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Title: La bibliothèque canadienne, Tome 1, Nº 01 Juin 1825
Date of first publication: 1825
Author: Michel Bibaud (1782-1857)
Date first posted: July 23, 2013
Date last updated: July 23, 2013
Faded Page eBook #20130746
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La Bibliothèque Canadienne,
MISCELLANÉES
HISTORIQUES, SCIENTIFIQUES,
ET
LITTÉRAIRES.
Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci.
Hor. de Art. Poet.
TOME I.
M. BIBAUD,
EDITEUR ET PROPRIETAIRE.
MONTREAL:
De l'Imprimerie de J. Lane.
1825.
La Bibliothèque Canadienne.
Tome 1. JUIN, 1825. Numero 1.
Nul homme instruit ne peut, il nous semble, révoquer en doute l'utilité, la nécessité même, dans le Bas-Canada, d'un ouvrage comme celui que nous commençons de publier. "Il n'y a pas ici," a dit dernièrement un correspondant du Spectateur Canadien, "une seule de ces feuilles périodiques au moyen de laquelle on puisse faire connaître les idées, ou les ouvrages qui ont cours ailleurs et ont quelque prix aux yeux des hommes instruits de tous les pays, le nôtre excepté, sur la littérature, les arts, les sciences... Que de réflexions pénibles à faire sur cet état de choses!... que deviendrions-nous, s'il durait?... Détournons les yeux de ce spectacle affligeant: espérons qu'il se trouvera parmi nous assez de raison et d'esprit public pour effacer ce que l'on peut appeller une tache à notre pays."
En effet, un savant ou un littérateur étranger qui voyagerait dans le Bas-Canada, et y observerait l'état de la société, sous le rapport de la littérature et des sciences, serait sans doute fort surpris de voir que dans cette province, peuplée d'un demi million d'individus parlant la langue française, il ne se publie pas en cette langue un seul journal littéraire et scientifique; et il ne pourrait s'empêcher d'en conclure, avec une grande apparence de vérité, quoiqu'à faux dans le fonds, que parmi les Canadiens d'origine française, il n'y a pas un seul homme capable de conduire un journal de ce genre, ou pas assez de lecteurs instruits, ou amis de l'instruction, pour le soutenir.
Faire disparaître ce qui peut réellement être regardé comme une tache à notre pays; répandre parmi la généralité de ses habitants la connaissance de ce que les sciences, les arts et les lettres offrent de plus agréable et de plus utile dans le commerce de la vie; encourager et propager, autant qu'on le peut faire au moyen de la publication, parmi les Canadiens, tous les genres d'industrie dont leur pays est capable; faire ressortir, par un éloge mérité, les talens et les connaissances souvent trop inconnus ou trop modestes de nos compatriotes, morts ou vivants; mettre au jour des monuments littéraires, des traits d'histoire, ou des faits à l'honneur ou à l'avantage du pays, restés jusqu'à cette heure dans l'obscurité; inspira à nos jeunes compatriotes le goût de l'étude et de l'instruction, et faire naître ou entretenir parmi eux une noble et louable émulation; enfin, faire connaître toute l'étendue de pays qu'on appelle, ou qu'on peut appeller Canada, mieux et plus avantageusement qu'il ne l'est même de ses propres habitans; tels sont les principaux objets que nous avons en vue, en entreprenant de publier la BIBLIOTHEQUE CANADIENNE.
La tâche que nous annonçons est forte sans doute, et il y aurait de la témérité de notre part à nous en charger, si nous comptions uniquement pour y réussir sur des connaissances aussi bornées et des talens aussi médiocres, que ceux que nous pouvons posséder. Nous ferons nous-mêmes tout ce que nos faibles moyens personnels nous permettront de faire pour donner à notre journal le mérite de l'intérêt local et de l'originalité, en mettant au jour nos propres idées, ou en accompagnant de réflexions les extraits que nous mettrons sous les yeux de nos lecteurs; mais pour faire en sorte que l'épigraphe que nous avons adoptée ne paraisse pas trop disconvenir à notre travail; pour parvenir au but désirable de joindre véritablement ensemble l'utile et l'agréable, nous regarderons la correspondance, les secours littéraires et scientifiques de nos concitoyens éclairés, comme notre principale ressource. Ces secours nous seront indispensablement nécessaires, avec les ouvrages publiés depuis peu dans le Canada, ou sur le Canada, et les journaux qui s'y impriment, pour connaître et faire connaître l'état actuel du pays, sa topographie, son agriculture, son commerce, les progrès de l'éducation, &c.
Pour l'histoire naturelle, l'histoire littéraire et politique de ce pays, &c. les sources où nous nous proposons de puiser principalement sont les historiens du Canada, les lettres des anciens missionaires Jésuites et autres, les voyages au Canada, les anciens journaux publiés dans le pays, les mémoires imprimés ou inédits, quand on voudra bien nous en communiquer de tels, et les autres documens qui pourront nous tomber sous la main.
Un journal comme celui que nous commencons de publier, ne peut s'entreprendre ni se soutenir, sans un puissant encouragement: cet encouragement nécessaire, nous prenons la liberté de le solliciter, et osons espérer l'obtenir de la part de nos compatriotes instruits, et amis de l'instruction, ainsi que de l'honneur et de la prospérité de leur pays.
P. S. Nous prenons la liberté d'adresser ce premier Numéro de la Bibliotheque Canadienne, aux personne notables, Seigneurs, Curés, Négocians, Médecins, Notaires, et autres, que nous pouvons supposer n'avoir pas vu le Prospectus; ou qui ont voulu voir un échantillon de l'ouvrage, avant de se décider à souscrire. Celles d'entre ces personnes qui ne seraient pas disposées à souscrire, sont priées de le faire savoir, et de vouloir bien remettre ce numéro, à l'Agent dans leur endroit.
L'histoire du Canada, dit l'auteur des "Beautés" de cette histoire, "est singulièrement riche en beautés effrayantes. Des guerres sans fin, des mœurs fortes, naïves, farouches, qui montrent a nu les traits primitifs de l'âme humaine; des atrocités exécrables et des traits d'héroïsme sillonnant de tems en tems une nuit d'horreurs, lui donnent un intérêt romanesque. Il n'y a peut-être pas de pays qui ait été plus arrosé de sang; qui, par le singulier mêlange d'une civilisation transplantée et d'une barbarie indigène, offre des contrastes plus étonnants; en un mot, dont les annales soient faites pour causer plus souvent ces émotions profondes qui sont un besoin de l'homme; ces émotions qui, suivant un grand poëte, (Akenside,) réveillent les facultés assoupies, descendent sur l'âme comme un torrent, lui rendent le ressort, et l'enivrent de bonheur."
C'est bien plus, comme on le peut voir par ce passage, et mieux: encore par la lecture de son livre, à l'histoire des sauvages du Canada, qu'à celles de ses habitans civilisés, que cet écrivain s'est attaché; et il peut avoir bien fait, puisqu'il écrivait en France, et pour des Français, chez qui les mœurs et les usages des peuples sauvages sont des choses nouvelles et étranges. Pour nous, qui écrivons en Canada, et pour des Canadiens, nous nous proposons de suivre une route opposée: c'est sur l'histoire des Français venus dans ce pays et de leurs descendans, sur l'histoire de nos ancêtres, que nous voulons nous étendre, bien plus que sur celle des aborigènes. Ces derniers figureront, il est vrai, dans l'Histoire du Canada, jusqu'à une certaine époque, par leurs guerres, leurs négociations, leurs traités d'alliance ou de paix, en un mot, par leurs relations politiques avec les autorités et les habitans civilisés de la colonie; mais il n'y sera parlé de leurs mœurs et de leurs usages qu'en passant, et indirectement, parceque ces choses ont cessé d'être parmi nous des objets de curiosité.
Une partie de l'Histoire du Canada, telle que nous la voulons donner à nos lecteurs, est à peu près faite: il ne s'agira, pour ainsi dire, que de retrancher de "l'Histoire de la Nouvelle France" des détails minutieux et assez souvent hors du sujet, qui en rendent la lecture ennuyeuse et rebutante pour la plupart des lecteurs. L'autre partie est encore à faire: avant de l'entreprendre, nous consulterons nos forces, suivant l'avis d'Horace et de Despréaux, et si elles ne nous paraissent pas suffisantes, nous ne renoncerons point pour cela à la tâche, mais nous solliciterons des secours qui sans doute ne nous seront pas refusés. Tout le monde doit trouver intéressante l'histoire de son pays; du moins est-ce celle qu'il est le moins permis de ne pas connaitre. Nous croirons donc faire une œuvre agréable au public canadien, en consacrant quelques pages de chacun des numéros de notre journal à l'Histoire du Canada. Nous nous proposons de publier, par la suite, cette histoire sous une autre forme, si les circonstances nous le permettent, et si personne ne nous devance dans cette entreprise.
Nous comprenons sous le nom de Canada, non-seulement les deux provinces qui portent aujourd'hui ce nom, et qui avaient autrefois plus d'étendue au nord et au sud, mais encore celles qu'on appelle Nouvelle-Ecosse et Nouveau-Brunswick, les îles qui les avoisinent, en un mot, tous les pays que possédaient ou reclamaient les Français, avant la découverte du Mississipi, et la cession de l'Acadie à la Grande-Bretagne.
L'etymologie du nom de Canada est assez incertaine: quelques auteurs prétendent, sans beaucoup de vraisemblance, que des Espagnols étant entrés dans la Baie des Chaleurs, et n'y ayant trouvé aucune apparence de mines d'or ou d'argent, prononcèrent plusieurs fois ces deux mots, aca nada, ici rien, que les naturels répétèrent aux Français, de manière à leur faire croire que le pays s'appellait Canada. On prétend aussi que le pays leur ayant paru stérile, ils l'appellèrent Cabo de nada, Cap de rien; ce qui par la corruption du langage, serait devenu Canada. D'autres auteurs dérivent, avec plus d'apparence de raison, le nom de Canada du mot iroquois Kannata ou Kannada, qui signifie amas de cabanes; ou de quelqu'autre mot souvent employé par les naturels du pays.
Des écrivains ont avancé, suivant Charlevoix, qu'en 1477, un Polonais nommé Jean Scalve découvrit l'Estotilande, ou Stateslands, et une partie du pays appellé Labrador. Le Labrador est présentement bien connu; mais l'Estotilande est un pays imaginaire, (à moins qu'on ait appellé de ce nom la partie septentrionale du Labrador même, ou les territoires de la Baie d'Hudson, à l'ouest de ce pays,) et le voyage de Scalve pourrait bien être aussi imaginaire que sa prétendue découverte.
Vingt ans après le voyage vrai ou prétendu de Jean Scalve, c'est-à-dire en 1497, un Vénitien, nommé Jean Gabot, ou Gaboto, accompagné de ses trois fils, qui avait armé aux frais, ou du moins sous l'autorité de Henry VII, roi d'Angleterre, reconnut l'île de Terre-Neuve, et une partie du continent voisin; mais suivant les meilleures autorités, il ne débarqua en aucun endroit ni de l'île, ni du continent.
En l'an 1500, un gentilhomme Portugais, nommé Gaspar de Cortereal, visita toute la côte orientale de Terre-Neuve, et parcourut une bonne partie de celle de Labrador. Ce voyageur mit pied à terre en plusieurs endroits, et imposa des noms dont quelques-uns subsistent encore, du moins dans les anciennes cartes de ces parages; mais il ne fit aucun établissement.
Vers le même tems, ou quelques années après, des pêcheurs Basques, Normands et Bretons, commencèrent à faire la pêche de la morue, sur le grand Banc de Terre-Neuve, et le long de la côte maritime du Canada. En 1506, suivant des mémoires que Charlevoix regarde comme de bonnes autorités, un habitant de Honfleur, nommé Jean Denys, avait tracé une carte du golfe qui porte aujourd'hui le nom de St. Laurent. Un voyageur raconte, mais sans apparence de fondement, que vers le même tems, un capitaine Espagnol, nommé Velasco, remonta deux cents lieues dans le fleuve qu'on a aussi appellé depuis St. Laurent, et qu'il s'éleva ensuite, le long de la terre de Labrador, jusqu'à une rivière à laquelle Cortereal avait donné, dit-on, le nom de Nevado.
En 1508, un pilote de Dieppe, nommé Thomas Aubert, emmena en France des sauvages du Canada. Mais il parait qu'on a avancé sans fondement, qu'Aubert avait fait la découverte de ce pays par l'ordre de Louis XII. Il passe pour constant, comme l'observe l'historien du Canada, que les rois de France n'ont fait nulle attention à l'Amérique avant l'année 1523. Alors François I, voulant exciter l'émulation de ses sujets par rapport à la navigation et au commerce, comme il l'avait déjà fait avec succès par rapport aux beaux arts et aux belles lettres, donna ordre à Jean Verazani, Florentin, qui était à son service, d'aller reconnaitre les nouvelles terres dont on commençait à parler beaucoup en France. Verazani partit de Dieppe avec quatre vaisseaux, qu'il ramena dans le même port l'année suivante. On ignore par quelle hauteur Verazani découvrit la terre, dans ce premier voyage, et jusqu'où il s'éleva au nord.
Vers la fin de la même année, 1524, ou au commencement de la suivante, Verazani arma de nouveau un navire, sur lequel il s'embarqua avec cinquante hommes, et des provisions pour huit mois. Il paraît que dans ce second voyage, Verazani rangea les côtes de l'Amérique septentrionale, entre les 30e et 50e. degrés de latitude. La relation du premier voyage de Verazani est perdue; celle du second existait encore du tems de Charlevoix; mais cet historien la trouvait peu intelligible, par la raison que le navigateur n'avait fait, pour ainsi dire, que ranger la côte, quelquefois même d'assez loin, et que les endroits où il avait débarqué ne portaient plus les noms qu'il leur avait donnés.
Peu de tems après son retour en France, Verazani fit un nouvel armement, à dessein d'établir une colonie en Amérique. Mais tout ce qu'on sait de cette nouvelle entreprise, c'est que s'étant embarqué, il n'a pas reparu, et qu'on n'a jamais appris ce qu'il était devenu: soit qu'il ait péri en mer, soit qu'ayant mis pied à terre, dans un endroit où il voulait bâtir un fort, comme quelques uns l'ont publié, il ait été massacré avec tous ses gens, par les naturels du pays.
Quoiqu'il en soit, le malheureux sort de Verazani fut cause que pendant quelque tems, on ne songea plus en France à l'Amérique.
Ce ne fut que dix ans après, que Philippe Chabot, amiral de France, engagea le roi (François I) à reprendre le dessein d'établir une colonie française dans le nouveau monde, d'où les Espagnols tiraient tous les jours de si grandes richesses. Il lui présenta un capitaine malouin nommé Jacques Cartier, dont il connaissait le mérite, et que ce prince agréa. Cartier ayant reçu ses instructions, partit de St. Malo, le 20 d'Avril, 1534, avec deux bâtimens de soixante tonneaux et cent-vingt hommes d'équipage. Il prit sa route à l'ouest, en tirant un peu sur le nord, et eut des vents si favorables, qu'il aborda, le 10 de Mai, au Cap de Bonavista, dans l'île de Terre-Neuve. Ayant trouvé la terre encore couverte de neige, et le rivage bordé de glace, il ne put, ou n'ôsa s'y arrêter. Il descendit six degrés au sud-sud-est, et entra dans un port auquel il donna le nom de Ste. Catherine. De là il remonta au nord, et rencontra des îles qu'il appelle, dans ses mémoires, |Iles aux Oiseaux|. Il cotoya ensuite toute la partie du nord de l'île de Terre-Neuve, où il dit qu'il trouva des hommes bien faits, qui avaient les cheveux liés audessus de la tête comme un paquet de foin, avec quelques plumes d'oiseaux entrelacées sans ordre.
Après avoir fait presque tout le tour de Terre-Neuve, sans pouvoir néanmoins s'assurer encore que ce fût une île, Cartier prit sa route au sud, traversa le golfe, s'approcha du continent, et entra dans une baie profonde, où il souffrit beaucoup du chaud, ce qui la lui fit nommer la Baie des Chaleurs. Il trouva le pays fort beau, surtout en le comparant à celui de Terre-Neuve, qu'il venait de laisser, et fut très content des sauvages qu'il y rencontra, et avec lesquels il troqua quelques marchandises pour des pelleteries.
Au sortir de la Baie des Chaleurs, Cartier visita une bonne partie des côtes qui environnent le golfe, et prit possession du pays, au nom du roi de France, comme avait fait Verazani, dans tous les endroits où il avait débarqué. Il remit à la voile pour retourner en France, le 15 Août, et arriva heureusement à St. Malo, le 5 Septembre. Sur le rapport qu'il fit de son voyage, la cour jugea qu'il serait utile à la France d'avoir un établissement dans cette partie de l'Amérique; mais personne ne prit plus à cœur cette affaire que le vice-amiral Charles de Mouy sieur de la Mailleraye. Ce seigneur obtint pour Cartier une nouvelle commission plus ample que la première, et lui fit donnner trois navires et de bons équipages. Cet armement fut prêt vers la mi-mai, 1535. Le 16, jour de la Pentecôte, Cartier et tous ses gens firent leurs dévotions dans l'église cathédrale, où ils reçurent la bénédiction de l'évêque. Cartier montait un vaisseau de cent-vingt tonneaux, appellé la Grande Hermine, et avait avec lui plusieurs gentilshommes qui voulurent le suivre en qualité de volontaires.
(A continuer.)
Le morceau qui suit a été publié dans le Canadien, il y a une vingtaine d'années; ce qui ne doit rien lui ôter de son mérite, non plus que de sa nouveauté pour la plupart de nos lecteurs. D'aileurs, nous désirerions suivre dans les sciences, comme dans l'histoire, une espèce d'ordre chronologique; et s'il était des morceaux scientifiques écrits plus anciennement en Canada, et sur le Canada, il n'en est pas du moins qui traite de choses plus anciennes.
La Ville de Québec est bâtie sur une montagne qui, à une époque reculée, formait une île. Cette montagne s'étend en longueur depuis le confluent de la rivière St. Charles et du fleuve St. Laurent jusqu'à la rivière du Cap Rouge, et en largeur, depuis la rive du nord du fleuve jusqu'à la côte d'Abraham. Elle n'est bien visible que du côté du fleuve; le reste est couvert d'alluvions depuis deux jusqu'à cinq à six pieds d'épaisseur: de sorte que cette terre est arable partout, et qu'on y sème annuellement des grains. Elle n'est point non plus de formation primitive ou coexistante avec ce continent; mais le résultat d'alluvions ou de dépositions successives. Ses couches ou lits vont du nord-est au sud-ouest, et inclinent un peu vers le nord. On dirait, au premier coup d'œil, qu'elle est composée de schiste argilleux. Mais d'après l'analyse que j'ai faite de plusieurs échantillons de pierre, pris en divers endroits de la montagne, elle est composée de pierre calcaire. Cette pierre calcaire est bien loin d'être pure ou de formation primitive, telle que celle qui se trouve à Beauport, au nord de Québec, mais est chargée de différentes matières étrangères. On y trouve aussi des cristaux de roche et du marbre blanc. Au nord de cette montagne est une vaste plaine, coupée par la rivière St. Charles, qui charie les eaux des montagnes voisines dans le fleuve St. Laurent.
J'ai cru devoir vous faire ce petit détail, avant d'en venir à l'époque où ce continent était entièrement submergé.
Je pense donc qu'au tems de la submersion du continent d'Amérique, les plus hautes montagnes furent couvertes d'eau. Cette supposition ne paraîtra pas gratuite, si l'on considère que l'on a trouvé des substances marines, tels que des coquillages de mer, sur les montagnes de Kaatskill dans l'Etat de New-York. A cette époque mémorable, la montagne que nous habitons n'existait pas encore. Une vaste mer couvrait les campagnes d'alentour. Mais cet ordre de choses ne devait pas toujours durer. Les phénomènes de la vaporisation, de la cristallisation et de la congélation devant bientôt s'opérer, les eaux commencèrent à se retirer, et ce continent prit alors la forme constante et durable que nous lui remarquons à présent. Les fleuves et les rivières prirent leurs lits et les eaux furent amenées par divers canaux à un réservoir général qui forme l'Océan Atlantique.
C'est de ce tems reculé que nous devons dater la formation du Cap-au-Diamant. La chaux venant à se cristalliser, ou en d'autres termes, devant se saturer de gaz acide carbonique, s'est déposée par couches, qui ont suivi, comme il paraît, la direction des courans. Ceci s'accorde parfaitement avec les monumens encore subsistans de cette catastrophe de la nature. Car je conçois que les couches de cette montagne ont été déposées, et en quelque sorte comprimées par les courans contraires des eaux du fleuve St. Laurent et de celles qui descendaient des montagnes voisines. Cette assertion n'est point du tout invraisemblable, si l'on envisage que l'on trouve actuellement différentes pierres étrangères, incorporées ou incrustées dans les lits, qui sont dégradés de la montagne. Les cristaux de roche et le marbre blanc, qu'on y trouve, se sont formés en vertu des attractions électives. Ainsi la conformation actuelle du Cap-au-Diamant prouve donc que cette montagne a été formée à une époque postérieure à la création, et que la direction de ses couches a été entièrement déterminée par des courans contraires.
Cette montagne, qui n'est plus qu'une presqu'île, formait dans son origine une île: parceque, premièrement, chaque extrémité de la montagne forme un angle saillant, et secondement les eaux de la rivière du Cap-Rouge, qui charie aussi des eaux des montagnes voisines, ont été jetées avec une telle force du côté opposé, par l'angle sud-ouest de la montagne, qu'on dirait que ces lieux viennent d'être sillonnés par quelque grande inondation, tant l'empreinte de leur ancien état est profond.
Cette vaste plaine, qui se trouve actuellement entre cette île d'autrefois et les montagnes du nord, formait aussi par conséquent le lit d'un lac immense. On y remarque encore aujourd'hui les ondulations ou les côteaux formés par les courans. On y voit encore épars ça et là des pièces énormes de granit que les courans ont détachées et fait descendre des montagnes voisines. Car, pourquoi ces pièces de granit se trouveraient-elles à présent à de si grandes distances de leur montagne-mère? Pourquoi celles qui se trouvent dans les plaines sont-elles arrondies ou sphériques, tandis que celles des montagnes sont angulaires? Il faut donc admettre un agent qui les ait travaillées, et cet agent ne peut être que l'eau, agitée par des courans rapides.
Si tout ce qui vient d'être dit n'était pas suffisant, pour vous convaincre de la vérité de mes avancés, je demanderais comment ont pu se former les lacs qui se trouvent au nord des montagnes et dont les eaux se déchargent, par de longs détours dans le fleuve St. Laurent? La rivière Ste. Anne, par exemple, fait plus de trente lieues de détours pour parvenir au fleuve. Cela ne prouve-t-il pas que ces lacs, dont il résulte des rivières, ont été formés par un déluge universel, et que leurs eaux n'ayant pu se faire jour à travers les montagnes, ont été forcées de faire de longs détours pour parvenir au fleuve? Toutes les rivières des environs sont absolument dans le même cas, et leurs lits font mille tours divers.
La rivière du Sud, qui se jette dans le fleuve, douze lieues en bas de Québec, offre encore un exemple bien frappant de la submersion universelle de ce continent, et de ce que l'eau peut opérer, lorsqu'elle roule rapidement sur un lit argilleux. Cette rivière, qui n'a pas plus d'un arpent ou deux de largeur, se trouve entre deux élévations considérables, à la distance d'environ deux lieues l'une de l'autre. Le terrain qui est entre ces côteaux est magnifique, et annonce qu'il fut jadis le lit d'un lac considérable; mais aussitôt que ce lac commença à diminuer, la rivière sillonna alors son lit, et amena dans le fleuve les eaux des montagnes adjacentes. On a peine à concevoir comment l'eau a pu creuser la terre d'une manière aussi profonde. Plusieurs éboulis ont eu lieu, il y a quelques années passées, et l'écore est élevée à plus de cent pieds audessus du niveau de la rivière.
Vous me demanderez actuellement comment ce volume immense, d'eaux a pu se retirer. Je répondrai à cette question, en disant que les phénomènes de la vaporisation, de la cristallisation, de l'oxidation des métaux, et de la congélation, furent indubitablement les premières causes de la diminution des eaux. L'atmosphère ayant sans doute rendu, à cette époque mémorable, toute l'eau qu'il tenait en dissolution, la vaporisation dut s'opérer plus rapidement qu'à présent. Ensuite, la végétation devenant considérable, dut en décomposer une grande partie. Les volcans, les canaux souterrains, les tremblemens de terre, devant alors se faire sentir, contribuèrent de leur côté à leur diminution. Les fleuves et les rivières devant creuser leurs lits ou s'enfoncer, pour ainsi dire, dans la terre, laissèrent par ce moyen les campagnes voisines à découvert. Car c'est une erreur de croire que le lit du fleuve St. Laurent était aussi profond dans ces tems reculés qu'à présent. Il est bien vrai qu'il chariait ses eaux de niveau avec les plus hautes écores d'aujourd'hui. Mais s'il n'en est point ainsi, c'est qu'outre l'évaporation et les autres causes que nous venons de citer, son lit devenant beaucoup plus profond, ses eaux ont dû baisser considérablement et laisser à découvert les campagnes adjacentes.
Cette idée est d'autant plus fondée que l'on remarque que là où le lit du fleuve est de pierre, il n'y a presque point d'écore. C'est de cette inégalité du lit du fleuve, indépendamment de l'ascension graduelle du terrain, vers sa source, que résultent plusieurs rapides, tels que ceux du Sault St. Louis et du Richelieu. Ce phénomène a donc dû contribuer à faire retirer les eaux des campagnes, et faire croire que les anciennes écores, que l'on observe tout le long du fleuve St. Laurent, avaient été laissées à sec d'une manière soudaine.
Les connaissances topographiques doivent être d'une grande importance dans un pays où la moitié, les trois quarts, peut-être, des terres fertiles sont encore à défricher; où les manufactures et le commerce doivent faire tous les jours des progrès, et où la population s'accroît rapidement et a besoin de s'étendre. Nous croirons donc joindre l'utile à l'agréable, en publiant de tems à autre quelques morceaux sur ce sujet intéressant. Nous commencerons dans ce premier numéro, par l'endroit du Canada qui a été fréquenté le premier par les Européens, et a été un poste de commerce, longtems avant que Québec fût fondé, Tadoussac, ou plutôt la rivière Saguenay qui se décharge dans le St. Laurent, au lieu ainsi nommé, et le lac St. Jean, ou cette rivière a sa source. Mr. Bouchette, dans sa Topographie du Bas-Canada, fait du Saguenay une description propre à faire regarder cette rivière comme une des merveilles de la nature. Nous espérons qu'on ne trouvera pas mauvais de voir ici cette description, avant de passer outre.
"La Rivière Saguenay qui se décharge dans le St. Laurent, à la Pointe aux Alouettes, est la plus grande de toutes celles qui apportent le tribut de leurs eaux à la Grande Rivière; elle prend sa source dans le Lac St. Jean, pièce d'eau d'une étendue considérable, par 48 degrés 20 minutes de latitude nord, et par 72 degrés 30 minutes de longitude ouest, du méridien de Londres; il reçoit plusieurs grandes rivières qui coulent du nord et du nord-ouest, à une distance immense dans l'intérieur, et dont le Pikouagami, la rivière de Sable, et le Pariboaca sont les principales. A l'extrémité orientale du lac, il en sort deux grands courants d'eau, l'un appellé la grande Décharge, et l'autre la rivière de Kinogmiland; lesquels après avoir coulé environ 57 milles, et renfermé un terrain d'une largeur moyenne de douze milles, réunissent leurs eaux et forment l'irrésistible Saguenay qui de cette pointe continue son cours dans la direction de l'est, pendant environ cent milles jusqu'au St. Laurent. Les bords de cette rivière, dans tout son cours, sont pleins de rochers et d'une hauteur immense, s'élevant de 85 toises jusqu'à même 170 audessus du niveau de l'eau. Son courant est large, profond, et violent: dans quelques endroits, où il se trouve des précipices, il y a des chûtes de cinquante à soixante pieds de hauteur, où le volume entier des eaux s'élance avec une furie qu'on ne saurait décrire, et avec un bruit épouvantable. La largeur de la rivière est en général de deux milles et demi à trois milles, mais à son embouchure, la distance se réduit à environ un mille. La profondeur de cette énorme rivière est aussi extraordinaire: à son embouchure, on a essayé d'en trouver le fond avec une sonde de 500 brasses, mais sans effet; à environ deux milles plus haut, on a plusieurs fois trouvé de 130 à 140 brasses; et entre 60 et 70 milles du St. Laurent, sa profondeur est de 50 à 60 brasses. Le cours de cette rivière, malgré sa grandeur, est très sinueux, à cause du grand nombre de pointes saillantes de chaque côté du rivage; la marée la remonte à environ 70 milles; et à raison des obstacles occasionnés par les montagnes nombreuses, le reflux est beaucoup plus tard que dans le St. Laurent; en conséquence, à la basse eau dans le dernier, la force des eaux descendantes du Saguenay se fait sentir à plusieurs milles. A l'embouchure de cette rivière, tout vis-à-vis la Pointe aux Alouettes, se trouve le port de Tadoussac, qui est très bien abrité par les hauteurs qui l'entourrent, et qui a un bon ancrage pour un grand nombre de grands vaisseaux, où ils peuvent rester en parfaite sureté."
MM. J. M'Kenzie et J. M'Douall, traiteurs, qui ont paru, il y a deux ans, devant un comité de la Chambre d'Assemblée, ont beaucoup ajouté aux renseignemens que l'on avait déjà sur ce sujet. Voici en substance comment Mr. M'Douall répond aux questions du comité.
Le Saguenay est navigable pour des vaisseaux de toute grandeur jusqu'à Chicoutimy, à 30 lieues environ de son embouchure dans le St. Laurent. On y trouve plusieurs rades et plusieurs ports, et il reçoit un grand nombre de rivières, dont les plus considérables sont celles de Ste. Marguerite, la Trinité, le Petit Saguenay, et Chicoutimy. La Trinité est de la même largeur que la rivière St. Charles, à Québec: elle forme un beau port à son confluent, et dans les endroits où elle se rétrécit, on a établi des pêches au saumon. La rivière Ste. Marguerite est plus large que celle de St. Charles: elle est navigable pour les canots à une grande distance, jusqu'à une centaine de milles, au rapport des sauvages. Le Chicoutimy n'est pas tout à fait aussi large que la rivière Batiscan, mais il y a autant d'eau. Cette rivière serait navigable pour des canots l'espace de dix lieues, si ce n'était de trois chûtes, ou forts rapides, qui se trouvent à son confluent. Mr. M'Douall ne connait le Petit Saguenay que pour en avoir entendu parler. A 20 lieues de l'embouchure du Saguenay est la baie de Ha-Ha, dans laquelle tombent deux petits cours d'eau où il y a des pêches au saumon. Cette baie forme un beau port de trois lieues de circuit, où l'ancrage est sûr, et où les vaisseaux sont à l'abri de tous les vents. Au delà de Chicoutimy, le Saguenay n'est plus navigable, à cause des précipices et des chûtes épouvantables dont parle le Colonel Bouchette, et dont, suivant Mr. M'Douall, nul homme, soit Canadien, soit sauvage, n'a jamais ôsé approcher. La plus terrible de ces chûtes est à trois lieues au delà de Chicoutimy.
Le climat, sur les bords du Saguenay, est, suivant Mr. M'Douall, ou plutôt, suivant ce qu'on lui en a dit, plus tempéré qu'à Québec: la végétation y est aussi rapide, plus même peut-être, que dans le voisinage de cette capitale du Canada. Les grains et les légumes qu'on a semés ou plantés au poste de Tadoussac sont bien venus. A Chicoutimy, le sol est meilleur encore qu'à Tadoussac. Les arbres les plus communs sont le bouleau, le frêne, l'orme, le pin rouge et le pin blanc, l'épinette et le peuplier.
Mr. M'Douall ne connait pas, pour les avoir vus, le lac St. Jean, non plus que les rivières qui y portent le tribut de leurs eaux: mais il tient de personnes qui ont exploré le pays, que les terres sur les bords de ce lac et de ces rivières sont bonnes et propres à la culture, et qu'on y trouve beaucoup de bois dur, tels que le merisier et l'érable. Il est persuadé qu'on pourrait cultiver dans ces contrées tous les grains, végétaux et arbres fruitiers que l'on cultive dans les parties habitées du Bas-Canada, particulièrement les pommiers, auxquels il croit le sol plus favorable que celui même de Montréal. C'est au confluent des rivières, et aux environs des baies que les terres sont les plus fertiles. Audessus, et audessous de l'embouchure du Saguenay, le long du St. Laurent, cent cinquante familles trouveraient des terres fertiles, des marais salins, du foin naturel, du poisson et du gibier en abondance. Si l'intérieur du pays s'établissait, Chicoutimy, qui est à la tête de la navigation du Saguenay, deviendrait une ville de commerce, d'où l'on exporterait d'abord des pelleteries, du poisson, de l'huile et des bois de construction de toutes sortes; ensuite, de la potasse, du bled, de la farine, des viandes salées, du chanvre, &c.
Les réponses de Mr. M'Kenzie au même comité ajoutent quelque chose aux éclaircissemens donnés par Mr. M'Douall; mais nous les remettrons à une autre fois.
La rivière Saskatchiwine coule sur un lit composé de sable et d'argile; ce qui ne contribue pas peu à diminuer la pureté et la transparence de ses eaux, qui, comme celles du Missouri, sont épaisses et blanchâtres. A cela près, c'est une des plus jolies rivières du monde. Les bords de la Saskatchiwine sont tout-à-fait charmants, et offrent, en plusieurs endroits, la scène la plus belle, la plus riante et la mieux diversifiée que l'on puisse voir ou imatoner: des collines de formes diverses, couronnées de superbes touffes de peupliers; des vallons agréablement rembrunis, le soir et le matin, par l'ombre prolongée des coteaux et des bosquets qui les décorent; des troupeaux de légers cabris, et de lourds bœufs Illinois--ceux-là bondissant sur le penchant des collines, ceux-ci foulant de leurs pieds pesants la verdure des prés; toutes ces beautés champêtres réfléchies et doublées, pour ainsi dire, par les ondes du fleuve; le chant mélodieux et varié de mille oiseaux divers perchés sur la cîme des arbres; l'haleine rafraichissante des zéphirs; la sérénité du ciel; la pureté et la salubrité de l'air: tout, en un mot, porte le contentement et la joie dans l'âme du spectateur enchanté. C'est surtout le matin, quand le soleil se lève, et le soir, quand il se couche, que le spectacle est vraiment ravissant. Je ne pus détacher mes regards de ce superbe tableau, que quand l'obscurité naissante l'eut un peu rembruni. Alors, au doux plaisir que j'avais gouté succéda une triste, pour ne pas dire une sombre, mélancolie. Comment se fait-il, dis-je en moi-même, qu'un si beau pays ne soit point habité par des créatures humaines? Les chansons, les hymnes, les prières, du laboureur et de l'artisan, heureux et paisible, ne seront-ils jamais entendus dans ces belles campagnes? Pourquoi, tandis qu'en Europe, et en Angleterre surtout, tant de milliers d'hommes ne possèdent pas un pouce de terre, et cultivent le sol de leur patrie pour des propriétaires qui leur laissent à peine de quoi subsister; pourquoi tant de millions d'arpens de terres, en apparence grasses et fertiles, restent-ils incultes et absolument inutiles? ou, du moins, pourquoi ne nourrissent-elles que des troupeaux de bêtes fauves? Les hommes aimeront-ils toujours mieux végéter toute leur vie sur un sol ingrat, que d'aller chercher au loin des régions fertiles, pour couler dans la paix et l'abondance, au moins la dernière partie de leurs jours? Mais, je me trompe: il est moins aisé qu'on ne pense à l'homme pauvre d'améliorer sa condition: il n'a pas les moyens de se transporter dans des contrées lointaines, où il n'a plus ceux d'y acquérir une propriété; car ces terres incultes, désertes, abandonnées, ne sont pas à quiconque veut s'y établir et les cultiver; elles ont des possesseurs, et il faut acheter d'eux le privilège de les rendre fertiles et productives! On ne doit pas, d'ailleurs, se faire illusion: ces contrées, par fois si délicieuses, ne jouissent pas d'un printems perpétuel; elles ont leur hiver, et un hiver rigoureux: un froid perçant est répandu dans l'atmosphère; une neige épaisse couvre la surface du sol; les fleuves glacés ne coulent plus que pour les poissons; les arbres sont dépouillés de leurs feuilles, et couverts de verglas; la verdure des prés a disparu; les collines et les vallons n'offrent plus qu'une uniforme blancheur; la nature a perdu toute sa beauté; et l'homme a assez à faire de se mettre à l'abri des injures du tems.
Un médecin français, nommé Jacques Cornutus, ou Cornuti, qui voyagea, il parait, en Amérique, dans le XVIIème. siècle, a donné en latin, en un volume in-quarto, Paris, 1635, une Description des Plantes du Canada, ou plutôt de l'Amérique Septentrionale, car de son tems, on comprenait sous le nom de Canada, une grande partie de ce qu'on appelle présentement Etats-Unis. Si le livre de Cornutus se trouve dans ce pays, et s'il mérite d'être consulté aujourd'hui, c'est ce que nous ignorons: il parait pourtant que c'est de lui que Charlevoix a emprunté en grande partie ce qu'il dit des principales plantes du Canada, à la fin de son histoire. La description de ces plantes diffère un peu, quant aux termes techniques, &c. même dans Charlevoix, de celle qu'en pourraient donner des botanistes modernes, parcequ'à l'époque où elle a été écrite, le systême de Linnée, généralement adopté depuis, n'était pas encore développé; mais elle n'en est peut-être que plus intelligible pour le commun des lecteurs. Nous transcrirons, en attendant mieux s'il est possible, une partie de l'ouvrage de Charlevoix, persuadés qu'il ne se trouve que chez un petit nombre de nos lecteurs.
Fougère qui porte des baies. Filix baccifera.--C'est la seule fougère qui porte des baies. Elle s'élève à la hauteur d'un pied et demi. Ses feuilles opposées sont ailées et dentelées. Sa tige, qui ne plie guère sans se rompre, est ronde et canelée. Les rudimens des semences tiennent aux feuilles par derrière, et produisent des baies fendues en deux, rondes, et qui deviennent noires et ont un goût fort agréable. Ces baies sont mûres au milieu de l'été.
Origan du Canada. Origanum fistulosum canadense.--Les tuyaux des fleurs de cette plante représentent assez bien une flute de cannes. Les tiges sont quarrées, et quelquefois à plusieurs angles: toutes sont velues, et poussent plusieurs branches. Les feuilles sont longues, et d'un vert clair: elles couvrent toute la tige jusqu'au calice, où est la fleur, dont la base est environnée de dix ou douze feuilles (stipules) plus petites que celles de la tige. Cette fleur ne ressemble pas mal à celle de la scabieuse, mais elle est plus basse et plus applatie. Elle est composée d'un nombre de petits calices, &c. d'où il sort de petits tuyaux bien rangés, de couleur de pourpre.
Grande Roquette du Canada. Eruca maxima canadensis.--C'est une plante de la hauteur d'environ cinq pieds. Elle pousse plusieurs branches rondes et couvertes d'une espèce de bourre assez rude; ces branches ont beaucoup de feuilles, longues, pointues, dentelées, et ornées d'un léger duvet. La roquette porte une très grande quantité de petites fleurs qui paraissent aux mois de juin et de juillet. Elles sont jaunes, et n'ont que quatre pétales, avec un pistil et quatre étamines. Quand la fleur est tombée, le pistil devient une gousse allongée, droite, remplie de petites semences fort douces au goût, qui sont mûres au mois d'août, et tombent en septembre.
Thaliétrum du Canada.--La hauteur de cette plante est de trois pieds: sa racine pousse plusieurs tiges d'un pourpre foncé, partagées par des nœuds d'où sortent d'autres tiges plus petites, séparées des principales par des valvules blanchâtres. Ses feuilles triangulaires ressemblent pour la forme à celles de l'ancholie, mais sont d'un vert mêlé de blanc. Les tiges sont terminées par un bouton de fleurs fort petites. Les boutons en sont d'un pourpre clair, et quand ils s'ouvrent, ils se divisent en cinq feuilles (pétales) qui découvrent une infinité de petits filamens blancs, dont les têtes (anthères) sont jaunes.
Aconit du Canada. Acontum canadense, baccis niveis et rubris.--Cette plante croît dans les lieux montagneux et couverts: les deux espèces ne diffèrent que par la couleur de leurs baies, dont les unes sont blanches et les autres rouges. La tige s'élève d'environ un pied et demi. La racine est noire, et ne s'étend ni en profondeur ni en superficie, mais jette des fibres (ou radicules) qui l'attachent fortement à la terre. Les feuilles ressemblent à celles de la vigne ou du ribès, mais elles sont plus petites et plus ridées, et d'un vert plus obscur. L'extrémité de chaque grain de la baie est marquée d'un point pourpre, aussi bien que le pédicule assez long qui le soutient.
Cette plante vénéneuse est très commune, à ce que nous croyons, sur la montagne de Montréal.
J'ai vu des cultivateurs employer avec succès un moyen bien simple pour entretenir la santé de leurs bestiaux, et prévenir les maladies auxquelles ils sont sujets, à la suite de l'hivernement. Ils purgent leurs vaches, le printems, en leur donnant, pendant quelques jours, pour toute nourriture, de petites branches, ou des bourgeons, de quelques uns de nos arbres résineux, tels que ceux qu'on nomme ici petite pruche, petit pin, épinette, &c. D'autres se contentent de faire tout uniment infuser de ces branches ou bourgeons dans de l'eau qu'ils font ensuite boire à leurs animaux. Il en est enfin qui, pour parvenir au même but, prennent encore une voie plus courte; c'est de conduire les animaux dans les bois où il se trouve de ces arbres, au printems, avant que l'herbe ait commencé à croître dans les pâturages. On sait avec quelle avidité les animaux attaquent les arbres dans cette saison, pour en manger les bourgeons et les rameaux, et il n'en faut pas plus pour produire l'effet désiré. Outre l'avantage d'agir comme remède, cette nourriture a encore celui de rendre le lait des vaches beaucoup plus salubre pour ceux qui en font leur nourriture. Il serait, ce me semble, désirable de voir une coutume aussi utile devenir plus commune: elle préviendrait souvent des maladies dangéreuses. On peut à ce sujet se rappeller combien des épizooties ont fait de ravages dans ce pays, à plusieurs reprises, dans des étés souvent brulants qui succèdent presque subitement à nos longs et rigoureux hivers. Il est bien probable que cette précaution suffirait souvent pour mettre en grande partie les animaux à l'abri des dangers qui en résultent.
M. Gennete, qui a été premier physicien de Napoléon, est inventeur de plusieurs instrumens ou machines propres à hâter et faciliter le défrichement des terres incultes. L'une de ces machines sert, suivant le Dictionnaire de l'Industrie, à extirper dans les champs situés près des bois, les troncs ou les racines qui interrompent le travail de la charrue, et à arracher les souches des endroits ou l'on veut semer du grain. Une seconde machine sert à peler les gazons des friches, et une troisième à épierrer les champs.
Lorsqu'on a enlevé la terre, et coupé avec le hoyau les principales racines qui retiennent les troncs d'arbres, on les enlève, au moyen de la première machine, qui sert aussi à les placer sur une voiture pour les transporter, si on ne veut pas les bruler sur le lieu. La seconde machine, propre à couper les gazons des landes et des terres en friche, est susceptible de plusieurs mouvemens différents et successifs: par le premier, on pèle la terre et l'on tranche les racines des gazons; par un second, on secoue les gazons coupés et l'on en éparpille la terre; par un troisième, on ramasse les gazons en tas, pour les bruler lorsqu'ils seront desséchés, et fournir au sol des sels propres à la végétation. La dernière machine a aussi plusieurs mouvemens qu'on fait succéder les uns aux autres; par le premier, elle arrache les pierres hors de terre et les jette à la surface; par le second, elle ramasse ces pierres ainsi détachées, et les ramène sur le bord du champ; et par un troisième mouvement, elle transporte ces pierres des bords du champ, où elles ont d'abord été mises, à un tas commun: deux chevaux suffisent pour faire aller la machine dans ces trois circonstances. Ces machines, surtout la première et la troisième, pourraient être d'une grande utilité dans ce pays.
Le même mécanicien a inventé une charrue propre à trancher et extirper toutes les racines qui se présentent dans les défrichemens. Dans cette charrue, au lieu du coutre incliné, qui ne peut couper les racines, parcequ'il ne les saisit que par son extrémité, un soc de forme triangulaire, dont la crête se termine en tranchant, saisit les racines de la manière la plus avantageuse et les coupe facilement.
Dans un canton de la Marche de Brandebourg, où l'on voulait extirper des sapins, pour mettre le terrain en culture; on se trouva assez embarrassé en voyant que soit qu'on brulât les arbres, ou qu'on les abattît, ils repoussaient du pied et produisaient des racines qui arrêtaient la charrue. On s'apperçut enfin que ceux autour desquels on avait fait des feux de paille suffisants seulement pour noircir l'écorce, pourrissaient jusqu'aux racines, en trois ou quatre années. Cet expédient peut être pratiqué utilement, lorsqu'il s'agit d'arbres résineux; et la raison en est que la résine fondue dans l'intérieur ne pouvant s'extravaser, obstrue les vaisseaux; d'où il résulte que la sève s'altère par son séjour.
On lira sans doute avec plaisir la description abrégée qui suit de la nouvelle Eglise paroissiale qui se bâtit actuellement à Montréal. Cette description a été donnée en anglais, l'année dernière, après la bénédiction de la première pierre, par l'architecte, Mr. O'Donell; mais, à notre connaissance, on n'en a publié nulle part la traduction en français.
Cette grande Eglise, échantillon régulier de l'architecture gothique, est modellée en partie sur les plus beaux édifices de ce genre qu'il y ait maintenant en Europe. Elle est assise sur le sol primitif, et fait face à la rue Notre-Dame, ou plutôt à la Place d'Armes, et à la rue St. Joseph. Elle regarde de l'autre côté, le jardin du Séminaire, et un terrain vaste par derrière; de sorte qu'il eût été impossible de trouver, même de désirer, une meilleure situation. La longueur totale de l'édifice est de 255 pieds, de l'Est à l'Ouest, et sa largeur de 134 pieds. Il y aura six tours, tellement disposées que chaque flanc, ou long pan, en présentera trois, le pan de derrière, ou de l'Est, deux, et le pan de devant, ou le frontispice, aussi deux, de 200 pieds de hauteur. Ces tours seront de forme quadrangulaire et auront à chacun de leurs angles des pillastres octogones, qui se termineront au haut par des pinacles piramidaux. La courtine, ou l'espace entre les deux grandes tours de devant, aura 73 pieds de largeur sur 112 de hauteur, et sera couronnée par un parapet crénelé. Les tours seront couronnées du même parapet.
Il y aura cinq entrées publiques et trois entrées privées dans le corps de l'Eglise, et quatre dans les tribunes; de sorte que 10,000 personnes (le nombre que l'édifice pourra contenir à l'aise) pourront y entrer et en sortir commodément, dans l'espace de cinq minutes. Les portes et les fenêtres auront pour contour l'arche gothique en pointe. La fenêtre de l'Est, derrière le maître autel, qui aura 68 pieds de hauteur sur 32 de largeur, sera divisée par des colonnades qui se couperont en arches par le haut, en cinq compartimens, et subdivisée par des croisillons en panneaux trifoliés au sommet, pour recevoir des verres peints. Cette fenêtre sera vue avec beaucoup d'avantage de l'entrée du front, en même tems que les fenêtres des longs pans, les tribunes des deux côtés, et le plafond ou lambris, qui aura 80 pieds de hauteur. La voute de ce lambris sera soutenue en partie par deux rangs de colonnes groupées, chacune de trois pieds et six pouces de diamètre, et du haut desquelles partiront des arches qui seront traversées par des diagonales sculptées en bas relief, pour partager le plafond en compartimens vastes et ornés. Les fenêtres des longs pans, au nombre de neuf de chaque côté, auront 36 pieds de hauteur, sur 10 de largeur, et seront faites d'après le même modèle que celle de l'Est. Il y aura à l'extérieur des longs pans, entre les fenêtres, des pillastres de même forme que ceux des tours, et terminés de même par des pinacles. Ces pillastres seront creux pour pouvoir servir de cheminées.
Il y aura dans l'Eglise sept autels, placés de manière à être vus à la fois des grandes portes de devant. Le maître autel sera apperçu en ligne droite un peu au delà de l'extrémité de la nef, et sera élevé dans le chœur de trois pieds audessus du niveau du plancher de l'Eglise, et entourré d'une rangée sémicirculaire de sièges pour le clergé, lequel entrera dans le chœur par une porte placée derrière le grand autel. Le devant du chœur restera ouvert, et l'on y montera par des degrés de peu d'élévation, en forme de cyme renversée. Les planchers suivront un plan légèrement incliné, depuis la grande entrée jusqu'au maître autel; ce qui ne contribuera pas peu à rehausser le coup d'œil, et à faciliter à tous les assistans la vue du chœur et des cérémonies. Tout l'intérieur sera distribué pour la plus grande commodité possible, et de manière à produire un effet aussi imposant qu'agréable: il sera tempéré l'hiver par un air échauffé dans des fourneaux construits sous le plancher.
L'Eglise sera entourrée d'une terrasse spacieuse audessus de laquelle seront toutes les entrées. Cette terrasse sera sur l'alignement des rues Notre Dame et St. Joseph, et l'édifice sera éloigné de 36 pieds de la rue Notre Dame, ou du bord extérieur de la terrasse, d'où il y aura une suite de marches jusqu'au portail, qui sera formé par une arcade consistant en trois arches, chacune de 19 pieds de largeur sur 47 de hauteur. Sous cette arcade, on entrera par trois portes dans le bas de l'Eglise, et par deux dans les tribunes. Audessus de cette première arcade, il y en aura une autre de même forme, par laquelle les pilliers seront joints ensemble. Il y aura des niches à sommets en feuilles de trèfle, pour recevoir des figures de marbre en haut relief. Audessus de la façade, entre les tours, il y aura une promenade de 75 pieds sur 25, élevée de 112 pieds audessus du niveau de la place. L'accès à cette promenade, d'où l'on aura un coup d'œil étendu et magnifique sur le fleuve et les campagnes environnantes, sera d'un accès sûr et facile même pour les femmes et les enfans. Les tours de devant sont destinées à recevoir des cloches à carillon, des horloges, et à servir d'observatoires. Enfin, la nouvelle Eglise paroissiale réunira la solidité, la grandeur, la régularité, la beauté simple et la commodité, et fera honneur en général au Canada, et en particulier à la ville de Montréal.
Nous tâcherons de nous procurer, pour le numéro prochain, la description scientifique de l'Eglise de St. Jacques, telle qu'elle doit être, lorsqu'elle sera achevée.
Nous pourrons donner, dans un des numéros suivants, la thèse d'un de nos docteurs Canadiens sur l'hydrophobie, maladie accidentelle qui a été funeste à plusieurs personnes dans ce pays, depuis un certain nombre d'années, faute d'un remède efficace. En attendant, nous croyons à propos de publier la recette suivante.
Extrait d'une lettre de Lyon.--En juin, 1824, un homme fut cruellement mordu par un chien qui, quelques jours après, mourut enragé. Sa femme suça la blessure, la nétoya complètement de toute la matière venimeuse, et de l'avis de son chirurgien, M. Dupin, l'opération fut plusieurs fois réitérée, et la plaie fut laissée ouverte pour donner lieu à l'écoulement. L'homme se rétablit, et il est maintenant bien portant. La femme a été désignée depuis sous le nom de chien-suc. Nous avons présentement trois femmes dont l'occupation, durant les mois d'été, est de sucer les blessures hydrophobiques, et que l'on désigne par la même dénomination. Le prix est de dix francs pour la première opération, et de cinq francs pour chaque opération suivante. Un monsieur anglais a été mordu dernièrement par un bichon auquel on a remarqué des symptômes d'hydrophobie, et qui a été tué; mais il est tellement persuadé de l'efficacité de cette nouvelle opération à laquelle il a eu recours, qu'il n'appréhende aucun effet funeste de la morsure, et est aussi content et aussi gai que si rien n'était arrivé. J'ai examiné la plaie; elle est un peu enflammée, depuis la dernière opération du chien-suc; mais je ne doute nullement de sa guérison. Un traitement instantanné est, dans ces cas, de la plus grande importance: la personne même qui a été mordue, peut sucer la plaie sans le moindre danger. Depuis le 1er. de juin dernier, pas moins de trente-huit personnes ont été mordues par des chiens enragés, et pas une d'elles n'a éprouvé le moindre symptôme d'hydrophobie, grâces à l'adoption de ce nouveau systême."
Les rédacteurs du Médical Repository de Londres, donnent le cas suivant comme extraordinaire par sa rareté, sous le titre de
Ossification du Péricarde et d'une partie du Cœur.
"Le sujet, nommé Marsh, âgé de 43 ans, fut admis à l'hopital de Kent,
le 30 juillet, 1824, malade d'une hydropisie générale. Il était sujet a
des palpitations de cœur depuis plus de vingt ans. Il avait eu souvent
recours à la medécine, et la saignée était ce qui l'avait soulagé
davantage. Elle eut, avec des médecines diurétiques, le même effet pour
un tems, à l'hopital. Il en sortit presque guéri, le 25 août; mais il y
rentra le 23 septembre, dans un état pire que le premier. L'extrême
difficulté avec laquelle il respirait, avait été soulagée, pendant son
absence, par la saignée; mais elle était revenue presque aussitôt, et
lorsqu'il arriva à l'hopital, il était forcé de se tenir à genoux les
coudes appuyés sur une chaise, et à peine dans cette posture pouvait-il
respirer. On eut en vain recours aux remèdes qui lui avaient procuré du
soulagement la première fois. Il mourut le 3 octobre, et l'on observa
les phénomènes suivants, à l'ouverture du corps, qui eut lieu treize
heures après le décès.
"En ouvrant la poitrine, on y trouva répandue une quantité considérable
de fluide aqueux. Les poumons adhéraient fortement des deux côtés à la
plèvre costale: ils étaient d'une teinte plus pâle que d'ordinaire,
mais sains d'ailleurs. Le fort de la maladie, comme on s'y était
attendu, gisait dans le cœur et la membrane qui l'environne. Cette
dernière était fort endurcie, et adhérait partout fortement au cœur. En
la disséquant pour l'enlever, on en trouva plusieurs parties changées en
os; le cœur lui-même, qui excédait le double de la grosseur accoutumée,
se trouva ossifié en plusieurs points de sa surface. On trouva aussi une
matière osseuse dans le ventricule gauche, mais la substance de l'organe
était en général extrêmement tendre, et l'auricule gauche était si mince
que très probablement il aurait crevé de lui-même, si le malade avait
vécu encore quelque tems. Ni les valves sémilunaires, ni celles qu'on
appelle auriculo-ventriculaires n'étaient ossifiées. Les viscères
abdominaux étaient généralement sains, si ce n'est que le foie était
livide et peut-être un peu plus dur qu'il ne l'est naturellement. On
trouva plusieurs petits calculs dans la vessie du fiel."
La Chirurgie est une des sciences pratiques qui ont fait le plus de progrès en Europe, particulièrement en Angleterre et en France, depuis un certain nombre d'années. Presque tous les ans, cet art enfante à Londres et à Paris des merveilles nouvelles. Qui n'a pas entendu parler, par exemple, des opérations étonnantes des Dupuytren et des Richerand? Mais ce n'est pas seulement la veille Europe qui se distingue dans un art si utile, et quelquefois si difficile et si délicat; l'Amérique a aussi ses chirurgiens thaumaturges. Nous citerons polir exemple le docteur LOBATUT, de la Louisiane. Un jeune homme de ce pays était aveugle depuis dix ans. Il s'était marié dans cet intervalle, et était devenu père de plusieurs enfans. Ayant entendu parler de la grande habileté du Dr. Lobatut, de la Nouvelle-Orléans, comme oculiste, il se hâta de s'aller mettre sous ses soins, laissant sa famille au Bâton-Rouge, lieu de sa demeure. En moins de quinze jours, le docteur Louisianais lui rendit l'usage parfait de la vue, et il se trouva en état de s'en retourner |voir| pour la première fois sa femme et ses enfans.
L'Education est une des parties de l'économie morale, si nous pouvons ainsi parler, que nous nous proposons de suivre avec le plus de soin. Nous espérons pouvoir nous procurer pour la suite tous les renseignemens nécessaires pour parler avec certitude des commencemens, des progrès et de l'état actuel de nos principaux établissemens pour l'enseignement des sciences et des lettres, et même des élémens de l'éducation. Quoiqu'on en puisse dire, l'instruction fait tous les jours des progrès parmi nous: il est présentement peu de paroisses un peu considérables, où il n'y ait une école tenue sur un pied plus ou moins respectable, sans parler de l'enseignement privé qui s'étend aussi de son côté, et peut-être dans une plus grande proportion encore que l'enseignement public. Quoique les Résolutions suivantes aient déjà paru dans le Spectateur Canadien, on ne trouvera peut-être pas mauvais que nous les republions ici.
"Dans une assemblée des Bourgeois et Notables de la Paroisse St. Pierre
de L'Assomption, dans le district de Montréal, convoquée par Messire
Gaulin, Prêtre, Curé de la dite paroisse, et qui a eu lieu ce jourd'hui
au village de L'Assomption, aux fins de prendre en considération les
moyens les plus convenables pour l'établissement d'une Ecole en la dite
paroisse St. Pierre, les résolutions suivantes ont eu lieu, comme suit:
Résolu, Qu'un comité de onze membres soit nommé immédiatement pour
gouverner la dite Ecole, faire tous marchés, règlemens, &c. à ce
nécessaires.
Résolu, Que Messieurs Remy Gaulin, prêtre, Charles de St. Ours,
Laurent Leroux, J. E. Faribault, Bmy. Joliette, Alexandre Mabbut,
Charles Leodel, Ls. Jos. Chs. Cazeneuve, Benjamin Beaupre, Amable Archambault,
et Joseph le Sanche, composent le dit comité; que le dit
Messire R. Gaulin, prêtre, soit Président d'icelui, et C. de St. Ours
Vice-Président, comme aussi que L. Leroux, Ecr. soit Trésorier du dit
comité et Mr. L. J. C. Cazeneuve, Secrétaire.
Résolu, Que sept membres du dit comité, y compris le président, ou en
son absence, le vice-président, formeront le quorum.
Résolu, Qu'il est nécessaire et expédient d'ouvrir immédiatement une
souscription pour aider à payer le ou les Instituteurs de la dite Ecole,
et pour d'autres fins.
Résolu, Que toute personne qui souscrira à l'avenir la somme de trente
schelins courant, payables chaque année, durant trois années, pour le
soutien de la dite Ecole, deviendra de plein droit membre du dit comité.
Résolu, Que si aucun des souscripteurs néglige de payer le montant de
sa souscription entre les mains du trésorier, il perdra en tel cas, si
le comité le juge à propos, son droit comme membre du comité.
Résolu, Que les deniers qui seront perçus par le moyen de la dite
souscription, ainsi que ceux qui proviendront de toute autre manière,
pour le soutien de l'Ecole susdite, seront employés conformément à ce
qu'il sera réglé par le dit comité.
Résolu, Que le comité ne s'assemblera qu'à la réquisition du président
ou du vice-président, qui ne pourront requérir telle assemblée que sur
la demande qui leur en sera faite par écrit par deux membres du dit
comité.
Résolu, Que les remercîmens de cette assemblée sont dûs à Messire
GAULIN, prêtre, en reconnaissance de son assistance à former
l'établissement de la susdite Ecole.
Lesquelles résolutions ont été signées des personnes présentes à la dite
assemblée.
L'Assomption, le 12 Avril, 1825."
Si l'on me permet de parler de moi-même, je dirai que c'est à la lecture de journaux de l'espèce ci-dessus que je dois principalement d'avoir fait un cours d'étude régulier. Dès l'enfance, je fus curieux d'apprendre; mais peut-être au désir de l'instruction se mêlait-il toujours quelque chose d'étranger. A l'âge de sept à huit ans, ma plus grande ambition était d'être enfant de chœur; et pour le devenir, je désirais d'apprendre à lire, parceque, selon ce qu'on m'avait fait entendre, c'était là une condition |sine quâ non|. Un peu plus tard, lorsque j'eus appris à lire, écrire, &c. être écolier au collège me semblait à peu près le comble du bonheur. Mais au désir d'apprendre davantage que je devais, en grande partie, à quelques livres qui m'étaient tombés sous la main, se joignait le goût pour l'habit bleu uniforme des écoliers du collège, leurs jeux, leurs promenades en corps, &c. Cependant, ce désir ardent d'entrer au collège, auquel mes parens, qui demeuraient loin de la ville, n'avaient pu se conformer, parceque payer pour moi une pension eût été une chose à peu près audessus de leurs moyens, ce désir ardent, dis-je, s'éteignit peu à peu; tellement qu'à quelque tems de là, mon père m'ayant demandé si je désirais encore d'aller au collège, je lui donnai à entendre que je trouvais le chemin trop long, sans m'informer s'il avait l'intention de me l'accourcir. Un peu plus tard, étant chez un oncle, et ne pensant plus au collège, il me tomba sous la main un tôme des Journaux de Trévoux. On sait que ces journaux contenaient des extraits et la critique des différents ouvrages qui se publiaient alors. Je lus tout ce que je pus, ou crus pouvoir comprendre, dans ce volume, avec une avidité et un plaisir presque indiscibles. La lecture d'un autre tôme des mêmes journaux me fit éprouver les mêmes sensations. Alors renaquit tout mon premier penchant pour l'étude, mais sans aucun mêlange de motifs étrangers. Ce n'étaient plus ni le surplis ni la ceinture qui me charmaient; c'était le savoir, uniquement le savoir, dans l'intention pourtant d'en faire, quand je l'aurais acquis, un usage convenable. Il me semblait que si je ne parvenais pas à me mettre au fait des sciences dont il était parlé dans mes deux volumes, je ne pouvais vivre, ou ne pouvais être que malheureux tant que je vivrais. Mes parens, voyant non seulement à mon discours, mais encore à toute mon habitude mentale et corporelle, que ce soin me dévorait en quelque sorte, se déterminèrent à me faire étudier, quoiqu'il leur en coutât.
LE LEVER DU SOLEIL.
Déjà l'astre du jour s'est emparé du ciel;
Il lance par faisceaux ses rayons sur la terre,
Et je découvre, à sa lumière,
Les prodiges sortis des mains de l'Eternel.
Mon âme élance-toi vers cette clarté pure;
Des portes du matin admire la nature,
Et remplis-toi de son auteur.
Ah! si nos yeux pouvaient, sans blesser leur paupière,
Approcher du soleil, contempler sa splendeur,
Et s'enfoncer dans sa lumière!
Ils ne verraient qu'un océan de feux
Qui ne rencontre aucuns rivages,
Que tourbillons brûlants, luttant sans cesse entr'eux,
Et dès la naissance des âges,
Embrâsant les plaines des cieux.
La pierre se dissout, bouillonne avec furie,
Au sein de ses foyers ardents;
La flamme roule par torrents,
La lumière par flots jaillit et tombe en pluie.
C'est aux clartés de tant de feux divins,
Que marchent les saisons, qu'agissent les humains.
Mais, grand Dieu, cet amas de lumière éternelle,
Qu'est-il devant tes yeux? à peine une étincelle.
Ce disque dont tes mains ont arrondi les bords,
Dont jamais les feux ne s'épuisent,
Colore seulement la surface des corps
Où ses rayons se brisent.
Ton œil plus pénétrant perce leurs profondeurs;
Réunit sur un point les déserts de l'espace;
Il ne parcourt pas, il embrasse,
Et du même regard il sonde tous les cœurs.
Le Myerre.
Tribut de Reconnaissance de Madame M * * * * aux Dames de Montréal.
Vous que du nom de sœurs je me plais à nommer,
Vous qu'on ne peut trop estimer,
Femmes honnêtes et charmantes,
Qui possédez si bien l'art de plaire et d'aimer,
J'ai trouvé parmi vous ces vertus consolantes
Qui doivent de mes maux adoucir la rigueur.
Ah! que ne pouvez-vous lire au fond de mon cœur.
Vous y verriez le prix des âmes bienfaisantes.
C'est la franchise et la pitié
Qui forment votre caractère:
C'est à vos soins, c'est à votre air sincère
Qu'on reconnait la parfaite amitié.
Oui, l'instant seul où je pus vous connaître
Dut me contraindre à vous aimer toujours.
Auprès de vous que les momens sont courts;
Qu'on est fâché de les voir disparaitre!
Montréal fut pour moi le plus beau des séjours.
J'y vis les jeux de l'innocence
Sans y voir les jeux du hazard;
J'y vis l'esprit, la gaîté, la décence,
L'abondance sans luxe et la beauté sans fard.
J'y vis enfin cette heureuse harmonie
Qui veut que par un doux lien,
La société réunie
S'écarte de tout mal pour ne faire que bien.
Dans tel pays, la politesse
N'est qu'une fausse honnêteté,
C'est l'art d'offrir avec adresse
Ce qui jamais n'est accepté.
Dans tel autre trop de fierte
Fait rougir la délicatesse.
Et je ne trouve que chez vous
Cette sincère complaisance
Qui fit aimer l'ancienne France
Et rendit ses voisins jaloux.
Pour vous offrir un triple hommage,
Mon époux, mes enfans se sont unis à moi;
Agréez-le, mes sœurs, c'est le triple langage
Du cœur, de l'innocence et de la bonne foi.
Si jamais pièce de vers a senti le jeune homme et l'écolier, c'est sans doute la suivante, et pour cause, puisque c'est l'œuvre d'un étudiant en belles-lettres. Est-elle digne d'être mise sous les yeux du public? je l'ignore; mais elle a pour moi le mérite de me rappeller et les plaisirs innocents du jeune âge et ceux de l'amitié. En l'insérant dans la |Bibliothèque Canadienne|, je demande pour l'auteur la même indulgence qu'il est prêt à accorder aux autres en pareil cas. Hanc veniam petimusque damusque vicissim. M.
Epitre à H. H. sur la Chasse.
Allons, tout est-il prêt, as-tu ce qu'il convient?
Je suis si bien muni qu'il ne me manque rien.
C'est trop dire pourtant, car ma vue est si courte,
Qu'à peine de dix pas je puis voir une tourte.[1]
Mais je sais à cela quel remède apporter;
C'est une longue-vue, et je vais l'acheter.
L'un sur l'autre, pour lors, n'ayant nul avantage,
On verra qui des deux en fera davantage.
Le gibier dans nos bois commence à se montrer;
Vite, point de lenteur, il faut le rencontrer:
La paresse jamais ne valut rien qui vaille.
Je me fais fort d'abattre et la grive et la caille.
Tu peux prendre sur toi de tuer l'étourneau:
Je t'abandonne encor le merle et le perdreau.
Le milan, le vautour, et tout oiseau vorace
N'ont garde d'espérer que nous leur fassions grâce:
Ce sont des malfaiteurs, des ennemis cruels,
Des êtres abhorrés du reste des mortels:
Le meurtre, le carnage est leur plus grande joie:
Tout être, s'il est faible, est sûr d'être leur proie,
Et de perdre la vie. Le gentil écureuil,
Dans mon sac, en tombant, trouvera son cercueil.
Mais pourquoi? dira-t-on, il n'est point hommicide,
Et vouloir le tuer, c'est être bien perfide.
Non, mais il est voleur, il méprise les loix;
Pour se remplir le ventre, il dérobe nos noix.
Comme tel, il mérite, à mon gré, la torture:
Nous le ferons passer par une mort moins dure.
Il aurait expiré sur un honteux gibet;
Nous l'en délivrerons d'un seul coup de mousquet.
Il pourrait bien se faire, ô tendre bécassine,
Que malgré soi l'on vînt enrichir la cuisine.
Mais ce sera bien pis dans la chaude saison,
Quand nous verrons venir, les tourtes à foison,
En tourbillons épais passer par la campagne,
Et lasses de voler, gagner notre montagne;
Dans les sentiers fangeux de la Pointe à Ménard,
Comme en un pays sûr séjourner le canard;
La bécasse roder autour de nos fontaines,
Le lièvre, le lapin gambader dans nos plaines;
Les timides perdrix errer sur nos côteaux,
Les pluviers abonder auprès de nos ruisseaux;
L'allouette, en un mot, la sarcelle étrangère,
Nous attendre à la file au bord de la rivière.
Pour les petits oiseaux, j'en fais bien peu de cas;
Les tuer sans raison, la chose ne va pas:
Ayant de tous côtés des ennemis à craindre,
Déjà par leur faiblesse ils sont assez à plaindre:
Je les trouve d'ailleurs et gentils et mignons;
Pour tout dire en un mot, nous les épargnerons.
Mais si la grue à tort voulait entrer en guerre,
Son cou long de deux pieds ne lui servirait guère;
Ses ailes, son grand bec ne la sauveraient pas;
Un seul coup suffirait pour la jetter à bas:
Elle verrait alors qu'elle était mal armée,
Qu'il ne s'agissait pas de combattre un pigmée.
De même le hibou, pour sa grande laideur,
Et parcequ'il n'est bon qu'à donner de la peur,
Recevrait surement au milieu de sa fale,
Ou bien sur sa caboche, une funeste balle.
Le butor, pour son cri propre à nous effrayer,
De la belle façon se verrait foudroyer.
La triste poule-d'eau qui prédit à la terre
L'orage, écraserait sous un coup de tonnerre.
Et puis ce sombre oiseau qu'on n'entend que de nuit,
Si je l'appercevais, serait bientôt détruit.
Enfin, tout oiseau sale et de mauvais augure,
Se verrait sur le champ déchirer la figure.
En voila bien assez, il est tems de finir:
Ce discours à la fin pourrait t'endormir.
J'oubliais cependant un être détestable,
Qu'avec grande raison l'on nomme enfant du diable.
Ah! si ton mauvais sort, malheureux animal,
Te mettait devant moi, que tu finirais mal!
Oui, je te le proteste, une balle sifflante
Te percerait le front, bête sale et puante.
Tu n'auras pas de peine à te rendre, je croi:
Tu chéris pour le moins la chasse autant que moi,
Et de t'en voir privé te serait un supplice.
Il n'est point en effet de plus bel exercice:
Les plus fameux guerriers, en tems d'inaction,
En firent presque tous leur occupation.
Ismaël et Nemrod, ces anciens conquérants,
En firent leur métier dès leurs plus tendres ans.
Les payens ont jugé que la chasse était telle,
Qu'il n'était pour un dieu de passion plus belle:
Diane, dans les bois, courait après les cerfs;
Apollon poursuivait les oiseaux dans les airs.
Le Dictionnaire de l'Academie dit tourtre; mais le Dictionnaire de Rimes par P. Richelet, dit tourte, oiseau, turtur, et le fait rimer avec courte, écourté, tourte, pâtisserie; et cela me suffit. |
Le Saut du Juif. Le capitaine Riley et ses compagnons de naufrage, traversèrent dans leur voyage de Santa-Cruz à Moggadoze, un passage très dangéreux, et fait pour inspirer le plus grand effroi. On le nomme le Saut du Juif.
"Le sentier que nous étions obligés de suivre, dit le capitaine Riley, ne présentait pas plus de deux pieds de largeur d'un côté, et l'on voyait de l'autre un précipice de deux cents pieds de profondeur, qui aboutissait à la mer. Le moindre faux pas d'une mule ou d'un chameau aurait précipité le cavalier et sa monture au bas du roc, où la mort la plus inévitable les attendait, puisqu'aucun buisson, aucune branche n'y présentait à l'homme le moyen de se retenir et de sauver sa vie. Heureusement pour nous, continue le capitaine, il n'était point tombé d'eau depuis longtems, et la route était entièrement sèche; l'un de mes compagnons me dit que quand elle était mouillée, on ne s'y hasardait pas; et que malgré qu'il y eût une autre route en tournant la montagne, qui conduisait bien avant dans l'intérieur, il était arrivé dans celle-ci beaucoup d'accidents fâcheux dont il conservait le souvenir; il me raconta l'un des plus remarquables, que je vais tracer ici.
"Une société de Juifs, au nombre de six, se rendant de Santa Cruz à Maroc, arriva en cet endroit avec des mules chargées; c'était sur la brune, après le coucher du soleil. Pressés de franchir ce passage avant la nuit, les Juifs négligèrent la précaution d'explorer le site, et de crier avant d'y entrer; car à chaque bout de ce passage, il existe une habitation d'où l'on peut entendre la voix de ceux qui y viennent, puisqu'il n'a pas un demi-mille de longueur; d'ailleurs, c'est un signal que ceux qui passent sur cette route ont coutume de donner. Une troupe de Maures, dans le même moment, était entrée de l'autre bout du passage pour se rendre à Santa Cruz: ils avaient également négligé les précautions d'usage, ne supposant pas plus que les Juifs que d'autres qu'eux eussent la hardiesse de traverser cet endroit à une heure avancée. Ayant, tant d'un côté que de l'autre, franchi la moitié du passage, ils se rencontrèrent dans un lieu si étroit qu'on ne pouvait ni passer ni retourner sur ses pas. Les Maures et les Juifs étaient également bien montés; ni l'un ni l'autre parti ne pouvait se retirer: un seul de chaque troupe, et c'était celui qui marchait, le premier en avant, pouvait descendre de sa mule. Les Maures en vinrent bientôt aux injures; ils menacèrent les Juifs de les précipiter au fond de l'abîme: quoique ces derniers fussent alors traités en esclaves, et contraints de supporter toutes sortes d'indignités et d'insultes; néanmoins, se trouvant dans une situation si périlleuse, et peu curieux de se rompre le cou pour le bon plaisir des Maures, celui qui se trouvait le premier descendit avec précaution par dessus la tête de sa mule. Il était armé d'un gros bâton: le Maure le plus près de lui l'ayant imité, s'avance pour l'attaquer avec son cimeterre. Tous deux combattaient pour leur vie, dans l'impossibilité de battre en retraite. La mule du Juif fut la première précipitée; et ce dernier voyant son bâton haché par le cimeterre du Maure, et bien convaincu qu'il ne pouvait sauver sa vie, saisit son adversaire à brasse-corps, et sautant dans le précipice, ils furent dans un instant brisés et perdus sans ressource. Deux autres Juifs et un Maure, ainsi que huit mules, périrent de la même manière; et les trois autres Juifs qui avaient eu le bonheur d'échapper, furent tués par les parens des Maures péris au passage. Depuis ce tems, cet endroit a reçu le nom de Saut du Juif. La vue seule de ce funeste lieu suffit pour causer un vertige au matelot le plus intrépide; et si l'on m'eût raconté cette histoire avant d'entrer dans cet effrayant passage, je ne suis pas certain que mon imagination n'eût point troublé mes facultés morales, au point qu'il m'eût été impossible de le traverser avec assurance."
Mr. J. Lambert rapporte dans son Voyage en Canada une aventure singulière et intéressante de deux jeunes demoiselles Canadiennes. Il est dangéreux, dit cet écrivain, de pénétrer un peu avant dans les forêts du Canada, lorsqu'on n'est pas accompagné d'un guide, ou qu'on ne connait pas suffisamment les routes; et il est arrivé à quelques personnes de périr à peu de distance de leurs habitations. Il y a quelques années, (il écrivait en 1809,) deux jeunes demoiselles qui étaient en visite chez Mr. Nicholas Montour, ci-devant de la Compagnie du Nord-Ouest, et qui résidait alors à la Pointe du Lac, près des Trois-Rivières, entrèrent, un matin, après déjeuné, dans un bois situé sur les derrières de la maison, pour se régaler de fraises et autres fruits qui y viennent en abondance, et qui étaient alors dans leur plus parfaite maturité. L'une d'elles avait à la main un joli roman qu'elle lisait à l'autre; et elles étaient si charmées de leur lecture, et des beautés champêtres qui les environnaient, qu'elles ne pensèrent point à aller diner. Elles continuèrent donc à errer ainsi ça et là, tantôt occupées des charmes du roman, et tantôt s'amusant à cueillir les fruits qui étaient répandus à leurs pieds en profusion, ou qui pendaient en grappes audessus de leurs têtes; mais à la fin, le soleil qui baissait, les avertit qu'il était déjà tard dans l'après-midi. Elles pensèrent alors à s'en retourner; mais malheureusement, elles s'étaient écartées de la route, et ne savaient plus de quel côté gagner pour retrouver la maison. Le soleil qui, une heure auparavant, aurait pu leur servir de guide, était maintenant obscurci par les grands arbres de la forêt, et plus le soir approchait, plus leur embarras et leur sollicitude augmentaient.
Le cœur gros de tristesse et l'esprit agité par l'inquiétude, elles errèrent parmi les arbrisseaux et les broussailles, qui leur déchiraient les mains, déplorant par les pleurs et les cris de détresse, la triste situation où elles se voyaient. Leurs vêtements étaient en lambeaux, et leurs cheveux pendaient épars sur leurs épaules. Ayant marché dans ce misérable état, presque jusqu'à la nuit noire, elles arrivèrent près d'une petite cabane: elles tressaillirent de joie en l'appercevant; mais, hélas, elle était vide! Elles furent pourtant bien aises de s'y réfugier pour la nuit, et de s'y mettre à l'abri du serein qui commençait à tomber. Elles ramassèrent des feuilles, dont elles se firent une espèce de lit où elles se couchèrent. Mais, comme on peut se l'imaginer, il leur fut impossible de fermer l'œil, et elles passèrent la nuit à se reprocher à elles-mêmes leur témérité. Elles essayaient néanmoins de tems en tems à se consoler l'une l'autre, dans l'espérance que Mr. Montour enverrait des gens dans le bois pour les chercher. Elles eurent donc la prudence de rester dans la cabane, ou n'en sortirent qu'afin de cueillir des fruits pour appaiser les tourments de la faim. Sur le déclin du jour, elles entendirent dans les bois des cris de Sauvages; mais elles n'osèrent pas répondre, ni sortir de la cabane, ne sachant pas si c'étaient des gens qu'on avaient envoyés pour les chercher, ou un parti de Sauvages étrangers, entre les mains desquels elles n'auraient pas voulu se remettre.
Elles passèrent donc encore une nuit en proie aux pensées les plus désespérantes et à des craintes mortelles; pourtant, ce qui paraitra tout-à-fait singulier, l'une d'elles commença à devenir plus tranquille, se faisant en quelque sorte à sa situation, que, quelque déplorable qu'elle fut, et quelqu'incertain qu'en fût le terme, elle regardait apparemment comme une aventure romanesque; et le matin suivant, elle resta dans la cabane, et se mit à relire son roman, d'un air fort posé, comme si de rien n'avait été. Il n'en était pas de même de l'autre: elle s'abandonna au désespoir, et s'assit sur son lit de feuilles, se lamentant et déplorant son malheureux sort. Elles furent découvertes dans cet état, vers midi, par un parti de Sauvages qu'on avait envoyés dans le bois pour les chercher, et qui étaient les mêmes dont elles avaient entendu les cris la veille. La joie qu'elles eurent de se voir délivrées d'une situation aussi alarmante, se conçoit mieux qu'elle ne peut se décrire: elle ne fut égalée que par le plaisir que leur retour causa à Mr. Montour et à sa famille, qui commençaient à les regarder comme perdues, ayant été absentes pendant près de trois jours. L'endroit où elles furent retrouvées, était éloigné de la maison de plusieurs milles.
Un monsieur qui voyageait, il n'y a pas bien longtems, dans les Etats-Unis, rapporte un fait remarquable par sa singularité. A un repas de noces, dans la Caroline Méridionale, un jeune avocat proposa qu'un des messieurs présents fût élu président; qu'on fît prêter à ce président le serment de garder un secret inviolable sur tout ce qui lui serait communiqué, pendant la soirée, en sa qualité officielle; que chaque monsieur non marié écrivît son nom sur un morceau de papier, et audessous le nom de la demoiselle qu'il désirerait d'épouser; que chaque demoiselle en fît de même de son côté, et que le papier fût ensuite remis au président pour qu'il le lût à part soi. Si un monsieur et une demoiselle avaient réciproquement fait choix l'un de l'autre, le président devait le leur déclarer; s'il en était autrement, il devait garder le secret. Après que le président eût été élu, et que les papiers lui eurent été communiqués, il se trouva que douze messieurs et douze demoiselles avaient fait des choix réciproques; et le voyageur ajoute que sur les douze couples, onze s'étaient mariés.
Tous les ans, tous les mois, toutes les semaines, presque tous les jours, les journaux européens annoncent de nouvelles découvertes, d'armes, de vases, de bustes, de médailles, de tablettes, de manuscrits, &c. de l'antiquité grecque ou romaine; et si cela continue, le tems sera bientôt arrivé où l'on aura recouvré, à peu de chose près, tout ce qui était perdu. La dernière découverte importante annoncée par les journaux, à notre connaissance, est la suivante. Nous aurions désiré des détails plus circonstanciés et des explications plus satisfaisantes; mais enfin nous donnons la chose telle que nous la trouvons.
Découverte d'anciennes tablettes grecques relatives à la musique. L'incertitude où laissent tous les traités sur la musique des anciens, et l'obscurité dans laquelle le sujet est enveloppé en conséquence, rendent particulièrement intéressante la découverte de deux documens d'une haute antiquité et d'une authenticité incontestable. Ces documens sont deux tablettes de métal, qui datent de 709 ans avant l'ère chrétienne, sur lesquelles est gravé en ancien grec, le récit d'une fête musicale donnée à Epyros (Corinthe) par Lassus d'Hermione, la troisième année de la seizième olympiade, ou l'an 709 avant Jésus-Christ. Cette découverte, qui doit intéresser également et l'antiquaire et l'amateur de l'art, jette plus de lumières sur la nature de la musique grecque dans ces tems anciens, que n'ont pu faire les labeurs de tous ceux qui ont écrit sur le sujet depuis la renaissance des lettres.
On a fait dernièrement de nouvelles fouilles dans les ruines de Pompeii, et l'on y a trouvé un beau buste de Ciceron, bien préservé. On y remarque le pois chiche (en latin cicer) qui lui a fait donner le surnom qu'il a rendu si illustre. Il paraitrait par là que les anciens sculpteurs s'étudiaient à attraper l'exacte ressemblance.
Le Canada a aussi ses monumens d'antiquité; et quoique les découvertes que l'on peut faire en ce genre ne datent pas de fort loin, et ne soient pas de nature à intéresser beaucoup en pays étrangers, elles doivent avoir pour nous Canadiens, au moins assez de prix pour que nous ne dédaignions pas d'en faire mention.
Le Vendredi, 23 Juillet de l'année dernière, en creusant sur l'emplacement des Récollets, à Québec, vis-à-vis du palais de justice, on a trouvé la première pierre de leur église, avec une plaque de plomb sur laquelle était cette inscription:
P. O. M.
Anno Domini 1693, die 14 Julii, quæ
seraphici Bonaventuræ festo solemnis
agebatur; sedente Innocentio XII. summo Pontifice,
regnante Rege christianissimo
Ludovico Magno XIIII.;
Ad perpetuam Dei gloriam,
Virginis deiparæ honorem,
seraphici patris Francisci laudem,
necnon divi Antonii de Paduâ
expressam invocationem,
Illustrissimus ac Reverendissimus Domnus Domnus
Joannes de la Croix de Saint-Vallier,
secundus Episcopus Québecensis;
reædificandæ novæ Fratrum minorum Recollectorum
Ecclesiæ et Domûs gratiâ, loco Conventûs antiqui
Nostræ Dominæ Angelorum,
eorumdem Fratrum, ab ipsomet eximiâ charitate
et pietate in xenodochium mutuati et
mutati, necnon ab iisdem Fratribus liberè cessi;
hunc hujusce Ecclesiæ et Conventûs
sancti Antonii de Paduâ
primarium lapidem
admovit.
Et sur le revers:
Eidem ministrabat
F. Hyacinthus Perrault,
Commissarius provincialis totius
Missionis, Guardianus dicti Conventûs,
et novi Ædificii promotor indignus.
Le Vendredi, 6 Août de la même année, en creusant sur le même emplacement, on a trouvé, à quelques pas plus au sud, une antre pierre contenant l'inscription suivante:
†
D. O. M.
Anno Domini 1693, 14 Julii
Seraphim sacrâ die,
illustrissimus ac nobilissimus Dominus
Dominus Joannes Bachart de Champigny
Noroy, rei judiciariæ civilis necnon ærarii
regii in totâ Novâ Franciá præfectus,
concessi à se Fratribus Minoribus Red. Missionum
Canadensium, pro insigni erga ipsos charitate,
in vicinio suo, terrâ et fundo eorum
Nostræ Dominæ de Portiunculá nuncapati,
propè Quebecum, in memoriale perenne veteris
eorum Conventús, tunc usui Pauperum sacri
hujus primarii Lapidis eorum novæ sancti
Antonii de Paduâ Ecclesiæ et Conventus
Quebecensis positione munificentium
et benevolum affectum
consignavit.
Au commencement de l'année dernière, la Perse a été en proie aux plus terribles tremblemens de terre dont il avait été fait mention depuis à peu près un demi-siècle. Des montagnes ont été rasées, et ont disparu de la surface de la terre; des villes entières ont été abîmées, et sous leurs ruines ont été ensevelis plus des trois quarts de leurs habitans. Au commencement de la présente année, le même phénomène a causé des désastres semblables dans le nord de la Barbarie, comme le témoigne, entr'autres renseignemens, la lettre suivante datée d'Alger, le 7 Mars, 1825.
"Mercredi, 2 du mois, cette ville et les environs ont éprouvé un
tremblement de terre qui a continué par intervalles, pendant les cinq
jours suivans, et qui a renversé plusieurs maisons et en a endommagé
beaucoup d'autres. Il a totalement détruit la ville de Blida, à une
journée de marche d'ici, en ensevelissant dans ses ruines presque tous
les habitans. Sur une population de 15,000 individus, la plupart Maures,
Juifs et Arabes, il n'en a échappé qu'environ 300, et ceux-là même sont
mutilés horriblement.
"Demain, je me propose d'aller voir les ruines de cette ville
infortunée, où l'on me dit qu'il se présente une scène de dévastation
affreuse. On a déjà retiré 7,000 cadavres des ruines. Dans un lieu où
l'on suppose qu'était un séminaire juif, on a trouvé les corps de 280
enfans, et un nombre immense de corps dans les ruines des mosquées, où
le peuple était assemblé, la catastrophe ayant eu lieu à l'heure de la
prière (10 heures.)
"Dans le voisinage immédiat de la ville, il s'est formé des ouvertures
de 8 à 10 pieds de largeur sur autant de profondeur: et il est digne de
remarque que le même phénomène qui précède ordinairement les éruptions
de l'Etna et du Vésuve ont eu lieu à Blida; c'est-à-dire, que les puits
et les fontaines se sont entièrement desséchés."
La lettre ajoute que les troupes envoyées par le gouvernement pour empêcher le pillage, avaient été attaquées par des hordes nombreuses descendues des montagnes, et que le dey avait donné la liberté à tous les esclaves, et ordonné des actions de grâce solennelles de ce qu'Alger avait échappé à la destruction.
Les derniers journaux font aussi mention d'un tremblement de terre qui a eu lieu dans l'île de Luçon, le 26 d'Octobre de l'année dernière, et a abîmé une grande partie de la ville de Manille. Les casernes, plusieurs églises et un grand nombre de maisons furent abattues: les toîts des bâtimens qui restèrent sur pied, furent enlevés par un ouragan qui passa ensuite. A quatre milles audessus de la ville, sur le bord de la rivière, la terre s'ouvrit avec un fracas horrible, et peu après on vit la rivière couverte de poissons morts qui dérivaient vers la mer. Le nombre des personnes qui avaient péri sous les ruines, ou autrement, n'était pas connu, mais on le croyait très considérable.
Naissances.--En cette ville, le 3 de Mai dernier, la Dame de J. R. Rolland, Ecuyer, a mis au monde un fils.
A Québec, le 8 du passé, l'épouse de Mr. Pierre Bedard, Menuisier, a mis au monde un garçon et deux filles.
En cette ville, le 26 du passé, la Dame d'Alexis Bourret, Ecuyer, a mis au monde un fils.
En cette ville, le 28 du passé, la Dame de Mr. J. T. Gaudet, du Commissariat, a mis au monde un fils.
Mariés.--Aux Trois-Rivières, le 2 de Mai dernier, P. B. Dumoulin, Ecuyer, Avocat, à Demoiselle Francoise Hermine Rieutord, fille de feu le Dr. F. Rieutord, tous deux de l'endroit.
Au même lieu, le 14 du passé, Thomas W. Willand, Ecuyer, Avocat, de Québec, à Demoiselle Julie Gugy, fille de l'Honorable Louis Gugy, du dit lieu.
A Boucherville, le 18 du passé, Mr. Auguste Stanislas Delisle, Etudiant en Droit, à Demoiselle Henriette Trudelle, de l'endroit.
Décédés.--A Beauharnois, le 6 de Mai dernier, James Milne, Ecuyer, Capitaine de Milice, âgé de 48 ans.
En cette ville, le 10 du passé, Dame Rose Lemoine, épouse de Mr. F. X. Dezery, N. P.
Le même jour, Madame Josephte Coutant, veuve de feu Mr. Joseph Vachon dit St. Antoine, âgée de 81 ans.
A St. Ambroise, près de Québec, le 14 du passé, à l'âge de 73 ans, Ambroise Trudelle, Ecuyer, Juge de Paix et Capitaine de Milice. Il était, dit la Gazette de Québec, de la classe nombreuse dans ce pays, de ceux qui en cultivant leurs propres terres, parviennent par une industrie constante et une prudente économie, à se faire une subsistance aisée, et à se mettre en état d'élever et d'établir honorablement de nombreuses familles. Son père, qui était aussi un cultivateur de la même paroisse, avait un commandement dans la milice qui arrêta l'armée du général Wolfe, dans la tentative qu'elle fît d'enlever les hauteurs de Beauport, près de la chûte de Montmorency, et il fut du petit nombre d'officiers tués du côté des Français dans cette occasion. Le capitaine Trudelle avait reçu une commission dans la milice, lors de l'irruption que les Américains firent dans la province en 1775. Toujours vigilant et actif dans ce qui regardait le service de son roi et de son pays, il a été dans la vie privée un homme sans reproche et un bon citoyen.
A la Baie St. Paul, le 16 du passé, Thomas Lee, Ecuyer, ancien Capitaine de milice, âgé de 66 ans.
En cette ville, le 18 du passé, Caroline, enfant de Mr. F. Glackmeyer, âgée de 15 mois.
Le même jour, Carolo Lucciniani, Ecuyer, ancien Capitaine de milice, plus connu dans ce pays sous le nom francisé de Charles Lusignan, à l'âge de 106 ans et 7 mois. Nous donnerons, s'il est possible, dans notre prochain numéro, une notice des principaux évenemens de la longue carrière de ce respectable vieillard.
A Québec, le 29 du mois dernier, J. Bte. Corbin, Ecuyer, ancien Maître de Langues, et Major au 1er. bataillon des Milices de Québec, âgé de 62 ans.
Bureau du Secrétaire Provincial, Québec, 5 Mai.--Il a plû à Son Excellence le Lieutenant-Gouverneur, nommer
Hector Simon Huot, Ecuyer, Avocat, Procureur, Solliciteur et Consultant dans toutes les Cours de Justice dans cette Province;
Joseph Nichols, Gentilhomme, Médecin, Chirurgien et Accoucheur, dans cette Province.
Québec, 12 Mai. James Dignan, Gentilhomme, Arpenteur, dans cette Province.
[The end of La bibliothèque canadienne, Tome 1, Nº 01 Juin 1825 by Michel Bibaud]