants, dans la vue d’en faire des hommes.—Une circonstance infiniment précieuse pour les classes de la société les moins aisées, c’est que le prix de l’enseignement est mis à la portée du plus pauvre artisan. Ainsi se trouve démentie cette assertion malicieusement hasardée par les esprits forts que “les prêtres sont par-tout les ennemis nés de l’instruction et des lumières.” Nous savons fort heureusement ce qu’entendent ces messieurs par les lumières.
L’écriture, la lecture, les grammaires Françoise, Angloise et Latine, les diverses opérations du calcul, la géographie, les histoires sacrée et profane, les belles-lettres, la logique, la physique; telles sont les principales branches de l’enseignement.
C’est sur la presque totalité de ces matières qu’ont roulé les exercices publics du Petit-Séminaire de Montréal, les 11 et 12 du mois dernier. Déjà, dans notre dernier numéro, fidèle interprête des sentimens d’un auditoire nombreux et respectable, nous avons proclamé, dans les succès obtenus par les élèves les titres sacrés de leurs dignes précepteurs à la reconnoissance publique. Il nous reste maintenant à offrir à nos lecteurs l’aperçu du Plaidoyer qui a terminé les Exercices de nos jeunes compatriotes.
L’éditeur d’un journal Américain avoit donné le défi suivant aux avocats de son pays:
In one of the counties of Hungary, a case has been produced by nature, which furnishes the Hungarian lawyers with an opportunity to exercise their ingenuity. On a steep declivity of the river Herneh lay two vineyards, one above the other; the higher one, detaching itself from the rock, glided down the declivity upon the lower vineyard, which it now entirely covers. The question is who is the owner of the vineyard, and who is considered the loser.[1]
Pour compliquer davantage cette question et ouvrir un champ plus vaste à la discussion, le savant et ingénieux professeur de Belles-Lettres auquel nous devons le plaidoyer, a voulu supposer un bouleversement encore plus imposant; il en a pris le type dans le mémorable tremblement de terre qui eut lieu à Lima en 1746.
Un Dom Lorenzo Aquaviva possédoit une terre d’environ 400 arpens sur le bord de la mer, à quelque distance de Lima: Dom Juan Cabrera avoit l’usufruit d’une partie de ce terren. Dom Carlos Belvedere possédoit un grand fonds de terre, et sur-tout un beau vignoble, sur une Colline voisine; et un Dom Pedro Delos Rios avoit une hypothéque sur le terrein de Belvedere.
Un événement naturel, dont un des comtés de la Hongrie vient d’être le théâtre, offre aux avocats de ce pays-là une belle occasion de montrer leur habileté. Sur le penchant rapide d’un rocher dont la rivière Herneh mouille la base, existoient deux vignobles contigus et situés l’un au-dessus de l’autre. Le plus élevé, se détachant de la surface qu’il occupoit, a glissé et est venu s’établir sur le vignoble inférieur qui en est aujourd’hui tout couvert. Il s’agit de savoir lequel des deux anciens propriétaires doit avoit la propriété du seul vignoble existant, et lequel doit supporter la perte occasionnée par ce singulier accident? Dans le tremblement de terre supposé par le respectable professeur, toutes les possessions de Belvedere furent jetées et dans la mer et sur le terrein d’Aquaviva, de manière à le couvrir presque tout entier, et principalement ce qui constituoit l’usufruit de Cabrera.
Voici, dans cet état de choses, les prétentions respectives de ces messieurs.
1o. Aquaviva prétend garder tout ce que le tremblement de terre a jeté chez lui: il soutient que l’usufruit de Cabrera est éteint parceque son terrein est dénaturé.
2o. Belvedere prétend partager ce nouveau terrein formé du sien, ou du moins être dédommagé de ses pertes.
3o. Cabrera réclame son usufruit.
4o. Delos Rios revendique son hypothéque, que Belvedere lui refuse.
Un Dom Antonio Campo Major, Avocat du Roi, intervient et prétend que ce nouveau terrein, formé par les alluvions de la mer, appartient au Souverain. Cependant, comme il est des accomodemens avec le ciel, on parvient bientôt à désintéresser ce tiers importun par des moyens péremptoires, et les parties, conseillées par des gens sages, au lieu de s’exposer aux chances d’une procédure juridique, aussi dispendieuse à Lima que partout ailleurs, prennent le salutaire parti de plaider elles-mêmes leur cause devant un magistrat respectable, à la décision duquel elles sont convenues de s’en rapporter.
Les différens personnages que l’on vient de nommer, ont été représentés par un même nombre de Rhétoriciens. Chacun d’eux a fait valoir ses moyens à la satisfaction de l’auditoire; mais celui qui remplissoit les augustes fonctions de Juge-arbitre, a fixé plus particulièrement l’attention publique. C’étoit, à-peu près, son respectable père rendant la justice au nom de notre souverain Seigneur et Roi, sur le banc des Juges de Paix. Jamais on n’avoit vu un visage si jeune, et sur lequel règne habituellement la plus aimable gaieté, prendre à ce point l’air de gravité et de solemnité qu’exigeoit naturellement la circonstance. Ajoutez à cela un débit aisé, de l’aplomb, de la noblesse dans le geste, et de la vérité dans toutes les inflexions de voix; enfin du naturel.
Les bornes de ce journal ne nous permettant point de détailler les divers moyens employés par les parties, nous nous bornerons à la substance de l’analyse qu’en a faite Mr. le Juge-arbitre lui-même, avant de prononcer le jugement.
Belvedere a prétendu pouvoir reprendre son bien par-tout où il le trouvoit. Il a invoqué la loi et l’équité naturelle. Mais, comme le lui a fait judicieusement observer notre grave magistrat, la loi qu’il citoit ne pouvoit guère convenir au cas actuel. D’un autre côté, il avoit, par le fait de sa négligence, donné le tems aux arbres et aux débris du terrein déplacé, de s’incorporer avec celui d’Aquaviva. Et puis, il n’étoit pas de l’équité de vouloir reprendre ce qui ne pouvoit lui être rendu, qu’en détruisant un fonds qui ne lui appartenoit point.
Aquaviva a insisté sur le droit qu’il avoit de retenir tout ce qui se trouvoit sur son fonds, sur-tout lorsqu’il s’y étoit uni par une consolidation intime: il alloit même jusqu’à vouloir chasser l’usufruitier, comme si la nature du sol avoit changé.—Mais, lui a dit notre Juge-Arbitre, si la propriété est aussi méconnoissable que vous le prétendez, comment la revendiquez-vous si aisément pour vous même?—Et quant au terrein de Belvedere, la loi vous autorise-t-elle à profiter du malheur de vos voisins? Si elle ne vous oblige pas de leur rendre le terrein qui est tombé sur le vôtre, vous dispense-t-elle de les indemniser par une compensation proportionnée à ce qu’ils ont perdu, ou du moins à ce que vous avez gagné vous-même?
Cabrera, prétendant garder tout le produit de son usufruit, a maintenu que personne n’avoit le droit de l’inquiéter là-dessus; parceque (a-t-il dit) le terrein n’avoit changé ni de nom, ni de situation. Qu’à la place de bled ou de légumes, ajoutoit-il, on y ait planté des vignes, peu importe; c’est toujours le même champ, le même sol: par conséquent, mon adverse partie Aquaviva ne peut rien prendre sur mon usufruit.—Oui vraiment, lui à répondu le Juge-Arbitre; mais en pouvez-vous dire autant du malheureux Belvedere, dont le terrein, les arbres et les vignes sont venu améliorer votre usufruit et votre fortune? N’a-t-il pas quelque droit sur le terrein de deux rivaux devenus plus riches à ses dépens?—Vous même avez paru ne point méconnoître tout-à-fait ce droit-là, et je vous en félicite.
Quant à Delos Rios, il s’est accommodé à tous les systêmes; mais aussi il a accommodé tous les systêmes à ses intérêts; et soit qu’on décidât en faveur d’Aquaviva, de Belvedere, ou de Cabrera, il espéroit que, son hypothéque ne souffriroit aucune altération. Il se fondoit principalement sur ce que les terreins de ses rivaux lui répondoient solidairement de son hypothéque. Un texte tronqué du Digeste sembloit favoriser cette prétention, et il le citoit perpétuellement: manere causam pignoris, quia cum suâ causâ pondus transeat.—Le Juge, qui a eu bientôt reconnu la supercherie, l’a engagé à lire ce qui précède: si fundus pignorati venierit, manere causam &c. Ce qui veut dire, que si l’on vend un fonds hypothéqué, l’action hypothécaire subsiste avec le fonds; et non pas, que si la superficie d’un fonds hypothéqué est jetée çà et là, chaque terre qui la recevra doive être ou soit solidairement hypothéquée.
Après cette analyse sommaire, notre jeune Magistrat a rappelé la maxime, que personne ne doit s’enrichir au détriment des autres—maxime générale puisée dans l’humanité, et l’une des régles du droit écrit: Jure naturæ æquum est neminem cum alteriûs detrimento et injuriâ fieri locupletiorem. Delà il est descendu aux principes particuliers applicables à l’espèce:
1o. Si la violence, d’une tempête jete une maison ou des meubles, des bestiaux ou des arbres, sur le terrein d’autrui, le maître de ces objets aura le droit de les répéter. Mais si les arbres ont eu le tems de s’attacher au nouveau terrein, et de s’y incorporer, ils appartiendront au maître du terrein.
2o. Si une portion de terre est jetée sur un héritage voisin, et qu’elle s’y unisse, ce n’est plus à l’ancien possesseur qu’elle appartient, c’est au nouveau; mais celui-ci doit un dédommagement à l’autre, s’il est devenu plus riche par cette accession.
3o. L’usufruit ne périt point, à moins que le fonds ne contracte un changement essentiel entier, absolu, qui introduise une mutation totale et un nom différent.
4o. L’hypothéque a double action, l’une sur la personne, l’autre sur la chose: si l’une des deux manque, le créancier a recours sur l’autre.
Le Jugement de notre Juge-arbitre, fondé sur ces principes, et sur les rapports des témoins et experts concernant l’état des terreins respectifs et leurs améliorations comparées, étoit conçu à-peu près en ces termes:
Dom Carlos Belvedere pourra répéter ce qu’il y a d’arbres détachés de la terre, et tous autres meubles posés sur le terrein d’Aquaviva et sur l’usufruit de Cabrera; sauf à dédommager les dits Aquaviva et Cabrera du tort qu’ils pourroient souffrir dans le transport.
Dom Lorenzo Aquaviva est confirmé dans la possession du terrein qui est tombé sur le sien, et des arbres qui y ont pris racine. Mais comme le fonds du dit Aquaviva est devenu meilleur, il payera à Belvedere une rente de Dix mille livres; rente proportionnée, non à la perte immense de Belvedere, mais au profit qu’en a retiré Aquaviva d’après le rapport que les experts en ont fait.
Dom Juan Cabrera est maintenu dans la jouissance paisible de son usufruit.
L’hypothèque de Delos Rios se prendra et sur l’ancien terrein resté dans l’héritage de Belvedere, et sur les dix mille livres qu’Aquaviva doit payer à Belvedere; cette somme étant représentative du fonds hypothéqué, doit en répondre.
Ainsi a été terminé le plaidoyer, auquel a succédé la distribution des prix—Le Digne Supérieur du petit Séminaire a reçu ensuite l’expression de la vénération publique, et successivement les estimables collaborateurs qui partagent ses tendres soins et sa vive sollicitude pour instruction de la jeunesse.
Messire Daulé, prêtre François, va enfin nous gratifier d’un receuil de Cantiques avoués par la religion et le goût: la partie typographique en sera, dit-on, bien soignée.—Jaloux de contribuer au succès de cette entreprise utile à la religion et honorable pour notre littérature, je prie l’estimable éditeur de vouloir bien m’inscrire au nombre de ses souscripteurs, pour deux exemplaires du Receuil.
[L’Éditeur de l’Abeille Canadienne.
Difficulté proposée aux Avocats. |
Ce n’est point l’Isle des Bermudes, mais bien la ville de Saint John, (New-Brunswick,) qui a été déclarée port libre, en même tems qu’Halifax. C’est ainsi que l’on devra lire page 78ème. de notre dernier Numéro, article Etats-Unis, 3ème. ligne, après les mots ports libres.
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Inconsistency in accents has been corrected or standardised.
Space between paragraphs varied greatly. The thought-breaks which have been inserted attempt to agree with the larger paragraph spacing, but it is quite possible that this was simply the methodology used by the typesetter, and that there should be no thought-breaks.
[The end of L'Abeille Canadienne Issue 03 of 12 edited by Henri-Antoine Mézière]