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Title: La Bibliothèque Canadienne, Tome II. Mai, 1826. Numero 6

Date of first publication: 1826

Author: Michel Bibaud (1782-1857)

Date first posted: Feb. 10, 2016

Date last updated: Feb. 10, 2016

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La Bibliothèque Canadienne.


Tome II. MAI, 1826. Numero 6.

HISTOIRE DU CANADA.

Pour revenir aux affaires générales de la colonie, l'assurance qu'avaient eue les Iroquois de paraître en armes à la vue des Trois-Rivières, et l'audace avec laquelle ils avaient insulté le gouverneur, lui firent comprendre qu'il ne devait rien négliger pour se précautionner contre la surprise, et pour se mettre en état de soutenir les efforts d'une nation qui ne ménageait plus rien, et qui paraissait déterminée à employer également la ruse et la force, pour donner la loi à tout le pays; d'autant plus que si les Hollandais de la Nouvelle Belgique ne se déclaraient pas encore ouvertement en sa faveur, il n'y avait pas à douter qu'ils ne lui fournissent des secours de plus d'une espèce.

La résolution fut donc prise de bâtir un fort à l'entrée de la Rivière qui portait alors leur nom, et qui fut ensuite nommée Rivière de Richelieu et de Sorel, comme on l'a dit plus haut. — Ce fort fut achevé en peu de tems, quoique pussent faire pour s'y opposer sept cents Iroquois, qui vinrent fondre sur les travailleurs, lorsqu'on s'y attendait le moins, mais qui furent repoussés avec perte. On donna à ce fort le nom de Richelieu, qu'on commençait à faire porter à la rivière, et l'on y mit une assez bonne garnison. Charlevoix pense, avec beaucoup d'apparence de raison, que si la Compagnie du Canada eût voulu faire une pareille dépense pour le pays des Hurons, elle aurait épargné bien des maux à ces sauvages, et conséquemment à toute la colonie, sur laquelle retomba bientôt le contrecoup des malheurs qui accablèrent cette nation, les années suivantes. L'occasion était d'autant plus favorable pour opposer de ce côté-là une forte barrière aux Iroquois, que la plupart des Hurons se montraient disposés à embrasser le christianisme, par suite de la conversion et du baptême d'un de leurs principaux chefs, nommé Ahasistari.

A peu près dans le même tems, quelques jésuites reçurent une députation de la part des Saulteurs, qui les invitaient à se transporter chez eux. Ces sauvages occupaient alors les environs d'un rapide qui se trouve au milieu du canal par où le lac Supérieur se décharge dans le lac Huron, et que l'on a nommé le Sault de Ste. Marie, d'où est venu à ces sauvages, qui sont une 202 tribu algonquine, et dont le vrai nom est long et difficile à prononcer, celui de Saulteurs. Les missionnaires furent bien aises de trouver ainsi l'occasion de connaître les pays situés au-delà du lac Huron, qu'aucun d'eux n'avait encore traversé. Les PP. I. Jogues et C. Raimbaut accompagnèrent les députés des Saulteurs : ils furent bien reçus de ces sauvages; mais ayant été rappellés lorsqu'ils commençaient à les instruire, ils n'y purent pas faire alors de néophytes; et lorsque, quelques années après, on retourna chez ces sauvages, on ne les trouva plus dans les mêmes dispositions.

Cependant les Iroquois assurés d'être soutenus des Hollandais de Manhatte, qui leur fournissaient déjà des armes et des munitions, et à qui ils vendaient les pelleteries qu'ils enlevaient aux alliés des Français, continuaient leurs courses et leurs brigandages. Les rivières et les lacs étaient infestés de leurs partis, et le commerce ne pouvait plus se faire sans les plus grands risques. Le chevalier de Montmagny en fit ses plaintes au gouverneur de la Nouvelle Belgique, lequel se contenta de faire une réponse honnête, mais fort vague, et ne changea rien à sa conduite; on le soupçonna même, ou du moins ceux qui étaient sous ses ordres, d'animer les Iroquois contre les Français, quoiqu'on fût convenu que les alliés des deux nations ne feraient aucune hostilité sur les deux colonies, et que les Français eussent observé religieusement cette convention.

Il est vrai que leurs alliés n'étaient ni en état ni en humeur d'inquiéter les Hollandais : bien loin de chercher à se faire de nouveaux ennemis, à peine songeaient-ils à se défendre des Iroquois. Les Hurons surtout, soit par indolence, soit par la crainte d'irriter un ennemi qui avait pris sur eux une supériorité qu'ils ne pouvaient plus se dissimuler, soit enfin qu'ils ne fussent pas encore persuadés que les Iroquois en voulussent à toute la nation, laissaient désoler leurs frontières, sans prendre aucune mesure pour éteindre un incendie qui les environnait de toutes parts. — Ces pertes, qui paraissaient les inquiéter si peu, les affaiblirent à la fin de telle sorte, que la terreur se répandit dans toutes les bourgades, et que quand l'ennemi ne jugea plus à propos de couvrir d'aucun prétexte son véritable dessein, il trouva, comme il l'avait prévu, un peuple effrayé, et presque incapable de faire la moindre résistance. Il arriva de là, continue Charlevoix, qu'à peine l'Eglise huronne, cultivée avec tant de fatigues, commençait à produire des fruits de salut, que ses pasteurs furent frappés, et le troupeau, non seulement dispersé, mais même presqu'entièrement détruit.

Le P. Jogues, dont nous venons de parler, fut le premier sur qui l'orage tomba. Descendu à Québec, sur l'ordre qu'il en avait reçu, il en repartit le 1er. Août 1642, pour le pays des Hurons, avec treize canots bien armés, et conduits par de braves 203 gens. La force de cette escorte fut probablement ce qui causa son malheur, par l'excessive confiance qu'elle inspira à ceux qui la composaient. Le lendemain de leur départ, à la pointe du jour, comme ils se disposaient à se rembarquer, ils apperçurent des traces d'Iroquois sur les bords du fleuve; mais ils méprisèrent un ennemi auquel ils se croyaient fort supérieurs en nombre, et poursuivirent leur chemin, sans prendre aucune précaution contre la surprise. Aussi furent-ils les dupes d'une sécurité si peu pardonnable. Les Iroquois étaient au nombre de soixante-dix : les uns s'étaient mis en ambuscade derrière des buissons qui couvraient une pointe que les voyageurs étaient obligés de ranger de fort près; les autres avaient traversé le fleuve, et s'étaient cachés dans les bois.

Dès que les Hurons furent à portée des premiers, une décharge de fusils, faite avec beaucoup d'ordre, en blessa plusieurs et perça tous les canots. Quelques uns des plus alertes sautèrent promptement à terre, et furent assez heureux pour se sauver; les plus braves, soutenus par trois ou quatre Français qui accompagnaient le P. Jogues, se défendirent pendant quelque tems dans leurs canots; mais comme l'eau y entrait, et qu'il ne restait plus aucune voie de salut, ils furent enfin obligés de se rendre, à la réserve d'un petit nombre, qui échappèrent encore, dans la confusion où leur résistance avait mis les Iroquois.

Il n'avait tenu qu'au P. Jogues de suivre les premiers qui avaient fui, et qui avaient même fait tout ce qu'ils avaient pu pour l'y engager. Il leur avait dit que pour eux, ils faisaient bien de se sauver, mais que pour lui, il ne lui convenait point d'abandonner des chrétiens qu'il regardait comme ses enfans, lorsqu'ils avaient le plus besoin de son assistance. Un Français, nommé Guillaume Couture, qui s'était enfui dès le commencement du combat, voyant que le P. Jogues, au lieu de suivre son exemple, se sacrifiait volontairement, eut honte de sa conduite, et revint de lui-même se mettre entre les mains des vainqueurs, sans faire réflexion que sa captivité ne pouvait être d'aucune utilité au missionnaire. Cet homme souffrit des tourmens affreux, ainsi qu'un autre français nommé René Goupil, qui fut enfin mis à mort, ainsi que la plupart des prisonniers hurons; et le P. Jogues n'échappa, cette fois, tout mutilé, que par un concours de circonstances extraordinaires, et surtout par l'humanité et la générosité du commandant de Manhatte.

Peu après la rencontre dont on vient de parler, un parti de cent Iroquois parut devant le fort de Richelieu. M. de Montmagny, qui y était monté, en tua plusieurs, et contraignit les autres de se retirer fort en désordre. Mais bientôt on ne reçut plus que des nouvelles désastreuses du pays des Hurons. Les Iroquois y détruisaient par le feu des bourgades entières et en massacraient tous les habitans; et le gouverneur général n'était nullement en 204 état d'envoyer à ses alliés les secours dont ils auraient eu besoin. Les missionnaires mêmes ne recevaient plus depuis longtems les choses qui leur étaient les plus nécessaires. Leur nombre était diminué par la captivité du P. Jogues, et la mort du P. Davost; mais le supérieur général n'osait proposer à personne une mission devenue si périlleuse. Le P. F. J. Bressani, jésuite romain, informé de l'embarras où était son supérieur, s'offrit d'accompagner quelques Hurons qui étaient descendus pendant l'hiver à Québec, pour s'y procurer les choses dont leurs missionnaires avaient besoin. Son offre fut acceptée, et il s'embarqua vers la fin d'Avril 1644, avec un jeune Français et six Hurons, dans trois canots. Ils furent rencontrés à l'entrée du lac St. Pierre par un parti d'Iroquois, par lequel ils furent tous ou tués ou faits prisonniers. Le P. Bressani eut à endurer toutes les cruautés qu'on avait fait souffrir au P. Jogues, et ne fut délivré, comme ce dernier, que par l'entremise des Hollandais, à qui les sauvages le vendirent.

Cependant quelque déterminés que parussent être les Iroquois de pousser la guerre à toute outrance contre les Français et leurs alliés, ils ne laissaient pas de montrer de tems en tems quelque inclination à la paix. M. de Montmagny la désirait avec ardeur, et parce qu'il ne se voyait pas en état de soutenir la guerre, et parce qu'en la faisant même avec avantage, il n'y avait rien à gagner. S'il lui avait été du moins possible de cacher sa faiblesse aux ennemis, il aurait pu profiter de quelque heureuse conjoncture, pour faire un accommodement qui sauvât l'honneur de la nation; mais cette ressource lui manquait, et les Iroquois en vinrent jusqu'à se vanter hautement qu'ils obligeraient bientôt les Français à repasser la mer. Ainsi tout convaincu qu'il était que le moyen de désarmer ces barbares n'était pas de les rechercher, il ne se trouva jamais en situation de le prendre avec eux sur le ton qui seul aurait pu les contenir dans une exacte neutralité. Réduit à faire des démarches peu séantes à son caractère, il cherchait du moins à les couvrir de quelque prétexte honnête, et au hazard d'être la dupe des avances feintes d'un ennemi aussi rusé que féroce, il faisait semblant de les croire sincères, dans la vue d'en tirer parti, soit pour procurer la liberté à quelque captif, soit pour faire passer plus librement quelque convoi, et ne pas voir ruiner entièrement le commerce; soit enfin pour gagner du tems et pouvoir respirer un peu.

Quelque tems après la prise du P. Bressani, M. de Champflours ayant mandé au gouverneur général que des Hurons et des Algonquins étaient arrivés à son poste, avec trois prisonniers iroquois, celui-ci monta aux Trois-Rivières, fit assembler les principaux des deux tribus, et leur dit que s'ils voulaient lui laisser la disposition de leurs prisonniers, il espérait pouvoir s'en servir pour établir une paix durable entr'eux et les Iroquois.

205 Il leur fit voir ensuite les marchandises dont il se proposait de payer la complaisance qu'ils auraient pour lui; et il ajouta que pour ne pas s'exposer à être trompé par leurs ennemis communs, il ne renverrait d'abord qu'un de ces prisonniers; qu'il ferait avertir en même tems les cantons, que s'ils voulaient sauver la vie aux deux autres, il fallait qu'ils leur envoyassent des députés chargés de pleins pouvoirs pour traiter d'un accommodement qui rétablît la tranquillité dans le pays.

Quand il eut cessé de parler, un capitaine algonquin se leva, et prenant par la main le prisonnier de sa nation, le lui présenta, en disant qu'il ne pouvait rien refuser à son père; que s'il acceptait ses présens, ils serviraient uniquement à essuyer les larmes d'une famille où ce prisonnier devait remplacer un mort; qu'au reste, il désirait la paix, quoiqu'elle lui parût difficile à conclure.

Le gouverneur se tourna ensuite vers les Hurons pour connaître leur réponse; mais l'un d'eux prenant la parole : "Ma bourgade, dit-il, m'a vu sortir guerrier; je n'y rentrerai pas marchand. Que me font tes étoffes et tes chaudières? Est-ce pour trafiquer que nous avons pris les armes et que nous nous sommes mis en campagne? Si tu as tant d'envie de nos prisonniers, tu peux les prendre, j'en saurai bien faire d'autres; et si je meurs en le faisant, ceux de mon village diront : C'est Ononthio qui l'a tué."

Ce discours, aussi éloquent que laconique, embarrassait le gouverneur, quand un autre chef huron se leva, et parla de la sorte :

"Ononthio, ne t'irrite pas des paroles de mon frère : songe qu'en te cédant les prisonniers que tu demandes, nous perdrions notre honneur. Il n'y a pas un seul ancien parmi nous; jeunes comme nous sommes, nous ne sommes pas maîtres de nos actions. Si au lieu de rentrer chez nous avec des captifs, nous y rentrions avec des marchandises, la honte nous accablerait. Toi-même, que dirais-tu de tes soldats, s'ils revenaient du combat en équippage de marchands?

"Nos frères, les Algonquins, ont pu le faire; ce sont des anciens. Mais nous, qui avons notre gloire à soutenir, nous ne pouvons qu'attendre la décision de nos vieillards. Sans doute, ils t'accorderont les prisonniers, et nous-mêmes sommes déjà entrés dans tes vues, puisque nous ne leur avons fait aucun mal.

"Nous avons encore un motif de garder ces prisonniers avec nous : le fleuve est couvert d'ennemis : si nous en rencontrons de plus forts que nous, tes présens ne feront que nous embarrasser et animer nos adversaires au combat, pour profiter de nos dépouilles. Si au contraire, ils voient parmi nous quelques uns de leurs frères, qui leur témoignent que nous désirons la paix, qu'Ononthio veut être le père de toutes ses nations, qu'il ne peut plus souffrir que ses enfans, qu'il porte tous également dans son sein, continuent à s'entre-déchirer; les armes leur tomberont des mains, nos prisonniers nous sauveront la vie, et ils travailleront bien plus 206 efficacement à la paix, que si l'on se hâtait de leur rendre la liberté".

Le gouverneur n'eut rien à repliquer à un discours si mesuré et si judicieux. Il trouvait même un grand avantage à laisser faire aux Hurons les premières avances pour la paix. Il répondit donc à celui qui venait de lui parler avec tant de sagesse, qu'il approuvait fort ses raisons, et qu'après tout la paix était beaucoup plus leur affaire que la sienne. Cependant, ayant su que le P. Brébeuf voulait profiter de cette occasion pour retourner à son église, pour les besoins de laquelle il était descendu à Québec, et où il menait deux nouveaux missionnaires, il jugea à propos, pour ne les point laisser exposés aux malheurs arrivés aux PP. Jogues et Bressani, de leur donner une escorte capable de les garantir de toute insulte.

Il firent en effet le voyage sans aucun accident, et à leur arrivée aux Hurons, il fut résolu dans un grand conseil, de renvoyer les deux prisonniers iroquois à M. de Montmagny. Ce gouverneur avait déjà donné la liberté à celui que les Algonquins lui avaient remis, et les cantons, pour montrer combien ils étaient disposés à la paix, lui avaient renvoyé Couture, ce Français qui s'était laissé prendre avec le P. Jogues. Il avait été accompagné du même prisonnier iroquois renvoyé par M. de Montmagny, et de députés munis de pleins pouvoirs tels que le gouverneur-général les avait demandés.

Aussitôt qu'on eût appris l'arrivée des uns et des autres aux Trois-Rivières, M. de Montmagny s'y rendit, et après les avoir bien régalés, il leur marqua le jour auquel il leur donnerait audience. Ce jour venu, le gouverneur parut dans la place du fort des Trois-Rivières qu'il avait fait couvrir de voiles de barques, et s'assit dans un fauteuil, ayant à ses côtés, M. de Champflours et le P. Vimond, et sur les aîles plusieurs officiers et les principaux habitans de la colonie. Les députés iroquois, au nombre de cinq, s'assirent à ses pieds, sur une natte. Il choisirent cette place pour marquer plus de respect à Ononthio qu'ils n'appellèrent jamais autrement que leur père.

Les Algonquins, les Montagnais, les Attikamègues, et quelques autres sauvages de la même langue, étaient vis-à-vis; les Hurons demeurèrent mêlés avec les Français. Tout le milieu de la place était vide, afin qu'on pût faire les évolutions nécessaires; car chez les sauvages, ces audiences sont des espèces de comédies, où l'on exprime par des gestes bizarres des choses souvent très sensées, et où la bouffonnerie des contorsions couvre le sérieux de la chose.

Les Iroquois avaient apporté dix-sept colliers, qui étaient autant de paroles, c'est à dire de propositions qu'ils avaient à faire. Pour les exposer à la vue de tout le monde, ils firent planter deux piquets et tendre une corde de traverse sur laquelle ils les suspendirent. Quand tout le monde fut placé, l'orateur des cantons 207 se leva, prit un collier, et le présentant au gouverneur-général :

"Ononthio, lui dit-il, prête l'oreille à ma voix : tous les Iroquois parlent par ma bouche. Mon cœur ne nourrit pas de mauvais sentimens; toutes mes intentions sont droites. Oublions nos chants de guerre; que toutes nos chansons soient des chansons d'allégresse".

Aussitôt il se mit à chanter, ses collègues marquant la mesure avec leur , qu'ils tiraient en cadence du fond de leur poitrine, et tout en chantant, il se promenait à grands pas, et gesticulait d'une manière tout à fait comique. Enfin reprenant un air plus composé, il détacha un second collier, et continua ainsi son discours :

"Le collier que je te présente, mon père, te remercie d'avoir donné la vie à mon frère. Tu l'as sauvé de la dent de l'Algonquin. Mais comment as-tu pu le laisser partir seul? Si son canot eût tourné, qui l'eût aidé à le relever? S'il se fût noyé ou qu'il eût péri par quelque autre accident, tu n'aurais aucune nouvelle de la paix; et peut-être eusses-tu rejetté sur nous, une faute qu'il n'eût fallu imputer qu'à toi".

En achevant ces mots, il replaça le collier sur la corde, en prit un autre, et après l'avoir attaché au bras de Couture, il se tourna de nouveau vers le gouverneur, en disant :

"Mon père, ce collier te ramène ton sujet; mais je me suis bien gardé de lui dire; Mon neveu, prends un canot, et retourne-t-en dans ton pays. Je n'aurais pu être tranquille jusqu'à ce que j'eusse des nouvelles sûres de son arrivée. Mon frère que tu nous a renvoyé a beaucoup souffert et couru bien des risques. Il lui fallait porter seul son paquet, toute la journée, trainer son canot dans les rapides, être toujours en garde contre les surprises. — Encore si on l'eût aidé à passer les endroits difficiles. En vérité, mon père, je ne sais où tu avais l'esprit de renvoyer ainsi un de tes enfans seul et sans secours. Je n'en ai pas agi de même à l'égard de ton sujet; je lui ai dit : Allons, mon neveu, suis-moi, je veux te rendre à ta famille, au péril de ma vie".

Tout ce discours fut accompagné d'une pantomime continuelle et variée, pour mettre le sens des choses sous les yeux mêmes des spectateurs. Les autres colliers avaient rapport à la paix dont la conclusion était le but de l'ambassade. L'un applanissait les chemins, l'autre rendait la navigation libre; un autre enterrait les haches sanglantes. Il y en avait qui représentaient les festins qui suivraient la paix, et les visites amicales qu'on se ferait mutuellement : ceux-ci exprimaient l'alliance entre toutes les tribus; ceux-là, le dessein qu'on avait toujours eu de renvoyer les PP. Jogues et Bressani, et l'impatience qu'on avait de les revoir, ainsi que le bon accueil qu'on se proposait de leur faire. Le discours, ou plutôt la pantomime dura trois heures, et la séance fut terminée par une espèce de fête qui se passa en chants, en danses et en festins.

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LES FEUILLES, &c.

Toute la magnificence de la nature, dans les beaux jours de l'été, n'égale pas la douceur et le charme des beaux jours du printems. L'air est calme, le ciel pur; et la terre pénétrée par la chaleur vivifiante sort de l'engourdissement où elle était plongée. L'hiver est l'image de la mort, et le deuil de la nature; le printems lui succède; il rend la vie et le mouvement à la terre engourdie; l'œil fatigué du triste spectacle des frimats, se repose avec délices sur la verdure naissante; l'âme se sent doucement agitée de plaisir et d'espérance; je ne sais quoi d'intime et de délicieux se mêle à nos sensations; nous nous identifions à tout ce qui nous environne; nous reprenons une nouvelle existence, et, semblables aux germes précieux que développent les sucs nourriciers, nous aspirons à longs traits le nectar de la vie.

Les fleurs ne paraissent point encore. Les feuilles se montrent seules, et verdissent aux rayons de la lumière; la jeune branche, naguère enfermée sous des écailles nombreuses, repousse ses enveloppes, s'allonge et déploie son feuillage; la plumule délicate perce le sein de la terre, et de blanche qu'elle était d'abord, devient verdâtre, et passe insensiblement au vert le plus vif. Les feuilles ouvrent le cercle de la végétation; elles n'ont point communément le brillant coloris des fleurs et leurs doux parfums, mais elles sont plus durables, et forment la parure ordinaire des végétaux. La main libérale de la nature les multiplie à l'infini, et les renouvelle sans cesse; leur couleur, amie de l'œil, repose la vue, et leurs exhalaisons répandent dans l'atmosphère une délicieuse et salutaire fraicheur.

Sans avoir d'ailleurs aucune connaissance en histoire naturelle, il n'est personne qui, du premier coup d'œil, ne distingue parfaitement les feuilles sur le végétal; et cependant nulle partie n'est plus variable par sa forme, ses dimensions, son attache, sa disposition et ses parties accessoires. D'où dépend donc cette extrême facilité de les reconnaître? de la multiplicité même de leurs attributs. Toutes ont quelques traits qui les distinguent des autres organes. En général, elles sont une sorte d'expansion mince du sommet de la racine, ou de l'écorce de la tige, ou de celle des rameaux. Elles ont deux surfaces distinctes; l'une regarde le ciel, l'autre la terre; tantôt elles forment des rosettes au sommet des tiges; plus communément elles recouvrent les branches, les rameaux et les tiges que le tems n'a point trop endurcis. Les feuilles des sapins sont fines, pointues, roides, distinctes les unes des autres, et ressemblent à des épingles vertes; celles de quelques asperges, aussi fines, mais plus souples et réunies en faisceaux, ressemblent à des houppes délicates; celles de plusieurs sensitives, nombreuses et divisées en une multitude de très-petites folioles, forment d'élégants 209 panaches qui flottent au gré du vent, celles de plusieurs palmiers s'étendent au sommet des stipes en vastes et immobiles parasols. Les feuilles de chaque espèce affectent une forme différente; elles offrent des cœurs, des ellipses, des ovales, des losanges, des lances, des flêches, des hallebardes, des boucliers, des mains, des langues, des aîles étendues, des cornets, des coupes, des grillages, &c. &c.; et non seulement elles varient d'espèce à espèce, mais quelquefois dans la même espèce et dans le même individu; ainsi dans une multitude de plantes herbacées, les feuilles qui partent de la racine sont très larges et très étoffées, et celles des tiges et des rameaux sont d'autant plus petites qu'elles sont plus voisines des sommités. Ces différences dans les feuilles d'un même individu ne s'arrêtent pas aux dimensions; elles touchent aux formes et aux couleurs. Les feuilles du mûrier à papier, bel arbre du Japon et des îles de la mer du Sud, sont en cœur au sommet des branches; mais celles qui décorent les rejetons inférieurs sont divisées en trois lobes.

Les feuilles servent quelquefois de support aux fleurs, comme dans le ruscus; elles servent aussi quelquefois de mains aux tiges grimpantes, en se roulant fortement autour des corps grêles qu'elles rencontrent, comme on l'observe dans l'œillet et dans plusieurs autres plantes.

Dans nos climats tempérés, c'est au printems que les feuilles des arbres et des herbes commencent à poindre; les unes s'échappent des enveloppes de la graine, les autres des écailles de boutons. Quelquefois les fleurs les devancent; telle sont celles de beaucoup d'arbres fruitiers, des saules, du daphne mezereum, &c.; cependant, plus communément les fleurs ne paraissent qu'après les feuilles; et même quelquefois les chaleurs de l'été ont consumé les feuilles, lorsque les fleurs sortent à peine de leurs enveloppes. Mais dans les climats brulants situés entre les deux tropiques, la végétation ne reprend sa vigueur, et les feuilles ne se développent que pendant la froide saison, si toutefois on peut appeller une saison froide, l'époque où les rayons du soleil suspendent un peu leur activité dévorante, et ne consument plus tout ce qui végète à la surface de la terre. Là, durant les étés, les végétaux épuisés par la transpiration trop abondante, et ne pouvant pomper dans une atmosphère enflammée et dans un sol aride, les fluides nécessaires à leur développement, périssent desséchés, ou demeurent dans un état d'engourdissement comparable à celui de nos arbres durant les rigueurs de l'hiver. Si l'on apperçoit encore quelque verdure, c'est le triste éclat des arbres toujours verts dont les feuilles résineuses soutiennent longtems, sans se détacher, les feux de la zone torride et les froids des pôles; c'est l'éclat non moins triste de certaines plantes dont les tiges et les feuilles épaisses et charnues ne transpirent presque point, et retiennent dans leur tissu cellulaire une humidité conservatrice. 210 Ces plantes succulentes, attachées sur les rochers les plus stériles, et soumises à l'action redoutable des rayons du soleil, ne se dessèchent point.

Si l'on considère que les plantes d'espèces semblables, placées dans la même exposition, se couvrent de feuilles presque toutes à la même époque, et qu'au contraire la feuillaison dans les espèces différentes s'opère à des époques souvent très-éloignées, quoique tout soit égal d'ailleurs, on conclura nécessairement que chaque espèce a besoin, pour se développer, d'une température particulière. En effet, Adanson a démontré, par de très bonnes observations, que toutes choses égales, le nombre des degrés de chaleur nécessaires pour opérer la développement des feuilles, des fleurs et des fruits d'une plante, est le même, soit dans les années hâtives, soit dans les années tardives. De plus, on sait que les graines ne germent qu'à une certaine température nécessaire à chaque espèce; on pourrait donc fixer, d'une manière exacte, l'époque à laquelle il convient de semer les graines. Il suffirait pour cela d'examiner les rapports naturels de la germination et de la feuillaison : c'était le but que s'était proposé Linnée, dans les observations qu'il fit pendant les trois années 1750, 1751 et 1752, dans dix-sept provinces de la Suède. Il trouva que le bouleau était l'arbre le plus propre à indiquer le tems de semer l'orge, et il conclut, avec raison, que l'époque de la feuillaison d'autres arbres pourrait également servir de règle pour ensemencer. On sent que cette idée, mise en pratique, serait bien supérieure à l'aveugle routine que suivent nos cultivateurs; au lieu de choisir, pour confier leurs graines à la terre, des époques fixes dans l'année, par cela même souvent peu favorables, ils consulteraient la nature elle-même, en se réglant sur la température. Il faudrait donc, comme le proposait Linnée, dresser dans chaque pays, un Calendrier de Flore, contenant des observations comparatives sur la germination et la feuillaison. Mais ce travail ne peut être exécuté que par des hommes accoutumés à observer; et quand on voit jusqu'à quel point les cultivateurs sont esclaves de leurs habitudes, on conçoit qu'il n'aurait d'autre utilité que de prouver encore ce qu'on ne sait déjà que trop, que chez les hommes ignorants les préjugés sont plus puissants que la raison.


LE LANGAGE DES FLEURS.

MAI.

Muguet de Mai, Lis des valléesRetour du bonheur. — Le muguet aime le creux des vallons, l'ombre des chênes, le bord des ruisseaux : dès les premiers jours de Mai, ses fleurs d'ivoire s'entr'ouvrent, 211 et versent leurs parfums dans les airs. A ce signal, le rossignol quitte nos haies et nos buissons, et va chercher au sein des forêts une compagne, une solitude, et un écho qui réponde à sa voix : guidé par le parfum du lis des vallées, le charmant oiseau a bientôt choisi son asile; il s'y établit, en chasse ses rivaux, et y célèbre, par des chants mélodieux, la solitude, l'amour et la fleur qui, chaque année, lui annonce le retour du bonheur.

TroëneDéfense. — Pourquoi, disait une jeune mère de famille au vénérable pasteur de son village, n'avez-vous pas planté une forte palissade d'épines à la place de cette haie de troëne fleuri qui entourre votre jardin? Le pasteur lui répondit : Lorsque vous défendez à votre fils un plaisir dangereux, la défense s'embellit sur vos lèvres d'un tendre sourire; votre regard le caresse; et s'il se mutine, votre main maternelle lui offre aussitôt un joujou qui le console : de même la haie du pasteur doit éloigner les indiscrets, ne blesser personne, et offrir des fleurs à ceux mêmes qu'elle repousse.

NarcisseEgoïsme. — Le narcisse des poëtes répand une douce odeur; il porte une couronne d'or au centre d'une large fleur, toujours blanche comme l'ivoire, et légèrement inclinée : cette plante parait naturelle à nos climats; elle aime l'ombre et la fraicheur des eaux.

Les anciens voyaient dans cette fleur la métamorphose d'un jeune berger qu'Amour punit de son indifférence par un fatal égarement. Mille nymphes aimèrent le beau Narcisse, et connurent le supplice d'aimer sans retour. Echo, la triste Echo, fut méprisée par cet ingrat : elle était belle alors, mais la douleur et la honte effacèrent sa beauté; une affreuse maigreur se répandit sur tout son corps; les dieux en eurent pitié; ils changèrent ses os en pierres, mais ils ne purent guérir son âme, qui gémit encore dans les lieux écartés, où tant de fois elle suivit le cruel qui ne put l'aimer.

Fatigué par l'exercice de la chasse, et par la chaleur qui desséchait la terre, le beau Narcisse se reposa un jour sur un épais gazon, au bord d'une fontaine dont les eaux limpides n'avaient jamais été troublées : le berger, attiré par la fraicheur, veut se désaltérer; il se penche vers le pur chrystal de cette onde perfide; il se voit, il s'admire, et reste si frappé de son image, que les yeux fixés sur cette ombre, il perd tout mouvement, et semble une statue attachée sur la rive. Amour qui se venge d'un cœur rebelle, embellit cette image de tous les feux qu'elle inspire; puis il sourit d'une si folle erreur, abandonnant sa victime au délire qui doit la consumer. Echo seule fut témoin de sa peine, de ses larmes, de ses soupirs, des vœux insensés qu'il s'adressait à lui-même. Sensible encore, la nymphe répondit à ses plaintes, et redit son dernier adieu, qui ne fut pas pour elle; même en expirant, le malheureux cherchait encore au fond des eaux l'erreur qui l'avait 212 charmé; on assure même qu'en descendant aux enfers, il la redemanda` aux eaux ténébreuses du Styx, des bords duquel rien ne put le détacher. Les nayades, ses sœurs, déplorèrent sa perte, et couvrirent son corps de leurs longues chevelures; elles prièrent les dryades d'élever un bucher pour ses funérailles. Echo suivait ces nymphes, et redisait leurs plaintes d'une voix désolée; le bucher s'élève, mais le corps qu'il doit mettre en cendre n'existe plus; on ne trouve à sa place qu'une fleur pâle et mélancolique, qui se penche sur l'eau des fontaines, comme Narcisse sur celles du Styx.

Depuis ce jour, les Euménides parent leurs fronts terribles d'une couronne de ces fleurs, qu'elles ont consacrées elles-mêmes à l'égoïsme, qui est de toutes les fureurs la plus triste et la plus funeste.

ThymActivité. — Des mouches de toutes les formes, des scarabées de toutes les couleurs, les diligentes abeilles, les papillons légers, environnent les touffes fleuries du thym. Peut-être que cette humble plante paraît à ces légers habitans de l'air, qui ne vivent qu'un printems, comme un arbre immense aussi vieux que la terre, couvert d'une verdure éternelle, sur laquelle ces fleurs brillent comme de superbes amphores, toutes pleines de miel à leur usage.

Les Grecs regardaient le thym comme le symbole de l'activité; sans doute ils avaient observé que son parfum, qui fortifie le cerveau, est très salutaire aux vieillards, auxquels il rend de l'énergie, de la souplesse et de la vigueur.

L'activité est une vertu guerrière qui toujours s'associe avec le véritable courage. C'est pour cela qu'autrefois, les belles brodaient souvent, sur l'écharpe de leurs chevaliers, une abeille bourdonnant autour d'une branche de thym. Ce double symbole disait encore que celui qui l'avait adopté mêlerait la douceur à toutes ses actions.


MES TABLETTES DE 1813.

Le Camp des V----, à la Pointe Henri. "Après avoir habité, pendant 21 jours les casernes de Kingston, pendant 10 jours, des quartiers préparés par nous, mais non pour nous, chez un Mr. Smith; et pendant 4 jours un camp dressé aussi par nous, mais pour d'autres encore, sur les hauteurs de Kingston, nous avons reçu ordre du Général Prévost,[1] le 17 Mai, de traverser à la Pointe Henri,[2] où nous sommes logés sous des tentes, toujours plantées par nous, au milieu de souches, troncs d'arbres, et cailloux de toutes espèces et dimensions; partageant notre couche avec des reptiles de toutes formes et sortes; exerçant dans les plus 213 petits détails, la charité la plus ample envers dix millions d'insectes tous plus dégoûtants les uns que les autres.

"Phlébotomisés par les maringouins, bistourisés par les moustiques, ventousés par les brulots, nous sommes de plus menacés d'être mangés vifs par les rats de bois, quand ils auront fini de nos vivres. Que de Vampires dans un pays où il n'y en a point, dit-on! Priez pour nous.

"Lassé par le travail de l'extérieur, trempé par la pluie, je rentre sali par les oiseaux! Je m'assieds... à l'instant, un horrible crapaud saute familièrement sur mes genoux! Je me précipite sur mon grabat... bientôt la couleuvre m'en chasse, en venant s'y glisser près de moi. S'agit-il de souper?... La poële à fondre le lard de provision (car on est ici sur la ration,) est au pouvoir d'une infame araignée à paniers, pour parler poliment, qui, du centre des réseaux dont elle a couvert l'ustensile en tous sens, et où elle se tient immobile et menaçante, semble encore nous défier et braver! "Ecure donc, pauvre garçon." — Veut-on ensuite concasser le biscuit dans le lard fondu, pour l'attendrir, la puce des bois qui s'est trouvée sous le hachoir, en perdant la vie a empesté le manger! "Ah! Capitaine, que faire? — Eh bien, fiat lux." — "Quoi, monsieur." — "Allume la chandelle, butor, allume la chandelle." Écrivons du moins nos misères. Bon dieu, quelle Pointe! quel maudit endroit! La lumière s'apporte. Dans un moment, le martinet est couvert de cadavres hideux et effrayants, et bientôt la cohorte des curieux et bruyants frappe-d'abord entre de toute part, assiège le flambeau, vous le souffle impudemment au nez, sans manquer de vous pocher les yeux, et de vous donner, en se retirant, le bon soir au front. Oh, dieu! quel pays! mais aussi quelle mine que la Pointe Henri pour un naturaliste!

"Pendant quinze jours, nous avons été dans cet enfer; mais, dieu merci, ces tems fâcheux vont cesser, et de plus agréables vont leur succéder. Après vous avoir montré le revers de la médaille, il convient de vous en montrer le beau côté.

"Lorsque nous vînmes à la Pointe Henri, le 17 Mai, nous trouvâmes en effet l'emplacement qu'occupent maintenant nos tentes,[3] hérissé de souches &c. et le terrain fort inégal. Il n'y avait alors que fort peu de tems d'écoulé depuis qu'on en avait rasé le bois qui la couvrait. A force de travail, nous sommes enfin parvenus à déblayer la place, et à niveler le site où repose le camp des V----. Il est formé de deux rangées de marquises qui bordent de droite et de gauche une longue et large rue, servant comme d'avenue aux quartiers de notre major, tenté à l'une de ses extrémités : l'autre issue est fermée par un petit retranchement. Vraiment, dans un beau jour, notre petit campement offre un joli coup d'œil.

"L'élévation et la position de ce site que rien ne commande aux environs, nous font appercevoir à la fois, un lac immense 214 s'ouvrant devant nous, et dans le lointain, quelques îles boisées : à droite, la ville et son joli côteau; le port et ses vaisseaux; la Pointe Frédérick, ses fortifications et ses chantiers : à gauche, l'Ile Wolfe,[4] dont la grande surface est couverte de bois et parsemée d'habitations.

"Hors de la ville et du contrôle immédiat des Grosses-têtes, sous le commandement d'un supérieur[5] qui sait se faire aimer, nous avons l'espoir de vivre ici sans contrainte, heureux et tranquilles."

Le Caporal, ou Lance-Sergeant Chrétien. — "Cananocoui, (comme on l'a déjà vu,) est un poste à 35 milles plus bas que Kingston : nous y avons une redoute. La garnison qu'on y entretient est formée de la milice de l'endroit et de troupes qu'on y envoie d'ici.

"Neuf Voltigeurs, sous les ordres du Caporal ou Lance-Sergeant Chrétien, y faisaient devoir, le 14 Mai, lorsqu'un officier commandant une chaloupe canonière en croisière, le Lieutenant Majoribanks, y vient débarquer 30 hommes de milice qu'il avait à bord. Il avait apperçu un semblable vaisseau ennemi sur le fleuve, et avait proposé à son monde de courir l'attaquer; mais ces bonnes gens qui ne se sentent pas encore las de vivre, il faut croire, se refusèrent, du mieux qu'ils purent, à ses offres hostiles et sanguinaires. Le poltron a, tout aussi bien que le brave, sa petite rhétorique; et l'habileté des soldats philosophes du gun-boat à faire entrevoir les risques d'une telle entreprise, frappa tellement notre marin, qu'il rama aussitôt vers Cananocoui.

"Vous concluez de là sans doute, que convaincu de la justesse du raisonnement qu'on vient de lui faire, il s'est enfin rendu à la raison, et qu'il est revenu à des sentimens plus humains. Hélas! vous êtes dans l'erreur. Ce sont des âmes damnées que ces matelots anglais, qui n'aiment que plaies et bosses. Ils n'ont aucune notion de la logique des collèges; ou, s'ils en parlent, ce n'est qu'avec le sourire du mépris, prétendant que le boulet est le meilleur argument du monde, et qu'on tire plus de raison d'un bon canon que du cerveau le plus fécond, &c. &c. &c. Voila d'étranges gens, direz-vous! N'importe. Après avoir mis à terre les trente logiciens, qu'il honorait d'une autre épithète, m'a-t-on dit, l'officier de marine, qui n'avait pas renoncé à son projet d'attaque, demanda si quelqu'un voulait en partager l'exécution volontairement. A sa grande satisfaction, il trouva autant de gens de cœur qu'il pouvait en avoir besoin : un subalterne et dix hommes du 104e régiment; Chrétien et les neuf Voltigeurs, s'offrirent comme volontaires, avec la permission du commandant du poste, le colonel de milice Stone. On s'embarqua à deux heures de l'après-midi. Six hommes d'équippage, que notre marin retint avec lui, poussèrent à l'instant au large, et donnèrent après la chaloupe ennemie. Ils ne purent jamais la rejoindre.

215 "Frustré de nouveau dans son attente, mécontent d'avoir manqué son coup, une seconde fois, mais ne voulant pas revenir sans avoir rien fait, Majoribanks résolut de faire une descente à Gravely-Point.[6] Il en fait la proposition; elle est reçue avec joie. Le pilote, disait que les chaloupes américaines s'y rassemblaient le soir pour y passer la nuit, et l'on se proposa aussitôt le malin plaisir d'en escamoter quelques unes.

"On attère bien en deça du poste, vers une heure du matin du 25 Mai, pour s'emparer de deux hommes que Chrétien et quelques autres allèrent enlever d'une maison, pour montrer le chemin à la petite troupe et la guider. On arrive enfin à Gravely-Point, à deux heures après minuit. Point de chaloupes ennemies.

"On met pied à terre; on laisse quelques soldats du 104e à la garde de la chaloupe, et l'on s'avance avec précaution. Chrétien est en avant; Majoribanks le suit avec le reste de la troupe : ils se rendent ainsi aux casernes bâties à vingt arpens à peu près en avant du village; ils en brisent les fenêtres à coups de hache ou autrement. Personne ne se montre, et ils arrivent sans l'ombre d'opposition à la maison de l'officier commandant : c'était un major, comme on le sut ensuite. Il y avait encore de la lumière chez lui. Le factionnaire demande qui va là! On le menace de lui casser la tête, s'il ne se rend prisonnier. Il prend la fuite. — Chrétien alors ordonne à ses voltigeurs de se jetter dans la maison par les fenêtres, et lui même il enfonce la porte. Le major, sur ses gardes lui met sur la poitrine un pistolet chargé de douze postes, tire la gâchette, fait fausse amorce!... et au même instant, il est lui-même étendu mort dans la place d'un coup de fusil que Chrétien lui décharge dans le ventre.

"On trouva sur une table trois autres pistolets chargés, vingt cartouches et deux sabres, le seul butin qu'on permit à nos hommes d'emporter. Toutes ces cartouches contenaient chacune douze petites balles ou postes.

"On ordonna en même tems la retraite; et ce ne fut qu'après que nos gens eurent mis au large, que l'ennemi, (qui avait lâchement déserté ses casernes, et s'était enfui avant le débarquement de nos braves,) vint au rivage effrayer les poissons, et se réjouir de notre départ, par une pétérade assez bien soutenue. C'était se montrer un peu tard. On remit chez eux les deux habitans 216 qui avaient servi de guides, et l'on reprit la route de Cananocoui.

"Le Lieutenant de marine rendit compte, dès le même jour, au commodore Yeo, du sang-froid et du courage qu'avait montrés Chrétien dans cette occasion, et du péril qu'il avait couru : il le chargea même d'aller porter sa lettre à Kingston. Sir G. Prévost voulut le voir; il lui fit présent des sabres et des pistolets emportés de Gravely-Point, et il fut promu au rang de sergent."


LE CULTIVATEUR CANADIEN.

Mr. Bibaud.

Le morceau suivant, qui vient de me tomber sous la main, est traduit, à ce que je crois, d'un article qui se trouve en anglais dans l'Almanach de Québec de quelqu'une de ces années passées. Il m'a paru digne d'être inséré dans la Bibliothèque Canadienne.

UN COPISTE.

"On peut dire que la masse de la population canadienne est composée d'agriculteurs. Il n'y a pas de gens plus heureux au monde. Leur travail suffit pour procurer les choses nécessaires à la vie, et le profit leur en est assuré tout entier et sans défalcation.

"Parmi eux l'ambition et la vanité créent rarement des besoins artificiels, et ne mêlent point l'amertume aux jouissances réelles. Dans les situations ordinaires de la vie, ils ont de la vivacité et de la gaité. Ils se soumettent avec résignation aux maux dont il leur est impossible de se garantir. Ils sont fermement attachés à leur religion, à leurs lois, à leurs coutumes, à leurs manières, et absolument ennemis de toute innovation. Ils ont quelque chose du caractère français, comme les habitans de la Nouvelle Angleterre ont du caractère anglais, mais modifié chez les uns et les autres suivant les circonstances; et ce caractère est différent conséquemment, dans la même proportion, de celui de leurs pères.

"Partout il est facile de se procurer des terres, et de vivre par les travaux de leur culture. Le sort de l'homme ne dépend que du Tout-puissant et de ses propres efforts. En Amérique, l'esprit d'indépendance des Anglais a dégénéré, et a fait place à la licence : chez les Canadiens, le sentiment de la servitude s'efface.

"Le paysan canadien connaît des supérieurs; il a du respect pour eux : mais il attend des égards en retour, et ceux qui y manquent envers lui se rendent coupables à ses yeux d'une faute qu'il ne pardonne guère. Envers ses égaux, il est officieux et poli. — Il ne connaît point d'inférieurs. Ce qu'il possède, il le doit à son travail, et tout homme bien élevé est dans la même situation. Si l'un d'eux sert l'autre, ils vivent néanmoins ensemble comme membres de la même famille.

217 "Le cultivateur canadien aime la société, et ce goût va chez lui jusqu'à l'excès. C'est ce goût qui empêche les jeunes gens d'aller au loin pour avoir de nouvelles terres; il est aussi la source du désir qu'il a d'avoir pour lui la bonne opinion des autres; sentiment qui souvent dégénère en vanité.

"Dans sa personne il est de taille moyenne. Son maintien annonce la fermeté et l'activité. Il n'y a pas de peuple qui puisse soutenir de plus rudes fatigues ni de plus grandes privations. — La gaité de son caractère contribue particulièrement à l'en rendre capable. Son esprit n'est pas cultivé : ses idées sont bornées. Il a d'heureuses dispositions naturelles. Dans le cours ordinaire des affaires, il raisonne et agit d'après sa propre expérience. Il se défie de ce qu'il lit et de ce qu'on lui dit, particulièrement quand les choses viennent de ceux qui ne sont pas de la même classe que lui. Dans les affaires de religion, il s'en rapporte à un curé; et si celui-ci veut vivre bien avec son troupeau, il ne doit point se mêler d'autre chose à l'égard de ses ouailles, que de ce qui regarde son ministère."


EXTRAITS,

Des Notes sur un Voyage en Amérique; par Mr. Morris Birbeck.[7]

Il n'y a rien à Vincennes qui, à la première vue, donne de l'endroit une idée bien favorable, mais on en prend une meilleure opinion à mesure qu'on le connaît mieux; car il renferme des personnes fort agréables; et on remarque beaucoup de propreté et d'ordre dans les maisons et dans la manière de vivre. Il y règne aussi un degré de politesse qui fait connaître l'origine de l'établissement d'une manière bien flatteuse pour les Français.

C'est dans le caractère national un phénomène que je ne puis expliquer; mais c'est aussi un fait qui ne peut être révoqué en doute, que l'urbanité des manières qui distingue cette nation de toutes les autres, ne se perd jamais entièrement; et que la politesse française se fait remarquer jusqu'à ce que toutes les traces de l'origine française soient effacées. Un Français du Canada, qui, après avoir passé vingt années de sa jeunesse parmi les sauvages, s'établit au milieu des bois derrière les derniers établissemens dans les Etats-Unis, conserve encore une forte teinte du savoir-vivre des Français.

Est-ce par cette qualité engageante que les Français ont obtenu un si grand ascendant parmi les sauvages? Je pense qu'on peut attribuer cet ascendant avec autant de probabilité à leurs 218 manières conciliantes qu'à un plus grand fond de probité, bien que cette probité en ait été généralement regardée comme la cause.

Cette ténacité de caractère national, sous tous les changemens du climat et des circonstances, dont les Français fournissent plusieurs exemples frappants, est d'autant plus curieuse, qu'elle n'est pas générale parmi les nations, bien que les Allemands en offrent, me dit-on, des exemples également remarquables. Ce pays-ci fournit des occasions favorables, pour faire des observations sur ce sujet intéressant.

Qu'est-ce qui distingue un Anglais des autres hommes? ou y a-t-il quelque marque de caractère national que ni le tems ni le climat, ni les circonstances ne puissent effacer? Un Anglo-Américain n'est point Anglais; mais un Allemand demeure Allemand, et un Français demeure Français, jusqu'à la troisième, et peut-être jusqu'à la dixième génération.

De la Découverte des Sources du Mississipi, &c. par Mr. J. C. Beltrami.

Le 13 (Juillet 1823) nous prîmes tous le chemin de terre. — Une prairie dont les bosquets parsemés ça et là entrecoupaient magiquement les distances et l'horison, fut le premier spectacle qui s'ouvrit à nos yeux. Les parcs artificiels de St. Cloud, de Versailles, de Richmond et de Windsor ne sauraient être comparés à ce superbe ouvrage de la nature.

Un sarcophage indien, élevé à la hauteur d'une quinzaine de pieds, nous arrêta vers le milieu de ce paradis terrestre, et là Mr. Renville nous montra vers le S. O. la direction où la rivière de la Terre Bleue se jette dans celle de St. Pierre. C'est là le point le plus éloigné où le P. Hennepin, et d'autres voyageurs après lui, sont arrivés sur cette rivière.

La rivière de la Terre Bleue est très remarquable chez les sauvages. Ils s'y rendent presque tous les ans comme en pélerinage, et pour y chercher de cette terre bleue, très propre pour faire leurs teintures, et leur fard. A quelque distance de ses sources, vers le Missouri, ils exploitent une pierre rouge, qui durcit par l'impression de l'air, et dont ils font leurs calumets sacrés. — On a dit que ces deux endroits sont inviolables, et que les ennemis les plus implacables s'y rencontrent en paix; mais tout cela n'est qu'une fable. Le sauvage exerce partout sa vengeance, et s'il s'en abstient quelquefois, c'est lorsqu'il est arrêté par quelque force majeure.

Le soir, nous fîmes halte près d'un petit bosquet qui s'étend sur le bord du Lac des Cygnes. C'était la saison où ces beaux oiseaux, gros et petits, ne peuvent voler, les uns, parce qu'ils changent de plumes, les autres, parce qu'ils n'ont que le duvet de l'enfance. 219 Nous aurions pu faire une chasse agréable, et la troupe savante aurait pu trouver une occasion favorable de s'instruire, et de fournir de nouvelles connaissances sur le règne animal; mais le major (Tagliaferro,) faisait une expédition, et ne semblait s'occuper que de sa boussole, le seul oracle qu'il consultait.

Dans la matinée du 14, nous traversâmes une autre prairie d'un aspect tout nouveau. De petites buttes, couvertes d'un gazon verdoyant, formaient des ondulations qui représentaient assez une marine que ni Vernet, ni Werdstapen n'auraient pu imiter. — Des élévations lointaines et isolées offraient l'image des pyramides de l'Egypte.

A midi, nous passâmes la rivière St. Pierre, à l'endroit où celle des Liards y afflue du côté du sud, et qui est navigable pour les canots jusqu'à une assez grande distance dans les terres.

Le soir, après avoir traversé des sites également enchanteurs, entremêlés de prairies et de petits bois, et qui offraient l'aspect d'un pays cultivé, nous nous arrêtâmes près d'un marais que les rats musqués avaient parsemés de leurs maisonnettes.

Le Bois Rouge fut notre hôtel du 15. Il est ainsi appellé d'un arbre que ces sauvages (les Scioux) peinturent en rouge toutes les années, et pour lequel ils ont une vénération particulière. — Le Bois Rouge est situé sur le bord occidental de la rivière St. Pierre, et une autre rivière qui y afflue, et partage ce même bois, descend aussi du même côté. Ils l'appellent la rivière du Bois Rouge.

Ici, la vallée la plus riante présente aux yeux du spectateur la scène la plus intéressante. Jamais illusion plus frappante n'a transporté mon imagination dans les terres classiques du Latium et de la Magna Græcia. Des rocs épars, comme à dessein sur la plaine, sur des plateaux et des collines représentent au naturel, à une certaine distance, des ruines de tout genre de la vénérable antiquité. Tantôt vous croyez y voir des substructions thermales, celles d'un amphithéâtre, d'un cirque, d'un forum; tantôt les débris d'un temple, d'un cénotaphe, d'une basilique, d'un arc de triomphe. Je profitai du tems que le sort m'accorda pour parcourir ces lieux enchanteurs; mais seul, afin que dans la douce extase de mes pensées, je ne fusse point interrompu par la présence de quelque âme froide, ou présomptueuse. Mes yeux rencontraient à chaque pas de nouvelles images. La vue d'une espèce de tombeau me rendit pour quelque tems immobile. Mon cœur demeura frappé de souvenirs funestes... Je crus voir le tombeau de la Vertu et de l'Amitié. Ces lieux rendaient la douleur encore plus belle, et d'un doux soulagement : j'en aurais joui bien longtems, si je n'eusse pas été avec des gens que des selles brisées, ou d'autres incidens également imposants pouvaient seuls arrêter.

Le granit y domine partout, et il y est si beau et si varié, que les frippiers trompeurs de la Place Navone, à Rome, le vendraient 220 aux antiquaires les plus enthousiastes, et qui se croiraient les plus intelligents, pour de l'oriental, de l'égyptien, pour du porphire et du basalte; car maintenant tous les naturalistes de bon sens conviennent en général, que ces deux derniers ne sont que du granit plus élaboré par l'eau et par le tems. La nature, en vous montrant cette vallée que le St. Pierre arrose, semble vous dire : avec une terre fertile, un climat salubre; avec des collines et des plaines propres à différentes cultures; des rivières et des lacs abondants en poissons, en coquillages et en gibier; avec des bois délicieux, des forêts qui fourmillent de bêtes fauves et d'autres animaux d'une riche fourrure; qui fournissent du matériel pour tout ce qui est nécessaire pour toute sorte de charpente et de menuiserie; avec tout cela je vous offre des pierres superbes et d'une exploitation facile, pour bâtir des granges, des maisons, des temples et des palais. Vous pourriez avoir ici l'Urbs Marmorea d'Auguste, comme les Européens trouvèrent la Domus Aurea de Néron au Pérou, et le ciseau n'a qu'à polir ces grandes masses de granit que j'ai vues distribuées avec une si belle négligence dans tous ces alentours, pour renouveller les pyramides de Memphis et de Palmire. Je rêvais... En me réveillant, ce silence, ce désert me pénétraient de sentimens profonds qui n'émeuvent que difficilement ailleurs. C'est ici que la plume de Zimmermann et de Lafontaine, pourrait peindre la solitude avec moins de métaphysique et d'invraisemblance. Mais ils seraient peut-être moins lus; car en fait de sensibilité surtout, il y a plus d'admirateurs du faux que du vrai; et la caricature et l'affectation ont plus de sectateurs que le naturel et la simplicité.


DICTIONNAIRE DE LA FOLIE ET DE LA RAISON.

Concession. — Il n'y a d'accord entre un grand et un petit, que quand le petit a cédé tout au grand. Au contraire, un sot et un homme d'esprit ne pourront s'accorder, que si l'homme d'esprit veut bien faire toutes les concessions.

Un homme est ridicule, lorsqu'il cède quelque chose aux caprices de sa femme. Ce ridicule est-il toujours bien placé? — L'homme est le plus fort. Il est aussi le plus sot, lorsqu'il croit avoir constamment raison. Ce n'est pas à dire pour cela qu'il doive jamais abandonner ses droits; mais à cause de sa force, il doit être quelquefois généreux.

Diogenes. — On lui demandait quel vin il aimait mieux? Celui qui ne coûte rien, répondit-il. Voilà le goût d'un vrai vilain, et qui marque assez que s'il eût eu de la fortune, il aurait été ladre, malgré tout le mépris qu'il témoignait pour les richesses.

Il vit un jour deux femmes pendues à un arbre. — Plût à Dieu! 221 s'écria ce bélitre, que tous les arbres portassent de semblables fruits!.... Il y a lieu de croire que cette aversion pour les femmes lui était venue, ou d'un goût anti-naturel, ou par représailles; car on peut présumer qu'un homme aussi maussade ne trouva jamais guère d'accès auprès du beau sexe.

Ennui. — Partage des sots. C'est un mal que la nature n'a point fait, et que l'homme a inventé pour son propre tourment.

Fidele. — Ce mot vient de fides. Il se disait originairement d'un homme qui gardait la foi promise. Il signifie aujourd'hui un homme qui sait la plier aux circonstances. — Une femme fidelle est toujours celle qui conserve la foi qu'elle à jurée a son mari. Le mot n'a changé de valeur que pour les hommes, et dans les choses politiques.

Gravité. — Le plus grave des animaux est un âne; le plus grave des oiseaux est un hibou; le plus grave des poissons est une huitre; le plus grave des hommes est un sot.

Imprimerie. — C'est la plus belle des inventions humaines, et le plus grand bienfait que l'industrie ait pu donner au monde. — L'Imprimerie seule réalisera le vœu des sages, de voir enfin toutes les sociétés d'hommes éclairées, et la barbarie reléguée dans les forêts. — On a élevé des monuments d'honneur à tous les fléaux du genre humain; on connaît l'histoire et les noms de tous les conquérans; et Guttenberg, Fauste et Schoeffer, les inventeurs de l'imprimerie, sont presque dans l'oubli......


L'ORGUEIL CORRIGÉ PAR LA CHIMIE.

Nous savions que, dans bien des cas, la religion, par ses leçons divines, avait servi de correctif à l'orgueil; mais nous ignorions que la chimie, science toute physique, pût compter parmi ses produits ce résultat moral. C'est ce que l'anecdote suivante va nous prouver.

En Allemagne, le goût pour la chimie se répand concurremment avec les idées libérales; et le fait très véritable que nous allons rapporter, nous donne une preuve bien manifeste de cette assertion. Un baron de ce pays, homme d'une famille très-ancienne, ayant les seize quartiers dans chaque lignée, suivait à Berlin le cours de chimie qu'y faisait le professeur Klaproth, savant illustre dont la perte est universellement regrettée. Un jour, comme le baron se rendait au laboratoire du chimiste, sa voiture versa en chemin, et lui et son cocher furent tellement meurtris par la chûte, que le médecin appelé crut devoir les saigner l'un et l'autre. Le baron conçut alors la pensée de mettre à profit cet accident, pour éclaircir une question qui l'avait souvent occupé : il 222 voulait déterminer si le sang d'un baron allemand et celui d'un homme du peuple sont en effet de différente nature, comme on l'a prétendu; et en conséquence, le produit des deux saignées ayant été recueilli en deux vases différents, il l'adressa au chimiste, avec prière de le soumettre à la plus exacte analyse. L'analyse faite, elle donna la même quantité de fer, de chaux, de magnésie, de phosphate de chaux, d'alumine, de muriate de potasse et de soude, de sulfate de potasse, de matière muqueuse extractive et d'eau. Seulement, le sang du baron contenait deux cents parties d'eau de plus que celui du cocher; circonstance qui eût été à l'avantage de ce dernier, si cette petite différence avait mérité qu'on y fît attention. On peut donc conclure de cette analyse comparative, que le sang d'un baron et celui d'un homme ordinaire, sont physiquement et chimiquement les mêmes. Le seigneur allemand fut enchanté de ce résultat, et il transmit tout de suite au précepteur de son fils copie de l'analyse en question, en recommandant bien à ce précepteur de la remettre devant les yeux du jeune baron, toutes les fois qu'il paraîtrait regarder son sang comme plus pur que celui des autres hommes.


L'HIRONDELLE ATHÉNIENNE,

Par Mlle. d'Hervilly, au profit des Grecs.

La poésie est menacée de tomber en quenouille; long-temps Mme. Dufrénoy a obtenu les honneurs d'une heureuse exception; mais Mmes. Desbordes Valmore, Tastu, Delphine Gay, ont proclamé leurs droits à son héritage, dans des poésies remarquables par le charme et l'élégance du style : quelques-unes même, et nous aimons à citer particulièrement Mme. Tastu, ont su aborder des sujets d'une grande élévation, et les embellir cependant de formes élégantes et légères.

Les femmes ne peuvent rester étrangères aux hautes questions qui intéressent, à cette époque, tous les peuples et toutes les classes; leur éducation, leurs relations sociales, leurs affections, enfin, les forcent presque malgré elles à s'en occuper. On ne peut les blâmer de céder aux inspirations que peuvent faire naître dans leurs âmes de grands, de nobles intérêts; mais on peut désirer que ce soit avec leur cœur plus qu'avec leur esprit qu'elles en parlent. L'ouvrage d'une femme n'a pas besoin d'être signé; son sexe doit toujours se trahir, ou plutôt se proclamer dans la délicatesse des sentimens et la grâce des expressions. Qu'elles disent avec nous, mais non comme nous; elles ne se plaignent de la part qu'on leur accorde, que parce qu'elles ne comprennent pas bien jusqu'où peut s'étendre cette part.

Mlle. d'Hervilly, auteur de l'Hirondelle, et déjà connue par 223 des succès dans un autre art (la peinture,) a su parfaitement remplir les conditions imposées à son sexe. Le cadre de cette pièce de vers est heureux; c'est au milieu d'un cercle nombreux, au sein de Paris, où se trouvent réunis les heureux et les belles du jour, qu'une faible voix se fait entendre en faveur des Grecs immortels : c'est une hirondelle; elle dit à cette troupe joyeuse, qui semblait l'avoir oubliée, qu'il est des malheureux qui implorent, qui commandent leurs secours.

"Des chrétiens d'Orient je suis la messagère;

Français, des nations je réclame les droits;

Pour maintenir un titre acquis par leurs exploits;

Ils ont guidé vers vous mon aîle passagère."

Mlle. d'Hervilly, émue par un sentiment profond d'admiration et de pitié, élève une voix éloquente et facile en faveur de ces Grecs qu'on ose immoler, mais qu'on ne peut calomnier. Entre les passages que nous pouvons citer à l'appui de cet éloge, nous choisirons celui qui peint les premiers efforts de cette nation héroïque en faveur de la liberté.

Les Grecs, aux premiers jours de leur sainte vengeance,

N'avaient point des combats l'utile expérience;

L'inflammable bitume et les foudres d'airain

Ne servaient pas encor leur indigente main.

Sans appui, sans secours, dans leurs vives alarmes,

Le courage les guide et leur forge des armes.

Ils arrachent le fer des outils du labeur;

Ils en forment ces dards, ces pointes acérées,

Qui dans un bois léger, introduites, serrées,

Du farouche Ottoman savent trouver le cœur.

A l'appel que lui fait cette Grèce si chère,

L'héroïsme est sorti du sein de la misère.


POÉSIE.

ODE SUR LA CAMPAGNE DE ST. JOACHIM,

Où les Ecoliers de Québec passent ordinairement les vacances.

Que les champs sont agréables,

Pour moi qu'ils sont pleins d'attraits!

Oh, leurs plaisirs sont durables.

Ils ne nous trompent jamais!

Mon bonheur vous intéresse :

Oui, Maman,[8] votre tendresse

Me désire un vrai repos;

224

Voyez donc dans cette image,

Combien, le plaisir volage,

Nous délasse des travaux.

Le matin dès que l'aurore

Nous annonce le beau jour,

Et que l'olympe se dore,

Voyant son dieu de retour,

Je me rends dans la prairie

Dont la verdure embellie,

Offre mille et mille fleurs;

Là, les hôtes des bocages,

Par leurs aimables ramages,

Font des concerts enchanteurs.

Puis une onde claire et pure,

S'écoulant sur les cailloux,

Mêle son léger murmure,

Avec leurs concerts si doux.

Oh, dans cette paix profonde

Qui règne encor dans le monde

Que ces concerts sont joyeux!

Mon cœur content et sensible

Dans ce moment si paisible,

Bénit la bonté des dieux.

Mais, déjà sortant de l'onde

Pour éclairer l'univers,

Le brillant flambeau du monde

Darde ses feux dans les mers :

Alors au travail ardente,

Une troupe vigilante

Parait déjà dans nos champs :

Cette troupe fortunée

Passe gaîment la journée

Dans des travaux consolants.

L'un dans la forêt s'avance,

Et pour lier les moissons,

Il abbat en diligence

Les branches des verts buissons;

Et l'autre sous sa faucille,

Secondé de sa famille,

Abbat les bleds jaunissants :

Plus loin, de jeunes pucelles

Qui ramassent les javelles,

Font ouïr les plus doux chants.

225

Mais déjà le jour s'avance,

Le soleil victorieux

Sur les riches plaines lance

Les traits ardents de ses feux;

Et sa chaleur excessive

Nous fait d'une source vive

Chercher le frais séducteur;

Un agréable bocage,

Dont cette belle eau s'ombrage,

Nous procure sa fraicheur.

Près de cette onde chérie,

Assis sur le vert gazon,

En la douce compagnie

De Tircis et Palémon,

Nous célébrons tous ensemble,

Le plaisir qui nous rassemble

Dans ces endroits si charmants;

Ou l'on raconte une histoire

Que notre bonne mémoire

Nous présente en ces moments.

Dans le plus profond silence

L'on écoute quelquefois

Echo répondre en cadence

Aux doux concerts de nos voix;

Ou l'on entend le zéphire

Qui frémit et qui soupire

Dans le feuillage tremblant;

Ou bien le tendre murmure

De cette onde toujours pure

Qui s'écoule en bouillonnant.

Ou montant sur les montagnes,

Qui semblent toucher aux cieux,

On voit de riches campagnes

Et des vallons ténébreux :

Mais dans la vaste étendue

Un fleuve arrête ma vue,

Sur la largeur de ses eaux;

Et mille superbes îles

En moissons toutes fertiles

Semblent nager sur ses flots.

Tous nos jours ainsi se passent

Dans les plus charmants plaisirs,

Et ces plaisirs même effacent

226

Tous souhaits et tous désirs.

Mais déjà le jour décline,

Et derrière la colline,

Le soleil couchant s'enfuit;

Déjà le berger ramène,

De la verdoyante plaine,

Son cher troupeau qui le suit.

Alors dessous de vieux hêtres

Gaîment nous nous rassemblons,

Dansant des danses champêtres

Aux doux sons des violons.

D'autres assis sur l'herbette,

Prennent part à notre fête,

Jasant, s'amusant entr'eux :

Et la lune diligente

De sa clarté pâlissante,

Eclaire ces tendres jeux.

Que les champs sont agréables,

Pour moi qu'ils sont pleins d'attraits!

Ah! leurs plaisirs sont durables,

Ils ne nous trompent jamais!

Que ne puis-je sur ma lyre,

Dans l'ivresse qui m'inspire

Mieux célébrer leurs plaisirs!

Ah! puisse toute ma vie

S'écouler dans la prairie

Qui comble tous mes désirs!


ELOGE DE TIRCIS ET PALÉMON :

Par l'auteur de la pièce précédente.[9]

Cette dernière nuit, j'eus en dormant ce songe;

Ne crois pas, cher Tircis, que ce soit un mensonge :

Dans un très beau jardin, tout planté d'oliviers,

Je voyais reposer deux savans Ecoliers.

Autour d'eux voltigeaient les zéphires volages;

Sans cesse ils soulevaient des branches les feuillages :

Sur le tendre gazon semblaient naître les fleurs,

227

Et l'herbe s'embellir de leurs vives couleurs.

On voyait près de là, dans une belle plaine,

Tomber en bouillonnant l'onde d'une fontaine.

Enfin pour réjouir ces aimables enfans,

La joie et les plaisirs apportaient leurs présens.

Je souhaitais, Tircis, habiter ces bocages;

Mais devant moi parut la déesse des sages :

Elle me dit, "c'est moi qui veux faire l'honneur

De ceux dont maintenant tu chéris le bonheur.

Chez moi ces écoliers ont puisé la sagesse :

Naguère on les voyait étudier sans cesse.

Enfin je leur accorde un aimable repos,

Et je couronne ici leurs illustres travaux :

Pour toi qui veux jouir de ce même avantage,

Apprends qu'il ne peut être à présent ton partage;

Mais pour le mériter travaille donc toujours."

De plus près cependant vers ce lieu je m'avance;

Mais je n'y pus entrer d'après cette défense :

Dans ces lieux si charmants, je reconnus Tircis,

Celui pour qui ces vers maintenant sont écrits.

C'est toi qui jouissais à l'ombre du feuillage,

Du plaisir dont j'ai fait une légère image.

J'y reconnus encor ton sage compagnon,

Celui que tu chéris, l'aimable Palémon.

Oui, c'était Palémon, cet ami si fidèle,

Qui conclud avec toi cette amitié réelle,

Qu'on vit toujours, Tircis, briller entre vous deux,

Et que la vertu seule animait de ses feux.

Il goûtait les plaisirs dûs à sa diligence.

Je finis, il est tems, peut-être l'imprudence

Que j'ai toujours d'écrire à terni tout l'éclat

Des présens que Minerve accorde à votre état.


LES DEUX CHIENS, FABLE.

Maurice avait deux chiens de diverses humeurs;

Favori, par ses tours, ses sauts et ses gambades,

Avait su captiver les cœurs :

On le menait partout; sans lui les promenades

N'avaient nul agrément : il cherchait le mouchoir,

Savait monter la garde, et donnait bien la patte.

Chacun près de soi veut l'avoir;

On le dorlote, on le baise, on le flatte;

Mais souvent le méchant mordait,

Quand on lui faisait des caresses;

228

A contretemps il aboyait :

On nommait cela gentillesses,

Et quoi qu'il fît, on l'admirait. —

L'autre appelé Fidèle était tout le contraire;

Dans les beaux arts il n'était point instruit,

Et n'avait point le don de plaire :

Mais c'était un très bon cerbère,

Vigilant, rôdant jour et nuit,

Ou suivant son maître à la chasse;

Infatigable et plein d'audace :

Souvent il n'avait que des coups

Pour toute récompense :

Et cependant il n'était point jaloux,

De ce que l'autre avait la préférence.

Ce pauvre chien mourut, à peine en la maison

De lui fut-il fait mention.

Mais bientôt tout fut en alarmes,

Quand pareil sort menaça Favori :

Ni les tendres soins, ni les larmes,

Ne purent cependant sauver l'être chéri :

Il mourut à son tour, hélas, d'une colique.

Quel deuil! chacun cent fois fit son panégyrique!

Que de grâce il avait! c'était un chien parfait,

Le modèle des chiens, un animal unique.

C'est ainsi que le monde est fait;

Etre bon, ce n'est rien, il faut être agréable;

On pardonne au méchant, pourvu qu'il soit aimable.


LA MÉDIOCRITÉ, SONNET.

La médiocrité fait le bonheur du sage,

Le dérobe à l'envie, assure son repos;

Prévient l'ambition, annoblit les travaux;

Et de l'indépendance offre le plus sûr gage.

L'opulence corrompt; elle a pour apanage

L'oisiveté, l'orgueil, et mille autres fléaux :

L'indigence avilit et produit tous les maux :

L'une et l'autre toujours mènent à l'esclavage.

C'est dans l'état moyen qu'on sait régler ses vœux;

Des emplois trop brillants fuir l'éclat dangereux,

Cultiver les beaux arts, s'adonner à l'étude.

L'homme content de peu passe des jours sereins;

Sur ses premiers besoins exempt d'inquiétude,

Qu'a-t-il à désirer? Son sort est dans ses mains.

229


PORTRAIT DE L'HON. CHARLES DE SALABERRY,

Né à Beauport, près Québec, le 19 Nov. 1778.

Nous avons vu avec plaisir, dernièrement, à la Librairie de MM. E. R. Fabre & Cgnie., une belle gravure du portrait en miniature de ce Militaire Canadien, qui durant la dernière guerre avec les Etats-Unis, rendit à sa patrie des services importants, qu'il eut le bonheur de couronner par une action d'éclat, aux Fourches de Chateauguay, le 26 Octobre 1813. La victoire de Chateauguay, remportée par 300 Canadiens, (Fencibles, Voltigeurs et Milice d'élite et incorporée,) aux ordres du Colonel de Salaberry, sur 6 à 7000 Américains, mérita d'abord à ce brave et habile Commandant, les remercimens des deux Chambres de notre Parlement, exprimés par leurs Orateurs : et, plus tard, la décoration de la Croix de l'Ordre du Bain, dont il fut fait Compagnon, la Médaille d'or de Chateauguay, et une Lettre autographe du Prince Régent (aujourd'hui George IV,) et aux bataillons de la milice incorporée des Drapeaux qui furent envoyés d'Angleterre à la demande de Sir George Prévost.

L'idée de cette publication est dûe à notre compatriote, Mr. J. Viger, qui a servi sous le Col. de Salaberry, comme Capitaine au corps des Voltigeurs Canadiens, et qui avait fait prendre ce portrait en 1824, par M. Dickinson, Peintre Américain, pour faire partie de sa collection de portraits d'hommes, tant Canadiens qu'étrangers, qui se sont fait quelque réputation en Canada. Le portrait de Dickinson jugé bien ressemblant par tous ceux qui l'ont vu, a été très exactement copié par le graveur Américain Durand.

La gravure représente le buste du guerrier, revêtu de l'uniforme des voltigeurs, décoré de la médaille de Chateauguay et de la croix du Bain, la tête découverte et le sabre sous le bras.

Un cadre d'un dessein correct et délicat entourre ce buste. — Au bas sont les armes de la famille du Colonel, et un Médaillon d'une belle exécution représentant dans le lointain un combat en plein bois, et sur le devant un tronc d'arbre renversé, sur lequel est gravé, Chateauguay, 26 Oct. 1813. Un serpent se mordant la queue, symbole de l'Immortalité, entourre ce médaillon.

Au haut du cadre sont les deux faces de la médaille d'or de Chateauguay, dont nous venons de parler. Une des faces de cette médaille représente la Grande-Bretagne, tenant de la main gauche une palme, et couronnant de la droite le Lion Britannique couché à ses pieds. Sur le revers est écrit, Chateauguay.

Il n'est peut-être pas nécessaire d'ajouter que la médaille de Chateauguay est unique, et qu'on doit conséquemment savoir quelque gré à Mr. V. d'avoir ainsi contribué à en conserver la copie.

Le prix de la gravure est de 5 schelins. Le débit en est, nous dit-on, considérable.

230


HISTOIRE POLITIQUE DU CANADA — INVASION DU CANADA.

Tels sont les titres de deux différents articles du dernier numéro du Canadian Review. On trouve dans ces deux articles plusieurs passages propres à faire croire que la fidélité, ou l'attachement d'une partie au moins des Canadiens au gouvernement britannique, à l'époque de l'invasion américaine, en 1775 et 16, était assez problématique. Nous n'en sommes pas encore rendus à l'endroit de l'Histoire du Canada, où il s'agira de relater les particularités de cette invasion, et d'examiner ce qu'il peut y avoir de bien ou de mal fondé dans les assertions en question; en quoi elles peuvent se rapprocher, ou s'écarter de l'exacte vérité. Néanmoins, afin que ces assertions, et les insinuations auxquelles elles peuvent donner lieu, ne demeurent pas absolument sans réponse et sans contrepoids, pendant un tems assez considérable, nous mettrons ici le morceau suivant, avec le titre sous lequel il a été communiqué pour le Spectateur Canadien, à une occasion à peu-près semblable. Nous prions en même tems les personnes qui auraient des Mémoires, &c. sur la première guerre américaine, en autant qu'elle se rattache à l'histoire de ce pays, ou sur quelque événement particulier de cette guerre, de vouloir bien nous les communiquer, afin que nous en puissions mettre sous les yeux du public, soit en entier ou en substance, les morceaux dont la publication paraîtra venir le plus à propos.

FAITS HISTORIQUES

Propres à rassurer les Unionaires sur leurs craintes chimériques, ou hypocrites, concernant la loyauté des Canadiens.

Le 7 de Juin 1775, un courrier arriva de St. Jean à Montréal, annonçant que la nuit précédente, un parti de troupes américaines avait surpris et enlevé la petite garnison de St. Jean, composée d'un sergent et dix soldats : laissant un détachement de leurs troupes, pour garder la possession du Fort.

Cette nouvelle causa naturellement une alarme à Montréal, où commandait le Major Preston, du 26eme. Régiment, qui n'ayant sous ses ordres, que quelques Compagnies, ne pouvait que pourvoir à la sureté immédiate de la ville, dont on ferma les portes, &c.

Le jour suivant, M. de Belestre, Chevalier de St. Louis, Officier Canadien, très distingué dans l'armée française avant la conquête, offrit au Major Preston d'aller à St. Jean, avec un parti de Volontaires Canadiens, qu'il lèverait en peu d'heures, et avec lequel il se flattait de reprendre le Fort St. Jean, et de le garder jusqu'à l'arrivée des troupes, qui viendraient de Québec sous peu de jours. Le Major Preston accepta volontiers les services de 231 Mr. de Belestre, qui partit le lendemain, ayant sous ses ordres MM. de Longueul, de Lotbinière, de Rouville, de Boucherville, de Lacorne, de Labruère, de St. Ours, Perthuis, Hervieux, Gamelin, de Montigny, d'Eschambault, l'ainé, de Lamadelaine, Gaucher, de Fleurimont, Giasson, Campion, et autres Messieurs dont les noms m'ont échappé, mais dont je respecte également la mémoire, formant ensemble environ quatre-vingts volontaires. Le jour de leur départ fut le 9 de Juin; ils chassèrent le 10 les Américains du Fort St. Jean et le gardèrent, en veillant pour ainsi dire jour et nuit, jusqu'à l'arrivée d'un détachement du 7eme. Régiment, ou Royal Fusilleers, sous les ordres du Capitaine Kenier, à qui Mr. de Belestre remit le Fort.

Lorsque ce parti de volontaires laissa Montréal, un nombre de Marchands Anglais furent ensemble, chez le Major Preston, et lui témoignèrent leurs craintes, que la conduite trop zélée des Volontaires Canadiens, n'attirât sur Montréal quelqu'attaque de la part des Américains; ce qui mettrait en danger leurs marchandises et leurs propriétés. Le Major leur répondit qu'il avait accepté avec reconnaissance les services de Mr. de Belestre et de ses Volontaires : que ceux qui craindraient pour leurs marchandises, pouvaient empaqueter leurs effets et s'en aller ailleurs.

Le Général Carleton arriva, quelques jours après, à Montréal; en même temps que Mr. de Belestre et son parti rentraient en ville. Ils y reçurent les remerciments publics du Général, qui rassura sans doute les Marchands dont nous avons parlé plus haut.

En Septembre de la même année, le même parti de volontaires augmenté par l'arrivée de MM. de Montesson, Chevalier de St. Louis, Duchesnay, de Rigouville, de Salaberry, de Tonnacour, Beaubien, Demusseau, Moquin, Lamarque, Foucher, et autres Messieurs de Québec, des Trois Rivières et des environs de Montréal, fut à St. Jean pour y partager avec le 7eme. et le 26eme. Régiment, le pénible service du siège dont ils étaient menacés. Le Fort fut bloqué, assiégé et enfin obligé de se rendre, par capitulation au Général Montgomery, le 2 de Novembre.

Les Canadiens furent emmenés avec les deux régiments, ayant perdu MM. de Lacorne, Perthuis et Beaubien, qui furent tués pendant le siège. Mr. de Labruère, y perdit un bras, Mr. de Salaberry y fut blessé deux fois, ce qui les empêcha d'être emmenés prisonniers. Messieurs de Lamadelaine et Giasson furent aussi blessés, mais moins sévèrement.

Il est à remarquer que les Canadiens furent détenus deux ans prisonniers; le Congrès Américain refusant de les faire échanger, parce qu'ils étaient trop attachés au gouvernement anglais, et qu'ils avaient trop d'influence dans leur pays. MM. de Montesson et de Rigouville moururent tous deux prisonniers.

Cependant on annonçait déjà des secours de France pour les 232 Américains; plusieurs Officiers Français étaient déjà arrivés dans les Colonies.

Mr. de St. Luc, officier Canadien et Chevalier de St. Louis, et M. de Rouville, Juge à Montréal, furent arrêtés chez eux, et envoyés prisonniers pendant l'hiver par le Général Américain, Wooster.

Mr. Malhiot et plusieurs autres Canadiens, Prêtres et Laïques, furent aussi arrêtés, à l'instigation de quelques Marchands Anglais, très intimement et publiquement liés avec les Officiers Américains alors à Montréal, lesquels marchands furent obligés de laisser la ville, avec leurs amis, lorsque les troupes anglaises revinrent au printemps.

MM. de St. Luc, de Lanaudière, et vingt-cinq autres Officiers Canadiens, avec au moins 500 miliciens et volontaires, firent la campagne malheureuse du Général Burgoyne, quoique le Général de Lafayette, et plusieurs autres officiers Français eussent déjà joint l'armée Américaine.

Lorsqu'en 1804, on annonça qu'une escadre Française avec des troupes, devait faire voile pour le Canada, et qu'il fut ordonné qu'un cinquième de la milice serait tiré au sort, pour être pris en cas de besoin, le cinquième de la milice Canadienne fut tiré au sort, avec autant de facilité qu'on l'eût fait dans aucun autre pays.

En 1813, lorsque les troupes Américaines menacèrent le Bas-Canada d'une invasion, tout le monde sait comment se conduisirent les Voltigeurs Canadiens sous les ordres du brave de Salaberry. Cinq bataillons de milice incorporée méritèrent les remerciments du Commandant en Chef, et 18,000 hommes des milices du District de Montréal, se rendirent sur les frontières, le 25 Septembre 1813, et y restèrent en armes jusqu'au 27 de Novembre suivant.

Cinq de ces divisons de Milices étaient commandées par des Officiers audessus de soixante ans, n'ayant aucune place lucrative du Gouvernement.

Boucherville, le 22 Octobre, 1822.


CAVERNE DE ST. MICHEL.

A l'exception de rapides, de cascades et de chutes, dit J. Lambert, le Bas-Canada offre peu de curiosités naturelles. Ces sortes de curiosités sont en effet les principales que l'on rencontre dans notre province, du moins dans les parties que l'on en connaît; mais elles ne sont pas les seules qui méritent d'être mentionnées; et, pour ne parler présentement que d'une autre espèce de curiosités naturelles, à l'époque où M. Lambert écrivait, c'est-à-dire en 1808 et 9, la caverne de St. Paul n'était pas connue, autrement ce voyageur n'aurait pas manqué d'en faire mention.

233 La caverne de St. Michel, dont un correspondant a eu la complaisance de nous envoyer la description qui suit, n'est pas sans doute comparable à celle de St. Paul, quant aux dimensions, &c. cependant elle ne laisse pas que d'être une assez grande curiosité, et elle a sur cette dernière, pour un grand nombre de nos lecteurs, l'avantage de pouvoir être vue, sans qu'il leur en coute autre chose qu'une promenade de trois ou quatre lieues de chemin, et de trois ou quatre heures de tems.


"Cette caverne, découverte, à ce qu'il paraît, en 1811 ou 1812, est sur la terre d'un nommé Martineau, de la Côte St. Michel, paroisse du Sault au Récollet, dans l'île de Montréal. Elle est à plus de trente arpens du chemin du roi, à l'ouest d'un champ cultivé. On se rend en voiture jusqu'au haut de ce champ. De là, un sentier bien frayé vous y conduit, à travers un petit bois qui la couvre et l'environne au loin. Ce trajet est de trois à quatre arpens au plus. Le sol, aux environs, est pierreux; et dans le fait, cette caverne n'est autre chose qu'un boyau long et étroit, qu'un appartement composé de trois pièces pratiqué par la nature seule, dans une carrière de pierre calcaire.

Jusqu'en 1815, elle n'était connue que du propriétaire et de sa famille; mais à cette époque, elle fit quelque bruit, et la curiosité y attira beaucoup de visiteurs. J'y fus donc le 3 Juillet, en la compagnie d'un citoyen respectable de Montréal, et nous la parcourûmes ensemble, précédés d'un conducteur qui portait de la lumière. J'en publiai une description dans le tems; mais ne pouvant la retrouver dans ce moment, j'ai recours à mes notes d'alors pour celle que je vous envoie aujourd'hui.

1ère Pièce. — L'entrée de la caverne est dans un rocher perpendiculaire; elle a quatre pieds d'ouverture, percée en plein roc. — Après avoir avancé 14 pieds, en descendant par une pente assez rapide, mais devenue facile par les marches que le propriétaire a façonnées dans la terre, vous rencontrez le roc sous vos pieds : là elle a 7 pieds 4 pouces de hauteur. Vous descendez encore la longueur de 16 pieds et demi, par une déclivité aussi rapide que la première; et là, la caverne n'a que 2 pieds 3 pouces de largeur.

A ce point, vous trouvez une citerne de 4 à 5 pieds de diamètre. L'eau en est aussi fraîche que limpide et légère, un peu fade, mais non désagréable au goût. Aucune ébullition ne se voit à sa surface. J'ai enfoncé obliquement dans cette citerne, c'est-à-dire dans la direction de l'entrée de la caverne, une perche de 14 pieds, sans en trouver le fond; ce qui prouve assez l'existence, en cet endroit, d'un autre souterrain profond, servant de réservoir aux eaux des terres et du rocher.

Les parois de la caverne descendent perpendiculairement du plafond au pavé, depuis son entrée jusqu'à la citerne. Mais là, le plafond s'abaisse tout-à-coup considérablement, en même tems 234 que les parois se courbant en arc, s'éloignent l'une de l'autre du pied, en s'arrondissant régulièrement tout autour de ce joli bassin, qui se trouve par cela même sous une arche de 9 pieds de base ou de diamètre. On franchit ce pas en se courbant.

Au-delà de la citerne, vous cessez de descendre, et le pavé de cette première pièce, qui se prolonge encore de 20 pieds 8 pouces, est à peu-près horisontal. Les parois sont de nouveau taillées à pic; près de la citerne, elles ne sont distantes l'une de l'autre que de trois pieds et demi; mais elles s'éloignent graduellement en gagnant le fond, jusqu'à 9 pieds. La hauteur de la cavité varie également : elle a 13 pieds près de la citerne, et 9 pieds seulement au fond. Vous observez dans cette partie de la caverne, un roc de six pieds quarrés, qui forme une espèce de cul-de-lampe solidement suspendu à la voute.

Cette première pièce a donc, d'après les dimensions données ci-dessus, 60 pieds 2 pouces de profondeur, 2 pieds 3 pouces dans sa moindre largeur, et 9 pieds dans sa plus grande, et de 7 à 13 pieds de hauteur, mesure française. Autant le pavé est inégal, et les parois rudes et anguleuses, autant la voute m'a paru, à travers les sinuosités de ce boyau tortueux, invariablement unie et de niveau : c'est un plafond d'un seul morceau.

2de et 3me Pièces. — A l'extrémité nord-ouest de la première pièce, on trouve deux autres enfoncemens peu profonds, mais très obscurs. L'un a 3 pieds 2 pouces d'ouverture, 15 pieds de profondeur, et 6 pieds 7 pouces dans sa plus grande hauteur : il s'étend en droite ligne du côté de l'ouest. L'autre a 2 pieds de large à l'ouverture, 18 pieds 8 pouces de profondeur, et 5 pieds 3 pouces de haut. Il est sémi-circulaire, allant d'abord au nord, puis détournant à l'ouest. Il est étroit et bas vers son extrémité, et mon conducteur se traîna sur le ventre pour atteindre ce qu'il avait cru en former le fond. La voute de ces deux pièces est comme celle de la première, un plafond uni d'un seul morceau.

La profondeur entière de la caverne est donc de 75 pieds 2 pouces, si l'on ajoute la deuxième pièce à la première; et de 78 pieds 10 pouces, si l'on joint la troisième pièce à la première. — Les longueurs réunies des trois pièces donnent un appartement de 93 pieds 10 pouces français.

Aux trois voutes de cette caverne pendent quelques stalactites, les unes creuses, les autres solides, mais toutes petites. On apperçoit aussi quelques belles stalagmites attachées aux parois : celles qui ont la forme de mamelons sont les plus curieuses. — Nous en détachâmes quelques unes, tout en observant au propriétaire, qu'il serait à désirer qu'il exigeât du grand nombre de ceux qui allaient journellement visiter cette caverne, qu'ils n'enlevassent pas des revêtemens qui en faisaient l'ornement et la plus grande beauté. Dans les intervalles d'une stalagmite à l'autre, on trouve attachée à la pierre une ochre jaune très fine.

235 J'oubliais de dire, pour rassurer ceux qui pourraient croire qu'il y a du danger à descendre dans cette caverne, qu'on n'y rencontre point d'air méphitique, et que la respiration n'y est aucunement gênée : ce qui provient sans doute de ce que l'air atmosphérique y a un libre accès."

J. S. R.

Montréal, Avril, 1826.


LETTRES SUR L'ANGLETERRE.

PAR A. DE STAEL HOLSTEIN.

Le No. LXXXV de l'Edinburg Review, contient la critique et de nombreux extraits de l'ouvrage ci-dessus. Nous mettons sous les yeux de nos lecteurs les suivants, qui nous ont paru d'autant plus intéressants, qu'ils semblent se rattacher aux questions importantes qui ont été agitées dernièrement dans notre parlement provincial, et qui s'agitent maintenant dans quelques uns de nos papiers publics, relativement aux propriétés foncières et aux lois par lesquelles elles se régissent.

"En Angleterre, les fortunes de l'aristocratie sont immenses; le luxe est poussé à un excès inoui chez les hommes de la classe supérieure. La propriété foncière est concentrée dans un assez petit nombre de mains; l'étendue des fermes est fort considérable; l'exploitation des terres emploie d'énormes capitaux; l'agriculture se fait en grand et selon des méthodes scientifiques. Des lois prohibitives ont porté le prix des grains à un taux exagéré. — La classe des non-propriétaires est beaucoup plus nombreuse qu'en France; près d'un dixième de la population est assisté par la taxe des pauvres.

"Un maître de forges français, voyageant en Angleterre pour s'instruire des progrès qu'y a fait la fabrication du fer, descendit, il y a quelques années, au fond d'une mine de charbon située dans un des districts où les opinions radicales étaient le plus répandues parmi le peuple. Arrivé dans les galeries souterraines, il s'entretint avec les ouvriers, de la nature et de la durée de leur travail, de leur salaire, de leur nourriture, de tous les détails de leur condition. Les ouvriers, à leur tour, intéressés, par la conversation d'un homme qui montrait une connaissance précise de leurs intérêts et de leurs besoins, attirés d'ailleurs par la libéralité des opinions qu'il manifestait, lui adressèrent quelques questions sur l'état de la classe laborieuse en France. Combien d'ouvriers employez vous? lui demandèrent-ils. — Quatre ou cinq cents. — C'est quelque chose, et quel est leur salaire? Que coutent, dans la partie de la France que vous habitez, la nourriture et l'entretien d'une famille? — Leur salaire est inférieur au vôtre; mais cette infériorité 236 est plus que compensée par le bas prix des objets de première nécessité. — Vous avez raison, lui répondirent les mineurs, après avoir fait entr'eux un petit calcul qui leur prouvait qu'en effet la condition des ouvriers était meilleure en France qu'en Angleterre; mais combien de tems travaillent-ils par jour? — Huit heures, terme moyen. — Pas plus! Et que font-ils du reste de leur journée? — Ils cultivent leur héritage, et travaillent pour leur propre compte. — Que dites-vous, leur héritage? Ils sont donc propriétaires? Ils ont un champ, une maison à eux? — Oui sans doute, du moins la plupart de ceux que j'emploie. A ces mots, l'étonnement se peignit sur toutes les physionomies. Et cet héritage, reprit le plus intelligent des mineurs, que devient-il à la mort du père? — Il se partage entre les enfans. — Quoi! également? — Oui sans doute, ou à peu-près. — Mais une petite propriété partagée entre plusieurs enfans doit se réduire à rien. — Non, car lorsque l'un d'eux n'est pas assez riche pour acheter la portion de ses frères, la propriété se vend, et passe entre les mains d'une personne qui peut la conserver entière et l'améliorer.

"Ici finit le dialogue; mais ces deux idées d'ouvriers-propriétaires et de partage égal entre les enfans, avaient si vivement frappé les mineurs anglais, que le dimanche suivant, ils en firent l'objet d'une discussion en règle, dans un de ces clubs où les hommes, même de la classe pauvre, se réunissent pour lire la gazette, ou pour s'entretenir de leurs intérêts communs; clubs où les formes d'une bonne délibération sont généralement beaucoup mieux observées que nous ne le voyons en France dans des assemblées politiques d'un plus haut parage. Après un long débat, on alla aux voix, et la majorité prononça que sans doute il était bon que les ouvriers fussent propriétaires, mais que l'héritage devait passer à l'ainé, et n'être point divisé.

"Voila donc des ouvriers, des prolétaires, radicaux par leurs opinions ou leurs passions politiques, qui se prononcent contre l'égalité des partages, et en faveur du droit d'ainesse. Il serait difficile de donner une preuve plus forte de l'empire universel que cet ordre d'idées exerce en Angleterre."

Ce que dit M. de Stael Holstein par manière de réponse à ce que peuvent objecter des Anglais, d'après leur prédilection pour le droit de primogéniture, contre la loi du partage entre les enfans, peut s'appliquer au Canada aussi bien qu'à la France. — En général, les Anglais qui ont voyagé en Canada, et qui ont écrit la relation de leurs voyages, ont parlé avec beaucoup d'exagération sur ce sujet, et n'ont pas peu contribué à donner à leurs compatriotes des notions fausses sur ce qui a lieu ici relativement aux propriétés foncières, ainsi qu'à beaucoup d'autres objets.

"Quel est donc, dit-il, l'état réel de la France? Le morcellement des propriétés y va-t-il croissant d'une manière si effrayante? En aucune façon. Nous voyons, au contraire, que dans 237 le voisinage des villes riches, en général, sur tous les points où les capitaux s'accumulent par le commerce ou par l'industrie, les propriétés foncières tendent à se concentrer. Dans les provinces mêmes, qui ne jouissent pas de cet avantage, et où la division des héritages est poussée beaucoup trop loin, l'intérêt de l'agriculture mettra un terme à ce morcellement. Déjà il n'est pas rare, dans diverses parties de la France, de voir une famille de paysans convenir que l'un des frères restera propriétaire de la ferme paternelle. Les autres reçoivent de lui ou une somme d'argent, ou une partie du revenu, &c."


GASCONISMES ET GASCONADES.

L'expression à faire trembler est si familière aux Gascons qu'ils l'emploient à tout propos. Quelqu'un faisait observer ce gasconisme à un officier gascon, qui répondit par cette gasconade : — Que l'expression, cela fait trembler, est la plus forte qu'un Gascon puisse employer en quelque circonstance que ce soit, parce qu'il n'y a rien dans la nature qui soit audessus de ce qui fait trembler un Gascon.

On citait dans une compagnie deux braves officiers dont on faisait l'éloge : "Ne soyez pas surpris de leur valeur, dit un Gascon; l'un est de Gascogne, et l'autre mérite d'en être."

Un Gascon voyant qu'on s'étonnait de ce qu'il tremblait en prenant ses armes, dit : "Mon corps tremble de peur pour les dangers où il prévoit que mon courage le portera tantôt."

Un mousquetaire gascon, passant dans une revue devant Louis XIV, fit faire à son cheval un mouvement si brusque, que le chapeau du cavalier vola à terre. Un de ses camarades le lui présenta à la pointe de son épée. Sandis, s'écria le Gascon, j'aurais mieux aimé que vous m'eussiez percé le corps que mon chapeau. Le roi ayant entendu cette réponse, lui en demanda la raison. — "Sire, dit-il, j'ai crédit chez un chirurgien, mais je n'ai pas la même faveur chez un chapelier."

Un officier gascon représentait à Louis XIV le besoin qu'il avait d'argent pour faire son équipage. Le roi, qui cherchait à adoucir son refus, lui ayant dit qui si sa paie et sa pension ne suffisaient pas, son père pouvait, de tems à autre, lui envoyer quelques lettres de change : "De l'argent de mon père, Sire, repartit promptement le Gascon! Votre majesté, qui est toute puissante, ferait plutôt faire un pet au cheval de bronze, que de tirer une lettre de change de notre pays." Le roi surpris d'une expression si extraordinaire, sourit, et accorda au Gascon une partie de ce qu'il demandait.

Un Gascon était à la comédie dans le parterre; et comme il remuait 238 toujours, son épée se mettait dans les jambes de ceux qui étaient près de lui. Un officier s'en trouvant embarrassé; "Monsieur, lui dit-il, votre épée m'incommode :" "Cadédis, lui répondit le Gascon, elle en a bien incommodé d'autres."

Un gentilhomme gascon se faisait appeller marquis à la cour du Duc de Savoie. Madame la Duchesse lui demanda, par dérision, dans quel pays était son marquisat. "Il est, répondit le Gascon, dans votre royaume de Chypre."

Pendant qu'on achevait de bâtir le Pont-Neuf, à Paris, un homme qui avait entendu les entrepreneurs parler d'un bon repas qu'ils devaient faire, se mit à toiser le long du pont, sans rien dire à personne. On le croit connaisseur; il est prié à diner. Après le repas, les entrepreneurs lui dirent qu'ils voyaient bien qu'il avait quelque pensée sur leur ouvrage qui pourrait le perfectionner. — "Je songeais, leur dit notre Gascon, en sortant de table, que vous avez très bien fait de vous y prendre en large; car si vous vous y fussiez pris en long, vous n'en fussiez pas venus à bout de la même manière."


ANECDOTES ANGLAISES, &c.

Lady Carteret, femme du Lord Lieutenant d'Irlande, disait un jour au docteur Swift : "L'air de votre pays est fort bon." Swift se mettant aussitôt à genoux : "Pour l'amour de Dieu, s'écria-t-il, n'allez pas le dire en Angleterre; car on mettrait un impot dessus."


Un noble Lord, rempli d'admiration pour le Pape Clément XIV (Ganganelli) qu'il venait de quitter, disait à plusieurs de ses compatriotes : "Vous connaissez mes richesses et ma fille unique que j'adore? Eh bien! je la donnerais au Saint-Père, s'il pouvait se marier, tant je suis enchanté de sa personne et de son esprit." Le Pape ayant appris la chose, rit beaucoup de la franchise de ce brave Anglais.


Un quaker étant en berline, se trouvait enfourné dans une de ces petites rues de Londres, qui ne peuvent donner passage qu'à une seule voiture. Il voit venir à lui un cabriolet mené par un petit-maître. Il fallait qu'un des deux reculât : ni l'un ni l'autre n'y paraît disposé. Le quaker, à raison de son âge, invite le jeune fat à céder, d'autant mieux, lui dit-il, qu'il est plus aisé à un wiski de reculer qu'à une berline. Le jeune homme ne répond à l'invitation que par un insolent persifflage. Que fait le quaker? il tire tranquillement une pipe de sa poche, et se met à fumer. — Que fait le freluquet? il tire de sa poche une gazette, et se met à la lire. Un quart d'heure se passe ainsi dans le calme le plus profond. Après avoir achevé sa pipe, l'imperturbable quaker rompt 239 le silence et dit à son adversaire : ami, quand tu auras achevé ta gazette, tu me feras le plaisir de me la prêter; je t'offre ma pipe en échange. Ces paroles prononcées du plus grand sang froid déterminèrent enfin la partie adverse à reculer.


Mr. Wingard, juge de paix dans le Glocestershire, accompagnait le convoi funèbre de sa femme, en grands habits de deuil et plongé dans la plus profonde douleur. Tout à coup, un lièvre part d'une haie voisine; aussitôt, Mr. Wingard, oubliant la triste cérémonie, se débarrasse de son manteau, et appellant deux lévriers qui accompagnaient toujours ses pas, il se met à la poursuite du lièvre. Quand il l'eut tué, il rejoignit le cortège, qui s'était arrêté. "Allons, messieurs, dit-il, reprenant son ton plaintif avec ses lugubres vêtemens, continuons notre chemin avec les restes de ma chère femme, et achevons la triste cérémonie pour laquelle nous sommes assemblés."


M. George Grenville, parent de M. Pitt, s'avisa un jour de se donner les plus grands éloges au milieu de la chambre des communes, et répéta fréquemment dans son discours le mot where (où); M. Pitt, perdant patience, se lève et semble vouloir sortir de la chambre; mais quand il est près du ministre qui parlait encore, il tourne court, et se met à chanter assez haut ce refrein de chanson :

Gentle shepherd, tell me where, where, where, &c.

Gentil berger, dites-moi où, où, où, &c.

et continue jusqu'à ce qu'il ait atteint la galerie. Cette saillie de gaité excita un éclat de rire universel, et l'orateur bafoué garda pour la vie le sobriquet de Gentil berger.


Il y a une trentaine d'années, on se plaignait de ce que les gardes de nuit, ou gens du guet, négligeaient leur devoir à un point insupportable. L'affaire ayant été portée au parlement, un grave sénateur, membre des communes, proposa un bill à l'effet d'obliger les gens du guet à dormir le jour, afin d'être mieux en état de faire le service de la nuit. "Parbleu! s'écria Sir James Crear, je supplie l'honorable membre de me comprendre dans le bill, car je souffre tant de la goutte, que je ne puis fermer l'œil ni le jour ni la nuit."


Un jour que Johnson était à table chez la célèbre Madame Macauley, la conversation tomba sur l'égalité parmi les hommes. La dame soutenait que cette égalité était un droit commun à tous. — Johnson questionné faisait les réponses les plus laconiques, dans l'espérance de faire changer une conversation qui l'ennuyait. — Comme il vit qu'il n'y gagnait rien, et que madame Macauley approfondissait de plus en plus la question, il se hâta de manger, se leva de table avec précipitation, et pria un laquais de se mettre à sa place. "Que faites-vous donc, docteur?" lui demanda la maîtresse 240 de la maison. — "Madame, repondit Johnson, je pratique l'égalité que vous prêchez."


Un Anglais présenta au ministre Walpole un projet de taxe sur les chiens. Ce ministre, après l'avoir examiné, dit à l'autre : "Votre idée est heureuse, monsieur; mais si je l'adoptais, tous les chiens des trois royaumes aboieraient contre moi."


Le fameux docteur Heylin, auteur d'un ouvrage intitulé, Description générale du Globe, s'était égaré de sa route, dans un bois, à quelques milles de sa maison. Il était déjà minuit qu'il errait encore, et la nuit était fort sombre. Son valet, garçon tout à fait ingénu, lui dit : "Parbleu! monsieur, de quoi, diable, vous êtes-vous mêlé de donner une description du monde entier, puisque vous ne pouvez pas trouver votre chemin à trois milles de chez vous tout au plus?"


Un jeune homme ayant dit à un de ses amis qu'il allait consulter le médecin Cliffod, mais qu'il lui demanderait crédit, parcequ'il n'avait pas d'argent : "Ne t'avise pas de cela, lui répondit son camarade; car lorsqu'il est malade et qu'il se consulte lui-même sur ce qu'il doit prendre, il tire une guinée d'un de ses goussets pour la mettre dans l'autre."


Le fameux auteur des Droits de l'Homme, Thomas Payne, ayant passé de France en Angleterre, au commencement de la révolution, pour y prêcher sa nouvelle doctrine, était un jour dans un club avec une société nombreuse, où se trouvait un poëte satirique, homme de beaucoup d'esprit et très connu sous le nom de Peter Pindar. La conversation tomba sur la politique. Thomas Payne soutint, que dans toutes les assemblées délibérantes, ce devrait toujours être la minorité qui déterminât la délibération. Peter Pindar sourit à ce paradoxe. "Ne conviendrez-vous pas, lui dit Payne, que la proportion des hommes éclairés sur les ignorans, ne peut pas être de vingt, ou tout au plus de trente sur cent? Il y a donc à parier que, dans une multitude d'hommes rassemblés, l'erreur sera du côté de la majorité." "Je ne peux nier, dit le poëte, qu'il n'y ait quelque chose de spécieux dans votre argument; mais je ne l'en trouve pas plus convainquant, et je m'en rapporte là-dessus à la décision de la compagnie." "Je vous prends au mot, reprit Payne; je prie ceux qui pensent comme moi de se lever." Il se leva lui-même, pour donner l'exemple, et tous les assistants se levèrent après lui, à l'exception de Peter Pindar, qui dit : "Moi, je me lève pour l'opinion contraire, et comme il est évident que je suis la minorité, il est clair aussi, suivant Mr. Payne lui-même, que c'est moi qui ai raison." Ce trait inattendu excita un éclat de rire général qui déconcerta le pauvre Tom, lequel ne pouvant pas soutenir le triomphe de son adversaire, prit le parti de quitter la place.


NOTES

1 Sir G. Prévost était arrivé à Kingston le 11 Mai, avec le col. Baynes, deux de ses aides-de-camp, et 20 Iroquois du Sault St. Louis, sous les ordres du Lieutenant et Interprète B. St. Germain. Sir J. L. Yeo y arriva le 12, avec deux brigades de chaloupes canonières.

2 On a déjà vu que la Pointe Henri est vis-à-vis de Kingston.

3 Cet extrait du journal est du mois de Juin.

4 Anciennement la Grande Ile.

5 Le major F. G. Heriot.

6 Ou Cap Vincent. C'est un petit village américain à la sortie du lac Ontario, composé d'une vingtaine de maisons. L'ennemi y a du canon et des troupes.

7 Notes on a Journey in America, &c.

8 Cette pièce était adressée à la mère de l'auteur.

9 Le même auteur a eu la complaisance de nous envoyer un nombre d'autres jolies pièces de vers sur différents sujets, dont nous ferons usage de tems à autre.


TABLE DES MATIÈRES

Page.
Histoire du Canada. 201
Les feuilles, &c. 208
Mes tablettes de 1813. 212
Le cultivateur canadien. 216
Extraits. 217
Dictionnaire de la folie et de la raison. 220
L'orgueil corrigé par la chimie. 221
L'hirondelle athénienne. 222
Poésie. 223
Portrait de l'hon. Charles de Salaberry. 229
Histoire politique du Canada — Invasion du Canada. 230
Caverne de St. Michel. 232
Lettres sur l'Angleterre. 235
Gasconisme et gasconades. 237
Anecdotes anglaises, &c. 238

Note sur la transcription : Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Une table des matières a été ajoutée.

[fin de La Bibliothèque Canadienne, Tome II. Mai, 1826. Numero 6 par Michel Bibaud]