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Title: Les poilus canadiens : le roman du vingt-deuxième bataillon canadien-français
Date of first publication: 1918
Author: anonymous
Date first posted: Mar. 1, 2017
Date last updated: Mar. 1, 2017
Faded Page eBook #20170302
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Par
J. A. H.
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LE 15 septembre dernier, 1918, l'on célébrait à Québec l'anniversaire de la victoire de Courcelette, remportée le 15 septembre 1916 par le 22e bataillon canadien-français. Sur les terrains de l'Exposition, devant un auditoire de quatre mille personnes groupées dans le grand amphithéâtre, plusieurs orateurs ont tour à tour rappelé et célébré le souvenir de Courcelette. M. l'abbé Camille Roy, entre autres, a prononcé les paroles suivantes, qui nous paraissent les plus appropriées que nous puissions inscrire en tête de ce modeste travail, humble monument que nous avons voulu élever à la gloire impérissable du 22e bataillon canadien-français:
“Le 22e bataillon canadien-français a pris pour devise, au moment de sa formation, la devise même de notre province de Québec: “Je me souviens.” Le 22e est donc le bataillon du souvenir. Et c’est ce qui a fait à ses officiers et à ses soldats cette âme de bravoure, cette vertu conquérante qui fit paraître là-bas, en terre de France, les énergies traditionnelles et tous les beaux élans de notre race.
“Oui, messieurs, c’est parce que les soldats du 22e se sont souvenus qu’ils ont toujours été aussi grands que tous leurs sublimes devoirs. Se souvenir est vraiment une force, quand, à se souvenir au moment du sacrifice, on revoit en des visions lointaines, mais encore si douces, le pays natal, la terre sacrée qui porta nos temples et nos berceaux, qui offrit à nos regards la parure immense de ses paysages, de ses montagnes, de ses plaines, de ses forêts, de son fleuve royal, et cette parure plus précieuse qui est le champ paternel et le foyer modeste mais très cher, dont on emporte partout la bienfaisante image.
“Mais, laissez-moi l’ajouter: se souvenir est une force encore plus grande, se souvenir est une force irrésistible, quand on est fils d’une race comme la nôtre, et que les souvenirs du sol et de la famille s’augmentent de toutes les gloires du passé; quand on porte dans ses veines un sang qui est si riche de noblesse séculaire, et que l’on est soi-même la minute vivante d’une si grande histoire.
“Notre race se soude, par ses origines, à celle qui répandit sous le ciel de l’Europe la lumière de son verbe, la puissance de son génie et l’éclair de ses épées. Issus et détachés de la France, qui fut, entre toutes les nations, capable d’héroïsme, nous avons continué, sous le ciel nouveau de l’Amérique, l’apostolat de sa pensée et les batailles de sa chevalerie. Lutter pour la justice, lutter pour le droit des gens et pour le droit de Dieu, ce fut notre tâche historique, et c’est notre gloire, qui fut parfois douloureuse.
“Nulle part un Canadien français ne peut donc oublier ni son auguste lignage, ni ce patrimoine de vertus. Mais il s’en souvient, il doit s’en souvenir, semble-t-il, avec une ferveur plus émue, quand un jour, obéissant aux inspirations de sa piété, et conduit par tous les instincts profonds de sa vie, il se trouve là-bas, en terre de France, face aux barbares qui l’on souillée, et qu’aux champs où bataillèrent 6 ses aïeux, il fait lui-même les batailles de la justice et de l’humanité. Devenu tout à coup semblable à ces chevaliers errants qui s’en allaient hors frontières redresser des torts et occire les mécréants, il se jette dans la mêlée ardente avec cette fureur joyeuse qui est le redoutable sourire de l’âme française.
“Voyez plutôt, le 15 septembre 1916, à 5 heures et demie, par un soir lumineux et doux, s’élancer vers Courcelette les 800 du 22e bataillon. Ordre leur avait été donné d’aller y déloger les Allemands. Ils s’en vont en pleine campagne, à travers champs d’abord, sous les canons de l’ennemi qui les voit s’avancer et ouvre sur eux le feu de ses batteries. Une pluie d’obus s’abat sur les assaillants. Mais ces 800 auront à vaincre près de 2000 Bavarois et Prussiens; et ils les vaincront. Pied à pied ils reconquièrent le terrain perdu. Le chemin sanglant se jonche de morts et de blessés; de nouveaux héros surgissent là où d’autres sont tombés, et ils continuent de monter en une poussée irrésistible vers le village convoité. Ils pénètrent dans la place jugée imprenable par les officiers allemands; ils en chassent l’ennemi; ils en nettoient tous les quartiers, et ils les défendent des contre-attaques furieuses des vaincus. Pendant quatre jours ils se battent comme des lions, ou plutôt comme des Français! N’ayant plus de munitions à eux, ils prennent à l’ennemi ses engins de guerre, et les font servir à leur victoire. Et les 118 hommes et 7 officiers valides qui restent font 1200 prisonniers. Deux cent cinquante des nôtres furent tués et des centaines blessés; mais tous, morts, blessés et survivants ont accompli l’une des plus belles actions dont fut témoin, en ce mois de septembre, le front de la Somme. Et le général commandant la seconde division canadienne pouvait écrire au lendemain de ces journées fameuses que “dans toute l’armée britannique, aucun bataillon ne surpassait le 22e canadien-français.”
Après ces éloquentes paroles, qui illustrent mieux que tout ce que nous aurions pu dire nous-mêmes de la bravoure et de la noblesse d’idéal du 22e bataillon, il ne nous reste plus qu’à essayer de raconter, bien imparfaitement mais avec un grand désir de lui rendre justice, quelques-uns des épisodes les plus glorieux ou les plus intéressants de la belle carrière qu’a parcourue le 22e bataillon canadien-français pendant le cours de la grande guerre.
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LES Canadiens français s’étaient déjà enrôlés en bon nombre dans les rangs de la Première Division, mais on allait maintenant leur demander un plus grand effort encore. Au cours de l’automne de 1914 et avant le départ de la 1ère division pour la France, le colonel Gaudet se mit à faire du recrutement pour le 22ème bataillon, que l’on se proposait de verser dans la 23ème division de la 5ème brigade et qui devait se composer exclusivement de Canadiens français. L’appel aux armes retentit par toute la province de Québec, et des milliers de jeunes gens animés des plus chevaleresques instincts de la race accoururent aux bureaux de recrutement, prêts à tous les sacrifices pour défendre la patrie, la France et l’Empire.
Les cadres furent bientôt remplis et le bataillon, presque au complet, fut envoyé au camp de Saint-Jean pour y commencer son entraînement. De nouvelles recrues y arrivaient chaque jour, et ces jeunes gens robustes et à l’intelligence éveillée ne furent pas lents à se transformer en soldats alertes et disciplinés qui faisaient déjà la fierté de leurs officiers. L’entraînement se poursuivit durant tout l’hiver, les hommes prenant goût de plus en plus à la vie en commun, à la nourriture substantielle et appétissante, à la régularité d’habitudes et aux exercices militaires qui développaient les forces et la résistance de chacun. C’était le cas de dire que déjà “le moral des troupes” était excellent.
Vers le milieu de mars, quelques jours avant le départ pour le camp d’Amherst, Nouvelle-Ecosse, une imposante cérémonie religieuse rassembla le bataillon tout entier dans l’église du Saint-Sacrement, à Saint-Jean, qui avait été richement décorée pour la circonstance. Avant la bénédiction du Très-Saint-Sacrement, le chapelain du bataillon prononça au nom de tous la formule solennelle de consécration qui vouait le 22ème bataillon au Sacré-Coeur de Celui qui s’appelle aussi le Dieu des combats, puis il confia aux jeunes soldats leur drapeau, symbole émouvant de la patrie, du devoir et du sacrifice. Bien des yeux se mouillèrent en cette inoubliable cérémonie, des prières ardentes montèrent vers le ciel, et il n’était pas un de ces jeunes braves qui ne fît le voeu devant Dieu de remplir courageusement son devoir et de faire honneur à sa race et à son pays. On sait aujourd’hui que ces voeux n’étaient pas formulés en vain et avec quel noble courage ils ont été accomplis.
La première période d’entraînement se termina à Amherst, N.-E. vers le milieu de mai 1915, et le matin du 20, le 22ème défila fièrement par les rues de la petite ville, au milieu des manifestations sympathiques de la population, pour monter dans le convoi de chemin de fer qui devait l’emmener vers Halifax—et vers l’Angleterre. Le trajet 10 d’Amherst à Halifax n’est pas long, et il n’était pas six heures du soir que le bataillon était déjà installé confortablement à bord du “Saxonia”, qui se mit en marche aussitôt et sortit lentement du port d’Halifax aux accents du “O Canada” et salué par les acclamations de la foule massée sur les quais et sur la rive. Le coeur un peu serré, les jeunes soldats regardaient s’effacer les rives de ce Canada que tous ne reverraient pas, et peut-on les blâmer de quelques instants de profonde et grave émotion? Mais ce n’était qu’un nouvel aspect du sacrifice, ils en renouvelèrent l’acceptation en une fervente prière et retrouvèrent bientôt leur entrain, qui ne devait plus les quitter de toute la traversée. Celle-ci fut dépourvue d’incidents sérieux et s’acheva le 30 mai, date à laquelle on atteignit la côte anglaise, à Westenhangar. Le même soir, le bataillon se dirigeait à pied, par les routes anglaises bordées de haies parfumées de fleurs printanières, vers le camp de East Sandling où ils devaient terminer leur entraînement.
Le camp de Sandling est situé sur un plateau élevé entouré de jardins fleuris et de bosquets verdoyants. Dans ce décor éminemment pacifique les hommes se mirent pourtant sans retard à apprendre les dernières roueries du métier de la guerre: signaux, creusage de tranchées, exercice à la baïonnette, lancement de bombes et de grenades, simulacres d’assauts auxquels prenaient également part d’autres détachements de la 5ème brigade, rien ne manquait pour donner l’illusion de la “vraie guerre” et y accoutumer ceux qui devaient prochainement y prendre une part si glorieuse. Les hommes goûtaient pleinement cette vie d’activité et ne se tenaient plus de hâte de traverser la France; aussi donnaient-ils toute leur attention à leurs études et firent-ils des progrès rapides et soutenus, sous la direction d’instructeurs compétents ayant fait du service actif à la ligne de feu.
A plusieurs reprises pendant sa période d’entraînement, la 2ème division fut passée en revue par quelques-uns des chefs militaires et des hommes publics les plus distingués de l’Angleterre, y compris Sa Majesté le Roi. Ces personnages ne pouvaient manquer d’accorder une attention spéciale au bataillon Canadien français, et leur inspection se faisait encore plus précise en arrivant dans les rangs des nôtres; mais ceux-ci n’avaient rien à craindre et la fierté de leur race et les glorieux souvenirs de leurs ancêtres se faisaient sentir dans la correction de leur tenue et la précision martiale avec laquelle ils exécutèrent les différents mouvements de la parade. Les critiques les plus exigeants se déclarèrent enchantés d’eux, et l’on eut de plus en plus l’impression que l’on pouvait s’attendre à de grandes choses de la part des fils du vieux Québec.
Au mois de septembre la 5ème brigade atteignit la fin de son entraînement. Chacune de ses parties, régiments et bataillons, avait reçu depuis près d’une année toute la science et acquis toute l’endurance que l’on pouvait désirer et les hommes étaient maintenant familiers avec les armes les plus étranges de la guerre moderne: bombes, grenades à fusils, mitrailleuses, projecteurs de gaz, etc., etc., et l’on pouvait sans crainte les aligner à côté de leurs prédécesseurs en France. C’est à ce moment qu’on leur distribua l’équipement Webb, adopté par toute l’armée impériale. C’était un signe de départ prochain dont les 11 hommes furent enchantés. En effet, le soir du 15 septembre, le 22ème et quelques autres bataillons de la 5ème brigade s’embarquaient pour Boulogne, où ils arrivèrent sans incident; et après un bref repos, un convoi de chemin de fer français les emmena vers Saint-Omer.
Ce convoi se composait de wagons à marchandises servant avant la guerre au transport du fret et des animaux; ils avaient de plus tellement servi depuis quelques mois que plusieurs étaient dépourvus de portes, tandis que les autres manquaient de toiture; le voyage s’annonçait comme devant manquer de confort, d’autant plus que l’espace manquait aussi et qu’un grand nombre de soldats durent rester debout durant tout le voyage entre les piles d’équipement qui recouvraient le plancher. On commençait à goûter à la guerre pour de bon.
Il y eut cependant des intermèdes agréables, le long du trajet, surtout pour le 22ème. Lorsque le train s’arrêtait à quelque hameau dont les femmes et les enfants leur souhaitaient la bienvenue timidement, quelle joie de retrouver la langue française, de comparer son nom avec ceux des villageois, de proclamer celui de son propre village et surtout de rappeler le souvenir des ancêtres communs! Quelle bienvenue après s’être habitué en peu d’instants aux petites nuances différentes du langage, et quels cadeaux de bon vin, de longues miches de pain croustillant et de boulettes de beurre rappelant le pays canadien! Les hommes exprimaient bruyamment leur bonheur et déclaraient que c’était “comme aller en visite dans une autre partie de la province de Québec.”
On finit par arriver à Saint-Omer, ville aux nombreux souvenirs historiques, et après un peu de repos, la 5ème brigade se mit en marche vers Hazebrouck, autre ville assez considérable et située non loin de la frontière belge. On dormit à l’aise selon le système des billets de logement, et les soldats du 22ème découvrirent avec satisfaction que la langue française est partout comprise dans les Flandres, bien que le flamand y soit la langue maternelle. On se remit en marche de bonne heure le lendemain matin, et le soir la 5ème campa dans la région de Locre-Scherpenberg, à peu de distance de la ligne de feu du mont Kemmel.
Et l’on était arrivés à la guerre! Le grondement sourd et persistant du canon, le crépitement des mitrailleuses et de la mousqueterie, arrivaient un peu adoucis par la distance, et quand vint l’obscurité on vit éclater silencieusement les fusées éclairantes de l’ennemi, jetant une lueur rapide sur la forêt ravagée et sur les contours du terrain où se trouvaient les tranchées. C’était vraiment la guerre et la ligne de feu, et les hommes commencèrent à sentir leur sang bouillir et à ne plus penser qu’à se mesurer au plus tôt avec l’ennemi.
Il régnait dans ce secteur une tranquillité relative qui permit à nos débutants de s’accoutumer peu à peu à la vie des tranchées et au système de relève alternée entre bataillons, qui leur assurait des 12 périodes régulières de repos et de détente, et lorsque la saison des pluies s’étendit comme une couverture ruisselante sur toute la région des Flandres, nos soldats se trouvaient déjà acclimatés et en mesure de tirer le meilleur parti possible de la situation.
En dépit de la mauvaise température et des tranchées inondées qui les obligeaient souvent à s’exposer sans abri aux coups des francs-tireurs et de l’artillerie ennemis, les Canadiens français ne perdirent pas leur entrain et ne se laissèrent même pas entraîner à une inactivité qui eût été d’ailleurs fort excusable dans les circonstances. Comme les sapeurs de l’ennemi creusaient secrètement des mines pour faire sauter nos tranchées, ils les contre-sapèrent avec succès, et repoussèrent l’Allemand lorsqu’il tenta d’occuper les cratères causés par ses explosions. Dans les patrouilles, ils livraient fréquemment bataille aux avant-postes ennemis et remportaient presque toujours les honneurs de la bataille, faisant preuve d’un courage et d’une habileté rares chez des troupes nouvelles. Il leur restait à montrer leur endurance sous la canonnade, épreuve la plus rude de la guerre de tranchées: rester impassible dans d’étroits fossés pendant que les obus pleuvent et sèment la mort et la destruction tout autour. C’est là qu’on verrait s’ils étaient vraiment dignes de combattre à côté des hommes d’Ypres, de Festubert et de Givenchy. On va voir que ce jour ne devait pas tarder, et que la réputation des nôtres devait en sortir encore grandie.
Les Allemands étaient serrés de près par les Anglais, à Loos, un peu au sud, et s’attendaient à une attaque imminente, qu’ils voulurent prévenir à tout prix. Ils tournèrent tous leurs canons disponibles ainsi que leurs mortiers vers les tranchées canadiennes et leur firent vomir la mort sans interruption. Les officiers prirent des mesures d’urgence pour perdre le moins de monde possible, mais comment les hommes allaient-ils se comporter? C’est ici que se place un incident héroïque dont le récit a souvent été fait à l’honneur des nôtres: le major A. Roy était à un moment donné au plus fort du danger, circulant parmi les hommes et leur donnant l’exemple du calme et de la bravoure. Il était à examiner tranquillement la carabine d’une sentinelle lorsque tomba du ciel une énorme bombe lancée par un gros mortier ennemi; le projectile meurtrier était là, dans la tranchée pleine de monde et sur le point de faire explosion en semant la mort dans nos rangs. Le major Roy n’hésita pas un instant; prompt comme l’éclair et sans tenir compte de l’effroyable danger auquel il s’exposait, il se précipita vers le monstre afin de le saisir et de le rejeter hors de la tranchée, avant que l’explosion se produisit. Mais comme il allait atteindre la torpille, le pied lui glissa dans la boue. . . et l’engin fit explosion...
Le major Roy était mort de la mort des braves et en même temps il scellait de son sang la réputation de courage des officiers et des soldats du 22ème canadien français. Désormais personne ne s’inquiéta plus de la façon dont ils se comporteraient sous les pires assauts de l’ennemi.
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Le temps passait, cependant, et la fête de Noël arriva comme par surprise tellement l’on était occupés par les luttes et les événements de chaque jour. Le 22ème eut la chance d’être relevé le soir du 24 décembre et de passer la journée du lendemain dans de confortables logements de l’arrière. Officiers et soldats firent de leur mieux pour 15 que la fête fût joyeuse, mais comment pouvait-on éviter de songer aux absents de là-bas, aux douceurs du foyer lointain, à la neige étincelante et aux grands horizons clairs du pays canadien, pendant que la brume et les pluies incessantes des Flandres se mêlaient au bruit du canon pour faire sentir tout le poids de l’éloignement? Jamais peut-être plus ferventes prières ne montèrent aux pieds de l’Enfant Dieu, pour qu’il nous accordât la victoire et ramenât bientôt les défenseurs à leurs foyers.
La 5ème brigade avait cependant travaillé sans relâche à réparer les ravages causés par l’ennemi et par la pluie, et à rendre les tranchées plus habitables, on peut même dire plus confortables. Il devint alors possible de se livrer à une plus grande activité d’offensive au moyen d’incursions et de patrouilles fréquentes, et le 22ème ne resta pas en arrière dans cette nouvelle phase, qui allait si bien au tempérament français. C’est au lieutenant Vanier et à ses quatre compagnons que semble revenir la palme du plus brillant fait d’armes de ce genre pour le commencement de l’année. Dans la nuit du deux janvier, en effet, ces cinq braves se glissèrent dans l’obscurité au travers des défenses en fil barbelé de l’ennemi, et firent sauter au fulmi-coton tout un nid de mitrailleuses, après quoi ils s’en revinrent sains et saufs dans leur tranchée. L’entreprise avait été plus que dangereuse et démontra une fois de plus l’aptitude des Canadiens français à battre les Allemands à leur propre jeu. On ne pouvait manquer de le remarquer en haut lieu, et bientôt une période nouvelle s’ouvrit pour le 22ème.
Le génie inventif des Anglais s’était attaché à améliorer les armes anciennes et à en inventer de nouvelles et de plus puissantes, et il devint bientôt nécessaire de créer des écoles où les soldats pussent se familiariser avec ces nouveaux engins de guerre. La 2ème armée, dont faisait partie la 5ème brigade, avait établi un certain nombre de ces écoles dans des villages tranquilles, situés à bonne distance de la ligne de feu et des experts y donnaient à des groupes tirés de chaque bataillon, des leçons sur le maniement compliqué des mitrailleuses, l’organisation des attaques avec bombes et grenades, l’emploi des gaz et les moyens de se défendre de ceux de l’ennemi, les tactiques de la guerre de tranchées, etc., etc. Les hommes assistaient à ces cours jusqu’à ce qu’ils y fussent devenus experts, et un bon nombre de Canadiens français en purent profiter, de sorte que lorsque l’arrivée de la 3ème division nécessita un changement de position, le 22ème avait dans ses rangs tous les spécialistes voulus pour lui permettre de se porter à l’offensive selon toutes les dernières inventions de la guerre moderne.
Au commencement d’avril, mois pendant lequel la pluie ne cessa pas de tomber, la 2ème division reçut l’ordre de relever la 3ème division impériale qui avait réussi à pénétrer jusqu’à Saint-Eloi, en faisant exploser sept mines sous les tranchées ennemies. Celles-ci occupaient la crête d’un monticule dominant le pays environnant, et faisant face au village de Saint-Eloi. De cette éminence, les Allemands pouvaient observer à loisir les positions anglaises sur une étendue de plusieurs milles, et il était devenu important de les en déloger. 16 L’avance anglaise avait presque complètement renversé la situation; les tranchées allemandes avaient disparu et les cratères formés par l’explosion des mines souterraines s’avançaient jusque dans les tranchées de support de l’ennemi. Le terrain, cependant, était complètement bouleversé, et les sept cratères se remplissaient rapidement de l’eau environnante, tandis que la pluie incessante créait chaque jour des lacs nouveaux, réunis entre eux par des marais gluants; la terre pulvérisée prenait sous la pluie la consistance d’une colle infecte, tandis qu’au milieu de ces flaques putrides apparaissait ça et là le cadavre d’un Allemand immobilisé par la mort dans d’effrayantes postures. Tel était l’état des choses lorsque la 2ème division canadienne reçut dans la nuit du 4 avril, l’ordre de relever la 3ème division impériale, épuisée de fatigue, et affaiblie par ses pertes.
Les tranchées prises d’assaut étaient encore pleines de morts et de blessés, et l’on constata qu’il n’existait réellement plus de ligne de front, celle-ci ayant été déchirée de toutes parts par les explosions; il fallait se contenter de tenir comme on pourrait au moyen de patrouilles et de postes de bombardiers placés partout où l’on pourrait trouver ou improviser un abri quelconque.
La 6ème brigade canadienne, supportée par les mitrailleuses, y compris celles du 22ème que commandait le lieutenant P. S. L. Browne, réussit à faire évacuer les blessés et à établir une sorte de système de défense, en dépit d’un vrai déluge de projectiles ennemis, les canons allemands tirant de tous les angles possibles dans le but de détruire entièrement cette position. Il fallait se hâter de s’y retrancher tant bien que mal. Des escouades prises dans le 22ème et d’autres unités de la brigade se risquèrent à travers la mitraille et pataugèrent péniblement dans la boue épaisse jusqu’aux avant-postes où, l’obscurité aidant, ils s’efforcèrent fiévreusement de construire des tranchées sans lesquelles la situation n’eût pas été tenable. Il convient de dire que ces pionniers ne dépassaient pas en bravoure leurs camarades de la 6ème brigade, qui, couchés dans la boue, trempés par la pluie, bombardés, canonnés et mitraillés par l’ennemi, n’en continuaient pas moins à le contenir par une indomptable résistance.
En dépit de ces terribles désavantages, le terrain conquis fut conservé, et ces quelques groupes de Canadiens privés de tout support tinrent en respect les hordes allemandes jusqu’au matin du 6 avril. A l’arrière, on était empêché, le jour, par les barrages ennemis et le feu intense de ses mitrailleuses de leur envoyer des renforts; la nuit, l’obscurité était si grande que les partis de secours perdaient le sens de la direction et s’égaraient complètement dans la mer de boue. Tour à tour les quartiers-généraux de bataillons, de la division et de la brigade se virent couper leurs communications. Il y eut des avant-postes anéantis et dont on n’entendit plus jamais parler. Des courriers héroïques s’aventurèrent à tour de rôle dans les marais gluants pour porter des messages importants aux courageux défenseurs, mais tous succombèrent aux coups des francs-tireurs allemands. Même les pigeons-voyageurs, notre suprême ressource en pareil cas, ne purent être utilisés, car l’éclatement des explosifs leur donnait la mort au moment où ils volaient en cercles avant de trouver leur direction. 17 Les cartes n’avaient plus d’utilité, tellement les projectiles et la pluie avaient modifié le terrain; à la place de monticules familiers on trouvait un cratère rempli d’eau ajoutant encore à la désolation d’une vaste mer boueuse. On ne pouvait même plus reconnaître les quatre grands cratères, dont le principal avait 175 verges de longueur sur 80 de largeur. Les rafales du vent, la pluie et le brouillard épais empêchaient les aviateurs de prendre l’air et de reconnaître les positions de l’ennemi, et il n’était même pas possible de supporter au moyen de l’artillerie les tenaces défenseurs accrochés là-bas aux bords de leurs cratères remplis d’eau et tenant tête héroïquement à l’ennemi.
L’aube du 6 avril éclaira faiblement le paysage dévasté sur lequel flottait comme un suaire l’épais brouillard particulier à ces contrées. Quelque part dans cette désolation, les Canadiens, couverts de boue, affamés, altérés, les yeux hagards à force d’insomnie et des fatigues indescriptibles supportées pendant trois jours consécutifs, attendaient avec une sombre énergie l’attaque de l’ennemi.
Elle se produisit le long du chemin allant de Wytschaete à Saint-Eloi, où l’on vit déboucher tout-à-coup des masses d’infanterie allemande. Pour comble de malheur, la plupart des fusils des Canadiens ne fonctionnaient plus, rendus hors d’usage par la boue, et les mitrailleurs du 22e n’obtenaient plus qu’une détonation de temps en temps de leurs armes détraquées. Jurant et pleurant de rage, nos hommes voyaient échapper l’occasion de se venger de l’ennemi; les Allemands trouvèrent une brèche près du centre gauche, s’y répandirent comme une marée et balayèrent les quelques groupes obstinés qui s’opposaient à leur avance.
Le reste des postes avancés, menacés de destruction ou d’encerclement tentèrent de battre en retraite sous la protection de la 5e brigade de mitrailleuses, mais celle-ci se trouva bientôt repoussée et enveloppée. Se servant de leurs armes comme de massues, les mitrailleurs s’ouvrirent un chemin dans les rangs ennemis, et c’est ainsi que le lieutenant Brown et cinq de ses hommes purent rejoindre ce qui restait de la 6e brigade et retraiter avec elle, sous une pression furieuse des Allemands, jusqu’aux lignes anglaises qu’ils avaient quittées quelques jours auparavant.
La bataille se continua autour des cratères de Saint-Eloi pendant trois semaines encore, mais le 22e occupait dorénavant un secteur tranquille à la droite du conflit et comme nous n’avons mission ici que de le suivre dans les diverses étapes de sa carrière, il nous faut laisser de côté les combats subséquents au 6 avril. Qu’il suffise de dire que la 2e division canadienne qui venait ainsi de débuter par la terrible “bataille des cratères” en sortit tout à son honneur, de hauts personnages militaires ayant même déclaré qu’elle y avait fait preuve d’une endurance et d’une ténacité que n’avaient dépassées aucune troupe depuis le commencement de la guerre; nos Canadiens français pouvaient prendre une part flatteuse de ce bel éloge.
Le mois suivant fut tranquille et la belle température récompensa les hommes de leurs souffrances des semaines précédentes; le secteur 18 était calme, et les bataillons se remplaçaient à tour de rôle dans les tranchées avec une régularité voisine de la monotonie. Les plus beaux moments étaient ceux que le bataillon passait à l’arrière, dans les curieux petits villages flamands tous pareils, avec leurs maisonnettes de pierre à toits de tuile rouge, toutes serrées autour de l’église ancienne et naïvement ornée, à l’intérieur, avec des tableaux et des statues vieilles de plusieurs siècles. On trouvait toujours aussi des magasins dans le village et les soldats s’y procuraient à peu de frais tout ce dont ils pouvaient avoir besoin: du vin et des vivres, de petits souvenirs et de belles dentelles faites à la main pour envoyer en cadeau à la maison. Le peuple parlait en majorité la langue française et les gens se montraient particulièrement empressés pour les soldats du 22e, s’étonnant de ce qu’ils parlassent une langue inconnue des autres soldats de l’armée canadienne. Il se créa ainsi des amitiés solides entre ces familles et les jeunes soldats, on échangea des souvenirs, des photographies, et l’on peut dire que longtemps après la fin de la guerre on parlera encore avec affection, dans les chaumières flamandes, des bons petits soldats Canadiens français venus de si loin pour aider les Alliés à rendre la Belgique à son peuple ravagé et dispersé.
Le 13 juin, la 1re division canadienne se livra à une vigoureuse contre-attaque dirigée sur le mont Sorrel et réussit à en déloger les Allemands, ce qui eut pour conséquence incidente de rappeler de Saint-Eloi la 5e brigade et le 22e bataillon dont il faisait partie comme on sait, pour occuper une partie des tranchées nouvellement conquises. La besogne qui les y attendait n’avait rien d’éclatant ni de glorieux, mais n’en était pas moins utile au bien général: réparer les ouvrages de défense bouleversés, évacuer les blessés, enterrer les morts, et cela sous le feu incessant du Boche vexé de son récent échec. A la guerre, il est souvent aussi important de se fortifier que de conquérir de nouvelles positions, et le commandant appréciait vivement l’excellence du travail accompli en ce sens par le 22e et les autres bataillons de la 5e; il faut du reste autant de courage pour creuser la terre en s’exposant aux projectiles meurtriers de l’ennemi, que pour se lancer à l’assaut aux moments plus excitants du choc et de la bataille. Les nôtres surent ainsi démontrer qu’il ne leur manquait aucune des qualités du bon soldat.
Le souvenir du pays fut encore ravivé si possible lorsqu’arriva la fête de Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin. Le lieutenant-colonel Tremblay, qui commandait le bataillon depuis la permutation du lieutenant-colonel Gaudet au Ministère des Munitions, donna congé au 22e pour cette journée, qui fut employée au repos et à des amusements variés, qui se terminèrent à la soirée par un concert improvisé où les chants nationaux, voire les cantiques familiers, retentirent jusqu’à la nuit et réchauffèrent s’il en était besoin les coeurs et les courages. La patrie canadienne était loin, mais on ne l’oubliait pas. Comme dans la jolie romance qui fut, du reste, chantée à mainte reprise en cette journée, les vaillants soldats du 22e pouvaient dire au Canada:
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Vers la fin de ce mois le 22e fut ramené dans les vieilles tranchées de Saint-Eloi. La main magique du printemps avait jeté sur les lacs boueux de naguère un tapis de verdure et de fleurs ondoyant à la brise, et les contours déchirés des cratères étaient maintenant adoucis par l’abondante végétation de la mi-été; seuls quelques sacs de sable éventrés et un reste de fil de fer barbelé et rouillé rappelaient le souvenir de la tragédie qu’avait été le combat, le carnage plutôt, des Cratères. Les occupants des tranchées allemandes étaient devenus curieusement apathiques, comme il arrive à la suite d’un échec et que la faculté d’offensive est momentanément amortie. Seule l’artillerie et les mortiers boches continuaient les hostilités, et nos patrouilles ne réussissaient que rarement à engager la bataille avec les partis ennemis, qui se dérobaient aux provocations des nôtres. Plusieurs engagements se produisirent cependant, généralement de nuit, et les Canadiens français s’en tirèrent chaque fois avec les honneurs du combat, faisant preuve de qualités guerrières qu’on s’est toujours plu à reconnaître au sang français: l’élan et la bravoure, alliées à la ténacité proverbiale des Anglo-saxons dont ils avaient l’exemple sous les yeux. Le sergent Pouliot et quelques-uns de ses hommes allèrent jusqu’à faire prisonniers les deux chefs d’une forte patrouille allemande, à la suite d’un vif engagement corps-à-corps, et reçurent pour ce fait d’armes les vives félicitations de leurs chefs et de leurs camarades.
Au milieu d’août, la 4e division canadienne arriva à son tour dans la zone des batailles, et le 22e fut chargé d’initier l’un de ces nouveaux bataillons aux mystères de la guerre de tranchées. Leur arrivée coïncidait du reste avec des rumeurs persistantes de prochain changement de secteur pour la 2e: on parlait constamment de la Somme, où s’étaient déroulées pendant tout le mois de juillet et la première partie d’août des batailles formidables dans lesquelles les troupes impériales, australiennes, sud-africaines et terreneuviennes s’étaient couvertes de gloire, mettant fin à jamais à la réputation d’invincibilité des troupes allemandes. Les soldats de la 2e division ne parlaient plus d’autre chose et frémissaient d’envie d’aller prendre leur part de ces grands événements. Ils en eurent bientôt l’assurance, lorsqu’on se mit à les remettre à l’entraînement intense qu’il faut donner aux hommes un peu engourdis par la vie tranquille de certains secteurs, lorsque vient le moment de retourner au contact avec un ennemi actif et entreprenant.
L’aube du 26 août vit les premières colonnes de la 2e division se mettre en marche vers la Somme. Toutes les routes furent bientôt bourdonnantes du bruit des transports et des chansons de marche, et partout les habitants de la région se pressaient sur le passage des braves qui les avaient si bien défendus jusque là, et leur souhaitaient en passant bonne chance et bon succès. Le voyage n’avait cependant rien d’une promenade: chargés au maximum d’armes et de munitions et des nombreux objets nécessaires au soldat en campagne, les hommes avaient encore à marcher par longues étapes quotidiennes sous un 22 soleil ardent et sur des routes tour à tour formées de rudes cailloux, de boue, de sable ou de macadam. Ceux du 22e en avait cependant vu bien d’autres, et firent preuve de toute l’endurance à laquelle on s’attendait de leur part, et le fait est qu’ils accomplirent la dernière demi-journée de marche, en arrivant au camp d’entraînement final d’Eperlecques, avec un entrain et une vigueur plus grandes encore si possible qu’au moment du départ de Saint-Eloi.
Un monde nouveau se déroula ici devant les yeux émerveillés des Canadiens. Au lieu de campagnes plates et un peu monotones des Flandres ils se trouvaient maintenant entourés de coteaux et de bosquets verdoyants, et des champs couverts de moissons mûrissantes, fruit de l’industrie courageuse des vieillards, des jeunes garçons et des femmes de la noble France, qui avaient fait les semailles, quelques semaines auparavant, les yeux mouillés de larmes mais le bras ferme, tandis que leurs fils, leurs frères, leurs fiancés, défendaient héroïquement le sol sacré de la patrie dans les tranchées immortelles de Verdun, de l’Artois et de la Champagne. Ces vaillants de l’arrière reçurent les soldats Canadiens français comme des enfants de la famille pour ainsi dire, saluant en eux une preuve éclatante de la vitalité de la race et un souvenir des gloires d’autrefois. Leur fierté de Français et leur inébranlable confiance dans la victoire finale en furent encore fortifiés, en même temps que l’exemple de tant de sacrifices et de tant de courage enflammait d’une nouvelle ardeur le coeur des défenseurs venus des bords lointains du Canada. Aussi, la semaine d’entraînement intense que subirent les nôtres dans ce milieu sympathique suffit-elle à les rendre prêts à tout et pressés de se jeter entre la menace du Boche et les braves gens auxquels le 22e se sentait si attaché déjà, par les liens étroits de la communauté de langue, de religion, de sentiments et de traditions familiales. Le moral du 22e était à ce moment belliqueux jusqu’à l’enthousiasme, et l’ennemi n’avait qu’à se bien tenir; on sait du reste qu’à ce moment, celui-ci avait besoin de tous ses efforts pour résister tant bien que mal à l’avance anglaise, très active à ce moment-là.
Au commencement de septembre, le 22e fut envoyé aux Briqueteries, non loin de la ville d’Albert, dont la “Vierge penchée” fit si longtemps le sujet de la curiosité universelle; on se souvient que le clocher d’une église de cette ville était surmonté d’une statue de la sainte Vierge tenant dans ses bras l’Enfant divin, et qu’un obus allemand atteignit la base de la statue, qui pencha en avant jusqu’à la position horizontale, et resta ainsi suspendue pendant plus de deux ans, jusqu’à ce qu’un autre projectile vint la jeter sur le pavé. C’est dans la campagne située auprès de cette ville que l’armée britannique avait établi un grand camp de concentration où l’on pouvait voir réunis des régiments venus de presque toutes les parties du monde pour défendre l’Empire et la liberté. La ville servait de centre à une incroyable activité guerrière, et les hommes du 22e prirent là une idée encore agrandie de la puissance de l’Empire, qui multipliait à ce moment les attaques et les succès contre le puissant ennemi des Alliés, en dépit des fortes défenses naturelles et artificielles que celui-ci opposait, en attendant de prendre lui-même l’offensive.
La 2e division devait prendre part à l’action sans plus de retards, et le 22e ne se tenait plus de joie à la pensée qu’il allait prendre une 23 part de premier rang à la prochaine attaque, qui devait se déclencher contre la crête allant depuis l’arrière de Courcelette jusqu’à Fiers et à Martinpuich.
Par les champs de bataille dévastés et ravagés de Mametz, de La Boisselle, de Contalmaison et de Pozières, noms désormais illustres dans l’histoire des armes britanniques en France, les Canadiens français se rendirent à l’endroit marqué pour le ralliement avant d’entreprendre l’attaque de Courcelette. La route à suivre les conduisit à travers les ruines lamentables de coquets villages aujourd’hui disparus, sur l’emplacement de forêts imposantes dont on ne voyait plus que quelques troncs d’arbres tordus et desséchés ici et là; et ils traversaient parfois des terrains occupés par d’anciennes tranchées allemandes enlevées à l’ennemi et gardant encore l’aspect de destruction laissé par les explosifs. Au-dessus d’eux, retentissait sans cesse le bourdonnement des escadrons aériens qui allaient et venaient sans cesse et dans toutes les directions, tandis que dans chaque vallée et derrière chaque accident de terrain, canons et howitzers dialoguaient, chacun avec la voix, éclatante ou sourde, que lui donne son calibre particulier, et renvoyaient à l’ennemi au moins autant de projectiles destructeurs qu’il n’en éclatait de sa part dans les tranchées et quelquefois au milieu des hommes. Les champs de bataille de la Somme offraient aux nouveaux arrivés un spectacle de désolation et de vastes espaces ravagés comme ils n’en avaient pas rencontré encore. On eût dit que ces plaines n’avaient jamais été habitées, et que le sol, jadis fertilisé et cultivé avec amour par les paisibles paysans français, ne pourrait plus jamais donner la vie et se couvrir de beauté. Au lieu des fermes fécondes et des bosquets verdoyants des temps passés, plus rien que la morne tristesse des ruines, des amas de pierraille et des cratères à demi remplis d’une eau saumâtre. La nature entière semblait crier vengeance contre l’envahisseur teuton. L’ennemi se ressentirait le lendemain de la signification de la devise du 22e bataillon, les trois mots “Je me souviens” empruntés comme l’on sait aux armes de la vieille cité de Champlain et de la province de Québec.
La voix rauque d’un millier de canons salua l’aube du 15 septembre; c’était le commencement du bombardement préliminaire à l’attaque de Courcelette, et le moment solennel de l’entrée des Canadiens dans les gigantesques batailles de la Somme, moment prometteur de la victoire. Mais jetons un coup d’oeil sur les positions dont ils allaient faire l’assaut.
En dépit de l’avance historique du mois de juillet, dans laquelle les troupes britanniques avaient pénétré sur un front de vingt milles dans les ouvrages avancés de l’ennemi, les positions n’étaient pas suffisamment avantageuses pour qu’on s’en contentât, surtout aux approches de l’hiver. Les Allemands avaient retraité, mais non sans s’établir sur des positions nouvelles fort avantageuses pour eux, sur les hauteurs allant de Courcelette à Flers. Ils avaient converti les 24 villages en autant de petites forteresses munies de tous les moyens de défense modernes: lacets de fil barbelé exposés aux feux d’enfilade des mitrailleuses et des fusils automatiques, caves recelant des nids de mitrailleuses presque inexpugnables, rien n’avait été négligé pour rendre la position imprenable. L’ennemi comptait moins sur ses soldats vêtus de gris que sur des engins et des pièges destinés à rendre l’assaut excessivement meurtrier même pour les assaillants ayant échappé aux barrages de l’artillerie boche, car ayant franchi cette première zone, les nôtres devaient être exposés ensuite aux coups des mitrailleuses et des francs-tireurs cachés dans tous les trous du voisinage. Mais le Hun ne pense pas à tout et oubliait que le soldat anglais ou colonial ne s’avoue jamais vaincu et possède des qualités d’initiative personnelle que les traités d’art militaire boches n’avaient pas prévues. Il devait lui être donné une fois de plus de constater l’insuffisance des défenses les plus perfides. Quant aux Canadiens français, songeant sans doute à leur fière devise “Je me souviens,” ils attendaient résolument le moment de l’attaque en suivant de l’oeil les ravages accomplis sur le terrain ennemi par le bombardement préliminaire. Les obus éclataient sur toute la crête où se terrait l’ennemi, et celui-ci ripostait de son mieux, mais plus faiblement, et l’on sentait que notre artillerie, aidée par les aéroplanes, avait facilement le dessus.
Les premières ombres du soir s’allongeaient sur les champs de bataille, et le colonel venait de faire en aéroplane une revue hardie des positions ennemies; tout était maintenant prêt pour l’attaque. Les hommes reçurent les dernières explications du plan de l’attaque, et attendirent le signal qui devait les lancer à ciel ouvert au-devant de l’ennemi. Le 22e et le 25e avaient mission d’enlever Courcelette et les défenses situées à l’arrière de ce village, tandis que le 26e les appuierait au besoin et se chargerait surtout du balayage des mitrailleuses ennemies restées en action derrière ou à côté de leur marche, et de consolider les gains accomplis.
Le 24e constituait la réserve et avait mission de ravitailler les troupes avancées. Il était rumeur que les chars d’assaut, ces “tanks” mystérieux et lourds d’aspect que venait d’adopter l’armée britannique, allaient faire leurs débuts et appuyer les premières vagues d’attaque. Les hommes éprouvaient plus de curiosité que de confiance à l’endroit de cette invention nouvelle, et ceux qui en avaient vu déclaraient qu’elles ne pourraient jamais traverser un terrain ravagé, plein de trous et de cratères comme celui qui allait être le théâtre de l’attaque; et l’on prédisait les plus complètes culbutes à ces grosses bêtes de métal, dont les canons, disait-on, resteraient pointés en l’air pour le reste de l’éternité.
C’était se montrer trop sceptiques, et calomnier les bonnes bêtes de combat qui devaient s’illustrer dans cette bataille, et jeter la terreur dans les rangs de l’ennemi lorsqu’ils les virent déboucher, gauchement mais irrésistiblement, et semant la mort par toutes les bouches de leurs mitrailleuses ambulantes.
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La canonnade devenait maintenant assourdissante; le barrage final commençait et devait durer pendant dix minutes d’une distribution généreuse de hauts explosifs et de shrapnels dont l’ennemi a dû garder le souvenir: l’artillerie britannique de ce secteur mettait toutes ses forces en action. A l’heure zéro, 6 heures quinze du soir, un dernier ouragan de fer et de flamme s’abattit sur les défenses ennemies, qui sautaient par morceaux, tandis que les shrapnels lançaient en explosant des milliers de balles meurtrières dans les rangs des Boches, à cent verges en avant du barrage proprement dit. Derrière celui-ci s’avançaient maintenant le 22e, le 25e et le 26e, en vagues d’attaque successives qui traversaient avec une calme bravoure le terrain plein de fondrières et de cratères profonds. En vain le contre-barrage allemand creusait-il des brèches dans leurs rangs et jetait à terre à mesure de l’avance de nombreux jeunes “khakis” qui y restaient étendus dans une terrible immobilité; en vain les balles des mitrailleuses fouillaient-elles la fumée et mordaient-elles comme des vipères enflammées dans nos rangs héroïques: les Canadiens avançaient toujours. Une des compagnies du 22e s’égara un instant dans la confusion causée par les divers barrages, la fumée opaque et la disparition des accidents de terrain dûe aux explosions d’obus, et ces hommes coururent un moment le risque de s’écarter de l’objectif qui leur avait été assigné; mais le lieut-colonel Tremblay qui surveillait attentivement les opérations, s’en aperçut et rectifia la direction en prenant lui-même le commandement de cette compagnie. De ce moment l’avance procéda comme sur un terrain de parade, bien que le colonel fût renversé à plusieurs reprises par des explosions d’obus, et que les officiers commandant les compagnies et les pelotons fussent en grand nombre tués ou blessés; d’autres les remplaçaient à mesure et grâce à l’esprit d’initiative et à la compétence déployée par les officiers et les sous-officiers, rien ne put entraver la marche des opérations telle que voulue par le plan d’attaque.
Les Canadiens français furent les premiers à apercevoir les chars d’assaut, les “tanks” qui faisaient leur début; on apercevait vaguement ces formes monstrueuses avançant par soubresauts, tantôt rampant, tantôt à demi-dressées pour franchir un obstacle ou remonter d’un cratère, mais toujours allant et vomissant des flammes par la bouche de toutes leurs mitrailleuses. Des acclamations joyeuses et hilares s’échappèrent des poitrines québécoises et de nombreux enthousiastes se rapprochèrent des monstres pour les mieux voir à l’oeuvre; c’est en cette occasion que les deux variétés de Tanks furent baptisées d’un commun accord et par un badinage de soldat, “Crème de menthe” et “Cordon rouge,” sobriquets qui leur sont restés dans le langage imagé de la tranchée.
Pendant ce temps, le barrage anglais continuait son oeuvre de protection, mais il retardait de quelques instants l’avance des nôtres, obligés comme on sait de le suivre à mesure qu’il démolissait les ouvrages ennemis et facilitait ainsi l’assaut de l’infanterie; ces quelques minutes de répit impatientaient nos hommes, qui les employèrent à s’amuser avec les Tanks, qui avaient maintenant toute leur confiance et leur amitié; sans s’occuper de la pluie de balles qui tombait au 28 milieu d’eux, ils échangeaient des plaisanteries sur la marche peu élégante des bêtes d’acier, et l’esprit canadien-français faisait des siennes en toute liberté: bon sang ne peut mentir.
On atteignit les abords du village, lequel n’était plus qu’un amas de pierraille parsemé de trous et de caves dans lesquels se dissimulait le Boche aux abois, traîtreusement armé de mitrailleuses cachées qu’il démasquait au bon moment. Tels de bons chiens ratiers faisant la chasse aux rongeurs, les Canadiens parcoururent, baïonnette et grenades en mains, les rues de ce qui avait été le village, et dénichèrent les ennemis en quelque lieu qu’ils fussent terrés. Les mitrailleurs tombaient sous nos baïonnettes ou sous les explosions de grenades, dans les caves pleines de Bavarois de la Garde, qui se rendirent par centaines aux mains des terribles Canadiens qui leur criaient en français de se rendre ou de mourir. On expédia promptement ces prisonniers à l’arrière, aux soins du 26e, qui balayait soigneusement ce qui était resté sur les flancs de nids de mitrailleuses, et rien ne put arrêter les conquérants Canadiens français dans leur élan à travers Courcelette, quoi que fissent les mitrailleurs de l’ennemi, débordés et atterrés d’une pareille furie, la vraie furia francese des soldats de la vieille France. Le passage de la trombe du 22e resta marqué par des amas d’ennemis abattus par groupes, et des flaques de sang témoignaient de leur habileté à se servir de la terrible baïonnette. Parmi les prisonniers du 22e se trouvèrent un baron et deux colonels allemands, ce qui témoigne bien à quel point leur victoire fut complète et soudaine. Le baron, sorte de géant grossier et arrogant, voulut le prendre de haut lorsqu’il comparut devant le commandant du bataillon, mais le colonel Tremblay ne s’en laissa pas imposer, et rendant arrogance pour arrogance, il chargea sèchement quatre de ses plus vigoureux Canadiens de conduire l’orgueilleux prisonnier dans la cage ordinaire avec les 250 autres, au lieu des égards exceptionnels que celui-ci réclamait avec hauteur. Son premier contact avec le Canada allait lui donner une petite leçon d’humilité.
On n’en avait cependant pas tout-à-fait fini avec cet oiseau boche, comme on va le voir par l’incident suivant. Pour protéger la colonne de prisonniers contre le barrage allemand, on donna un drapeau de la Croix-rouge à l’un de nos sous-officiers chargés de les conduire à l’arrière, et l’on se mit en marche en agitant ce drapeau; mais les Allemands n’en tinrent aucun compte, selon leur habitude, et plusieurs prisonniers furent atteints par des obus venus de leurs propres canons; au milieu du désordre momentané que produisit l’une de ces explosions dans les rangs de la petite colonne, le baron crut pouvoir s’échapper, et donnant un ordre guttural à ses hommes, il s’élança à leur tête vers les tranchées ennemies; mais il comptait sans ses hôtes, et les Canadiens français ne mirent pas de temps à rattraper les fuyards comme une bande de moutons indociles. Satisfait de son triomphe, le colonel Tremblay se contenta d’un avertissement sévère donné à son homme, et le renvoya à sa cage, fort vexé et ne ressemblant plus que de loin à l’arrogant personnage qu’il était au moment de son arrivée involontaire dans nos lignes.
A sept heures trente le 22e bataillon était solidement établi dans les carrières situées en arrière du village, et le travail de consolidation du terrain conquis avançait assez rapidement pour qu’on pût 29 faire face avec succès aux contre-attaques désespérées que l’ennemi ne manquerait pas de livrer aussitôt qu’il aurait réorganisé ses forces ébranlées. Ces contre-attaques s’annoncèrent bientôt par une grande concentration d’artillerie, et bientôt l’on vit paraître à travers la fumée les “grisons” comme on appelait parfois les Allemands à cause de la couleur terreuse de leurs uniformes; ils suivaient de près leur barrage et s’apprêtaient à nous rendre la politesse s’ils le pouvaient; mais nos fusils Lewis et nos carabines partaient comme tous seuls dans les mains expérimentées des Canadiens français, aussi fermes dans la défense que pleins d’élan à l’attaque; et les groupes assaillants hésitèrent, reculèrent et retraitèrent dans la demi-obscurité, laissant derrière eux des amas de morts et de blessés comme preuve de leur déconfiture. Cinq fois pendant cette nuit ils tentèrent de déloger les Canadiens français, au moyen de masses épaisses flanquées de partis de bombardiers et de mitrailleuses. Ils s’en venaient comme une vague envahissante, sous la blafarde clarté de la lune, mais carabines et fusils Lewis recommençaient leur dialogue meurtrier jusqu’à en brûler les mains des soldats qui les maniaient avec une telle dextérité, que le carnage accompli dans les rangs ennemis n’était rien moins qu’effrayant. Les morts retardaient les pas des vivants. Les assaillants perdaient contenance, obliquaient leur marche, cependant que de nouvelles rafales de balles décimaient leurs rangs; ils s’arrêtèrent un instant, hésitèrent puis rompirent les rangs et prirent leur course chacun pour soi vers leurs tranchées, laissant le terrain et les cratères encombrés de leurs morts. Il leur en coûtait plus d’une centaine d’hommes pour avoir appris que les Canadiens français étaient là pour tout de bon, et que la victoire canadienne était complète et définitive.
La nuit suivante, celle du 15 septembre, la 5e brigade élargit son front afin de relever la 4e qui avait beaucoup souffert pendant les récentes opérations. Ce nouveau front était assez précaire et difficile à défendre. Des redoutes allemandes de mitrailleuses le dominaient et il était exposé à un feu d’artillerie considérable. Il importait donc de se rendre maîtres des tranchées d’en face, établies par les Allemands sur une crête dominant toute la position canadienne. L’attaque commença à 5 heures du soir, le 17 septembre et fut confié au 22e, au 24e et au 25e bataillons; le 22e fut le seul à atteindre l’objectif qu’on lui avait assigné, ne rencontrant de la part de l’ennemi qu’une résistance légère. Le même soir, la 5e brigade recevait l’autorisation de se reposer, et bien que les hommes fussent presque complètement épuisés de fatigue, ils marchèrent jusqu’à Hérissart, village distant de 5 milles et demie, pour s’y reposer et s’y reformer. Ainsi se terminait glorieusement la célèbre bataille de Courcelette.
Celle-ci avait pleinement démontré, qu’on pouvait avoir toute confiance dans la 2e division et que ses soldats possédaient à un haut degré les plus belles qualités militaires. L’histoire dira que ce fut une attaque savamment préparée, exécutée avec tout l’élan et l’assurance qu’on pouvait désirer, et dont le succès assura d’importants et décisifs résultats. On dira aussi avec raison qu’une bonne partie du succès de ces journées fut dû à l’élan impétueux des Canadiens français, qui balayèrent tout devant eux et brisèrent comme un fétu la résistance d’un ennemi numériquement supérieur et retranché derrière de fortes 30 positions défensives. Le colonel des Bavarois de la Garde que l’on fit prisonnier poussa des jurons véritablement volcaniques lorsqu’il se rendit compte du petit nombre des soldats qui avaient mis ses kaiserlicks en déroute, mais pas plus que le baron son ami il ne put longtemps affecter l’arrogance et la grossièreté; il y avait de la poigne au commandement canadien-français, et un Bavarois ne fait pas peur à un soldat du Canada, encore moins à ses chefs.
On ne saurait trop dire que les brillants succès de tactique obtenus ainsi par le 22e bataillon furent dûs dans une large mesure à l’infatigable énergie et au calme jugement du lieutenant-colonel T. L. Tremblay, D.S.O. (Ordre des Services distingués) qui ne se laissa jamais troubler dans les moments difficiles et sut toujours prendre les décisions les plus sages en même temps que les plus promptes; les braves du 22e étaient bien commandés, et l’on se plaît à proclamer que leur conduite pendant la bataille, et lorsqu’ils eurent ensuite à repousser de terribles contre-attaques, fut vraiment admirable et digne des plus grands éloges. On n’en finirait pas de citer les faits individuels de bravoure qui s’y produisirent en grand nombre; malheureusement l’espace nous manque dans cette brochure, qui n’a pour mission que de rappeler les grandes lignes de l’histoire glorieuse du 22e bataillon.
Il y avait dans le système de défense de Courcelette deux groupes de tranchées que l’on désignait sous les noms de Regina et de Kenora, et les combats les plus violents se livrèrent pendant plus d’un mois pour la possession finale de ces tranchées; au plus fort de la lutte, dans la nuit du 27 novembre, la 5e brigade fut appelée à entrer dans la danse et elle devait y éprouver des revers sérieux et répétés, dont nous ne donnons pas le détail pour continuer de nous confiner à l’historique des faits d’armes auxquels le 22e prit part; deux de ses compagnies furent appelées le 1er octobre à renforcer le 24e et le 25e bataillons, qui avaient reçu ordre d’occuper si possible les deux systèmes Kenora et Regina. Ces deux bataillons devaient souffrir beaucoup de cette attaque contre des positions qui se révélèrent plus fortes encore qu’on ne l’avait cru. Les patrouilles avaient découvert que l’ennemi y était en nombre et qu’il y avait accumulé les mitrailleuses et les défenses en fil barbelé. Aussi était-il nécessaire que la préparation d’artillerie fût intense, afin de détruire tous les pièges ainsi tendus à nos hommes lorsqu’ils se lanceraient à l’assaut. Malheureusement, il appert que notre bombardement fut insuffisant, car lorsque les nôtres eurent atteint et dépassé les tranchées Kenora, ils se trouvèrent en face d’une véritable forêt de fil barbelé dans lequel ils s’empêtrèrent tandis que l’ennemi dirigeait sur eux le feu concentré d’innombrables mitrailleuses. De ce moment le coup était manqué; les Canadiens tombaient comme des mouches, et le combat se transforma en une série de luttes entre groupes et individus, l’ennemi ayant toutes les chances de son côté. Cependant, un petit nombre de Canadiens purent s’établir au commencement des tranchées Regina, mais ne purent en repousser les Boches et se firent tuer jusqu’au dernier. Les survivants, en petit nombre, se retirèrent dans les tranchées Kenora, où ils se défendirent désespérément contre de nombreuses contre-attaques et un 33 arrosage meurtrier de l’artillerie, jusqu’à ce qu’on pût leur envoyer des relèves, le soir du 2 octobre. Il ne leur restait plus qu’à retourner à l’arrière se reposer et reformer leurs rangs tristement éclaircis.
Ceux qui virent passer les restes de la 5e brigade s’en allant à Bouzincourt n’oublieront jamais le spectacle qu’offraient ses bataillons épuisés et décimés, et ses hommes boueux, hagards, barbus, mais le coeur ferme et jurant bien de prendre leur revanche à la première occasion favorable; la devise “Je me souviens” prenait de ce moment une signification plus précise encore et comme plus personnelle, chaque soldat se promettant de faire payer cher aux Boches les mauvais jours qui venaient de s’écouler.
Après une semaine de repos pendant laquelle la brigade reçut les renforts dont elle avait besoin, les hommes se retrouvèrent prêts à recommencer, et furent dirigés vers le secteur de Vimy, en s’arrêtant à Souchez.
Le 22e bataillon, pour sa part, se mit en marche le 9 octobre au matin. La saison des pluies était arrivée, la verdure avait disparu des champs et la campagne avait revêtu l’aspect dénudé de l’hiver en ces régions. Les routes que suivait le bataillon passaient le plus souvent sur des crêtes et des élévations dépouillés de toute végétation forestière par les explosions et les incendies, mais lorsqu’ils descendaient vers la plaine, où s’échelonnaient les curieux petits villages entourés de vergers assez bien conservés, ils trouvaient chez les paysans bon gîte pour la nuit et le meilleur accueil, car leurs hôtes rustiques, enchantés de les entendre parler français, ne savaient comment leur rendre le séjour agréable. Quel plaisir de se sentir reçus comme les enfants de la maison, par ces bonnes gens de la vieille France, mère de tout ce que la civilisation offre de plus élevé et de plus délicat! Les jeunes Canadiens admiraient le courage avec lequel le peuple français subissait les épreuves de la guerre, les yeux toujours tournés du côté de la frontière et ne doutant jamais de la victoire finale, pourtant si lente à venir. Ils s’étonnaient aussi de ce que les jeunes Canadiens français fussent venus de si loin pour les défendre en combattant sous les couleurs de l’Angleterre. Leur joie se mélangeait de tristesse à la pensée des épreuves que traversait la France, mais l’exemple des Canadiens français toujours courageux et optimistes les remontait aussi, et l’on échangeait de part et d’autre des souhaits chaleureux et des témoignages d’amitié: la vieille France et la Nouvelle des bords du Saint-Laurent se retrouvaient avec une joyeuse émotion.
Arrivé au secteur de Souchez après cinq journées de marche, le 22e passa à la réserve et fut chargé du second tour de relève dans les tranchées d’Angres, de concert avec le 25e. Il s’y rendit le 21 octobre, et nos braves employèrent quelque temps à se mettre au fait du tempérament du Boche d’en face et de sa plus ou moins grande activité. Ils virent bientôt qu’ils avaient affaire à un ennemi apathique et paresseux, qui se contentait de faire jouer sans cesse ses mortiers de tranchées, dont les projectiles arrivaient en succession presque continue et non sans nous causer souvent des désagréments sérieux. Les canonniers canadiens ne l’entendirent pas longtemps de cette oreille, 34 et mirent dans leurs réponses une telle éloquence que les batteries ennemies furent bientôt forcées de se taire. La nuit, des patrouilles de langue française exploraient hardiment la zone neutre, et l’on provoquait tous les partis de l’ennemi qui se pouvaient apercevoir à distance. Mais ceux-ci se refusèrent toujours au combat, restant à l’abri de leurs épaisses clôtures de fil de fer. La seule chose qui put faire sortir les Allemands de cette attitude placide fut lorsque nos francs-tireurs abattirent sans se gêner quelques-uns des officiers supérieurs de l’ennemi qui s’étaient permis d’inspecter nos positions trop ouvertement et en plein jour. Ceux-là n’inspecteront plus rien en ce monde, mais l’artillerie ennemie montra de la colère pendant plusieurs jours après leur mésaventure.
Les derniers mois de l’année 1916 furent employés à une tactique de coups de main et de surprises dans lesquelles l’ennemi perdait toujours quelques hommes et beaucoup de sa bonne humeur. Que ce fût la nuit ou le jour, et au moyen d’attaques d’infanterie, ou d’arrosage d’artillerie, de mortiers ou de mitrailleuses, on faisait tout le temps quelque chose à l’ennemi, qui ruait en tous sens mais ne faisait guère de mal. Il en devint un jour si excédé que plusieurs soldats d’un régiment bavarois de réserve décidèrent d’en finir et de se constituer prisonniers entre les mains des Canadiens français. Ils sortirent de leur tranchée et s’en vinrent carrément vers les nôtres, où malheureusement pour les têtes carrées leurs intentions furent mal comprises de prime abord, et le malentendu s’exprima par une volée de balles qui les couchèrent tous, sauf un seul, pour leur dernier sommeil. Le survivant ne cachait pas qu’il en avait assez de risquer sa peau tous les jours pour le Kaiser, et qu’il était content de s’éloigner de la ligne de feu pour travailler à l’arrière. Il n’était probablement pas le seul de cette opinion dans l’armée allemande.
Le 22e se trouva dans les tranchées le jour de Noël 1916 et fut par conséquent moins chanceux que l’année précédente à la même date; cependant l’artillerie anglaise réussit ce jour-là à réduire au silence les batteries ennemies, et c’est avec une joie qu’on pourrait appeler professionnelle que les hommes écoutèrent les tonnerres triomphants des canons qui les protégeaient. Le temps était beau, et l’on put goûter dans une paix relative le contenu des colis postaux remplis de petites douceurs que la poste avait apportés du Canada pour cette grande journée. Est-il besoin de dire que la tranchée retentit toute la journée de chansons et de cantiques de circonstance, auxquels se mêlait de temps en temps l’éclatement d’un obus ennemi, mais on ne s’en occupait pas, les corps étaient ici au devoir, mais la pensée ailleurs.
Le mois de janvier, toujours rude dans le nord de la France, ne devait pas se démentir cette année-là. Il commença par un déluge de pluie qui obligea la brigade à des réparations constantes aux tranchées qui s’éboulaient. Puis le temps changea du tout au tout et n’en devint que pire. Du jour au lendemain le froid s’établit, avec accompagnement de tempêtes de neige, et la vie dans les tranchées devint presque intenable. Le vent glacé sifflait le long des tranchées et ne laissait pas un coin sans y jeter son frisson et la neige qu’il charriait 35 avec lui. Elle éteignait à moitié les brasiers improvisés et pour lesquels on n’avait pas une provision suffisante de combustible; et les hommes grelottaient sans aucun moyen de se réchauffer. On se souviendra longtemps de ce secteur et de cette saison. Le moral des troupes, comme on dit, n’en fut cependant pas affecté, et la 5e brigade resta digne de sa réputation de courage agressif; les gars du 22e prouvèrent plus d’une fois à l’ennemi qu’ils n’étaient pas pour se laisser engourdir par un peu de poudrerie.
Le froid dura jusqu’au milieu de février, et c’est alors que le 22e et quelques autres unités de la 2e division furent transférés dans la région de Vimy, au Bois des Arleux, où ils relevèrent des troupes de la 3e division dans le secteur La Folie-Thélus.
Pendant quelque temps, les opérations prirent ici la forme de duels fréquents entre les francs-tireurs du 22e et de l’ennemi, qui se connaissaient mutuellement de longue date. Le tempérament agressif des Canadiens français sembla stimuler encore le Boche, qui s’efforçait de rendre coup pour coup et d’imiter de son mieux les ruses de guerre de nos hommes. Mais ceux-ci finirent toujours par avoir le dessus à la longue, ce qui finit par dégoûter l’Allemand au point qu’il n’y avait plus moyen de le faire sortir. C’est vers cette époque qu’eut lieu l’acte de bravoure remarquable du soldat DeBlois du 22e bataillon. Les soldats de la 4e division ayant lancé une attaque assez considérable contre une partie du front ennemi, ils laissèrent en retraitant un bon nombre de leurs blessés dans les trous d’obus du champ de bataille. DeBlois s’offrit volontairement pour aller les chercher et réussit à en ramener treize en dépit d’une pluie de balles que lui lançaient les mitrailleuses ennemies. La mort l’effleura de près, car une balle perça son casque de part en part, mais l’héroïque Canadien français persista dans son sauvetage jusqu’à ce qu’il fût sérieusement blessé au bras.
La crête de Vimy défiait depuis longtemps les efforts de l’armée britannique et ses occupants nous incommodaient tellement du feu de leur artillerie que cette situation ne pouvait toujours durer; le haut commandement décida de s’en emparer coûte que coûte. A cette fin on prépara un plan de bataille soigné et en vertu duquel l’élan de chaque bataillon serait concerté en vue du succès de l’ensemble. On se mit tout d’abord à harceler l’ennemi de patrouilles et d’attaques successives, afin de vérifier sa force de résistance et d’énerver ses troupes en créant une atmosphère de tension et d’expectative inquiète; puis notre artillerie se mit à bombarder sans relâche l’arrière des positions ennemies, logements, lignes de ravitaillement et de communications etc., tandis que nos howitzers et nos mortiers faisaient sauter ses premières tranchées morceau par morceau. En même temps nos aéroplanes survolaient nuit et jour le territoire occupé par l’Allemand, prenant des photographies, observant tous les mouvements et les préparatifs et se procurant de précieux renseignements pour le moment de l’attaque, sans oublier de laisser tomber des bombes aux bons endroits: sur les villages où logeaient les soldats, sur les dépôts de munitions, les quartiers-généraux et les batteries de gros canons.
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Pendant ce temps, la 5e brigade effectuait des reconnaissances hardies dans les travaux d’approche et chassait ses patrouilles du terrain neutre. Après quoi, ayant débarrassé la place, ils prirent une semaine pour s’entraîner soigneusement par des “répétitions,” comme au théâtre, de la grande attaque qui s’approchait.
Le plateau de Vimy domine le terrain comparativement plat de la région de l’Artois comprise entre Thélus et Avion, soit une distance d’environ huit mille verges. C’est une position défensive excellente, que les Allemands n’avaient pas manqué de fortifier encore par tous les moyens, et dont ils avaient fait l’un des bastions les plus imprenables de tout leur système défensif depuis la frontière suisse jusqu’à la mer. Ses pentes étaient hérissées de labyrinthes de fil barbelé sur lesquels étaient dirigées d’innombrables mitrailleuses solidement établies elles-mêmes dans des réduits de ciment armé à l’épreuve des balles. Par de profonds tunnels, les défenseurs communiquaient avec leurs dépôts de réserves, situés à l’arrière dans la campagne, et dont ils pouvaient aussi se servir pour se répandre dans un village souterrain qu’ils avaient préparé pour s’y mettre à l’abri à chaque fois que l’artillerie britannique devenait par trop incommodante. Les Allemands pouvaient aussi surveiller de cette élévation jusqu’aux moindres mouvements des Alliés dans ce secteur, et il paraissait impossible de préparer une attaque sans qu’ils en eussent connaissance; leur artillerie était de force à repousser tout essai de coup de main qui ne les prît pas par surprise. On ne le savait que trop bien par l’insuccès des tentatives précédemment faites par les Français et par les Anglais, et dont chacune n’avait servi qu’à ajouter aux piles d’os blanchis qui séchaient sur les pentes sinistres de ce champ de bataille. Cependant, la guerre est une école de persévérance et nos soldats devaient prouver que la leçon n’avait pas été perdue pour eux et qu’avec l’aide de chefs au courant des dernières subtilités de l’art militaire, ils démontreraient qu’il n’existe pas de défenses boches qui puissent résister à la valeur canadienne.
Chaque bataillon reçut donc des instructions précises sur la part qu’il aurait à jouer dans le grand drame ainsi que sur le terrain qu’il avait charge de conquérir, et les moindres détails furent prévus et expliqués d’avance afin que nul ne pût s’y tromper. Les barrages de l’artillerie devaient précéder chaque avance avec une exactitude mathématique, tandis que les mortiers devaient faire pleuvoir sur les premières tranchées boches un déluge d’explosifs de toutes les catégories. Ainsi le succès semblait-il enfin assuré après tant d’échecs successifs, dont le souvenir allait enfin être vengé, avec l’aide du Dieu des armées.
Comme nous devons nous confiner ici au récit de la part prise à cette bataille par le 22e bataillon, il nous faut laisser de côté tout ce qui se rapporte aux mouvements des autres bataillons; mais les aventures glorieuses du 22e en cette journée mémorable valent bien qu’on s’en occupe exclusivement pendant quelques instants.
Voici quel était le programme général tracé à la 5e brigade, qui occupait déjà un front de 800 verges vis-à-vis Neuville Saint-Vaast; elle devait pénétrer sur une étendue de 1800 verges dans les défenses ennemies bien au-delà de la Crête, jusqu’à une ligne allant approximativement 39 de Farbus au village de Vimy. Cette avance devait être effectuée en ligne droite et par cinq vagues successives se déroulant en deux heures et quinze minutes; chacune de ces avances serait précédée d’un barrage d’artillerie avançant à l’heure et à l’endroit fixés à l’avance.
Il était entendu que le 24e et le 26e bataillons prendraient la tête de l’attaque, tandis que le 25e resterait en réserve et que le 22e s’occuperait du “balayage” des mitrailleuses ennemies restées sur les flancs ou en arrière, besogne nécessaire à chacune de ces opérations et non moins dangereuse que les autres; le 22e était aussi chargé de faire suivre les provisions et les munitions. Tel était le plan, et il fut exécuté à la lettre, en dépit du temps désagréable qu’il fit durant cette journée historique du 9 avril 1917.
En effet, lorsque les premières lueurs de l’aube percèrent péniblement les nuages bas qui couraient sur la plaine le moment ne paraissait certainement pas propice pour déclencher une attaque. Un vent glacé hurlait dans les arbres déchiquetés, et l’on sentait que la neige n’était pas loin. Le silence momentané des canons laissait entendre la voix plaintive de la bise, et sous les pieds des soldats frissonnants, le sol trempé par des pluies récentes devenait de plus en plus boueux et malsain. Les nuages devenaient plus lourds et plus menaçants à mesure que le jour se levait, et l’on eut dit que le ciel s’opposait au carnage qui se préparait. Seuls les éclatements d’obus lancés par l’ennemi jetaient une lueur passagère et fugitive dans l’obscurité jaunâtre qui recouvrait la terre. Les hommes devenaient nerveux et impatients; puisqu’il fallait foncer dans cet enfer, autant y aller tout de suite et en finir. Le Boche s’apercevrait que ce jour-là, les Canadiens n’étaient pas de bonne humeur.
A cinq heures trente du matin, l’artillerie anglaise fit feu de ses mille canons contre les tranchées ennemies, et de ce moment la terre ne cessa plus de trembler sous les décharges incessantes des monstres d’acier vomissant la mort et la destruction matérielle contre les positions ennemies, qui disparaissaient sous une avalanche de fer et de feu. Le 24e et le 25e s’élancèrent promptement à l’assaut et atteignirent le premier stage de leur programme en moins de quatre minutes. Douze minutes après, ils avaient rejoint leur deuxième objectif, pris quarante prisonniers et échappé au contre-barrage allemand, qui arriva trop tard. Grâce à la maîtrise de l’air que détenaient facilement nos avions, l’artillerie allemande était comme privée de ses yeux, et ses salves lancées au hasard n’atteignirent pas les lignes khaki en marche vers la victoire; seules les mitrailleuses nous causaient quelque gêne.
A six heures et trois minutes, à l’instant précis marqué au programme, le 24e et le 26e surgirent à leur troisième objectif, appelé par les Allemands le Zwischen Stellung; ils en passèrent la forte garnison au fil de la baïonnette et s’y établirent solidement, pendant que le 22e et le 25e se rassemblaient pour l’étape finale, vers laquelle ils se lancèrent à 6 heures 45. La résistance de l’ennemi devenait plus grande, et comme ses réserves arrivaient d’instant en instant, le volume de son feu de mousqueterie et de mitrailleuses prenait des proportions de plus 40 en plus incommodantes, pour ne pas dire dangereuses; de plus, le terrain allait en s’élevant, sans parler des explosions qui l’avaient rendu bouleversé et glissant; l’avance en fut inévitablement ralentie. En même temps, un nid de mitrailleuses ennemies solidement établies et servies par un nombreux personnel, nous faisait beaucoup de mal et fut sur le point d’arrêter complètement notre marche en avant; la situation devenait précaire, lorsque le 22e, prenant la position ennemie par le flanc sous un déluge de balles, se lança à l’assaut à l’arme blanche et après un combat sanglant et longtemps incertain réussit à se rendre maître de la place, capturant plusieurs mitrailleuses et 125 prisonniers. L’avance des nôtres put ainsi continuer, jusqu’au prochain obstacle sérieux, ce qui ne devait pas tarder. En effet, juste comme on allait atteindre le dernier objectif, on se heurta à une position fortifiée connue depuis sous le nom du Talus (Dump); c’était un enchevêtrement de tranchées brisées et de cratères d’obus reliés ensemble et puissamment fortifiés, où les Allemands avaient entassé pour ainsi dire des masses de mitrailleuses et plus de 300 hommes de leurs meilleures troupes. Ce nid de guêpes avait échappé comme par miracle au barrage préliminaire, et sa garnison était fraîche et combative à l’excès. On essaya une ou deux attaques de front, qui ne servirent qu’à laisser le sol couvert de nos morts et de nos blessés, et il fallut abandonner ce système, en dépit de la rage des Canadiens français, qui furent en ce moment difficiles à contenir. On les libéra bientôt, de concert avec le 25e, en une attaque concertée sur les deux flancs de la position et dont le succès ne se fit pas longtemps attendre. Se jetant sur chaque côté sans s’occuper des balles qui pleuvaient, et fonçant sur l’obstacle avec une furie indescriptible, les deux bataillons envahirent les défenses ennemies comme une nuée de sauterelles dans un champ de blé, et mirent en peu de temps la garnison hors de combat. Trois mitrailleuses et 271 prisonniers récompensèrent cet effort, et l’avance put être reprise vers le dernier objectif, où l’on s’établit solidement à 7 heures quatorze minutes, soit une minute en avance du temps prévu au programme. Le 22e s’était approprié en passant un butin additionnel de trois mitrailleuses, deux mortiers et plusieurs groupes assez considérables de prisonniers. Décidément, l’Allemand n’était pas chanceux avec les Canadiens parlant français, bien qu’il n’eût pas à se féliciter non plus de ses relations avec ceux de l’autre langue.
On se mit à l’oeuvre avec énergie pour consolider les nouvelles positions si brillamment conquises, dans lesquelles on trouva de grandes quantités d’armement, de munitions, de provisions et plusieurs documents secrets, ce qui n’était pas de nature à diminuer la satisfaction et l’enthousiasme des hommes, en dépit du chagrin que leur causait la perte de plusieurs de leurs camarades tombés dans la bataille mais dont un petit nombre seulement ne devaient pas se relever.
Une tempête de neige qui s’éleva dans la journée couvrit la terre de son blanc manteau, et le froid devint intense, ce qui n’ajoutait rien au confort des hommes déjà fatigués et obligés de se livrer à des travaux de terrassement et de fortification. Ils ne furent pas moins braves, cependant, devant cette épreuve que devant l’ennemi, et la pensée du grand succès qu’ils venaient d’obtenir aux dépens de celui-ci, ajoutée à 43 la sécurité relative dans laquelle les laissait l’absence de toute contre-attaque et la faiblesse du bombardement de l’ennemi déconcerté, leur aida à tout supporter avec leur bonne humeur naturelle, et les vainqueurs ne pensèrent plus qu’à se mettre tout à fait chez eux dans les nouveaux quartiers qu’ils avaient si bien gagnés. Le 22e en particulier devait y rester jusqu’au 16 avril, date à laquelle il fut relevé et envoyé se remettre de ses fatigues au village de Rietz.
Il nous faut les quitter ici, se reposant et se préparant à leurs futurs combats glorieux et triomphants des Arleux, de la cote 70 et de Passchendaele, dont les exigences militaires ne nous permettent pas de parler maintenant. Nous ne saurions cependant prendre congé de la 5e brigade sans rendre un hommage final à la bravoure et aux autres qualités militaires du 22e Canadien français, qui pendant ces vingt mois de guerre a agi de façon à justifier toutes les espérances que le Canada français reposait en lui. Ses braves ont contribué largement au renom glorieux de la 2e division, qui a ajouté un joyau de plus à la couronne des sacrifices du Canada dans la grande épreuve, couronne non moins brillante que celle conquise aussi par notre première glorieuse légion (la 1ère division).
Les fils du Vieux Québec ont légué à leurs compatriotes un magnifique héritage à ajouter au patrimoine des gloires ancestrales et ils ont ajouté un nouveau lustre à la devise régimentale “Je me souviens,” qui évoque le souvenir de la vieille France et de tout ce qu’il y a de bon, de noble et de courageux dans l’âme canadienne française.
La France saigne encore pour la cause de l’humanité. Elle a besoin de secours, et il ne faut pas qu’il soit dit qu’elle a fait appel en vain aux descendants de ceux qui apportèrent il y a trois cents ans son nom, sa langue et sa religion sur les rives de la Nouvelle France.
Accordés au 22e bataillon canadien-français jusqu’au 31 mars 1918
OFFICIERS
Chevaliers de Saint-Michel et de Saint-Georges (C.M.G.)
Distinguished Service Order.—Ordre des Services distingués (D.S.O.)
Croix militaire avec barre
Croix militaire (M.C.)
DÉCORATIONS ÉTRANGÈRES
Légion d’honneur
Croix d’officier
Croix de chevalier
AUTRES RÉCOMPENSES
Médaille de Conduite distinguée.
14
Médaille militaire.
76
Médaille militaire avec barre.
1
Décorations étrangères.
7
Mention à l’ordre du jour.
27
OFFICIERS MORTS AU CHAMP D’HONNEUR
PAGES. | |
AVANT-PROPOS | 5 |
L’APPEL A LA PROVINCE DE QUEBEC | 9 |
EN AVANT! | 9 |
ENFIN EN FRANCE | 11 |
LE CLIMAT DES FLANDRES | 11 |
LE COMBAT DES CRATÈRES DE SAINT-ELOI | 15 |
LA ROUTINE DE LA GUERRE | 17 |
PÉRIODE TRANQUILLE. LES PATROUILLES | 21 |
VERS LA SOMME | 21 |
LE FLÉAU DE LA GUERRE | 23 |
LES DÉFENSES DE COURCELETTE | 23 |
LA BATAILLE | 27 |
LA 5e BRIGADE ESSUIE DES REVERS | 30 |
LE SECTEUR DE SOUCHEZ | 33 |
LES RIGUEURS DE L’HIVER | 34 |
VIMY. LE PLAN DE BATAILLE | 35 |
LA BATAILLE | 39 |
HONNEURS ET RÉCOMPENSES | 44 |
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Cette version numérisée reproduit dans son intégralité la version originale.
La ponctuation n’a pas été modifiée hormis quelques corrections mineures.
Une table des matières a été ajoutée.
L’orthographe a été conservée. Seuls quelques mots ont été modifiés. Ils sont soulignés par des tirets. Passer la souris sur le mot pour voir le texte original.
[La fin de Les poilus canadiens : le roman du vingt-deuxième bataillon canadien-français par anonymous]