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Titre: Les GouttelettesCe livre électronique a été créé par: Mark Akrigg et Rénald Lévesque
MONTREAL
Librairie Beauchemin (à responsabilité limitée)
256, rue Saint-Paul
Enregistré conformeraient à l'acte du parlement du Canada, en l'année mil neuf cent quatre, par Pamphile Le May, dans le bureau du ministre de l'Agriculture.
Que le ciel bienveillant te garde des périls,
Moisson que mes sueurs ont souvent arrosée!
Qu'il répande sur toi sa lumière rosée,
Et que ta gerbe mûre embaume les fenils!
Vous tremblez, mes pauvrets, comme une larme aux cils,
Comme aux lèvres, l'aveu, comme aussi la rosée
Qu'un baiser de l'aurore a, sans bruit, déposée
Sur le feuillage vert, tout plein de gais babils.
Au sort qui vous attend il faudra vous soumettre.
Vous auriez plus d'éclat, si j'avais osé mettre
Un vêtement pompeux à la simple raison.
Mais la raison est belle en sa nudité chaste.
Gouttelettes, tombez. Tombez; dans le champ vaste
Il germera peut-être une humble floraison.
--Un désir inconnu, mystérieux levain,
Soulève et fait gémir mon âme émerveillée.
Des songes enivrants, quand je suis éveillée,
Passent devant mes yeux dans un orbe sans fin.
Quel est-il donc ce bien que je soupçonne en vain?
Est-ce l'ambition? Elle m'est conseillée.
Dieu serait-il jaloux, et suis-je surveillée?
Garde-t-il pour lui seul tout son pouvoir divin?
Je sens que je suis libre, et je veux être heureuse,
Mais d'une autre façon. Je secoue, un instant,
Le joug quelquefois lourd d'un bonheur trop constant.
Obéis, vaste terre, à la loi rigoureuse
Qui te fait, chaque jour, rouler sur ton essieu,
Moi, je n'obéis pas car je ressemble à Dieu!
--Et le mal nous a pris, séduisant, enjôleur,
Comme un filet de soie en ses brillantes mailles.
Eve a senti l'amour embraser ses entrailles;
Elle a, bénissant Dieu, fait l'homme de douleur.
Dieu m'a dit irrité: "Tu scelles ton malheur.
Il faut que chaque jour tu souffres et travailles.
Mon ciel vous est fermé comme par des murailles,
Et vos regrets tardifs n'ont guère de valeur."
J'ai répondu, courbé sous l'amère sentence:
--Nous avons fait le mal, nous ferons pénitence,
Mais laissez à nos fronts leur céleste fierté.
Puis j'ai dit suppliant:--Lève donc l'anathème,
Et vois ce que je fais de notre liberté...
Je pourrais te haïr, ô mon Maître! et je t'aime.
La terre verdissait, qui venait d'émerger
Des primitives eaux. L'antre au sombre orifice
Etait, en ces jours-là, son unique édifice,
Et l'homme vagabond y pouvait héberger.
Or, deux frères vivaient: un semeur, un berger.
Ils offrirent à Dieu le premier sacrifice.
Le berger fut béni. L'autre, usant d'artifice,
L'attira sur son coeur afin de l'égorger.
La terre qui grandit dans la magnificence,
S'enivre encore, hélas! du sang de l'innocence,
Et garde la blessure ouverte dans son sein.
Et le bien et le mal seront toujours en lutte;
Et les derniers enfants de la dernière hutte
Seront peut-être encore un Abel, un Caïn.
Et Dieu dit, regrettant l'excès de sa bonté:
--La terre que j'ai faite est livrée au désordre;
Elle ignore mon nom et méprise mon ordre;
Demain son dernier jour enfin sera compté.
Il verse des torrents; et c'est sa volonté
Que ces eaux de vengeance aillent couvrir ou mordre
Des gorges et des reins que l'amour fait se tordre.
Mais l'amour ne meurt pas et l'homme est indompté.
Ton oeuvre, Dieu puissant, tristement se délabre,
Et la terre s'en va, masse mouvante et glabre,
Comme aux jours primitifs de ses sentiers obscurs.
Et, pour mieux outrager ta justice suprême,
Elle porte à son front, comme un fier diadème,
Les enlacements nus des cadavres impurs.
Près des monts de Judée, arides, sans fraîcheurs,
Et des monts de Moab aux sèves fécondantes,
L'Asphaltite maudit berce ses eaux mordantes,
Où jamais ne tomba le filet des pêcheurs.
Les rocs nus sont rayés de sinistres blancheurs.
Serait-ce un reste froid de vos cendres ardentes,
Impudiques cités? Les vagues abondantes
Ont-elles pu laver le front de vos pécheurs?
La vie a-t-elle là placé l'ultime borne?
Nul chant n'y réjouit la solitude morne;
A ne fleurir jamais ces bords sont condamnés.
Dors en ton gouffre amer, sur ton lit de bitume;
Ta coupe est décevante et pleine d'amertume...
N'es-tu pas faite, ô mer! des pleurs de tes damnés?
Moïse, agenouillé sur le mont Sinaï,
Plus haut que les rochers où l'aigle pend son aire,
Reçoit devant le ciel, aux éclats du tonnerre,
La table de la loi des mains d'Adonaï.
Le peuple qui l'attend se sent tout envahi
Par un souffle infernal. Ingrat et mercenaire,
Il façonne un veau d'or, l'exalte et le vénère,
Au mépris du Dieu bon qu'il a cent fois trahi.
Saisi d'une ire sainte, à cet aspect, Moïse
Jette sur le sol dur la table qui se brise,
Prend le glaive et punit Israël consterné.
O Juif! une autre loi descend d'une autre cime,
Mais tu vois au fourreau le glaive qui décime,
Et devant le veau d'or tu restes prosterné.
Israël, effrayé de ses péchés nombreux,
De nouveau gémissait auprès des tabernacles.
Il vint à Débora qui rendait ses oracles
Au sommet d'Ephraïm, sous un palmier ombreux.
La prophétesse dit:--Arme dix mille Hébreux.
Barac verra tomber devant lui les obstacles.
L'impie est condamné. Par de nouveaux miracles
Notre Dieu rendra vains ses complots ténébreux.
Au pied du mont Thabor luttèrent les armées.
Israël reconquit ses villes opprimées,
Et Cisara, vaincu, s'enfuit sans savoir où.
Jahel, femme d'Haber, le reçut dans sa tente,
Et, pendant qu'il dormait, d'une main palpitante,
En pleurant, lui planta dans la tête un grand clou.
Dans le champ de Booz, un béni du Seigneur,
Glane, depuis l'aurore, une humble Moabite.
C'est avec Noémi la veuve qu'elle habite,
Veuve aussi... Toutes deux sont des femmes d'honneur.
Elles ont vu, là-bas, s'écrouler leur bonheur.
Après le travail long la ruine subite...
Le soir, belle en son deuil, Ruth s'approche et débite
L'histoire de ses maux au riche moissonneur.
Booz dit à ses gens:--Enlevez la javelle,
Mais prenez en pitié la glaneuse nouvelle,
Et laissez le grain mûr lui former un tapis.
Booz des temps nouveaux, l'heure du travail sonne,
Dans le champ plantureux que ton peuple moissonne,
Laisse les indigents glaner quelques épis.
L 'invincible Samson, le fils de Manué,
Qui s'enfuyait avec les portes d'une ville,
Qui tuait, luttant seul, les Philistins par mille,
Et narguait leur pouvoir enfin diminué,
Depuis longtemps incline un corps exténué
Sous les rires moqueurs, dans un labeur servile;
Et le ressentiment de la nation vile
Ne s'est pas, il lui semble, encore atténué.
La plèbe sans merci le raille et le provoque.
Il garde le silence, et sa pensée évoque
Les péchés qui l'ont fait un objet de mépris.
Quel démon a soudain noué la trame infâme?
De quel vertige étrange a-t-il donc été pris?
Qui l'a vaincu, ce fort?... Le baiser d'une femme!
Ils rendent à Dagon leurs devoirs négligés.
Le Dieu, peu rancunier, sourit à leur hommage.
Dans son temple superbe, et devant son image,
Ils se gorgent de vins aux festins obligés.
Ils ne gémissent plus comme des affligés,
Mais ils chantent l'amour. C'est un joyeux chômage.
La nation perverse ainsi se dédommage
De la honte subie et des maux infligés.
Au milieu de l'enceinte et sous les draperies,
Samson, les yeux crevés, souffre leurs moqueries,
Pendant que Dalila joue avec ses cheveux.
Depuis assez longtemps en silence il expie.
Sa force est revenue, et de son bras nerveux
Il fait crouler le toit sur cette foule impie.
Béthune assiégée allait périr de faim...
Dans l'ombre, un soir, Judith que ce malheur consterne,
Vient offrir, toute belle, au vaillant Holopherne
De lui livrer la ville épuisée à la fin.
--Qu'on boive le nectar dans les coupes d'or fin!
Que le baiser suave avec le rire alterne,
Fit le guerrier! Il but. Or, fermant son oeil terne,
Il s'endormit bientôt dans l'espoir et le vin.
La juive, sans trembler, prend le glaive farouche,
Et lui tranche la tête. Elle quitte la couche
Où l'ardente liqueur se mêle au sang vermeil.
Elle fuit emportant cette tête coupée.
La garde, qui soupçonne une folle équipée,
Lui sourit doucement en son demi-sommeil.
L'envoyé du Seigneur, Gabriel, est venu...
La vierge de Juda qu'un chaste rêve obsède
Va se rendre à Kalem. Un ange la précède.
Il conduira ses pas jusqu'au bourg inconnu.
Le grand mystère émeut son esprit ingénu.
Ils sont loin. Un village au village succède.
Tout entière au bonheur que son âme possède
Elle trouve riant le chemin triste et nu.
Pour elle dans le sable une source s'épanche,
Les fruits naissent pour elle au rameau qui se penche,
Pour elle l'oiseau chante avec plus de douceur.
Et quand elle passa le seuil de Zacharie,
Elisabeth clamant:--Bénie es-tu, Marie!
Sentit frémir d'amour Jean, le saint précurseur.
Des outils étaient là: Ciseaux, compas, bédane...
Joseph, à l'établi, ciselait un coffret
Pour y mettre l'encens que Nazareth offrait
Sur l'autel des parfums, devant le pontife Hane.
L'aïeule est dans un champ qu'on moissonne. Elle glane.
Jésus travaille aussi, tout pensif, le pauvret!
Il s'arrêtait souvent. On eût dit qu'il souffrait
De voir les copeaux d'or se tordre sous la plane.
La Vierge s'approcha. Son grand oeil bleu songeait.
Elle demande enfin:--Quel est donc cet objet
Que votre main novice, ô mon Jésus! façonne?
Le doux enfant, penché sur son morceau de bois,
Répond en même temps que l'outil d'acier sonne:
--C'est un jouet divin... Il faisait une croix!
Des nuages, planant comme des vols d'autour,
Ombraient des pans de ciel et des coins de pelouse.
Nazareth regardait, souriante et jalouse,
Ses filles vers le puits s'en aller tour à tour.
Attendant de l'époux le fidèle retour,
Sur la pierre du toit veillait la chaste épouse.
Judas qui devait être, un jour, parmi les douze,
Jouait avec Jésus sur les prés d'alentour.
Un lis dans la verdure ouvrait son blanc calice.
L'Enfant-Dieu lui sourit. L'autre, dans sa malice,
S'en va de son pied nu froidement le briser.
Et Jésus, tout chagrin de ce plaisir farouche,
Prend la fleur et la porte à sa divine bouche...
Le lis garde toujours le parfum du baiser.
Quelle parole ardente arrive des déserts!
Quel ascète nouveau prêche la pénitence!
D'où vient-il? Savez-vous son nom, son existence?
Sa sagesse confond les Juifs les plus diserts.
Comme autrefois Elie enlevé dans les airs,
Il brise des coeurs durs la longue résistance.
La foule qui le suit demande avec instance:
--Est-ce le Dieu d'Abram, notre Dieu, que tu sers?
--Es-tu, dit-elle encor, le promis des prophètes?
Et lui, prêche toujours:--Que vaut ce que vous faites,
Si le feu des remords ne vous a desséchés?...
Or, Jésus traversait les âpres solitudes.
Jean le voit, le devine, et crie aux multitudes:
--Voici l'Agneau de Dieu qui remet les péchés!
Jésus vient de monter des rives du Jourdain.
Le temple est plein de bruits, comme un lieu de discorde.
Les marchands, les docteurs, la foule, inique horde,
Changent en un comptoir le marbre du gradin.
Le Maître, tout d'abord, laisse voir son dédain.
Mais il songe à son Père, et sa miséricorde
Ne les protège plus. Il s'arme d'une corde
Et chasse des parvis ce commerce mondain.
L'ancien temple est détruit, mais l'âpre marchand reste.
Il ne vend ni l'oiseau, ni le produit agreste,
Ni le boeuf qu'à l'autel on devait étrangler;
Mais en ces temps de honte où notre foi s'enlise,
Sachant bien que nul bras n'osera le sangler,
Il vend nos libertés et dépouille l'Eglise.
O scandale! voici, devant le Maître auguste,
La fille de péché, la belle Magdala.
Dans l'art d'aimer, jamais femme ne l'égala;
Son sourire est un vin qu'en tremblant on déguste.
Voyez donc se cambrer ou s'incliner son buste.
Jamais de pareils feux son âme ne brûla.
Quel regard enivrant! Oh! cette larme-là
Peut faire chanceler une vertu robuste.
Et voilà que soudain, dans sa vive ferveur,
Elle se précipite aux genoux du Sauveur,
Baise ses pieds sacrés, pleure et le glorifie.
Les apôtres, surpris, s'entretenaient tout bas:
--Fallait-il la chasser?... Ils ne savaient donc pas
Qu'en s'approchant de Dieu l'amour se purifie.
A Sichem où, tremblant, un vil peuple se range
Pour laisser chevaucher le féroce turban;
A Sichem où jadis fleurissait l'oliban,
Où la cime des monts semblait l'or d'une frange,
Jacob a fait creuser, victorieux de l'ange,
Un puits où descendrait le cèdre du Liban.
C'était pour ses troupeaux, quand il eut de Laban
Vaillamment repoussé la haineuse phalange.
Or, un jour qu'une femme y vint puiser de l'eau,
Vers l'heure de midi, le prophète nouveau,
Jésus, était assis sur l'antique margelle.
--Femme, j'ai soif, dit-il. Elle, d'un regard vif
Scrute cet étranger, et d'un mot le flagelle:
--Je suis Samaritaine et j'ai pitié d'un Juif!
Le Sauveur, soucieux, par d'antiques sentiers
Traversait, ce jour-là, l'impure Samarie.
Et c'était l'heure chaude où la brise charrie,
Sur son aile de feu, le parfum des dattiers.
Chez les Samaritains, et chez les Juifs altiers,
La haine des aïeux ne semblait pas tarie,
Et Sichem,--sans rougir de cette barbarie,--
Sichem chassait Juda de ses pieux quartiers.
Mais qu'importent le piège et la sombre manoeuvre?
L'heure est sonnée enfin de commencer son oeuvre;
Il est venu pour tous; l'amour le presse; il va.
Comme un oeil de pitié sur les grandes détresses,
Il voit luire, au-dessus du temple des prêtresses,
Sur le Garizim bleu, le nom de Jéhova.
Vers le puits de Jacob elle s'en vint alors,
Un vase sur la tête, aux pieds d'humbles sandales,
Son oeil rêveur cherchait les amoureux dédales
Où s'étaient profanés les charmes de son corps.
Un homme était au puits. Ses ravissants dehors
L'émurent. Mais pourtant, cachant ses doux scandales,
Du saint temple elle aurait baisé les froides dalles,
Plutôt que de l'aimer d'impudiques transports.
Peut-être c'est cela qu'il était de Judée.
Il lui parla longtemps. Elle, la dégradée,
Se sentait défaillir sous l'oeil qui la scrutait.
Comment voyait-il donc tant de choses en elle?
Etait-il le prophète?... En vain elle luttait,
Des pleurs de repentir luirent dans sa prunelle.
Le Sanhédrin disait:--Le temple est profané.
Le fils du charpentier discute et prophétise.
Nos vertus à ses yeux ne sont qu'une bêtise;
Porte-t-il donc un front que le jeûne a fané?
D'où son pouvoir étrange aurait-il émané?
Il se met au-dessus de nos lois. Il pactise
Avec les publicains. Son discours fanatise.
Il pardonne au pécheur que nous avons damné.
Et pour se faire un nom, chose pire, il enseigne
Que les hommes partout sont égaux. Le coeur saigne
Quand on voit tant d'audace et de subtilité.
Oui, Jésus affirmait, ô race de vipère!
Qu'il n'est grands ni petits aux yeux de Dieu son Père,
Et le Verbe éternel fondait l'égalité.
--Le Sanhédrin ourdit un complot satanique,
Et je ne sais comment vous vous garantirez.
Ne pensez pas, mon fils, que vous convertirez
Nos docteurs si jaloux de leur loi tyrannique.
Ainsi parlait la Vierge à son doux fils unique.
--S'il le faut, reprit-elle, hélas! vous partirez.
J'ai le tissu nouveau que vous revêtirez,
Et moi-même, Jésus, coudrai votre tunique.
Mais j'y songe, comment? je n'ai fil ni denier.
Alors, un fil d'argent qu'un souffle printanier
Berçait, vint effleurer la sainte créature.
Elle allait le saisir. Jésus sourit. Déjà
La tunique était faite. Elle était sans couture.
Dans l'air le fil brillant depuis lors voltigea.
Une lune sanglante au ciel noir s'allumait.
Les oliviers, berçant une étrange harmonie,
Paraissaient sangloter. Puis, comme une ironie,
Des voix chantaient au loin, tout près l'amour dormait.
Jésus pleurait du sang; mais le ciel se fermait,
Laissant se consommer la grande félonie.
--Loin de moi ce calice!... Oh! l'horrible agonie!
Le Dieu courbait la tête et l'homme s'abîmait.
Dans l'ombre des rameaux l'Iscariote approche.
H embrasse son Maître. Insensible au reproche,
Il saura le livrer comme il a su l'offrir.
Et maintenant il fuit dans la clarté douteuse...
Il fallait ce baiser d'une bouche menteuse,
Pour que l'amour comprît ce qu'il devrait souffrir.
Pilate a peur des Juifs et devient leur complice.
--Voilà l'homme, dit-il.--Qu'il meure, ce faux roi,
Clame le Sanhédrin en invoquant sa loi,
Il s'est dit Fils de Dieu!... Que la loi s'accomplisse!
Puis, dans un trou béant la croix lourdement glisse.
Le Christ mourant pardonne. On l'apostrophe:--Eh quoi!
N'es-tu pas Dieu? Descends et nous croirons en toi.
Mais il reste cloué sur le bois du supplice.
Et le Juif s'applaudit de l'avoir défié.
Or, sur le Golgotha, le doux crucifié,
Dans un nimbe éclatant, depuis lors se profile.
Et, parce qu'il n'est pas descendu de la croix,
Depuis lors devant lui l'humanité défile,
Fléchissant les genoux et s'écriant:--Je crois!
C'était près de Sion que chantent les Psalmistes.
Drapés dans leurs manteaux, plusieurs jeunes Romains
Qui cheminaient, un soir, au hasard des chemins,
S'approchèrent d'un antre ombragé de palmistes.
Douze hommes étaient là, comme des alchimistes
Qui voudraient cacher l'or fabriqué par leurs mains,
Parlant de Dieu, du ciel, du salut des humains.
Ils écoutèrent donc ces nouveaux réformistes.
--Des buveurs ou des sots, dirent-ils. Quels discours!
A quels dieux étrangers demandent-ils secours?
En ont-ils découvert de plus grands que les nôtres?
Ces hommes qu'ils croyaient pris de vin ou bien fous,
Vont ébranler le monde et le mettre à genoux.
Ils fondaient le Symbole, et c'étaient les Apôtres!
Vous paraissiez bien morts. Les uns couverts de fleurs,
Les autres, sous les plis d'un sinistre suaire,
Vous alliez un par un à l'immense ossuaire.
Le marbre de vos fronts était mouillé de pleurs.
Or Jésus, dans Sion, à Béthanie, ailleurs,
Et ses apôtres saints, en plus d'un sanctuaire,
Vous ont rendu la vie. Après l'obituaire,
Vos instants d'outre-tombe ont-ils été meilleurs?
Avez-vous dégusté la coupe des délices?
N'avez-vous pas souffert quelques brûlants supplices?
Vous sentiez-vous heureux de ce retour permis?
Mais cette éternité si grande et si nouvelle,
Vous n'avez cependant rien dit qui la révèle...
Dans vos étroits tombeaux n'étiez-vous qu'endormis?
Les Juifs avaient fait peur à ce lâche juriste.
Dans l'ennui de l'exil, au lointain Dauphiné,
Il errait sombre et seul comme un contaminé,
Et les remords rongeaient son âme d'égoïste.
Il suivait sous les bois les bêtes à la piste,
Et honteux, devant l'homme il fuyait obstiné.
A l'enfer éternel était-il destiné,
Que rien ne déridait sa face pâle et triste?
Il croyait voir du sang dégoutter de ses mains,
Et, courant comme un fou, loin de tous les chemins,
Il cherchait une source où se laver en hâte.
Mais l'eau coulait en vain, la souillure restait.
Un jour, pour ne plus voir ce sang qu'il détestait,
Il se donna la mort... C'était Ponce-Pilate.
Elle voulait un trône et c'est l'exil qu'elle a;
L'idylle va finir dans la sauvage Gaule...
L'inceste était léger à sa lascive épaule;
Dans les bras d'Antipas, un jour, elle vola.
Le scandale fut grand et Jean le flagella.
Elle envoya l'ascète au cachot d'une geôle,
Puis se fit apporter sa tête toute drôle,
Sur un plat de métal, dans un bal de gala.
Or, comme pour revoir sa belle Galilée,
Souvent, vers le soleil qui monte radieux
Se tourne, tout en pleurs, l'impudique exilée.
Mais de même souvent, ô spectacle odieux!
Ce n'est pas le soleil que voit son grand oeil triste,
C'est, sur le bronze ouvré, la tête du Baptiste.
As-tu l'ennui du ciel, comme un feu lent qui ronge?
As-tu vu les palmiers, alors que tu souffrais,
T'inviter au repos sous leurs ombrages frais?
Le vent baiser ton front hanté d'un triste songe?
Ton amour fut si grand qu'il parut un mensonge,
Et peu de ces humains pour lesquels tu t'offrais,
Te répondent, Jésus, par des dévoûments vrais.
Qui sait l'ingratitude où parfois l'âme plonge?
Le siècle te maudit en de pompeux discours,
Mais le déshérité t'appelle à son secours;
La foi l'éclaire mieux qu'une page savante.
Je crois en ta parole, ô Maître! et me soumets.
Je veux te suivre, moi. Je suis pris d'épouvante
Quand je songe combien ne te suivront jamais.
Arbre mystérieux, sous la dure cognée
Quelle forme prends-tu? Que vas-tu devenir?
Tes parfums vont manquer aux printemps à venir.
L'ouvrier jette loin ta branche dédaignée.
Qui saura de quels feux ta cime était baignée?
De ton ombrage frais qui va se souvenir?
Au vieil âge béni tu n'as pu parvenir,
Et l'injure, arbre mort, ne t'est pas épargnée.
Quoi! tu renais toujours, bel arbre mutilé!
Dans le ciel obscurci ton faîte a scintillé
Comme, au-dessus des monts, un astre qui se lève.
Sur ton écorce rude un signe s'est gravé.
Voici qu'un sang divin est devenu ta sève,
Et ton ombre s'étend partout... O crux, Ave!
Nous n'avons de repos, hélas! sur nul rivage.
Combien d'efforts sont vains! Combien sont méprisés!
L'hymne des grands espoirs nous a pourtant grisés,
Mais grisés trop souvent comme un mordant breuvage!
L'homme voudrait, Dieu bon, sortir de l'esclavage,
Et prendre son essor loin de ses fers brisés.
Les airs seront conquis et les vents, maîtrisés;
Ne met-il pas déjà tes foudres en servage?
Je ne blasphème point. J'adore ton décret.
Mais je suis curieux de savoir le secret
De nos vices si bas, de nos vertus si hautes.
L'homme connaît-il bien ta sainte volonté?
Verra-t-il ton visage? Ou le poids de ses fautes
L'emportera-t-il donc, Seigneur, sur ta bonté?
Moi, je sais un vaisseau qui vogue, audacieux,
Toutes voiles au vent, sur la mer vaporeuse.
Je sais un phare aussi sur la côte pierreuse,
Et, dans le ciel obscur, un rayon gracieux.
Le front des matelots se penche, soucieux,
Quand le vaisseau gémit et que l'onde se creuse;
Mais, passant en vainqueur dans la nuit ténébreuse,
Le vieux pilote chante et regarde les cieux.
Le phare qui reluit sur la haute falaise,
C'est la croix. Le rayon, lèvre de feu qui baise
Et fait étinceler les vagues, c'est la Foi.
Le navire puissant que bat l'ouragan sombre,
Qui franchit les écueils, fatigue, mais ne sombre,
C'est l'Eglise du Christ. Le pilote, c'est toi.
Dans le temple pompeux ou la chapelle nue
Elle brûle. Elle brûle à l'aurore, à la nuit,
Lorsque tout prie et chante et lorsque meurt tout bruit.
Bénis les soins pieux qui l'ont entretenue!
Comme une étoile d'or qui percerait la nue,
Dans l'encens de l'autel doucement elle luit.
Comme un souvenir pur, quand une amitié fuit,
Elle illumine l'âme où la nuit est venue.
Elle donne à l'arceau de nouvelles ampleurs.
Elle sourit au juste; elle compte les pleurs
Que les pécheurs vaincus répandent goutte à goutte.
Souvent sous sa lueur mon genou s'est plié,
Serait-elle un rayon de l'hostie oublié,
Avec l'écho des chants, sous l'adorable voûte?
Sonne en ton vieux beffroi la prière prescrite,
A l'aube comme au soir mon front est incliné.
Sonne joyeusement, voici qu'un homme est né,
Et le baptême saint le marque de son rite.
Sonne l'hymne d'amour en ta haute guérite,
Par un chemin de fleurs où tant ont butiné,
S'avance vers l'église un couple fortuné.
Sonne pour tous les nids que le clocher abrite.
Sonne pour éveiller les échos endormis
De nos bois odorants et de nos coeurs soumis,
Sonne l'alléluia des tâches achevées.
Tous ceux qui nous sont chers s'en vont comme les flots,
Et vers le ciel en vain nos mains se sont levées...
Sonne les longs adieux, sonne les longs sanglots!
Garde, mon vieux Québec, ainsi qu'une relique,
Ces murs qui frémissaient à l'appel des clairons;
Garde comme un soleil où nous nous éclairons,
Parmi les fiers clochers, ta vieille basilique.
Baigne dans le ciel pur ton sommet catholique,
Voici qu'il va s'orner du plus beau des fleurons.
Nous qui sommes heureux, nous surtout qui pleurons,
Apportons notre pierre au parvis angélique.
Comme un astre nouveau, saint temple, tu surgis.
Déjà bien des regards que les deuils ont rougis,
Se sont tournés vers toi, majestueux symbole.
Sous le dôme où s'attarde un rayon du couchant,
Le doux Sauveur du monde, ô spectacle touchant!
Mendie un peu d'amour, comme un pauvre, une obole.
C'est sur d'âpres chemins qu'il faut se hasarder.
Si quelqu'un te montrait la route qu'on doit suivre,
Jeune homme dont l'espoir retentit comme un cuivre,
Ne te détourne pas et sache regarder.
De mille appels trompeurs Dieu saura te garder.
Ne vide pas d'un trait la coupe qui t'enivre.
Que l'on ait du plaisir ou du regret à vivre,
Le terme n'est pas loin. Nul ne peut s'attarder.
A mesure qu'on monte au sommet de la vie
L'horizon bleu recule, et la route suivie
Semble bien ténébreuse à plus d'un voyageur.
Bien fou le révolté. Mais souvent l'homme ignore
Comment, Dieu tout-puissant, tu veux que l'on t'honore,
Et devant tes décrets il penche un front songeur.
Est-ce un leurre divin vainement affiché?
L'ouvrier le demande à sa hache, à sa lime;
Le poète le cherche en un rêve sublime;
Le jeune homme éperdu ne l'a pas déniché.
Il n'est point dans le sol âprement défriché.
Le vieillard croit le voir au passé qui s'abîme;
Le riche le paierait de son dernier centime;
L'esprit fort dit que Dieu--s'il existe--a triché.
Ce qu'un jour nous apporte un autre nous l'enlève.
La coupe du plaisir, que notre main soulève,
Mêle une amère lie à son rayon de miel.
Il n'est donc ici-bas nulle paix souveraine...
Vous avez vu, pourtant, plus d'une âme sereine
Accepter la souffrance en souriant au ciel.
Vous croyez à votre ange. Il marche à votre droite,
Vous couvre de son aile, en votre dénûment,
Et son amour sacré vous parle ingénument,
Quand un plaisir mauvais devant vos yeux miroite.
Et moi, j'en connais deux dont la tendresse adroite,
Comme l'ange du ciel, nous guide sûrement.
On monte sans malheur, sous leur regard aimant,
La sente de la vie, hélas! souvent étroite.
L'un de ces anges bons vient, joyeux, se pencher
Sur les berceaux où dort l'innocence éphémère,
Et d'un baiser sécher les larmes. C'est la mère.
Et l'autre qui viendra doucement s'épancher
Dans une âme virile et noblement jalouse,
Pour la faire revivre à jamais... c'est l'épouse.
On t'appelle: Dieu bon, mais aussi: Dieu vengeur.
Quand il parle de toi l'homme te rapetisse.
S'il vante ta clémence il arme ta justice,
Et te prête parfois le bras d'un égorgeur.
Ne sent-il pas son front se couvrir de rougeur,
Quand il peint tes arrêts comme empreints de malice?
Ne te point posséder n'est-ce pas un supplice?
Et quel feu brûle donc comme un remords rongeur?
N'es-tu pas le seul bien? Qu'importe donc le reste?
Tu puniras le mal, ta parole l'atteste,
Et nier un enfer ce serait blasphémer.
Mais j'attends sans effroi le tourment de sa flamme,
Car le ciel est partout où peut s'envoler l'âme,
Et l'enfer, nulle part, lorsque l'on veut t'aimer.
J'ai, d'un coeur simple, enfant, mendié les années,
Pour voir courir les eaux et fleurir les buissons;
Jeune homme, j'ai souvent, sous d'étranges frissons,
Mendié des amours, hélas! vite fanées.
J'ai mendié la gloire, et, sous mes mains tannées,
La plume a de vains mots, la lyre a de vains sons.
J'ai mendié les biens, et toutes mes moissons
Ont été par l'envie ou la haine vannées.
J'ai mendié la joie ainsi que fait chacun,
La fidèle amitié dont se flatta quelqu'un,
Le denier qu'au travail un maître juste accorde.
Et si j'ai demandé quelque funeste don,
Dans la foule des biens que ma bouche recorde,
Dieu clément, je mendie aujourd'hui le pardon.
Là-bas, sur le coteau, j'ai revu le calvaire
Où nous allions prier, les dimanches d'été...
Il flottait un parfum de douce piété
Au-dessus de nos fronts, dans la tiède atmosphère.
La prière en commun avait un ton sévère.
Le Christ penchait la tête en son anxiété.
Les oiseaux répondaient par des cris de gaîté;
Moi, j'oubliais l'amen devant la primevère.
Et les vieux sont partis et les jeunes sont vieux!
Je les connaissais tous, je ne connais personne,
Et ne tressaille plus alors que leur voix sonne.
Et toujours, le dimanche, à la clarté des cieux,
La vieillesse dolente et la jeunesse fière,
Aux pieds du même Christ font la même prière.
C'est l'atelier mystique où s'apprend le devoir,
Le nid d'où l'aile vole à l'immortelle sphère.
Quand sort le bachelier, ses hauts châssis de verre
Semblent des yeux aimés qui s'ouvrent pour le voir.
Ce que savent ses murs je voudrais le savoir.
Ils ont l'auguste aspect du temple qu'on révère.
Aux thèses d'un docteur, aux stances d'un trouvère
Leur âme de granit sait parfois s'émouvoir.
Et quand sonne l'appel, comme en d'étranges rêves,
On voit de toute part accourir les élèves,
Tout pleins, jeunes et vieux, d'un même doux émoi.
Et l'on entend monter du grand laboratoire,
De l'étude enfiévrée et du saint oratoire,
Le vol de la science et l'hymne de la foi.
Grand citoyen, salut! Quelle douce clarté,
Comme un reflet du ciel, baigne ton front austère?
Tu reviens triomphant, et le trait du sectaire
Devant tant de valeur soudain s'est écarté.
Salut! Le peuple heureux t'acclame avec fierté.
De nos brillants destins Dieu t'a fait mandataire.
Sur les arpents de neige insultés par Voltaire,
Avec les blés nouveaux, fleurit la liberté.
La foule t'applaudit, les rois t'ouvrent leur porte.
Poursuis, vaillant lutteur, ton droit chemin, et porte
Le drapeau de la gloire avec humilité!
Que l'envieux se cache et dévore sa honte!
Les grands hommes, Laurier, font les grands peuples, monte,
Sur l'aile du génie, à l'immortalité!
Comment es-tu tombé, meneur d'hommes puissant?
Notre peuple t'aimait et tu l'aimais de même.
Hardi jusqu'à l'audace et froid sous l'anathème,
Tu voulais notre sol pour ceux de notre sang.
Tu parlais à l'Eglise en fils obéissant.
Tes ennemis ont dit, nouveaux Juifs--Il blasphème!
La trahison t'a pris d'un bras de Polyphème,
Et tu fus terrassé comme un boeuf mugissant.
La haine triomphait. Souvent le patriote
A senti le baiser mordant d'Iscariote,
Et l'envie a voilé de beaux soleils levants.
Mais ta gloire a grandi de toute ta défaite,
Et ta vengeance enfin doit être satisfaite...
La vengeance des morts, c'est l'amour des vivants!
Depuis le feu sacré qu'un premier rêve allume,
Et les frêles épis d'un premier messidor;
Depuis le vieux collège et le long corridor
Où nous scandions ensemble un idéal volume,
Combien, noble ouvrier, sur ta vaillante enclume,
As-tu, sombre ou joyeux, forgé de rimes d'or?
Combien de vers, hardis comme un vol de condor,
Se sont jusqu'à la nue élancés de ta plume?
Qu'importe la morsure et qu'importe un lambeau?
Ta main sait promener la verge ou le flambeau,
Et ton nom retentit comme un buccin sonore.
Par l'éclat des honneurs beaucoup sont éblouis,
Reste simple en ta force, et les Muses, Louis,
Diront qu'en t'acclamant notre peuple s'honore.
C'est l'ombre de Cartier qui plane encor sur nous.
Notre langage antique a l'air un peu farouche,
Mais, quand il a passé par une fraîche bouche,
Il dégage un parfum qui semble de chez vous.
Ton nom sonne l'appel et nous accourons tous.
Ici la liberté n'a pas un regard louche,
Et la loi nous protège, homme et Dieu. Nul me touche
Aux humbles croix de bois que nous pendons aux clous.
Barde, sur tes couplets à l'allure si franche,
Quand tu chantes, l'on voit voltiger l'âme blanche
Que donne à son enfant la mère d'un Breton.
Dans ton vol glorieux, chante donc, pieux barde,
La France de Cartier! Demande que Dieu garde
Et fasse épanouir cette fleur en bouton!
Entends-tu les vivats de tes heureux rivaux?
Leur front est couronné, leur âme est en délire.
Ils chantent un poème où tu ne sais pas lire,
Et nul ne descend plus aux ïambes dévots.
Or, parmi les anciens et parmi les nouveaux,
Plus d'un n'a pas rempli sa pauvre tirelire,
Plus d'un avec colère a rejeté sa lyre,
Et le doute a souvent hanté de grands cerveaux.
Ton aile qui voulait mesurer les espaces,
N'éveille pas de bruits dans l'azur où tu passes,
Et tu pleures songeant que ton nom va périr.
Pour que le coeur s'échauffe à tes divines fièvres,
Pour que ton nom muet monte à toutes les lèvres,
O poète, il te manque une chose: mourir!
L 'aile atteinte en son vol n'aura plus, désormais,
Ces frissons de plaisir qui troublaient la ramure;
La moisson parfois souffre avant que d'être mûre;
L'arbre un jour abattu ne refleurit jamais.
Et te voilà gisant comme l'arbre mort. Mais
Sur ta lèvre pâlie il court un doux murmure.
Tu portes la douleur comme on porte une armure,
Et ton aile brisée effleure des sommets.
Nul cri de révolté n'est sorti de ta bouche,
Et la Muse attendrie effeuille, sur ta couche,
Des fleurs dont le parfum a la chaleur du vin.
Des chants inattendus traversent les bruines,
Et des nimbes sacrés couronnent nos ruines,
Quand descend un rayon du grand foyer divin.
Un rayon descend-il, ami, dans vos prisons?
A travers le linceul, dans les plis de verdure,
Peut-on voir quelques fleurs? Ta couche est-elle dure?
Est-ce qu'aux souvenirs aimés nous nous grisons?
Mais ton vol a franchi nos pâles horizons.
Qu'importe le soleil? qu'importe la froidure?
Tu ne sens plus le mal que l'âme humaine endure,
Et les parvis divins n'ont pas de trahisons.
Te souviens-tu des chants, des rires, des bruits d'aile?
Vois-tu le gage offert par l'amitié fidèle?
Te mêles-tu, cher mort, à nous comme jadis?
Garde-t-on son coeur d'homme au séjour du mystère?
Ecoute-t-on, ravi, monter, de notre terre,
Et les alléluias et les De profundis?
Comme au milieu des mers d'immobiles vaisseaux,
Depuis des milliers d'ans vous dormez dans vos sables,
Et sur vos fronts, pour vous créer impérissables,
La force et le génie ont imprimé leurs sceaux.
Vainement la lumière, en radieux faisceaux,
Pleut sur vous, vos secrets restent insaisissables.
L'antiquité, voyant vos traits ineffaçables,
Croirait se réveiller auprès de vos berceaux.
Avec l'âge qui vient, ô monuments austères!
Vous cachez plus avant vos étranges mystères,
Et vous portez plus haut des fronts plus solennels.
Mais l'homme disparaît bien vite, quoi qu'il fasse,
Et le nom de ces rois qui vous font éternels,
Avec l'âge qui vient de plus en plus s'efface.
Rome pour tout un jour dépouille son air morne.
Escorté de consuls, de femmes, de valets,
Néron, vêtu de pourpre, a quitté son palais,
Et le peuple ébloui l'acclame et le flagorne.
Un vieillard voulait voir.--Monte sur cette borne,
Lui dit en le haussant un joueur d'osselets;
Mais ses yeux sont chargés de foudre, évite-les;
Courbe tes cheveux blancs quand sonnera la corne.
Le cortège parut; une clameur jaillit.
Le vieillard resta droit, et Néron tressaillit
Sous le brûlant rayon de sa lourde paupière.
Cet homme, un étranger sans science et sans arts,
Venait avec la croix prendre Rome aux Césars,
Pour la donner au Christ. C'était l'apôtre Pierre.
On admire toujours, sous le beau ciel romain,
Ses vieux gradins massifs et ses hautes arcades,
Flots de pierres pareils aux immenses cascades
Que l'hiver boréal suspend sur son chemin.
Les Césars orgueilleux, d'un signe de la main,
Faisaient défiler là de fières cavalcades;
Ils faisaient s'élancer, de leurs mille embuscades,
Les fauves qu'appelait le grand peuple inhumain.
L'amphithéâtre est vide. Un vent d'amour soupire
En passant sur l'arène où grondaient les lions,
Où les bourreaux tuaient les saints par millions.
Les siècles ont broyé le merveilleux empire,
Et la croix a vaincu les autels des faux dieux,
Mais ton génie, ô Rome! est toujours radieux!
Par des chemins de fleurs, au temple qu'on voit là,
Des prêtresses s'en vont. Leurs bandes triomphales
Dansent cyniquement au rythme des crotales.
Jamais tissu discret alors ne les voila.
Vénus veut des honneurs. C'est sa fête, et voilà
Que la ville s'éveille. Et les chastes Vestales
S'enfoncent tour à tour dans l'ombre de leurs stalles,
Et le dieu de l'amour sourit dans sa cella.
Mais quel éclat nouveau, quel merveilleux effluve,
Environnent ton front, malheureuse cité?
Le ciel met-il un nimbe à ta lubricité?
Sur la ville en amour, l'implacable Vésuve
Etendait, lourdement, ce grand linceul de feu
Que vingt siècles d'efforts n'ont soulevé qu'un peu!
Heureux qui naît et meurt au rustique foyer
Où l'aïeul a laissé son souvenir! Quel charme
Dans les murs blancs de chaux où pend une vieille arme!
Dans l'âtre où l'on verra les bûches flamboyer!
Les jeunes d'autrefois y venaient festoyer.
Le vieux temps n'avait pas une rigueur de carme.
On dirait qu'un écho de l'amusant vacarme,
Sous le plafond noirci vient encore ondoyer.
Au foyer des aïeux la vie est plus intense,
Et rien, nous semble-t-il, n'a rompu l'existence
Des générations qui nous ont devancés.
Moi, je me sens perdu dans la foule des êtres;
Mes jours semblent plus courts et plus mal dépensés,
Car je n'ai pas vieilli sous le toit des ancêtres.
Un jour que je rentrais au village natal,
Je la vis au jardin de notre vieille auberge.
Elle priait, pendant que là-bas, sur la berge,
Une cloche chantait de sa voix de métal.
Près d'un cierge allumé, sur un blanc piédestal,
Un grand vase de fleurs embaumait une vierge.
Des gouttes d'eau tombaient à la lueur du cierge,
Car il était trop plein le vase de cristal.
Ce souvenir est loin. Notre coeur est un vase
Que les soins d'une mère ont seuls pu façonner.
Il est large et profond; l'amour le fait sonner.
D'une aile infatigable un rêve doux le rase.
Dieu lui verse en secret ivresses et douleurs,
Et quand il est trop plein on voit tomber des pleurs.
Restons à l'âtre clair qu'un léger souffle attise;
Les pieds sur les chenets, causons si tu le veux.
Ton oeil noir garde encor la douceur de ses feux,
Ta lèvre a des baisers plus doux que le cytise.
Et nous avons chanté, tout pleins de vaillantise,
La chanson des berceaux. C'était selon nos voeux.
Depuis le jour lointain de nos premiers aveux,
Nous suivons un sentier que l'amour poétise.
Et voici la vieillesse. Il n'en faut pas gémir.
Ensemble nous irons sous l'oeil de Dieu dormir,
Laissant à nos enfants l'honneur pour héritage.
Au culte du passé l'on est toujours enclin.
Si j'éprouve un regret, ô femme! à mon déclin,
C'est de n'avoir point pu te chérir davantage.
Vivre, enfants, c'est aimer et souffrir un instant.
Vous cherchez le plaisir et le plaisir vous lasse;
De ses mailles de fer la douleur vous enlace;
L'esprit est curieux et le coeur, inconstant.
Le spectacle du monde est souvent attristant.
Mainte fois le coeur chaud se heurte au coeur de glace.
L'intrigant mainte fois s'assied à votre place;
L'un se gave au banquet, l'autre n'a qu'un restant.
Mais le travail est bon. Penchez votre front blême
Sur la glèbe maudite ou l'aride problème;
Le travail est 'un bien et non un déshonneur.
Le succès vient toujours lorsque l'on persévère.
Enfants, n'ayez point peur de monter au calvaire,
L'épreuve fortifie... Ayez peur du bonheur.
Volez, douces chansons, autour de son berceau.
Plein de molles lueurs, son oeil vient de se clore.
Que nul souffle mauvais n'agite ou ne déflore
La vertu de l'enfant, la fleur de l'arbrisseau!
A quoi peut-il rêver? A la balle? au cerceau?
Il ne sait point courir. Aux fleurs qu'il voit éclore?
Aux baisers de sa mère? A l'ange qu'elle implore?
Il rêve à ces jouets qu'on entasse en monceau.
Et quand il sera grand, d'autres jouets, sans doute,
L'amuseront encor. Ceux-là, qu'il les redoute...
C'est l'amour, c'est la gloire, ou l'or aux reflets doux.
Jusqu'à ce que surpris de l'humaine ignorance,
Dans une heure d'angoisse, il les brisera tous,
Pour n'en garder qu'un seul peut-être: l'espérance.
Que ta main rose joue avec ma barbe blanche,
Je te tiens sur mon coeur, tu n'échapperas pas.
Et puis, ferais-tu bien toute seule deux pas?
Reste comme une fleur sur une vieille branche.
Menace si tu veux; mets le poing sur la hanche;
On ne peut effrayer un grand-père. En tout cas
Je puis lutter encore, et je ne suis point las
De voir luire en tes yeux ta petite âme franche.
Tu veux toucher à tout.--N'est-ce pas vrai, voyons?
Même à l'étoile vive, à l'éclat des rayons.
Serais-tu curieuse autant que grand'mère Eve?
Ce sont là des jouets d'anges; voici les tiens.
Mais tu cherches ailleurs depuis que tu les tiens...
En commençant la vie on commence le rêve.
Frappe donc, ô douleur! frappe donc sans merci!
Je suis comme un métal soumis au martelage.
J'ai traîné mes regrets loin de mon cher village,
Et j'ai vu chez les grands plus d'un coeur endurci.
Peut-être qu'on va rire en entendant ceci,
Et croire que je fais de mes maux étalage.
En se communiquant la peine se soulage;
Dites-moi, coeurs broyés, s'il n'en est pas ainsi?
L'illusion s'envole et nul mal ne m'étonne.
De cheveux blancs déjà ma tête se festonne;
Les noeuds les plus étroits doivent se délier.
Je ne jetterai plus ni plaintes ni sarcasmes.
Je veux sourire encor. La terre a des miasmes,
Mais elle a des parfums qui les font oublier.
Seul, un soir, je marchais près du ruisseau qui court
Sous les pins odorants de mon petit domaine;
Je rêvais au passé que rien ne nous ramène,
Et tout le temps vécu me paraissait bien court.
L'ennui, comme un boulet, rendait mon pas plus lourd;
J'éprouvais les rancoeurs du gueux que l'on surmène;
Je cherchais le pourquoi de toute vie humaine;
Je n'avais plus d'espoirs; mon coeur devenait sourd.
Arbres, fleurs et gazon, fleuve aux profondes vagues,
Chansons des nids, soupirs des bois, murmures vagues,
Tout était là. Pourtant, je n'ai pas tressailli.
Elles m'ont laissé froid, ces choses si troublantes,
Et j'ai vu des oiseaux, des insectes, des plantes,
Se dire avec tristesse:--Hélas! il a vieilli!
Dans ton voile de neige, oh! comme tu te drapes!
Par ce rose matin d'où viens-tu rose aussi?
Ta joue a des rayons. Le printemps que voici
A-t-il donc secoué sur ta tête ses grappes?
Tu viens de festoyer aux célestes agapes.
C'est la première fois. Approche, approche ici,
Que je baise ton front serein. C'est comme si
Une miette pour moi tombait des saintes nappes.
A tes chastes frissons ne l'as-tu pas compris?
Jésus t'a regardée et ton coeur s'est épris,
Et tu pleures, disant qu'un voile le dérobe.
Pour le voir, lui si beau, dans son ciel azuré,
Sur ton épaule, enfant, garde ta blanche robe,
Et garde dans ton coeur le tendre amour juré.
Avec quel soin jaloux ta tendresse l'arrange,
Cet enfant qui vagit sur son blanc traversin!
Chacun de ses soupirs fait tressaillir ton sein;
Le regard qui le couvre est plus chaud que son lange.
Tu vois monter vers lui l'encens de la louange.
Tu fais son âme grande, et son corps, noble et sain.
Tu le dis le plus beau de tout le jeune essaim
Qui s'élève à la gloire avec des ailes d'ange.
Berce-le, jeune mère, au souffle du désir,
Et défends-le du mal qui pourrait le saisir,
Pendant qu'à ta chanson il dort son léger somme.
Puisque c'est le bonheur que tu cherches pour lui,
Borne tes voeux et chasse un inutile ennui:
Tout enfant est heureux que l'on fait honnête homme.
Depuis que mes cheveux sont blancs, que je suis vieux,
Une fois j'ai revu notre maison rustique,
Et le peuplier long comme un clocher gothique,
Et le petit jardin tout entouré de pieux.
Une part de mon âme est restée en ces lieux
Où ma calme jeunesse a chanté son cantique.
J'ai remué la cendre au fond de l'âtre antique,
Et des souvenirs morts ont jailli radieux.
Mon sans gêne inconnu paraissait malhonnête,
Et les enfants riaient. Nul ne leur avait dit
Que leur humble demeure avait été mon nid.
Et quand je m'éloignai, tournant souvent la tête,
Ils parlèrent très haut, et j'entendis ceci:
--Ce vieux-là, pourquoi donc vient-il pleurer ici?
J'espérais voir ma nef voguer sur un flot clair,
Mon esprit s'envoler dans une vive idée.
J'ai pris la coupe amère et l'ai toute vidée.
Je voudrais m'endormir sous le feu d'un éclair.
Un sort dur m'a suivi comme un chien par son flair.
J'ai dompté la souffrance ou ma foi l'a guidée.
Mon existence fuit. Elle s'est dévidée
Comme un maigre écheveau dont le brin flotte en l'air.
Et pourtant je ne sais quel regret nous empoigne,
Quand au soir de la vie une amitié s'éloigne,
Une espérance meurt, un doux rêve se fond.
Mais qu'importe, ô mes jours! que le ciel vous prolonge,
Le monde n'est-il pas un abîme qu'on longe?
Et plus on marche loin, plus l'abîme est profond!
Il s'embarque. Voyez flotter son pavillon.
Où va-t-il? Quel motif: soudain le détermine?
Aux agrès, matelots! Au large, Grande Hermine
Petite Hermine, vogue, et vogue, Emerillon!
L'aube donne à la voile un reflet vermillon,
Les voix meurent. Le bruit de la mer les domine.
L'humble flotte, qu'un peu de soleil illumine,
Ouvre dans le flot sombre un glorieux sillon.
Le jour après le jour apparaît et s'efface.
La mer semble agrandir sa houleuse surface,
Et rouler au hasard vers des bords incertains.
Les vents poussent toujours la frêle caravelle.
Cartier cherche, anxieux, les horizons lointains
Où doit enfin surgir une France nouvelle.
--Déchirez votre chair, et, d'un oeil réjoui,
Regardez votre sang s'écouler goutte à goutte.
Jeûnez tout un long jour, et que pas un ne goûte
Au chevreuil délicat sous la cendre enfoui.
Votre mépris des Blancs s'est-il évanoui?
Pour les vaincre, demain, et les mettre en déroute,
Offrez le chien qui hurle et le renne qui broute.
Ainsi, guerriers vaillants, le veut Areskoui.
Areskoui le veut, prenons l'arc et la flèche.
Le sacrifice est prêt. Déjà la flamme lèche
Le flanc souple du daim que le dieu veut manger.
Nos scalpels sont adroits aux larges ciselures,
Nos carquois sont remplis, qu'importe le danger?
Allons faire un collier de mille chevelures!
Et les guerriers chantaient:--"La vengeance est ourdie.
La danse et le festin sont déjà terminés.
Les étrangers pervers seront exterminés;
Ils ont peur des tourments; leur âme est engourdie."
Longtemps l'onde se plaint sous la flotte alourdie.
Maintenant sur des bords que la vague a minés
Les cruels Iroquois se sont acheminés,
Et par le bruit des flots leur marche est assourdie.
Mais, dans un fort de pieux qui domine le lac,
Quelques preux de la France, à l'appel de Daulac,
Accourent déjouer la noire félonie.
Ils meurent tous. Alors, étrange dénoûment,
Le vainqueur, effrayé d'un pareil dévoûment,
S'arrête là... Nos morts sauvaient la colonie.
Quand tu rêves, soldat du galant Navarrois,
Ton regard inspiré cherche-t-il à connaître
Si ton jeune pays va grandir, ou doit n'être
Qu'un fleuron sans valeur aux couronnes des rois?
Lis-tu dans l'avenir le triomphe des droits?
Vois-tu sourire au ciel la rustique fenêtre?
Et le rocher superbe, où ta ville va naître,
Sent-il la liberté frémir en ses parois?
Ton âme est valeureuse et saintement trempée.
Tu fléchis devant Dieu les genoux; ton épée
Soutient l'honneur jaloux et le droit chancelant.
Et sans doute, parfois, d'avance tu contemples
Les bronzes des héros et les flèches des temples,
Qui feront à Québec un nimbe étincelant.
Quel souffle avait passé sur la sombre forêt,
Quand te conçut ta mère, en sa hutte d'écorce?
D'où venait ton génie et d'où venait ta force?
Tu fus donc enfanté par un céleste arrêt?
Ton inculte grandeur comme un rêve apparaît.
Trouvas-tu dans la gloire une alléchante amorce,
Démosthène des bois, ou ton âme retorse
Fut-elle, un jour, sensible au sordide intérêt?
Ta voix fait retentir les sauvages retraites.
Les tribus que ta ruse à nos lois a soustraites
Bondissent aussitôt comme un fougueux torrent.
Mais Ononthio parle à tes passions fauves;
Ceux qui devaient périr, voilà que tu les sauves,
Et tu chantes la paix sur ton luth de mourant.
Là-bas, sous des forêts que le sang a rougies,
Bigot, l'intendant fourbe, eut son petit château.
Le vice s'y rendait sans voile ni manteau;
On priait le colon de solder les orgies.
Les convives s'aimaient sous le feu des bougies;
Les oiseaux, plus naïfs, volaient au chapiteau.
Le temps a tout broyé comme dans un étau.
Deux pans restent debout, inutiles vigies.
Loin du wigwam aimé, la fille d'un grand chef,
Souple comme le jonc, avec un torse d'ambre,
Y mourut de douleur dans une obscure chambre.
Et le soir, quelquefois, on entend derechef,
Parmi les gais échos du bois qui l'environne,
Les sanglots étouffés de la jeune Huronne.
O Wolf! soldat heureux, tu voulus, sur tes pas,
Par un coup téméraire enchaîner la victoire;
Tu voulus buriner une page d'histoire,
A quel prix! un vaillant ne s'en occupe pas.
Dans ta fierté de preux, Montcalm, tu te drapas,
Car ton nom résonnait sur plus d'un territoire.
Ton glaive s'est brisé sur notre promontoire,
Mais dans quel flot de sang d'abord tu le trempas!
La foudre à votre voix éclate sur nos cimes.
Albion va remplir les rangs que tu décimes,
O Montcalm! et la France, hélas! nous laisse seuls.
Et vous tombez tous deux sur le champ de bataille!
Mais la mort vous grandit, et la gloire vous taille,
Dans vos drapeaux aimés, deux immortels linceuls.
Rien ne consolait plus nos âmes alarmées;
La royauté déchue, ô France, tu le sais,
Oubliait ses malheurs en d'infâmes excès,
Quand sonna de nouveau le clairon des armées.
Des phalanges de preux s'étaient encor formées;
Lévis vengeait l'honneur du vieux drapeau français.
Héroïque triomphe, inutile succès,
L'Anglais ne rouvrit pas les murailles fermées.
Et l'on eût dit qu'un astre, en ce jour décevant,
Pour s'en aller s'éteindre en la mer du levant,
Lentement descendait de notre promontoire.
C'était le drapeau blanc qui retournait là-bas,
Emportant dans ses plis la poudre des combats
Et ta gloire immortelle, ô dernière victoire!
C'est le signet qui marque un lugubre épisode:
Nos suprêmes combats et nos murs asservis,
Et le triomphe vain du valeureux Lévis,
Et du vieux drapeau blanc le douloureux exode.
Des gloires du passé c'est l'immortel rapsode.
Notre grand promontoire, ombré comme un lavis,
Le porte avec orgueil. Peuple qui te survis,
Il redit ta vaillance et chante comme une ode.
Sur nos morts glorieux, inébranlable et fier,
Il veillera demain comme il veillait hier.
Il verra devant lui s'incliner les fronts graves.
Et sous la plaine morne et le jardin fleuri,
Où le dernier espoir de la France a péri,
Il entend tressaillir la poussière des braves.
Le drapeau de nos rois y déroula ses plis.
Les preux disaient mourant:--La France nous regarde.
La France a détourné sa figure hagarde,
Et d'un chagrin mortel nos coeurs se sont remplis.
Plus d'un siècle a passé sur les faits accomplis.
Le sceptre d'Albion jalousement nous garde.
Les nôtres maintenant promènent la cocarde
Sur les hauts parapets... Les dos sont assouplis.
Et le long de ces murs qui soutinrent des sièges,
Vers la nuit vont s'asseoir, sur le bois dur des sièges,
Des couples d'amoureux qu'ennuie un ciel trop clair.
On entend des soupirs et des frissons de lèvres...
Juchés sur leurs affûts, gueule béante, en l'air.
Les vieux canons anglais s'échauffent à ces fièvres.
O pâle envie, un jour, ces hommes que tu mords
Ont secoué les fers de leur race opprimée!
Leur sublime folie, hélas! fut réprimée,
Mais gare au peuple bon qui se souvient des morts.
Ils semblaient des coursiers qui font saigner leurs mors.
Peuple, ta volonté par eux s'est exprimée.
Nulle tache à leurs fronts ne s'est donc imprimée,
Et leurs sanglants tombeaux n'ont pas eu de remords.
Sous le chaume longtemps on dira leur vaillance.
De leur sang généreux ils ont, sans défaillance,
Payé nos libertés à de cruels bourreaux.
La lutte pour le droit n'est jamais inutile,
Et ces fous glorieux que le glaive mutile
Sont ceux que l'avenir appelle des héros.
Quand les arbres sont vieux, leurs rameaux dépouillés
Ne sentent plus courir les frissons de la sève,
En un gémissement leur murmure s'achève,
Les oiseaux les ont fuis, les vers les ont souillés.
Quand les hommes sont vieux, ils vont, les yeux mouillés,
Evoquer, loin du bruit, leur vie encor trop brève.
Souvent avec courage ils ont lutté sans trêve,
Et le suprême appel les trouve agenouillés.
Autour de l'arbre vieux qui lentement s'affaisse,
Avec ses nids déserts et ses pâles festons,
On voit croître et verdir de vaillants rejetons.
Autour de l'homme vieux et pour qui le jour baisse,
On entend les gais cris et le rire argentin
Des enfants que réveille un rayon du matin.
Qui sait de notre Dieu le merveilleux dessein?
D'où vient, beau papillon, la pourpre de ton aile?
Givre de mon carreau, feuille de ma tonnelle,
D'où vient, le savez-vous, votre savant dessin?
Quand la mort te flétrit de son baiser malsain,
Homme, où s'envole donc l'éclair de ta prunelle?
Où s'en vont les beautés de ta forme charnelle,
Et les vives ardeurs qui dévoraient ton sein?
Ta poussière est féconde. Elle devient la feuille,
L'insecte qui murmure ou la fleur que l'on cueille,
L'herbe de la prairie ou le grain de froment.
Et toute âme qui naît prend de brillants atomes
Aux feuilles comme aux fleurs, aux fruits comme aux arômes,
Afin de s'en couvrir comme d'un vêtement.
Le Seigneur nous fait-il un destin anormal?
Il nous faut le bonheur. Douloureuse merveille!
Nos pleurs noieront, demain, les rires de la veille,
Et plus d'un malheureux jalouse l'animal.
Sous le ciel printanier ou sous le ciel brumal,
Quand frissonne l'hiver, quand le printemps s'éveille,
Dans le vin de la coupe ou dans l'eau de la seille,
On cherche le bonheur, mais on le cherche mal.
Le vieillard incliné sur la glèbe flétrie
Regarde, épars et morts en son âme meurtrie,
Les rêves arrangés avec un si grand soin.
Et le jeune homme en vain, l'éclair dans la paupière,
Debout sur les sommets des collines de pierre,
Recule l'horizon... Le bonheur est plus loin.
Il est triste de voir la tempête accourir
Sur la plaine qu'on a vaillamment cultivée,
De voir que la moisson ne s'est pas relevée,
Et qu'avant d'être mûrs les épis vont pourrir.
Il est triste de voir soudainement mourir
Et la vierge qui boit à la coupe rêvée,
Et le jeune ouvrier qui rit à sa corvée.
Dieu, laisse l'homme vivre et le sillon mûrir!
Mais quand, au rythme doux des sylvestres sonates,
Les champs ensoleillés bercent l'or de leurs nattes,
Le faucheur radieux peut venir moissonner.
Et quand l'homme a vieilli, que sa force décline,
Et que le saint fardeau de ses oeuvres l'incline,
Il aspire au repos et la' mort peut sonner.
Il est bon ou mauvais, drôle, pudique, obscène,
Comme on veut. Quelques-uns le trouvent ennuyeux,
D'autres le trouvent beau. C'est un festin joyeux
Qui devient pour chacun une dernière cène.
Sans nul souci des coups que la critique assène,
Nous reprenons le rôle après tous nos aïeux,
Et d'autres après nous viendront... C'est curieux,
Ces fugitifs acteurs d'une si longue scène.
Si l'été resplendit, les insectes, alors,
Viennent se reposer de leurs vaillants essors,
Dans la poussière, aux champs qui furent leurs délices.
Et nous faisons comme eux. Le linceul secoué,
Nous revenons en foule errer dans les coulisses,
Pour suivre encor le drame où nous avons joué.
Sous les saules qu'on voit là-bas, plantés en talle,
Une source jaillit comme un rayonnement.
L'oiseau vient du ciel clair y puiser pleinement,
La fleur mouille à ce bain son gracieux pétale.
Le coeur est une source où maint nouveau Tantale,
Pour apaiser sa soif, se penche vainement.
Le rêve autour de lui voltige ingénument;
Il se trouble au toucher d'une haleine brutale.
La source va chantant par la friche et les blés,
Et les coeurs que le ciel a largement comblés,
Les coeurs tout pleins d'amour semblent intarissables.
N'allez pas, source ou coeur, loin des souples roseaux,
Egarer vos chemins sur les arides sables,
Car les sables boiront, coeur ou source, vos eaux.
Il chemine, rêveur, courbé sur un bâton,
Lui qu'on a vu jadis marcher d'un pas allègre;
Il ne laisse tomber aucune parole aigre,
Et pourtant la vieillesse est pesante, dit-on.
Souvent pour nous parler il prend un humble ton.
Il montre avec orgueil, parfois, de son doigt maigre,
Dans l'ombre du passé, toute une vie intègre,
Et son nom a franchi la borne du canton.
Or, rien, lui semble-t-il, n'est changé que lui-même.
On rit comme autrefois, comme autrefois on aime;
La jeunesse fleurit partout. Lui seul est vieux.
L'ombre autour de lui monte. Il hésite, il tâtonne.
Une larme descend de son grand oeil atone,
Quand il songe qu'un jour il fit des envieux.
Celui-là ferait mal de froncer les sourcils,
Qui ne lèse personne et se croit équitable,
A du feu dans son poêle et du pain sur sa table,
Une femme fidèle et des enfants gentils.
Et pourquoi cet heureux, ronflant sur des coutils
Près d'une bouche rose et d'un coeur charitable,
Ne se croirait-il pas un heureux véritable?
Le bonheur se fabrique avec d'humbles outils.
Il vieillit, ce bonheur, sans avoir de névrose.
Il ne fatigue point. C'est un poème en prose
Où chaque personnage est proprement vêtu.
Il a de la douceur s'il n'a pas d'héroïsme.
Il peut n'être pourtant qu'un grand fonds d'égoïsme
Où s'alignent, rosés, des profils de vertu.
Je vous entends monter vers les cieux éternels,
Hymne de l'espérance et chant patriotique,
Cantate de l'amour et prière mystique,
Joyeux alléluias, hosannas solennels.
Je vous entends aussi, souffles des feux charnels,
Blasphèmes de l'impie et rires du sceptique,
Râles des moribonds devant le Viatique,
Sanglots des parias, complots des criminels.
Vous murmurez, ruisseaux, nids, vous chantez l'aurore,
Champs, vous reverdissez, fleurs, vous allez éclore,
Sans demander jamais de quoi tout cela sert.
O terre, es-tu l'écho d'une orgie insensée?
Que l'homme élève donc le vol de sa pensée,
Et qu'il rende les cieux jaloux de ton concert!
Le ciel n'a plus d'azur, le ciel n'a plus d'étoiles,
Et le dernier rayon s'éteint frileux au nord.
J'entends les bois gémir sous le vent qui les tord;
Les nuages pesants tombent comme des toiles.
Dedans, l'érable dur qui fait gronder les poêles,
Dehors, des tourbillons qui hurlent. Le froid mord,
La neige monte, monte.... On dirait que la mort
Etend sur les champs nus ses blancs et tristes voiles.
Les bois, comme les coeurs, tressaillent-ils souvent?
Les coeurs, comme les bois, s'effeuillent-ils au vent?
L'angoisse ou les regrets suivent-ils les ivresses?
Oui, mais au souffle amer qui les met en lambeaux,
Sous les flocons de neige ou le poids des détresses,
Les arbres et les coeurs apparaissent plus beaux.
Quand le coutre de fer en longs sillons le tranche;
Quand le hoyau le mord de ses coups violents;
Quand la bêche le creuse avec des efforts lents,
Il semble qu'il gémit et que son coeur s'épanche.
Se révolterait-il? Aurait-il sa revanche?
Il demeure insensible à des soins vigilants;
Il se dessèche, ici, sous des soleils brûlants,
Il prend, là, sous les eaux, l'aspect d'une mer blanche.
La grange sera vide et la table, sans pain.
L'oiseau chante, à son nid, sans peur du lendemain,
Mais au nid du semeur l'espérance chancelle.
Pourtant, dans les labours où sont morts tous les bruits,
Au milieu des parfums, l'or des fleurs et des fruits,
Au jour marqué par Dieu, tout à coup étincelle.
Entendez-vous chanter les bois où nous allons?
Sur les pins droits et hauts comme des colonnades,
Les oiseaux amoureux donnent des sérénades,
Que troubleront, demain, les vigoureux colons.
Entendez-vous gémir les bois? Dans ces vallons
Qui nous offraient, hier, leurs calmes promenades,
Les coups de hache, drus comme des canonnades,
Renversent bien des nids avec les arbres longs.
Mais dans les défrichés où tombent la lumière,
L'été fera mûrir, autour d'une chaumière,
Le blé de la famille et le foin du troupeau.
L'âme de la forêt fait place à l'âme humaine,
Et l'humble défricheur taille ici son domaine,
Comme dans une étoffe on taille un fier drapeau.
Les chemins sont durcis comme par le rouleau,
Et la lune les montre en des éclairs de glaive.
La neige des tapis, que nul vent ne soulève,
Donne une teinte chaste au sylvestre tableau.
Une vaste chaudière où déjà chante l'eau
Verse un grisant arôme et la cuisson s'achève.
Ecoutez le babil de la goutte de sève
Qui tombe de l'érable en l'auge de bouleau.
Et la cabane est là, sous l'épaisse ramée.
J'aime son toit moussu d'où monte la fumée,
Et sa table sans nappe avec ses bols d'étain.
Si vous mordez ensemble aux cristaux de la tire,
Elles et vous, les gars. Alors, faut-il le dire?
La bouche est imprudente et le baiser, certain.
C'est la nuit. Le couchant a l'éclat d'un brasier;
On dirait le retour d'un sanglant crépuscule.
A travers la forêt l'épouvante circule,
Et l'on croirait entendre éclater l'obusier.
Tout brûle sur le sol, chêne comme arbousier.
La tête vers le ciel, en haut d'un monticule,
Le fauve jette alors, au torrent qui l'accule,
Les hurlements plaintifs de son rauque gosier.
Fumée en orbes noirs, tourbillons d'étincelles,
Sinistres craquements, plaintes universelles,
C'est le chaos, la fin, et rien ne restera.
Erreur! là même, un jour, uniront leurs prières
Oiseaux et moissonneurs, vergers, fleurs ou bruyères,
Car rien n'éteint la vie, et ce qui fut sera.
Laissons l'âtre mourir; courons à l'aventure.
Le brouillard qui s'élève est largement troué;
La fontaine reprend son murmure enjoué;
La clématite grimpe à chaque devanture.
Le ciel fait ondoyer les plis de sa tenture;
Une tiède vapeur monte du sol houé;
L'air doux est plein de bruits; les bois ont renoué,
Dans les effluves chauds, leur discrète ceinture.
L'aile gaîment s'envole à l'arbre où pend le nid;
L'enfant rit; le vieillard n'a plus de tons acerbes;
Les insectes émus s'appellent sous les herbes.
O le joyeux réveil! Tout chante, aime et bénit!
Un élan pousse à Dieu la nature féconde,
Et le rire du ciel s'égrène sur le monde.
Chante, scie, en mordant chevrons et soliveaux!
Sonnez, haches! Que nul des outils ne se taise!
C'est comme un cliquetis d'armes. Et l'on est aise,
Car pour mettre l'entrain coulent des vins nouveaux.
Il pleut de la gaîté sur ces rudes travaux,
L'un siffle une romance en creusant sa mortaise,
L'autre ajuste un tenon et formule une thèse,
Et comme des refrains s'élancent les bravos.
Prenant, sous le soleil, un air de hardiesse,
La rustique maison s'élève pièce à pièce.
La porte, ouverte à tous, n'aura pas de loquet.
Saluez, travailleurs, le toit qui se dessine;
Votre force grandit et pousse une racine...
Le pignon est debout, clouez-y le bouquet!
Lacs et bois, prés et monts cessent d'agoniser.
Des vols sillonnent l'air; le gazon luit et grouille;
La fontaine jaillit; le chaos se débrouille,
Et tout, autour de nous, cherche à s'harmoniser.
La terre, semble-t-il, va se diviniser.
Reprends, barde plaintif, ta lyre qui se rouille.
Ouvrons à l'amitié la porte qu'on verrouille;
La floraison des coeurs devrait s'éterniser.
Le blé germe enfoui dans le sillon qui fume;
La génisse s'ébat, et l'agneau craintif hume,
Sur l'arbuste embaumé, la sève des bourgeons.
Dans l'oeil mouillé des vieux le passé se reflète;
Le gueux voit s'adoucir le sort qui le soufflette...
C'est l'aumône du ciel que nous nous partageons.
Il est, depuis longtemps, sur un vieux cornouiller,
Caché dans les rameaux comme en une alvéole.
Un rayon lui faisait parfois une auréole,
Et l'on voyait alors les gais oiseaux grouiller.
Je venais, chaque soir, l'entendre gazouiller.
Il avait la douceur d'une chanson créole,
Il est vide aujourd'hui. Le souffle amer d'Eole
Agite l'arbre en deuil et va le dépouiller.
Le froid a-t-il tué la petite famille?
Cherche-t-elle un vallon où l'insecte fourmille,
Où les vents sont légers et les blés, parfumés?
Mon coeur ressemble au nid que la bise fait taire.
Rameaux, ne bercez plus l'humble nid solitaire,
Ne bercez plus mon coeur, ô mes rêves aimés!
Les chevaux et les boeufs, piqués par l'aiguillon,
Dans les champs reverdis promènent la charrue.
On entend, tout le jour, crier: dia! crier: hue!
Et le sillon s'allonge à côté du sillon.
L'air attiédi s'irise au vol du papillon
Qui cherche vainement une fleur disparue.
Le moineau, fatigué du dîner de la rue,
Vole se régaler d'un ver ou d'un grillon.
Sous le labour fumant qu'un chaud rayon caresse,
Insectes comme fleurs ont leur anxiété,
Et meurent tout à coup, dans la première ivresse.
C'est le prix des moissons que va mûrir l'été.
Nul n'y songe peut-être, et nul ne s'en effraie,
Toute vie est, hélas! un bien que la mort paie!
Ils sont comme les fruits qu'on met dans le pressoir.
Le soleil a cuivré leur figure rougeaude.
Lui, dans son champ qu'il bêche, heureux, il échafaude
De modestes bonheurs qu'il faut parfois surseoir.
Elle, dans sa maison arrange tout. Le soir,
Quand le marmot sommeille en sa couche bien chaude,
Elle prend, au panier, les bas qu'elle ravaude,
Et vient près de son homme en souriant s'asseoir.
Ils parlent du jardin... Il faut qu'on le ratisse.
Ils parlent des agneaux, des laines qu'elle tisse,
Et du grain qu'il va battre et porter au moulin.
Il tire de sa pipe une longue bouffée,
Puis ils vont au berceau, d'une marche étouffée,
Pour voir l'ange qui dort sous un voile de lin.
Dès l'aube il a quitté la paille de l'alcôve,
Car l'amour du travail est un vif aiguillon.
Au clocher dort encor le pieux carillon;
Il s'agenouille et dit la prière qui sauve.
Il puise le grain d'ambre au sac de toile fauve,
Et, d'un geste rythmé, le répand au sillon,
Comme un prêtre, l'eau sainte avec le goupillon.
Son rêve voit mûrir la plaine encore chauve.
Et les corbeaux goulus volent derrière lui
Pour se gorger avant qu'il promène la herse.
C'est une aumône aussi que le printemps leur verse.
Donne au sol le froment. Quand le jour aura fui,
Entre, vaillant semeur, dans ta chambrette close...
Donne au sol le froment, au foyer l'enfant rose.
Ou vas-tu, ruisseau clair sorti du noir rocher?
Où vas-tu quand tu cours avec un gai murmure?
Quand tu passes muet sous la sombre ramure,
Où vas-tu, clair ruisseau? Moi, je vais chevaucher.
Par les bois odorants que le temps va faucher,
Par le bourg qui surgit, la ville qui se mure,
Par la lande déserte ou la campagne mûre,
Tu vas loin de ta source et moi, loin du clocher.
L'orage, quelquefois, te grossit et te souille;
Quelquefois Dieu me frappe, et mon regard se mouille
Retrouve ton flot pur, j'ai ma sérénité.
Hâtons-nous. Moi, je peine; arrose les vallées...
Nos âmes, à tous deux, seront bien vite allées,
L'une au fleuve profond, l'autre à l'éternité.
Elle a, tout en chantant, planté de nombreux choux.
Un merle, beau jaseur, avec plaisir l'accueille.
En des cornets légers sa main poudreuse cueille
Des graines qui, parfois, ont l'air de vrais bijoux.
Puis elle sème alors, avec un soin jaloux,
Rave pourpre et persil à l'odorante feuille.
Voici qu'elle s'arrête et longtemps se recueille
Devant une poussière aux reflets noirs et doux.
Et puis, elle murmure, en des poses lascives,
Mais sans songer à mal:--L'oignon, l'ail et les cives,
Cela donne la faim au lieu de l'apaiser.
Je n'en goûterai pas, leur odeur empoisonne...
Or, quand on est jolie et que l'amour foisonne,
On ne saurait toujours refuser un baiser.
Un oiseau vient. Il plane. Agite un peu ta loque;
Fais croire que tu vis, mon petit mannequin.
Cet oiseau-là, vois-tu, c'est peut-être un coquin
Qui cherche quelqu'endroit où l'on bat la breloque.
Ecoute, je suis sûr qu'il fait un soliloque
En regardant mon champ, je ne suis pas mesquin,
Mais je ne puis nourrir, tout l'été, ce faquin.
Si je veux qu'à l'hiver la faim ne me disloque.
S'il vient un maraudeur, il est bien entendu
Que tu ne bouges pas. Tu seras un pendu.
Peut-être oubliera-t-il de mordre dans mes pommes.
Pour qui trame le mal tout devient alarmant,
Les bêtes à l'affût ont peur d'un mouvement,
Et l'immobilité déconcerte les hommes.
Le sarrasin fleuri verse un parfum de miel,
Et le moineau, gorgé des blés mûrs qu'il saccage,
Vole à son nid. L'érable et le pin du bocage
Dentellent, au ponant, les champs pourpres du ciel.
C'est le soir. Dans l'air pur, monte un vibrant appel,
Et soudain le troupeau qu'on a mis au pacage,
Par la sente connue ou par le marécage,
Accourt lécher la main d'où s'égraine le sel.
La génisse rumine auprès de la barrière.
Avec un bruit de source, au fond d'une chaudière,
De sa lourde mamelle il tombe un flot de lait.
La laitière caresse un rêve. Elle présume
Qu'avec deux fois le prix de cette blanche écume
Elle peut étrenner un joli mantelet.
Les baisers du soleil endorment le foin mûr,
La feuillée odorante et le flot d'émeraude.
L'insecte crie et trotte, et le moineau maraude
Pour nourrir ses petits nichés sur un vieux mur.
Le paysan se hâte. Il fauche d'un bras sûr.
Il rit au mil pesant, et souvent son oeil rôde
Pour voir si la prairie a retenu, par fraude,
La marguerite blanche et le bluet d'azur.
L'air est tout embaumé. L'herbe que la faux coupe
Enivre l'ouvrier comme une pleine coupe,
Et le champ large et nu garde encor des splendeurs.
Comme le foin tombé sous l'acier qui le fouille,
L'âme du malheureux que l'épreuve agenouille
Autour d'elle répand de suaves odeurs.
Les champs où les troupeaux s'en allaient festoyer,
Sont nus. Rien ne fleurit. Tristement l'agneau bêle.
A pleurer comme un glas la clarine se fêle.
On voit sur les chemins la poussière ondoyer.
Un souffle desséchant ne cesse d'aboyer.
Les ruisseaux sont taris. L'âpre chardon se mêle,
Sur les maigres sillons, aux tiges du blé grêle,
Et partout le soleil se plaît à flamboyer.
Mais si le ciel serein pleuvait sa fraîche ondée,
La terre, qui gémit comme une infécondée,
Verrait de beaux épis hérisser le labour.
Quand l'espérance en Dieu nous semblera périe,
Dans l'âme desséchée ainsi que la prairie
Nos pleurs feront germer une moisson d'amour.
Aux amis comme toi, c'est un culte qu'on voue.
Je t'ai vu bien petit et te voilà bien grand;
Mais quand j'y pense un peu, cela ne me surprend,
Car moi-même en effet j'ai vieilli, je l'avoue.
Au sol qui t'a vu naître un sort béni te cloue.
Tu ne sais rien du mal que là-bas on apprend.
Sous tes rameaux fleuris l'oiseau chante. Il comprend
Que ta feuille tressaille au nom du Dieu qu'il loue.
As-tu prêté souvent ton ombre aux malheureux?
As-tu laissé tomber tes blanches fleurs sur eux?
As-tu versé le baume à l'âme tracassée?
A qui manquait de pain ton fruit s'est-il offert?
Mais que vois-je pourtant? Une branche cassée?...
Ton coeur, comme le mien, vieil arbre, a donc souffert?
Elle semble un grand lac aux immobiles eaux.
L'horizon bleu la borne, et nul ne sait son âge.
Il y flotte parfois un vol lourd de nuage,
Et la voile qui s'ouvre est l'aile des oiseaux.
Elle a des pins altiers; elle a d'humbles roseaux,
Des rayons de lumière où le papillon nage,
Des effluves grisants, des odeurs de carnage
Et de fauves sentiers où blanchissent des os.
Quelquefois, au-dessus de ses noires ramures,
Luisent des clochers blancs, admirables jalons
Que laisse sur sa route un peuple de colons.
Forêt, quand tu te plains, frissonnes ou murmures,
Quand tu grondes, gémis ou chantes, l'oeil humain
Voit un clavier sublime où Dieu pose la main.
Une fraîche rosée a mouillé vos épis,
Et sous leurs cils luisants, rudes comme des armes,
Les grains drus sont pareils à ces brûlantes larmes
Que gardent bien souvent nos chagrins assoupis.
Parfois le vent se joue en vos mouvants tapis,
Et vous semblez la mer d'où montent tant d'alarmes;
Parfois, enveloppés d'un calme plein de charmes,
Vous semblez le sommeil des grands fauves tapis.
Quand la brise s'élève, en flexions profondes,
Inclinez devant moi, blés mûrs, vos têtes blondes,
Avec le bruit troublant des longs baisers d'adieu.
Et moi, la moisson faite, en habits du dimanche,
J'irai, vieux paysan, pencher ma tête blanche
Devant l'ostensoir d'or où vous serez, mon Dieu.
Le soleil a mûri les moissons. Sur le sol,
Au crissement des faux, tombent l'avoine et l'orge.
La javelle est pesante, et l'oiseau qui se gorge
Paie avec des chansons en reprenant son vol.
Sous l'orme chevelu qui s'ouvre en parasol,
Le moissonneur, brûlé comme par une forge,
Vient s'asseoir en songeant à l'aire qui regorge,
Et, pour se rafraîchir, boit le lait à plein bol.
Si le nuage monte au couchant, il sourcille
Et d'une main fiévreuse il reprend sa faucille.
Sous le ciel menaçant son courage a doublé.
Et puis, aux jours d'hiver, comme il fera ripaille!
O le calme sommeil sur la nouvelle paille!
Dans la huche un peu vide, ô le bon pain de blé!
Une ombre épaisse monte au ciel bleu. L'air s'embrase,
Il passe dans le calme un frisson alarmant.
Soudain l'éclair jaillit. Un affreux grondement
Fait trembler, semble-t-il, la terre sur sa base.
Le nuage grandit. Sur la forêt qu'il rase,
Bientôt, flot ténébreux, il crève lourdement,
Et le ruisseau se change en torrent écumant,
Et la moisson gémit sous le vent qui l'écrase.
Puis, lorsque la tempête a fui vers d'autres lieux,
Le soleil souriant éclaire des ruines,
Et l'on entend chanter les oiseaux oublieux.
Quand, pour chasser loin d'elle un voile de bruines,
L'âme demande un souffle et que l'orage vient,
Elle ne chante pas, mais elle se souvient.
S'il fallait engerber les grains laissés épars,
Aux jours déjà lointains de mes jeunes années,
Nous portions au lieur les javelles fanées,
Et les gerbes criaient sous l'étreinte des harts.
Vous avez, aujourd'hui, l'industrie et les arts;
Tout se fait vite. Et puis, vos machines damnées
Travaillent mieux que l'homme avec ses mains tannées.
Les choses du vieux temps font sourire les gars.
Mais le soleil joyeux qui mûrissait les orges,
Bronzait nos fronts sereins et les vaillantes gorges
Des filles qui chantaient en revenant du clos.
Et dans nos coeurs aimants, paysans, paysannes,
Nous sentions s'infiltrer des rayons diaphanes
Qui formaient comme un nimbe au dernier rêve éclos.
Tu réveilles en moi des souvenirs confus.
Je t'ai vu, n'est-ce pas? moins triste et moins modeste.
Ta tête sous l'orage avait un noble geste,
Et l'amour se cachait dans tes rameaux touffus.
D'autres, autour de toi, comme de riches fûts,
Poussaient leurs troncs noueux vers la voûte céleste.
Ils sont tombés, et rien de leur beauté ne reste;
Et toi-même, aujourd'hui, sait-on ce que tu fus?
O vieil arbre tremblant dans ton écorce grise;
Sens-tu couler encore une sève qui grise?
Les oiseaux chantent-ils sur tes rameaux gercés?
Moi, je suis un vieil arbre oublié dans la plaine,
Et, pour tromper l'ennui dont ma pauvre âme est pleine,
J'aime à me souvenir des nids que j'ai bercés.
C'est la serrée enfin, le grain est javelé.
Béni le front soumis que la sueur arrose!
La lumière s'étend comme une nappe rose
Sur le moissonneur humble et le champ nivelé.
Chaque automne, chez nous, on a renouvelé
Cette fête où jamais aucun front n'est morose.
Aux rustiques beautés, alors, plus d'un gars ose
Faire un aveu que l'oeil a déjà révélé.
Il faut avec deux harts lier la grosse gerbe.
Choisissez les épis et faites-la superbe;
Couronnez-la de fleurs, parez-la de rubans.
Qu'elle entre dans la grange au son des tambourines.
Chantez, parlez d'amour, ô lèvres purpurines,
Et plus tard, à l'église, on publiera des bans.
C'est août qui flambe. Au bois comme au champ tout est mûr.
Le sauvage raisin offre son jus qui grise;
Le soleil a pourpré la pomme et la cerise;
La ronce est toute noire et l'airelle est d'azur.
Fruits mûrs les seigles blonds que fauche l'acier dur,
Les vierges du foyer dont l'oeil doux électrise,
Les brillants papillons dont le jardin s'irise,
Les oiseaux dont les nids chantent le soir obscur.
Et sous les grands vergers que la lumière lustre,
Dans l'enivrante odeur, fruit mûr le poupon rustre
Qu'une mère caresse et fait boire à son sein.
Ah! sur ma lèvre et dans mon coeur, quoi qu'on en dise,
Devant tant de fruits mûrs qui s'offrent à dessein
Je sens se réveiller l'antique gourmandise!
Le rouissage est bon. Au fond de la coudraie,
Sur un grand chariot, transportez chanvre et lin.
Dans l'alcôve, tout près du ruisseau cristallin,
L'échafaud s'étendra comme une sombre raie.
Que l'on entende au loin les échos de la braie.
Le chanvre a son arôme et l'oeil, son feu malin.
Prenez garde. Le boeuf tombe sous le merlin,
Et, sous un doux regard, l'homme que rien n'effraie.
La coupe du ruisseau vous offre sa liqueur;
Le vent murmure doux comme un chant de félibres;
Un sourire, un baiser attendent le vainqueur.
Broyez, filles, garçons, de vos mains de gens libres,
Pour voiler votre épaule, un lin aux blanches fibres,
Un chanvre parfumé pour lier votre coeur.
Jusque sous les chevrons les grains sont entassés,
Les rudes paysans se courbent sur la bêche,
Car ils ne chôment pas. Il faut qu'on se dépêche,
L'automne, les beaux jours sont si vite passés.
Et tous, poitrine à nu, jusqu'aux genoux chaussés,
Ceux-ci d'un front soumis, ceux-là d'un air revêche,
Pour voir sécher en mai la terre humide et fraîche,
Ils creusent, maintenant, rigoles et fossés.
Et dans un autre champ que la mort fertilise,
Un champ planté de croix, tout auprès de l'église,
Il est en même temps, un autre fossoyeur.
Fixant le sol bénit de ses regards funèbres,
Il creuse lentement ces chemins de ténèbres
Par où tous--eux et lui--s'en iront au Seigneur.
Elles ont revêtu de brillantes toilettes,
Et l'on dirait des fleurs. Les bois en sont couverts.
Les unes ont du pourpre avec des ourlets verts,
Les autres, des fils bleus comme les violettes.
Elles ont pour joyaux de claires gouttelettes.
Elles veulent jouir avant les longs hivers.
Les folles, voyez-les voltiger à travers
Les arbres dépouillés comme de grands squelettes.
La brise a ranimé leur vif trémoussement,
Et la forêt sourit au nouveau bruissement.
Elle n'a plus sommeil... Mais tout plaisir s'émousse.
La fatigue survient et, lasses de bonheur,
On les voit tour à tour s'étendre sur la mousse
Où les foule bientôt le pied du promeneur.
Le ciel pèse sur nous. Les flocons des brouillards
Tombent, en tournoyant, comme des feuilles blanches.
Ils vont mettre un linceul sur l'éteule des planches
Où venaient braconner tous les oiseaux pillards.
Plus de soleil ardent, plus de chants égrillards.
La porte s'est fermée au tintement des clenches;
Les flots sont noirs; le vent a dépouillé les branches,
Et le calme est profond dans les nids babillards.
Rien ne me sourit plus. Ma flamme est refroidie.
En vain contre le ciel mon âme s'est roidie,
Tout m'échappe, et l'espoir ne me dit plus ses chants.
Et partout je suis seul! Mais pourquoi m'étonné-je?
Sur mon front qui s'incline, ainsi que sur les champs,
Voici les blancs flocons de la première neige.
Sur la route que suit cette lourde voiture,
Au pied de la chaussée où l'eau gronde si fort,
C'est le moulin. Il est solide comme un fort,
Et mille sacs de grains logent sous sa toiture.
O les blés rutilants que la meule triture
Avec un grand bruit sourd et comme sans effort!
Et la meunière chante, en songeant au confort
Que Dieu donne au moulin qui fait bonne mouture.
Un brouillard argenté s'étend jusques au fond.
Tout est blanc: le meunier, les murs et le plafond,
Et dans cette blancheur un rayon de ciel danse.
Pendant que les bluteaux s'agitent follement,
Dans l'air tout saturé de l'odeur du froment
Le paysan se grise et rêve l'abondance.
Sans voiles sont nos eaux, et nos cieux sont sans ailes.
Les champs se sont drapés dans leur manteau d'argent
Les étoiles jamais n'ont tant lui. L'indigent
Lève, tout anxieux, ses mains froides vers elles.
Voici que vos clameurs, ô vents! sont comme celles
Des mers où disparaît le vaisseau diligent!
Voici qu'en tourbillons passent, au ciel changeant,
Des flocons radieux comme des étincelles.
Nul chant ne monte plus des grands bois dentelés.
Tous les logis sont clos, les fleuves sont gelés,
Et dans le jour douteux mille spectres se forment.
L'hiver de notre vie est triste ainsi pourtant.
Sous nos cheveux de neige, hélas! à jamais dorment
Les suaves espoirs que nous caressions tant.
Il neige et tout est blanc: champs, maisons et préaux.
Des granges, çà et là, paraissent éclairées.
Sous leurs poutres de pin les gerbes d'or, serrées,
Ont l'aspect curieux des murs fauves et hauts.
Dans le calme profond, voilà que des fléaux
Tombent dru, tour à tour, sur les blondes airées.
Et dès les matins clairs jusqu'aux sombres soirées
Les épis mûrs, battus, font pleuvoir leurs joyaux.
Et puis, de temps en temps, dressant sa forte taille,
Un vieux batteur de grain, dans un rêve, détaille
Le nombre des boisseaux quand tout sera moulu.
"Que chaque gerbe ainsi s'égrène en avalanche,
Pense-t-il, souriant, c'est du pain sur la planche,
Bonne dîme au curé, pâques au temps voulu,"
Jusqu'à ce que la nuit effeuille ses pavots,
Le rouet grondera comme l'oiseau gazouille.
Les agneaux sans défense ont livré leur dépouille;
Elle a filé la laine en soyeux écheveaux.
Et voici maintenant le tour des lins nouveaux.
Ils ont été gardés des baisers de la rouille.
Elle chante et sourit; puis, devant sa quenouille
Passent des espoirs doux et des rêves dévots.
--Que sera ce beau fil, tout à coup se dit-elle?
Des nappes pour la table et des draps pour les lits,
Une chemise blanche, une frêle dentelle...
Il est douteux, enfant, l'avenir que tu lis.
Quelque fil que l'on donne à son rouet avide,
C'est parfois un linceul que le fuseau dévide.
Au-dessus des foins verts et de la blonde avoine
Vos rêves de bonheur prennent un fol élan.
Vous voulez voir tomber tout rôti l'ortolan;
Vous en avez assez d'une table de moine.
Mais faut-il pour cela quitter le patrimoine
Où vos aïeux peinaient jusques au bout de l'an?
S'il vous plaît de grossir votre mince bilan,
Faites mûrir des blés où fleurit la pivoine.
Prenez garde; le rêve est parfois décevant.
Vous voyez luire l'or comme un soleil levant,
Sur les bords du Klondyke et les glaciers du pôle.
Que ces reflets lointains ne vous fascinent pas,
Il est de l'or partout pour celui dont l'épaule
Veut bien porter ici le fardeau de là-bas.
Au bord du fleuve immense et le long des chemins,
Comme un poème doux qu'on fait stance après stance,
Nos pères ont planté, de distance en distance,
De hautes croix de bois qui sont nos parchemins.
A genoux à leur pied, parmi les blancs jasmins,
Ils venaient implorer la divine assistance,
Pour que le champ nouveau donnât la subsistance
Et que l'humble foyer eût d'heureux lendemains.
Quand on passe devant, homme ou femme, on salue.
Chez nous, bons campagnards à l'âme résolue,
Patriotisme et foi sont fortement ancrés.
Elles sont là toujours sous l'azur ou l'averse;
Et pour que nos enfants aient des abris sacrés,
On les remet debout quand le temps les renverse.
Par la fenêtre ouverte on voit la floraison.
C'est l'heure de la messe. Au loin un clocher brille.
Tout le monde est parti; seule, une jeune fille
Vaque aux soins du ménage en la pauvre maison.
Une croix noire pend à la blanche cloison.
Dans son corsage neuf l'enfant est bien gentille.
L'eau bout, la vapeur monte. Un chat luisant se grille
Au poêle d'où s'échappe un reflet de tison.
Mais voici que l'airain tinte dans le ciel rose.
Sanctus! Sanctus! Sanctus!... La jeune fille pose
Le chou vert sur un banc, au clou le gobelet.
Sanctus! Sanctus!... Avant que la cloche se taise,
Elle tombe à genoux et, les bras sur sa chaise,
Elle incline la tête et dit son chapelet.
Ce n'était pas chez nous... Rien ne me consolait
De ne plus voir mes bois, ni mes oiseaux en fête.
D'autres bois fleurissaient, je détournais la tête;
Puis, je fermais l'oreille au chant qui s'envolait.
Je refusais de boire au ruisseau qui coulait,
De mordre au fruit pourpré qui s'échappait d'un faite.
J'allais regardant bas comme la pauvre bête;
Rien n'éclairait mon coeur quand la nuit s'étoilait.
Et j'évoquais toujours vos souvenirs augustes,
Clochers, vieille maison, forêt, ruisseaux, arbustes,
Qui m'aviez tant de fois vu plier les genoux.
Lorsque mai refleurit sous la brise légère,
Pour me faire oublier, une belle étrangère
M'offrit l'amour...--Fi donc! Ce n'était pas chez nous!
Vous voulez, dites-vous, que partout la paix règne,
Pourquoi s'allument donc vos dévorants fourneaux?
Et pourquoi vos soldats montent-ils aux créneaux?
Est-ce pour éblouir? Est-ce pour que l'on craigne?
Le peuple est libre. Est-il un Dieu qui le contraigne
A s'atteler jamais au char des tyranneaux?
N'osez pas à sa chaîne ajouter des anneaux,
Il saurait la briser avant qu'on ne l'étreigne.
Votre gloire souvent germe dans les horreurs.
Comptez moins de soldats et plus de laboureurs,
La poitrine de l'homme est un rempart fragile.
O puissants! faites taire et clairons et tambours,
Fermez vos codes faux et rouvrez l'Evangile,
Vous verrez que vos plans sont tracés à rebours.
Vous ne nous aimez pas, cela nous le savons.
Nous avons nos défauts et vous avez les vôtres.
Vous êtes des marchands, nous sommes des apôtres;
Vous achetez la terre, et nous, nous la sauvons.
Notre langue est très belle et nous la conservons.
Nous sommes tous égaux et vos droits sont les nôtres.
Amassez des louis, disons des patenôtres,
Et servons librement le Dieu que nous servons.
L'Eglise, à ses autels, dans toute la patrie,
Pour notre souverain avec foi chante et prie,
Et tous, agenouillés, nous répondons: Amen.
Pourquoi donc des soupçons? pourquoi des mots acerbes?
La paix soit avec nous! Nos deux races superbes
Doivent s'unir, un jour, dans un fécond hymen.
C'est un coin de l'Afrique. Il n'a pas de rival
Pour ses copje, ses rocs, ses sables, ses marnières,
Pour l'éclat de son ciel et l'or de ses minières,
Pour ses troupeaux et pour ses prés. C'est le Transval.
Dans sa campagne en deuil, au long d'un joli val,
Sur le sol défoncé par de grises ornières,
Et les cheveux flottant aux brises printanières,
Deux Boërs, un jeune, un vieux, s'en allaient à cheval.
Le jeune s'étonnait des creux dans la verdure.
--La guerre, mon enfant, la guerre longue et dure...
Là dorment des héros! dit l'autre avec fierté.
Il regardait toujours les innombrables fosses.
Tout à coup il joignit ses mains rudes et grosses
Et jeta ce sanglot:--Là gît la liberté!
Son oeil m'enveloppait comme l'azur céleste;
C'était l'enivrement dans la sérénité.
J'aurais voulu la voir toute une éternité,
Sa main me dit adieu d'un adorable geste.
Elle partit, courant sur les fleurs d'un pied leste,
Et je crus voir se fondre une divinité.
Aussitôt j'entendis comme une infinité
De chants et de soupirs dans ma retraite agreste.
Descendaient-ils des nids cachés dans les rameaux
De la cime des bois qu'une brise balance?
Du violon plaintif d'un barde des hameaux?
Violon, bois et nids faisaient partout silence,
Et rien n'éveillait plus les échos d'alentour...
C'est mon coeur qui vibrait au souffle de l'amour.
Elle avait repoussé plus d'un amour banal,
Et son âme chantait une idéale stance.
Nous étions--mais j'oublie en quelle circonstance--
Au jardin que berçait un souffle matinal.
Un papillon, caché dans un lis virginal,
S'enivrait de rosée. Il paya d'inconstance.
Nous le vîmes s'enfuir une longue distance,
Et la fleur, sembla-t-il, pleura l'adieu final.
Elle la prit alors de ses beaux doigts de fée,
La mit à son corsage ainsi qu'un fier trophée,
Et le parfum semblait s'exhaler de son coeur.
Elle tourna vers moi sa figure rosée,
Et dans son oeil humide, ouvert comme la fleur,
Comme le papillon je bus de la rosée.
Venez par les flots bleus, venez par les bosquets,
Venez sur vos coursiers, venez sur vos gondoles,
Venez tourbillonner au feu des girandoles,
Avec des regards doux et des rires coquets.
Les parfums sur vos pas monteront des parquets.
Femmes belles, régnez! Vous êtes des idoles.
Dansez galops, polkas, valses et farandoles;
La danse grise plus que le vin des banquets.
Quels accords! Bercez-vous au rythme qui s'envole.
Un jour sans volupté, c'est un jour que Dieu vole,
Disent d'un ton hardi les jeunes libertins.
Mais le vin et l'amour troublent plus d'une tête...
Lorsque s'ouvre le bal bien des coeurs sont en fête,
Quand le bal est fini bien des coeurs sont éteints!
La source a déroulé sa dentelle de givre;
L'insecte ne court plus à son joyeux festin;
Le champ s'est dépouillé de son riche butin,
Et l'oiseau, dirait-on, dans l'air froid voltige ivre.
Et voici que la feuille au vent d'hiver se livre.
Comme une aile de pourpre, une fleur de satin,
Sans regrets elle vole à son nouveau destin;
Elle tombe et les bois se ferment comme un livre.
Nos âmes, tout à coup, avant les blancs hivers,
S'effeuillent quelquefois comme les arbres verts;
C'est quand passe l'amour en ardentes flambées.
Et toujours, désormais, dans leur triste pâleur,
Les feuilles resteront sous les bois sans chaleur,
Mais Dieu relèvera bien des âmes tombées.
Elle est belle et pourtant son front est nuageux.
Son oeil bleu flotte vague et son rire fascine.
Sa bouche enivre et ment. L'aurore capucine
Luit dans ses cheveux blonds près du muguet neigeux.
Prendre ou briser des coeurs, c'est pour elle des jeux,
Mais l'amour en secret a poussé sa racine.
Dans son esprit ému l'imprudente dessine
Des chemins de lumière et des sentiers fangeux...
Maintenant elle pleure et sa beauté se fane;
Et comme des vols noirs dans le ciel diaphane,
Passent sur sa pauvre âme un essaim de remords.
Emportez, emportez à jamais, heures lentes,
Ces souvenirs cuisants! Sous des cendres brûlantes
Les bonheurs entrevus depuis longtemps sont morts!
Aux vallons endormis la nuit glisse en silence.
Mes vieux pins sont drapés dans leurs sombres manteaux.
On n'entend plus monter le rythme des marteaux,
On ne voit plus la nef que la vague balance.
Une fauve lueur, comme un éclair de lance,
Embrase un coin du ciel, au-dessus des côteaux.
Les cimes ont de l'or dans leurs noirs chapiteaux.
Vers ces derniers rayons le vol des coeurs s'élance.
Et c'est le soir pour moi! Loin mon joyeux matin,
Loin le midi de flamme où mon coeur libertin,
Martelé par l'amour, sonnait comme une enclume!
Mais au fond de mon âme où le soleil a lui,
Crépuscule nouveau qu'un souvenir allume,
Je vois un doux reflet de mon bonheur enfui.
Mes souvenirs d'amour ont toujours leur fraîcheur.
J'avais une voisine et je l'aimais en rêve;
J'avais un lis aussi, recueilli sur la grève
Un soir que j'attendais le retour du pêcheur.
Pauvre lis, il souffrait et perdait sa blancheur,
Et je souffrais de même, et de même sans trêve.
Notre vie à tous deux allait être fort brève.
Nous serions, au printemps, la moisson du faucheur.
Un rayon de soleil, par la fenêtre ouverte,
Est venu ranimer mon lis déjà perdu.
Mon lis est encor blanc, sa feuille est encor verte.
Un regard de tendresse est sur moi descendu;
Le mal qui m'oppressait s'en est allé sur l'heure.
L'amour n'est plus un rêve et la vie est meilleure.
Les nuages s'en vont, ployés comme des tentes.
Pendant qu'au foyer pâle on jette les sarments
Le désir se réveille, et sous de chauds ferments
L'âme berce, en la nuit, des lueurs éclatantes.
C'est l'heure des soupirs, c'est l'heure des attentes;
L'espoir, comme la crainte, a d'amers serrements.
Aveugle et fou, l'amour prodigue ses serments.
Les fauves ont aussi de secrètes ententes.
Laisse flotter, beau soir, l'ombre de ton rideau,
Le paria lassé dépose son fardeau,
Si des pensers troublants inclinent bien des têtes,
Avec ses rêves doux l'amour est un sommeil;
Hommes aventureux ou caressantes bêtes,
Si l'amour vous endort prenez garde au réveil.
Le passé nous est cher, et c'est pour qu'il renaisse
Que l'âme émue évoque un souvenir lointain.
Je l'aimais. Cette flamme a fixé mon destin.
Son nom... Mais il n'importe ici qu'on le connaisse.
Son oeil sous des cils noirs pétillait de finesse.
De son amour alors je n'étais pas certain.
Je redoutais un peu son petit air mutin
Et les effrois charmants de sa chaste jeunesse.
Ma lèvre, un jour, osa caresser ses cheveux,
Et je balbutiai:--Sais-tu ce que je veux?
--Que m'importe, fit-elle? Et puis, je la vis rire.
Ce fut comme un stylet qui venait m'effleurer.
--Je veux, repris-je triste et ne sachant quoi dire,
Le baiser des adieux... Et je la vis pleurer.
Les sommets du levant se teintent de vermeil.
Une lueur s'étend, encore molle et basse,
Et puis, le feu jaillit. Sur la campagne lasse
De dormir, les oiseaux vont sonner le réveil.
Et moi je peux vous dire un lever de soleil
Qui ne dore jamais les lointains de l'espace.
Il rayonne pourtant, et son éclat surpasse
Le lever d'orient que l'on dit sans pareil.
L'un embrase le ciel et l'autre nous embrase.
Notre âme le contemple en une ardente extase,
Et dans un trouble extrême elle attend son retour.
Ce lever ravissant qui nous jette en démence,
C'est l'oeil ivre qui s'ouvre à l'appel de l'amour,
Et promet la flambée au beau jour qui commence.
Le ciel semble, au ponant, un océan vermeil.
Les pins bercent les nids et chantent à voix basse.
Le soleil ne luit plus; sur l'eau la rame est lasse.
Le travail reprendra son grand hymne au réveil.
Moi je sais cependant un coucher de soleil
Dont les fauves clartés ne rosent point l'espace.
Il ne rayonne pas au ciel. Rien ne surpasse
Sa navrante tiédeur. Nul n'en sait un pareil.
Il est comme un foyer qu'aucun souffle n'embrase.
Il tire sans pitié l'âme de son extase,
Et l'ombre qui le suit fait craindre son retour.
Ce coucher que je hais jusques à la démence,
Ce coucher noir, c'est l'oeil qui se ferme à l'amour
Et refuse une étoile à la nuit qui commence.
Malheur à qui vit seul! disent d'anciens écrits.
Pour le coeur sans pitié que l'ennui soit sans trèves!
La vie à deux est bonne et ses heures sont brèves,
La force et la beauté, ce matin, l'ont compris.
Votre jeunesse expire, et vos calmes esprits
Ne seront plus troublés par d'inutiles rêves.
Comme des flots mourant sur le sable des grèves,
Vos doux espoirs comblés feront taire leurs cris.
Une porte se ferme, une autre porte s'ouvre,
Une terre promise à vos yeux se découvre,
Où votre amour béni va tracer un sillon.
Et votre liberté, craignez qu'on vous la rende;
Vous croyez fermer l'aile et vous l'ouvrez plus grande...
La chrysalide meurt quand naît le papillon.
Pourquoi dire cela s'il n'en est pas besoin?...
Un nuage, au couchant, semblait un banc de craie,
Et, perçant la ramure, une éclatante raie
Argentait un ruisseau qui se perdait au loin.
Nous marchions au soleil, dans les fleurs et le foin,
En causant tendrement de notre amitié vraie.
Nos coeurs étaient pareils à des blés sans ivraie.
De nos graves serments un oiseau fut témoin.
Elle prit au buisson une blanche églantine,
Et la baisa disant d'une voix enfantine:
--C'est comme une autre bouche, et combien pure, va!
Et moi, je répondis, d'une âme un peu tremblante,
En effleurant sa lèvre où le mot s'acheva:
--C'est comme une autre fleur, mais combien plus troublante!
Nous coupions l'orge dense au soleil de septembre;
Nos faucilles d'acier disaient les mêmes chants.
Le soir, les bras mordus par des épis méchants,
Elle rentrait sans bruit dans sa modeste chambre.
Avec les papillons, sur la javelle d'ambre,
Dans l'air chaud des midis et le baume des champs,
Il voltige toujours des rêves alléchants,
Et le coeur indompté sous l'aiguillon se cambre.
Un jour elle pleura. Je ne sais pas mentir,
Dans son grand regard bleu flottait le repentir,
Et sa vertu farouche accusait une faute.
Grisés par les parfums qui montaient du gramen,
Nous avions modulé, d'une voix un peu haute,
L'hymne dont un baiser est quelquefois l'Amen.
Et j'entendais l'amour retentir comme un cor.
Je vis sur les rameaux des nids pleins de tendresse.
Les petits essayaient, avec des cris d'ivresse,
Leur aile où le matin peignait des reflets d'or.
Un champ d'orge, tout près, leur offrait son trésor;
La brise qui passait leur donnait sa caresse.
Or, du faîte élevé comme une forteresse
Ils pourraient jusqu'au ciel prendre, un jour, leur essor.
L'hiver emporta loin les feuilles desséchées.
Je voulus voir encor les joyeuses nichées,
Seuls des flocons de neige étoilaient les buissons.
Tous les coeurs sont des nids où chante l'espérance,
Et les flocons de neige, avec indifférence,
Des coeurs comme des nids font taire les chansons.
Nous allions nous aimer quand on nous sépara...
C'était aux jours de feu de la jeunesse folle;
Nous fîmes connaissance en allant à l'école,
Un jour que le hasard coquin nous égara.
Nous arrivâmes tard, et vite elle narra
Une plaisante histoire au maître bénévole.
Le maître, souriant, ne dit qu'une parole:
--"Suivez le bon chemin, tout se réparera."
Après de longs hivers, en fouillant dans les cendres,
Nous avons retrouvé ce souvenir charmant.
Nous n'y vîmes d'abord rien de bien alarmant.
Le chemin de l'école, où l'on fait des esclandres,
Mène loin quelquefois, j'oserais l'affirmer...
Quand on nous sépara nous allions nous aimer.
Mondes qui, chaque soir, à mes regards ravis
Publiez la grandeur du Créateur suprême,
Passez-vous les premiers dans un lointain extrême,
Ou d'autres sont-ils morts, que vous avez suivis?
A d'implacables lois êtes-vous asservis?
La route parcourue est-elle encor la même?
Et, comme les fleurons autour d'un diadème,
Rayonnez-vous autour des célestes parvis?
Est-il parfois chez vous un coeur qui s'apitoie?
Est-il un gueux qui pleure, un riche qui festoie?
O mondes éclatants, vos sentiers sont-ils vieux?
Nous cherchez-vous aussi dans votre impatience?
Direz-vous vos secrets, un jour, à la science,
Ou faudra-t-il mourir pour vous connaître mieux?
Comment paraît la terre, en ces champs infinis
Où le verre savant hâte ses découvertes,
Quand de neige ou de fleurs ses plaines sont couvertes
Et quand, sur ses labours, flottent les blés jaunis?
Comment, avec ses bois comme des flots unis?
Avec ses mers de sable et ses oasis vertes?
Ses nuages pareils à des ailes ouvertes?
Ses fleuves vagabonds et ses rochers brunis?
Esclave résignée ou superbe rebelle,
Cette vivante terre est étrangement belle,
Et le pied du Seigneur en fait son escabeau.
Elle est comme une ruche où peinent les abeilles;
Elle a tous les parfums des célestes corbeilles,
Tous les chants de l'amour, mais elle est un tombeau.
Dois-tu n'avoir, un jour, qu'un vol de fainéant,
Comme un oiseau lassé d'une course inutile?
Iras-tu, quand il faut pour te rendre fertile
Des ans par millions, en un jour au néant?
Sais-tu la profondeur de l'espace béant?
Le temps qui nous détruit, est-ce qu'il te mutile?
Et la vie et la mort, sur ton champ qui scintille,
Verront-elles la fin de leur combat géant?
Le sourire du ciel ne cesse de descendre
Sur tes espoirs naissants et sur ta tiède cendre...
N'es-tu pas un berceau? N'es-tu pas un bûcher?
Soufflez, vents du printemps! fleurs, versez vos arômes!
Nous vivons du mystère, et dans les divins dômes
Le rêve de ce monde ira toujours jucher.
Quand tu luis au-dessus de la forêt mouvante,
On dirait que des feux s'allument tout au fond.
Tu donnes un baiser à l'océan profond,
Et l'océan frémit comme une âme vivante.
Es-tu notre compagne? Es-tu notre servante?
Ton éclat nous ravit, ton pouvoir nous confond.
Sous ton voile brillant comme l'or qui se fond,
N'es-tu qu'un astre mort où règne l'épouvante?
Donne au toit sans lumière un rayon de pitié,
Au rêve du poète, une aile audacieuse,
Et sur les nids d'amour plane silencieuse.
Tu ne te laisses voir cependant qu'à moitié.
C'est comme nous ici. Blonde lune que j'aime,
Cachons-nous des défauts par ce vieux stratagème?
Ferme-toi, ma paupière. Il est bon de dormir
Alors qu'on est lassé de remuer la boue;
Quand un espoir s'en va, quand un projet échoue,
Le sommeil nous repose et vient nous raffermir.
Les veilles dans l'ennui nous avaient fait blêmir;
Nous dormons, et bientôt un reflet pourpre joue
Sur notre front serein, sur notre maigre joue;
L'âme s'ouvre à la joie; on cesse de gémir.
Bien des fois j'ai béni sa suprême assistance.
Quand la nuit sonnera, reviens avec constance,
Sommeil dont le mystère a toujours tant d'attraits.
O merveilleux sommeil, n'es-tu bien qu'une trêve
Alors qu'on a vidé le calice à longs traits?
N'es-tu pas une vie où le vrai, c'est le rêve?
Il est un oeil si doux et si plein de candeur
Qu'on dirait une étoile en la nuit presqu'éteinte.
La mer au fond d'un autre a mis sa fauve teinte.
Un troisième est fait d'ombre. Et tous ont leur splendeur.
Sous leurs cils veloutés il n'est pas de froideur
Quand le coeur aime. Et nul ne peut fuir leur atteinte.
L'âme vibre bientôt comme un métal qui tinte,
Quand ils plongent brûlants jusqu'en sa profondeur.
L'oeil d'azur est rempli de promesses suaves;
L'oeil noir semble parfois foudroyer ses esclaves;
Comme la mer l'oeil gris a d'étonnants réveils.
Et ces yeux, si divers par l'éclat et le charme,
Seront plus beaux encore et deviendront pareils
Quand ils regarderont à travers une larme.
J'étais bien jeune alors... Par les seigles jaunis
Je descendis, un soir, jusqu'au bois de la rive,
Et je rêvais de lutte et de chaîne qu'on rive,
De chemins escarpés et de sentiers unis.
L'heureux temps! Tout à coup, dans les deux rembrunis,
Comme une voile blanche allant à la dérive,
Glisse un ange. Le bruit de son aile m'arrive
Plus suave, je crois, que la chanson des nids.
Et je le vis passer sous les rameaux sans nombre,
Aussi pur qu'un rayon, aussi léger qu'une ombre,
Et la mousse et les fleurs semblaient le soutenir.
Il me parla. Jamais un accent aussi tendre
Ne s'est, depuis ce jour, à mon coeur fait entendre:
--Viens à moi, me dit-il, viens, je suis l'avenir.
Fatigué de l'espoir qui m'avait tant leurré,
J'errais au champ des morts. Pour toute âme dolente
Le cimetière est bon, la croix est consolante,
Car les morts ont aimé comme nous, et pleuré.
Jamais le sol bénit n'avait ainsi fleuré.
Je prolongeai longtemps ma promenade lente.
Dans les muets sentiers, de son aile opulente
Un brillant papillon m'a soudain effleuré.
Je cours, je veux le prendre et voilà que je tombe.
Il s'éloigne toujours, volant de tombe en tombe
Comme l'esprit errant de quelque trépassé.
--En vain par ma splendeur ta pauvre âme est séduite,
Me dit-il, le regard peut me suivre en ma fuite,
Mais nul ne me saisit, car je suis le passé.
On y croit sous le chaume, on y croit au chalet.
Vive langue de feu, le long de la bruyère,
Ou sur les molles eaux de quelque fondrière,
Lorsque la nuit est sombre, on le voit, ce follet.
Il brille quelquefois, gracieux et mollet,
Comme une lampe sainte à la vitre ouvrière.
Pour lui, dans ces soirs-là, l'enfant dit sa prière
Et l'aïeule récite un pieux chapelet.
Celui qui le poursuit se fatigue et s'égare.
Ses appels sont trompeurs. Il faut que l'on se gare
De ce mauvais chrétien que le Seigneur punit.
A demander sa grâce en vain l'on s'égosille.
Il retrouve sa forme, et sa peine finit,
Quand on le fait passer dans le châs d'une aiguille.
Je trouve qu'il est tard et demande, incrédule,
Si comme au temps jadis l'aiguille marque vrai.
Que je sois au labeur, que je sois désoeuvré,
Elle marche grand train maintenant ma pendule.
Dans la paix des vieux ans mon coeur récapitule
Les doux moments inscrits à son cadran cuivré.
Son timbre vivre encor, mais il semble navré;
Ce n'est plus le refrain des espoirs qu'il module.
Devant elle, anxieux, je m'arrête parfois
Comme si j'allais voir, en bandes affolées,
Remonter du néant mes heures envolées.
Ah! c'est qu'elle a sonné, d'une joyeuse voix,
Le réveil de mes jours dans une humble demeure,
Et qu'elle va bientôt sonner ma dernière heure!
Quand vers les bois épais je m'en allais, rêveur,
Le front ceint de feuillage, elle était à l'orée,
Pour verser un dictame à mon âme éplorée
Et me dire des mots d'une étrange saveur.
Je ne mendiais pas de coupable faveur.
Jamais un souffle impur ne l'avait déflorée.
Je l'ai dès mon enfance ardemment implorée,
Et sa main m'a conduit loin du monde viveur.
Son oeil tombait sur moi comme un reflet de perle.
Le flot bleu qui se berce et mollement déferle
Etait comme l'écho de son pas gracieux.
Elle avait le baiser qui jette en frénésie
Et l'étreinte qui brûle... O sainte poésie,
Tu m'as été fidèle, allons ensemble aux cieux!
Quelquefois elle est gaie, affable, discoureuse.
Ses cils blonds sont pareils aux fils d'or d'un ourlet;
La grâce a façonné son buste rondelet.
Quelquefois elle est triste et peut être amoureuse.
Comme un cygne à son chant, sur l'onde vaporeuse
On la suivrait, le soir, aux plaintes du tolet.
On la voit dans les flots mouiller son blanc mollet,
Et parmi les joncs verts s'enfuir toute peureuse.
Quand son rire s'égrène en l'air calme, au canton,
Chacun la croit heureuse. Après tout qu'en sait-on?
Le bonheur n'est pas fait d'un seul éclat de rire.
Quand son oeil est mouillé, son oeil ensorceleur,
"Comme elle souffre, hélas! se hâte-t-on de dire!"
Une larme pourtant ne fait pas la douleur.
Tu cherches la maison qu'enveloppe le deuil;
Tu supputes la fin de chaque âme vivante;
Tu vois sans tressaillir une angoisse émouvante,
Et tu fermes ton coeur quand tu rouvres un seuil.
C'est à parer la mort que tu mets ton orgueil.
Ta main tend le linceul d'une façon savante.
Et, pour que leur aspect jette moins d'épouvante,
Tu parsèmes de fleurs les planches du cercueil.
Les mânes descendus en des lieux de ténèbres,
Pour traverser plus tôt le Styx et l'Achéron,
Appelaient à grands cris le vieux passeur Charon.
Mais ils sont tous muets tes voyageurs funèbres.
Dans ta voiture sombre où les mènes-tu? Dis...
Aux portes de l'enfer ou dans le paradis?
Où va l'oiseau léger lorsque son vol s'enfonce
Dans l'azur aussi doux qu'un voile de satin?
Où va la barque noire avec son lourd butin
Quand s'élève la brise et que la mer se fronce?
Où va, dans les beaux soirs, par un sentier de ronce
Qui mettra de la pourpre à son pied incertain,
La vierge qui sourit à l'avenir lointain,
A l'étoile qui brille, au nom qu'elle prononce?
L'oiseau, par le ciel bleu, vole à son humble nid;
La barque avec le vent fuit vers une autre grève;
La jeune fille va dans l'amour par le rêve.
Garde au ciel bleu, Seigneur, l'oiseau qui te bénit;
Garde la barque au vent qui souffle dans ses toiles;
Garde à l'amour l'enfant qui sourit aux étoiles.
Le sifflet d'un navire, un tintement de cloche,
L'appel de la trompette ou le bruit des canons,
Réveillent des échos dont nous nous étonnons,
Quand l'air est immobile ou que l'orage est proche.
Comme sur une eau calme une pierre ricoche,
Ils s'en vont, ces échos. Ils redisent des noms
Qui firent tressaillir le roc où nous planons,
Et qui sont une gloire... et peut-être un reproche.
Car nous parlons encor, pauvres agonisants,
Des braves d'autrefois, soldats ou paysans,
Qui rêvaient follement de voir la délivrance.
Mais quand à l'artimon de quelques fiers vaisseaux,
Tout à coup bat au vent le pavillon de France,
C'est du fond de nos coeurs que montent les échos.
Il git sur le rameau qui berçait ses chansons,
L'autre printemps, au jour de la douce tendresse,
Le vieux nid vide et nu. L'abandon, la détresse
Ont succédé bientôt aux amoureux frissons.
A bâtir pour un jour, sur les mêmes buissons,
Les oiseaux qui l'ont fait rivalisent d'adresse.
Il faut un nouveau nid à leur nouvelle ivresse,
Et pour eux le passé n'a guère de leçons.
Le vieux nid, il est froid. L'aile jeune l'évite;
L'amour n'y chante plus; il est oublié vite.
Chaque orage qui passe en emporte un lambeau.
Ainsi le coeur. Un jour, le soleil le déserte.
Il est sur le chemin une masure ouverte,
Mais où l'en n'entre pas lorsque le ciel est beau.
Les insectes s'aimaient sur les fleurs purpurines;
Sur les sillons fumants passait le vieux semeur.
Il montait des vallons une sourde rumeur,
Que déchirait gaiement la chanson des clarines.
Les grands boeufs humaient l'air de leurs larges narines.
La feuillée émiettait son murmure dormeur,
Et, près du fleuve sombre où voguait un rameur,
Nous cheminions tous deux dans les herbes marines.
Son rire était moqueur, mais son oeil, invitant.
Je veux la retenir sur mon coeur palpitant;
Elle fuit. Je l'appelle et ma voix l'importune.
Le flot allait toujours et ne revenait plus.
L'infidèle de même. O désirs superflus!
Je n'ai pu la rejoindre encor!... C'est la fortune!
O fleur qui nais d'un souffle et d'un rayon de jour,
Dans l'or de la jonchée ou l'ambre de l'éteule,
Comme l'âme qui souffre on te voit souvent seule,
Et sous l'effluve froid tu tombes sans retour!
Ame qui viens du ciel sur l'aile de l'amour,
Comme la fleur, parfois, tu te penches bien veule!
Tes rêves sont broyés comme un champ sous la meule,
Et ton parfum s'envole aux âmes d'alentour.
Vous vivez de lumière et de divines fièvres:
Soleil ou charité. La soif brûle vos lèvres,
Et goutte à goutte l'eau descend: rosée ou pleur.
Mais qui donc êtes-vous? Fleur aux ailes de flamme
Et faite de soleil, chaste fleur, es-tu l'âme?
Ame dont le parfum m'enivre, es-tu la fleur?
C'est un large ruisseau qu'une digue barrait,
Et dans une échancrure où le nénuphar pousse,
Tout près d'un vieux moulin à la toiture rousse,
C'est le tronc d'un vieux chêne où le bac s'amarrait.
Attardé trop longtemps, un couple reparaît
Par-delà le labour, sur les sentiers de mousse.
Dans le dernier rayon d'une lumière douce,
Plus loin, et tout au fond, c'est un coin de forêt.
C'est ainsi que la toile avait été rêvée.
Le peintre a dû sourire à son oeuvre achevée,
Et ressentir l'orgueil de l'athlète vainqueur.
Mais Dieu seul peut donner à la fleur son arôme,
Au ruisseau son murmure, à la forêt son dôme,
Aux sillons les épis et la tendresse au coeur.
Le roc vers toi descend comme un sombre escalier,
Et sur tes bords l'oiseau gazouille, le bois fleure.
Ne te réveille pas quand une aile t'effleure,
Quand une barque passe au chant du batelier.
Dors sur les blancs cailloux qui te font un collier;
Mais si le vent allait te fouetter tout à l'heure,
Viens jusques à mes pieds, comme un ami qui pleure;
Avec les malheureux moi je suis familier.
Tout entier je te vois de mon rustique siège,
Et je sais, qu'il n'est point, ô lac! de traître piège
Sous l'éclat de ton voile et sous tes plis épais.
Que l'orage du ciel t'agite ou t'éclabousse,
Tu ressembles au juste, et jamais la secousse
N'a de tes profondeurs troublé la longue paix.
Du haut de la falaise, alerte, elle bondit
Et jette son écume aux vagues du grand fleuve.
Que le ciel soit d'azur, que le nuage pleuve,
Elle est une avalanche où le ciel resplendit.
Sa menace épouvante et son râle étourdit.
Que de siècles ont vu sa beauté toujours neuve!
C'est l'urne qu'un Titan,--pour que nul ne s'abreuve,--
Dans une heure de rage, autrefois répandit.
Et les eaux que les bois ombrageaient de leurs palmes,
Ou qu'azurait le ciel, murmurantes ou calmes,
Sans jamais s'arrêter vont au gouffre béant.
Elles tombent jetant des clameurs de colère.
Nos voluptés d'Eden, nos tourments de galère
Ainsi tombent toujours au gouffre du néant.
Le soir coupe l'azur d'une livide strie;
La voile s'est fermée au vent qui la gonflait;
La campagne tranquille, où s'attarde un reflet,
D'ombres et de lueurs semble toute pétrie.
Les champs beuglent, les bois chantent, la cloche prie.
Un nid vient de jeter des strilles de sifflet;
Le fleuve qui s'endort gronde comme un soufflet;
Le fardeau va tomber de l'épaule meurtrie.
Comme un voile de neige, au fond du vallon noir,
Une vapeur s'étend sur le toit du manoir.
Avec le jour qui fuit plus d'un espoir s'écroule.
Mais voici qu'inondé de feux éblouissants,
Un sommet orgueilleux où le nuage roule
Paraît comme un autel d'où s'élève l'encens.
C'est le désert lugubre après l'âpre savane,
Le ciel de feu, le sable épais, l'air étouffant.
D'une terreur étrange à peine on se défend.
Seul, en ces lieux maudits, l'arabe se pavane.
Là des sources sans eaux, un palmier qui se fane;
Là des crânes ouverts par un cheik triomphant.
Mais voici que le ciel à l'horizon se fend,
Et des frissons d'espoir poussent la caravane.
Devant elle, là-bas, dans les sables houleux,
Elle a vu tout à coup resplendir des flots bleus.
Sa soif brûlante enfin sera donc assouvie.
Haletante, elle court secouant sa torpeur,
Vers l'horizon de flamme où luit ce lac trompeur...
Et c'est ainsi, mon Dieu! qu'on traverse la vie!
L'ancre monte du fond. Les anneaux de la chaîne,
D'où ruissellent les eaux, apparaissent flambants.
Dans le ciel, des rayons qui semblent des rubans
Annoncent aux marins la bourrasque prochaine.
La voile se déroule au mât grand comme un chêne;
Un sifflement subit s'exhale des haubans;
L'écume met sa neige au tuf sombre des bancs;
Comme un nid au rameau se berce la carène.
Sur le sable mouvant, les jeunes et les vieux,
A genoux ou debout, suivent la nef des yeux,
Et lancent des jurons ou font une prière.
Ils ont le parler dur, ces rudes matelots;
Mais ils savent aussi que l'onde est meurtrière,
Et que bien des marins ont pour tombe les flots.
L'ancre est levée. Il vente. Au large le chaland
Qui dormait sur les eaux depuis une huitaine!
La voile qui se gonfle et fait plier l'antenne
Semble, dans sa blancheur, l'aile d'un goéland.
Le vaisseau tangue et berce, et son essor est lent.
Le port est éloigné, l'arrivée, incertaine.
La mer a ses secrets; mais le vieux capitaine
Sait la scruter encor de son oeil vigilant.
Tout là-bas, sur l'écueil qui geint comme une enclume,
Avec la vague sombre et les flocons d'écume,
On entend se briser la chanson des marins.
La vie est une mer souvent bouleversée,
Et les hommes s'en vont--éternels pèlerins--
Chantant avec les vents pendant la traversée.
C'est l'automne et déjà tout se flétrit. Alerte,
L'oiseau vient de quitter son doux nid de duvet,
Son nid qui chantait tant quand l'aube se levait,
Et vers des cieux nouveaux son aile s'est ouverte.
La voile sur le mât ne tombe plus inerte.
Loin des tranquilles bords où mon âme rêvait,
Dans le brouillard qui semble un funèbre chevet,
La voile a disparu là-bas sur la mer verte.
Le flot gronde toujours, le ciel se rembrunit.
Qu'importe au voyageur dont la course finit
Que le matin soit loin et que le jour décroisse?
Comme l'oiseau qui fuit vers un soleil lointain,
Et la barque qui cherche un refuge incertain,
On traverse la vie au milieu de l'angoisse.
--Sur les champs où mes boeufs traînent la lourde herse,
Les grains mûrs pencheront leurs épis veloutés.
--Ouvrant de longs chemins dans les flots redoutés,
J'emporte les moissons qu'un ciel heureux te verse.
--Dans l'herbe, sous mes pieds, je vois la fleur qui perce,
Et j'entends les oiseaux dans les rameaux voûtés.
--Les chants moelleux des bois ne sont guère goûtés
Quand sifflent les haubans et que la mer nous berce.
--Mon sommeil est paisible et mon réveil, joyeux;
Puis, quand derrière moi se fermera ma porte,
Je m'en irai dormir où dorment les aïeux.
--Mon sommeil est béni, car chaque nuit m'apporte,
Dans un rêve enivrant, la femme et les marmots...
Il se mit à pleurer après ces derniers mots.
Vive Dieu! les voici tous deux sur le terrain.
Dans leur coeur angoissé bout une haine étrange.
Se sont-ils jamais vus?... N'importe, qu'on se range,
C'est le duel aimé du peuple souverain.
Leurs muscles sont d'acier et leur âme est d'airain.
Quelle adresse! quels coups! Comme leur chair s'effrange!
Leurs poings lourds tombent dru comme, dans une grange,
Les fléaux des batteurs sur les gerbes de grain.
La colère et l'orgueil ont décuplé leurs forces.
Le sang coule et rougit les faces et les torses.
Quel étau peut broyer comme ces bras humains?
On entend comme un bruit de forêt qui s'embrase;
C'est la foule qui clame, approuve et bat des mains...
Mais elle gémira sur un chien qu'on écrase.
Taïaut! Pars, chasseur! Que saint Hubert te garde!
Le jour paraît. Le vent tord les nuages gris.
Les lièvres sont cachés sous les pins rabougris.
Ne tire pas ta poudre aux moineaux, par mégarde.
Pitié pour le chanteur dont l'oeil doux te regarde,
Et pitié pour la bête aux longs flancs amaigris!
Comme nous quelquefois les fauves sont aigris
Par la haine de l'homme et par la faim hagarde.
Pars, l'alouette chante au-dessus des ajoncs,
Les mauves rasent l'eau pour happer les goujons,
Et parmi les galets sautille la bécasse.
Voir tomber du ciel bleu le gai vol des oiseaux,
Voir des gouttes de sang empourprer les roseaux,
Cela s'appelle donc le plaisir de la chasse!
Il court tout palpitant, en appâtant sa ligne,
Le long d'un ruisseau creux sous les grands bois perdu.
Il a vu fuir, tantôt, un goujon éperdu,
Mais il l'a dédaigné. Vrai pêcheur ne forligne.
Il s'arrête aux remous qu'un tronc couché souligne.
Il se penche. Il s'appuie au vieux saule tordu.
Il lance l'hameçon. Toc, toc!... On a mordu.
Vite il tire. Echappé!... La déveine maligne!
Il était gros. Le gros mord de cette façon.
Le pêcheur restera jusqu'au soir pour le prendre,
Et mettra sans regret son meilleur hameçon.
Si le poisson savait comme on va le surprendre,
Il s'en faudrait un peu, certes! qu'il le happât,
Mais il est comme nous faible devant l'appât.
Mon rêve a ployé l'aile. En l'ombre qui s'étend,
Il est comme un oiseau que le lacet captive.
Malgré des jours nombreux ma fin semble hâtive;
Je dis l'adieu suprême à tout ce qui m'entend.
Je suis content de vivre et je mourrai content.
La mort n'est-elle pas une peine fictive?
J'ai mieux aimé chanter que jeter l'invective.
J'ai souffert, je pardonne, et le pardon m'attend.
Que le souffle d'hiver emporte, avec la feuille,
Mes chants et mes sanglots d'un jour! Je me recueille
Et je ferme mon coeur aux voix qui l'ont ravi.
Ai-je accompli le bien que toute vie impose?
Je ne sais. Mais l'espoir en mon âme repose,
Car je sais les bontés du Dieu que j'ai servi.
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