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Title: La Bibliothèque Canadienne, Tome IV, Numero 3, Fevrier, 1827.
Date of first publication: 1827
Author: Michel Bibaud
Date first posted: Apr. 27, 2020
Date last updated: Apr. 27, 2020
Faded Page eBook #20200447
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La Bibliothèque Canadienne
Tome IV. | FEVRIER, 1827. | Numero 3. |
Cependant, autant M. de Courcelles manquait d’activité, pour ce qui concernait les affaires du dedans de la colonie, autant il montrait de chaleur, lorsqu’il s’agissait de la guerre et des sauvages. Ayant su que les Iroquois avaient envoyé des présens aux Outaouais, pour les engager à porter chez eux leurs pelleteries, dont ils voulaient faire la traite avec les Anglais de la Nouvelle-York, il ne douta point que si ce projet réussissait, il ne ruinât sans ressource le commerce du Canada. Il comprit même que si les Cantons parvenaient une fois à détacher les tribus septentrionales de l’alliance des Français, ils ne tarderaient pas à recommencer leurs hostilités contre la colonie.
Pour rompre ce coup, il résolut de se montrer lui-même aux Iroquois. Il jugea même à propos de prendre la route du fleuve St. Laurent, toute difficile qu’elle était, pour apprendre à ces barbares qu’on pouvait aller chez eux en bateaux; ce qui n’était pas praticable par la rivière de Richelieu. Son voyage eut tout le succès qu’il en avait espéré; mais sa santé s’en trouva tellement altérée, qu’il fut obligé de demander son rappel en France.
Mais ce qui occupait alors davantage le ministère français, par rapport à la Nouvelle-France, c’était l’établissement de l’Acadie, qui venait d’être restituée de nouveau à la France, en vertu du traité de Bréda. On jugeait à la cour, que pour donner à cette province une espèce de solidité dont elle avait toujours manqué, il était nécessaire de la mettre à portée d’être secourue promptement du côté de Québec. Mais pour bien entendre quel était en cela le dessein du ministère, il faut, avec Charlevoix, reprendre les choses de plus haut.
Les Français chassés de l’Acadie et de toute la partie méridionale du Canada, par les Anglais, en 1613, comme on l’a vu plus haut, ne firent alors aucune tentative pour la recouvrer, et quoique cette province eût été aussitôt abandonnée qu’envahie, et que M. de Poutrincourt, qui y fit un voyage l’année suivante, n’y eût rencontré personne en état de lui faire obstacle, s’il avait voulu s’y établir, et que le peu d’habitans qu’il y avait laissés y vécussent assez tranquilles, le chagrin de voir tous ses travaux ruinés, et la crainte que s’il entreprenait de rebâtir le Port-Royal, les Anglais ne vinssent encore l’en déloger, le portèrent à y renoncer entièrement.
Quelques années après, on parut se réveiller sur ce beau pays, à la cour de Londres: en 1621, le roi Jacques I. en fit présent au comte de Sterling, qui pourtant ne tira presque aucun parti d’une concession aussi considérable. Les Français y restèrent donc assez tranquilles jusqu’à la guerre de Larochelle; mais alors les Anglais s’emparèrent de tous les postes qu’ils y occupaient, à l’exception du Cap de Sable, qui fait la pointe méridionale de la peninsule. Il y avait en cet endroit un fort où commandait un jeune officier nommé Latour.
Son père s’étant trouvé à Londres pendant le siège de Larochelle, il y avait épousé une fille d’honneur de la reine, et avait été fait chevalier de la Jarretière. Soit qu’il eût déjà pris dans cette cour des engagemens au préjudice de son pays natal, soit que sa nouvelle dignité les lui eussent fait prendre, il promit au roi d’Angleterre de mettre les Anglais en possession du poste que son fils occupait dans l’Acadie; et sur cette promesse on lui donna deux vaisseaux de guerre, sur lesquels il s’embarqua avec sa nouvelle épouse.
Arrivé à la vue du Cap de Sable, il se fit débarquer, et alla seul trouver son fils, à qui il fit un exposé magnifique du crédit dont il jouissait à la cour de Londres, et des avantages qu’il avait lieu de s’en promettre. Il ajouta qu’il ne tenait qu’à lui de s’en procurer d’aussi considérables; qu’il lui apportait l’ordre de la Jarretière, et qu’il avait pouvoir de le confirmer dans son gouvernement, s’il voulait se déclarer pour sa majesté britannique.
La surprise du jeune commandant fut extrême: il dit à son père qu’il s’était trompé, s’il l’avait cru capable de trahir son pays; que tant qu’il lui resterait un souffle de vie, il défendrait la place que le roi son maître lui avait confiée; qu’il faisait beaucoup de cas de l’honneur que le roi d’Angleterre lui voulait faire, mais qu’il ne l’acheterait pas au prix d’une trahison; que le monarque qu’il servait était assez puissant pour le récompenser de manière à ne lui pas donner lieu de regretter d’avoir rejetté les offres qu’on lui faisait; et qu’en tout cas sa fidélité lui tiendrait lieu de récompense.
Le père ne s’était pas attendu à une pareille réponse: il retourna aussitôt à son bord, d’où il écrivit le lendemain à son fils dans les termes les plus pressants et les plus tendres; mais sa lettre ne produisit aucun effet. Enfin il lui fit dire qu’il était en état d’emporter par la force ce qu’il ne pouvait obtenir par ses prières; que quand il aurait débarqué ses troupes, il ne serait plus temps pour lui de se repentir d’avoir rejetté les avantages qu’il lui offrait, et qu’il lui conseillait, comme père, de ne pas le forcer à le traiter en ennemi.
Ces menaces furent aussi inutiles que l’avaient été les sollicitations et les promesses. Latour, le père, en voulut venir à l’exécution: on attaqua le fort; mais le commandant se défendit si bien, qu’au bout de deux jours, le général anglais, qui n’avait pas compté sur la moindre résistance, et qui avait déjà perdu plusieurs de ses meilleurs soldats, ne jugea pas à propos de s’opiniâtrer davantage à ce siège. Il le déclara à Latour, le père, qui se trouva fort embarrassé: comment en effet retourner en Angleterre, et s’exposer à la vengeance d’une cour qu’il avait trompée; et quel asile trouver en France, après avoir trahi son pays et son roi? Il ne lui restait donc d’autre parti à prendre que de recourir à la clémence de son fils. Il s’en ouvrit à son épouse, et lui dit qu’il s’était tenu assuré de la rendre heureuse en Amérique; mais que puisque sa mauvaise fortune avait renversé ses projets, il lui laissait une liberté entière de retourner dans sa famille. La dame lui répondit qu’elle ne l’avait pas épousé pour l’abandonner; que quelque part qu’il voulût la mener, et en quelque situation qu’il se trouvât, elle mettrait son bonheur à être sa compagne fidèle.
Latour charmé de la résolution de sa femme, fit prier son fils de souffrir qu’il demeurât en Acadie. Le jeune homme lui fit réponse qu’il lui donnerait volontiers un asile, mais qu’il ne pouvait lui permettre d’entrer dans son fort; qu’au reste, il lui engageait sa parole de ne le laisser manquer de rien. Il lui fit en effet construire une jolie maison, à quelque distance de son fort, sur un terrain fertile et dans une situation agréable, et prit soin de son entretien.
Tout ce que les Anglais avaient enlevé aux Français dans l’Acadie et sur la côte voisine, avant et pendant la guerre de Larochelle, ayant été restitué en 1632, toute cette partie de la Nouvelle-France fut partagée en trois provinces, dont la propriété et le gouvernement furent accordés au commandeur de Razilly, au jeune de Latour, et au sieur Denys. Le premier eut pour lot le Port-Royal, et tout ce qui est au sud, jusqu’à la Nouvelle-Angleterre; le second eut l’Acadie proprement dite, depuis le Port-Royal jusqu’à Camceaux; et le troisième, la côte orientale du Canada, depuis Camceaux jusqu’à Gaspé. Il paraît pourtant que le premier eut d’abord droit sur toute l’Acadie, mais qu’il s’accommoda ensuite avec M. de Latour, et qu’il se fit entr’eux des échanges de territoires; car le premier fit un établissement au port de la Hève, et le second en fit aussi un sur la rivière St. Jean.
Après la mort du commandeur de Razilly, M. d’Aunay de Charnisé entra dans ses droits, par un accommodement qu’il fit avec les frères du défunt, et obtint en 1647, la commission de gouverneur de l’Acadie, c’est-à-dire, suivant Charlevoix, de la partie de la presqu’île qui portait plus proprement ce nom. La première chose qu’il fit, en prenant possession de son gouvernement, ce fut d’abandonner la Hève, et d’en transporter tous les habitans au Port-Royal, où il commença un grand établissement. Mais soit que le Port-Royal appartînt à M. Latour, en vertu d’un traité d’échange avec M. de Razilly, soit que les deux gouverneurs fussent trop voisins pour demeurer longtems amis, la mésintelligence se mit bientôt entr’eux, et ils ne tardèrent pas à en venir aux armes. Après quelques hostilités de peu d’importance, Charnisé ayant appris que Latour était sorti de son fort de St. Jean, avec la meilleure partie de sa garnison, crut l’occasion favorable pour s’en rendre le maître, et y marcha avec toutes ses troupes.
Madame de Latour y était restée, et quoique surprise avec un petit nombre de soldats, elle résolut de se défendre jusqu’à l’extrémité; elle le fit en effet avec tant de courage pendant trois jours, que les assiégeans furent obligés de s’éloigner; mais le quatrième jour, qui était le dimanche de pâques, elle fut trahie par un Suisse, qui était en faction, et que Charnisé avait trouvé le moyen de corrompre. Elle ne se crut pourtant pas encore sans ressource: quand elle apprit que l’ennemi escaladait la muraille, elle s’y montra pour la défendre, à la tête de sa petite garnison. Charnisé, qui s’imagina que cette garnison était plus forte qu’il ne l’avait cru d’abord, et qui craignit de recevoir un affront, proposa à la dame de la recevoir à composition, et elle y consentit pour sauver la vie à ce peu de braves gens, qui l’avaient si bien secondée;—Mais Charnisé ne fut pas plutôt entré dans le fort, qu’il eut honte d’avoir capitulé avec une femme, qui ne lui avait opposé que son courage et une poignée d’hommes mal armés: il se plaignit qu’on l’avait trompé, et prétendit être en droit de ne garder aucun des articles de la capitulation: à la mauvaise foi il ajouta un excès de barbarie et un raffinement de cruauté, qu’on aurait peine à croire, s’il était raconté d’un sauvage: il fit pendre tous les gens de madame Latour, à l’exception d’un seul, auquel il n’accorda la vie qu’à condition qu’il serait le bourreau de tous les autres, et il obligea son intéressante prisonnière à assister la corde au cou à cette atroce exécution!
Il paraît que Charnisé et Madame de Latour ne vécurent pas longtems après ce tragique évènement, car quelques années après, on voit M. de Latour, par un assez bisarre caprice du hazard, époux de la veuve de son ennemi, du féroce Charnisé, et de nouveau en possession du fort St. Jean, et même du Port-Royal.
Charnisé eut pour successeur un nommé Le Borgne, de Larochelle, qui obtint un arrêt du parlement de Paris, en vertu duquel il se mit en possession de tout ce qui avait appartenu dans l’Acadie, à ce gentilhomme, dont il était créancier. Il poussa plus loin ses prétentions, et entreprit de chasser MM. Latour et Denys de leurs domaines. Ayant su que ce dernier était arrivé dans l’Ile Royale, avec une commission de la Compagnie des Indes Occidentales, pour y établir des habitans, il y envoya soixante hommes, avec ordre de l’enlever. Celui qui commandait ce détachement apprit, en débarquant, que M. Denys, après avoir mis son monde à terre, pour travailler à un défrichement, était allé visiter le port de Ste. Anne; il crut l’occasion favorable pour détruire la nouvelle habitation, sans rien risquer: il surprit les travailleurs, qui ne croyaient pas avoir à faire à des ennemis, les fit tous prisonniers, et s’empara du navire qui les avait amenés. Il envoya ensuite vingt-cinq hommes bien armés sur le chemin que devait tenir M. Denys, à son retour de Ste. Anne. Celui-ci se trouva investi au moment où il y pensait le moins, et conduit au Port-Royal, où il fut enfermé, comme un criminel, dans un cachot, les fers aux pieds. Les gens de Le Borgne, en revenant de cette expédition, passèrent par la Hève, qui s’était assez bien rétablie, depuis que Charnisé s’en était retiré, et brulèrent tous les bâtimens qu’il y avait, sans épargner même la chapelle.
M. Denys avait encore dans l’Ile Royale un autre fort qu’on appellait le fort St. Pierre: Le Borgne s’en rendit maître, l’année suivante, et y mit un de ses gens pour commandant. M. Denys recouvra sa liberté, quelque temps après, et passa en France, pour y porter ses plaintes au roi et à la compagnie. Elles furent écoutées, et il obtint une nouvelle commission, qui le rétablit dans tous ses droits. Il se rembarqua pour l’Acadie, en 1654, et à son arrivée dans l’Ile Royale, celui qui commandait dans le fort Saint Pierre lui remit cette place.
Le Borgne ayant appris cette nouvelle, dans le temps qu’il se disposait à aller surprendre M. de Latour dans la rivière St. Jean, jugea à propos de remettre ce dessein à une autre fois, quoiqu’il fût déjà en marche, et retourna au Port-Royal. Son projet était d’enlever les papiers de la personne qui y était venue pour lui signifier la commission de M. Denys et les ordres du roi, afin d’aller ensuite tomber sur ce gouverneur, qu’il espérait trouver sans aucune défiance.
Il n’était pas encore arrivé au Port-Royal, que les Anglais parurent à la vue du fort de la rivière St. Jean, et sommèrent M. de Latour de le leur remettre entre les mains. Le défaut de vivres l’obligea de se rendre; et de là, les ennemis passèrent au Port-Royal, où ils firent à M. Le Borgne la même sommation qu’ils venaient de faire au sieur de Latour. Il y répondit d’abord assez fièrement; et les Anglais ayant mis à terre trois cents hommes, il envoya contre eux son sergent avec une partie de son monde. On en vint aux mains; les Français combattirent d’abord avec assez de bravoure; mais le sergent ayant été tué, tous les soldats prirent la fuite, et regagnèrent le fort en désordre.
Il restait encore à Le Borgne cent cinquante hommes, en comptant les habitans; mais il n’y en avait pas un seul qui fût en état de commander: ainsi cet aventurier, qui lui-même n’entendait rien à la guerre, avec une assez forte garnison, des munitions et des vivres en abondance, dans une place où l’ennemi n’était pas en état de la forcer, jugea à propos de se rendre par composition.—Pantagoët eut bientôt le même sort que le fort St. Jean et le Port-Royal: et toute l’Acadie et la partie méridionale du Canada se trouvèrent pour la troisième fois au pouvoir des Anglais.
Quelque temps après, le fils du sieur Le Borgne revint en Acadie avec un marchand de Larochelle, nommé Guilbaut, qu’il s’était associé, entra dans le port de la Hève, et y construisit un fort de pieux. Les Anglais n’en furent pas plutôt informés, qu’ils marchèrent à la Hève, pour en déloger les Français. A leur approche, Le Borgne, aussi peu guerrier que son père, se sauva dans les bois, avec une partie de ses gens; ce qui n’empêcha pas Guilbaut de se défendre avec vigueur. Le commandant anglais fut tué aux premières attaques, ainsi que plusieurs de ses gens; ce qui obligea les autres à s’éloigner. Ils se préparaient néanmoins à revenir à la charge, lorsque Guilbaut, qui n’avait d’autre intérêt à la Hève que celui de ses effets, leur fit proposer un accommodement. Il convint de leur remettre le fort, à condition que tout ce qui appartenait à lui et à ses gens leur serait remis. Il prétendait bien que son associé serait compris dans le traité; mais les Anglais ne l’ayant pas trouvé dans le fort, en y entrant, ils s’opiniâtrèrent à l’exclure de la capitulation; et la faim le contraignit bientôt à venir se remettre prisonnier entre leurs mains.
M. Denys, délivré des appréhensions que lui avaient causées Le Borgne, père, avait profité de cet intervalle de calme, pour réparer ses pertes, et pour se fortifier contre les Anglais, dont il ne devait pas s’attendre à être plus épargné que ne l’avaient été ses deux collègues. Mas cet intervalle fut de courte durée, et quoique les Anglais n’eussent pas pensé à l’inquiéter, sa condition n’en fut pas plus heureuse. Il était assez tranquille dans un fort, qu’il avait construit à Chédabouctou, sur la côte orientale, lorsqu’un nommé Lagiraudière, qui, sur un faux exposé, avait obtenu, par surprise, de la Compagnie des Indes Occidentales, la concession de Camceaux, &c. arriva à ce port, saisit un bâtiment chargé de vivres pour le compte de M. Denys, et envoya sommer ce gouverneur de lui remettre Chédabouctou, et tout ce qu’il possédait jusqu’au Cap St. Louis, comme étant compris dans sa concession. M. Denys lui fit réponse qu’il n’en ferait rien, attendu qu’il n’était pas probable que la compagnie eût donné à un autre ce qu’elle lui avait vendu. Lagiraudière lui répliqua qu’il était muni d’une commission en bonne forme, et qu’il avait de quoi le forcer à lui remettre son fort, s’il ne le faisait de bon gré. En effet, ayant appris que M. Denys avait renvoyé la plupart de ses gens à l’Ile Royale, faute de vivres pour les nourrir, Lagiraudière se mit en devoir de réduire Chédabouctou; mais il y trouva le gouverneur bien retranché, avec des canons et des pierriers. Il ne laissa pourtant pas de le sommer de nouveau de lui livrer sa place; mais le voyant résolu de se bien défendre, il se retira.—Quelque temps après, il y eut un accommodement provisoire: Lagiraudière remit le fort de St. Pierre, dont il s’était emparé, à M. Denys; et celui-ci céda Chédabouctou à Lagiraudière, jusqu’à ce que la compagnie eût décidé de leurs prétentions respectives. La compagnie en décida en effet en faveur de M. Denys, qu’elle rétablit dans tous ses droits, sans néanmoins le dédommager des pertes qu’il avait essuyées.
En lisant ces détails de différens, d’hostilités et de combats entre individus de la même nation, que la crainte des ennemis du dehors, sinon des motifs plus nobles, auraient dû tenir toujours unis entr’eux, on croit voir, selon la remarque d’un historien, “ces petits seigneurs féodaux, qui attaquaient leurs castels, dès qu’ils étaient mécontents les uns des autres.” Il y a pourtant de la différence à mettre entre les personnages que l’on vient de voir figurer sur le théâtre de l’Acadie: si, d’un coté, nous devons abhorrer la perfidie et la cruauté barbare de Charnisé, et détester la mauvaise foi et l’injustice de Le Borgne, nous ne pouvons, de l’autre, refuser notre admiration au jeune de Latour, ni notre estime au sieur Denys. Ce dernier était en effet un homme de mérite ami de la modération et de l’équité. Il a laissé des Mémoires qui ont été fort estimés, dans le temps, et en apparence, à juste titre.
(A continuer.)
Passons maintenant aux lois que nous appellerons constitutionnelles, parce qu’elles dérivent nécessairement de l’essence de la constitution, et que, comme celles des Mèdes, elles sont aussi immuables qu’elle: bien différentes en cela des lois règlementaires (civiles, criminelles et de police,) qui sont faites, changées, amendées ou abolies par le corps législatif, suivant que les circonstances le requièrent. Parmi ces lois constitutionnelles, on peut mettre celles qui fixent l’hérédité de la couronne dans la branche protestante de la maison régnante, et suivant un certain ordre de succession; celle de l’inviolabilité du souverain; celle de la responsabilité des ministres; celles qui requièrent ou autorisent la délégation des pouvoirs conférés par la constitution au chef suprême de l’état; celles qui le proclament la source des honneurs et des grâces, qui lui confèrent le droit de paix et de guerre, qui lui confient celui de pardonner certains cas réservés, &c. toutes tendantes au soutien du pouvoir, de l’autorité et de la splendeur nécessaires pour assurer l’exécution des devoirs importants de la royauté.—Viennent ensuite celles à l’appui des droits que la nation s’est réservés, savoir; que nul ne sera soumis qu’aux lois auxquelles il aura consenti; consentement supposé par celui de la majorité des représentans du peuple dûment élus, et composant la chambre des communes, et jouissant de l’étendue de privilèges qui n’ont d’autres limites que celles prescrites et nécessaires pour assurer la liberté de leurs discussions importantes.
Un autre droit, non moins essentiel, que la loi constitutionnelle garantit au peuple, c’est celui de ne payer d’autres taxes que celles admises et consenties par la même représentation nationale. Le droit de pétition à toutes les autorités constituées, met tous les individus à l’abri des injures et des torts dont l’abus de pouvoir de ces mêmes autorités pourrait les menacer. Mais ce droit ne doit être exercé qu’avec discrétion, et ne peut-être admissible qu’après s’être en vain adressé aux divers tribunaux chargés d’administrer la justice. En effet, que deviendrait cette obligation imposée par la constitution au souverain de déléguer le pouvoir judiciaire, si chaque grief réel ou imaginaire était porté immédiatement aux pieds du trône? Est-il d’ailleurs possible d’imaginer que la loi constitutionnelle qui consacre ce droit de pétition ne l’ait pas au moins implicitement limité, par la condition que nul n’y aura recours que dans le cas où tout autre moyen d’obtenir justice aurait été trouvé inefficace. Si ce n’était pas le cas, et si les autorités supérieures, soit législatives, soit exécutives, étaient dans l’obligation de prendre, en première instance, connaissance de toutes les plaintes individuelles portées devant elles, où trouveraient-elles le temps de s’occuper des affaires majeures dont dépendent les intérêts les plus essentiels de l’empire? La loi constitutionnelle, en assurant ce droit de pétition, n’a donc eu d’autre but que de pourvoir contre la possibilité d’un déni de justice de la part des autorités inférieures. Enfin nous citerons cette loi qui met le comble à la sureté du sujet, en déclarant que nul ne peut-être considéré comme coupable qu’après avoir été déclaré tel par un verdict de douze de ses pairs ou égaux.
On s’attend peut-être à trouver au nombre des lois constitutionnelles celle qu’on regarde, avec justice, comme le palladium de la liberté, je veux dire l’acte de l’habeas corpus. Quelque majeure que soit son importance, elle ne peut cependant être admise à ce rang primitif: la preuve en est qu’il se trouve des cas où la sureté de l’état et de la constitution elle-même exige sa suspension: elle n’est donc pas essentiellement liée avec la constitution elle-même; elle n’est donc pas constitutionnelle.
La même chose peut-être dite de cet autre palladium, peut-être trop évalué, la liberté de la presse, qui implique celle des opinions. Comme il est dans le pouvoir du parlement impérial de la modifier et de la retenir dans les bornes, lorsque son essor devient dangereux aux autorités créées par la constitution, et par contre à la constitution elle-même, elle se trouve dans le même cas que la précédente.
Toute autre loi émannée du corps législatif ne peut donc être considérée que comme règlementaire, et l’ensemble de ces lois compose les codes de justice civile, criminelle et de police.
Ce qui vient d’être dit est suffisant pour donner une idée assez exacte de l’origine, des progrès et du méchanisme de la constitution britannique, mais ne l’est pas pour en développer le jeu et l’esprit. Il reste encore à mettre en évidence l’agent non-ostensible qui gouverne la machine et assure la régularité de ses mouvemens. Cet agent n’est rien moins que l’opinion publique. Cette assertion paraîtra peut-être hazardée, mais il ne sera pas difficile de la supporter.
Il est dans la nature d’une assemblée délibérative d’enfanter l’opposition. Quand cette opposition reste dans un état d’isolement, c’est-à-dire, quand chacun pense et parle pour soi, il n’en peut résulter que des inconvéniens, dont les moindres sont le désordre et le délai des mesures; mais quand cette opposition s’est consolidée en une masse régulière, on ne peut alors qu’en attendre les plus heureuses conséquences. Les partis une fois formés adoptent chacun une opinion générale qu’ils réduisent en principes, et dont ils ne se départissent plus. L’opinion générale, ainsi adoptée, devient celle de chaque individu enrôlé dans le parti, et lorsqu’ils sont en présence les uns des autres, la défense ou le soutien des opinions respectives est confiée à un petit nombre choisis parmi les plus habiles, et le reste est en général réduit au silence. Tel est le cas en Angleterre. Avant la révolution de 1688, les oppositions dans ce pays, étaient en effet un essai de force, entre la couronne, le clergé, les grands et le peuple. Chacun de ces partis cherchait à envahir la toute-puissance et n’épargnait rien pour obtenir ce but. Elle passait donc d’une main dans l’autre. Il est donc évident que la constitution d’alors était absolument ineffective, ou pour mieux dire, que l’Angleterre n’avait pas alors de constitution. Mais ces luttes continuelles, en déployant les moyens de chacune de ces parties contendantes, ont conduit à leur organisation et à assigner à chacune l’usage de ces moyens. La chûte des nobles, dans la rebellion, leur a fait sentir la nécessité de ne pas s’isoler, et qu’ils ne pouvaient plus compter sur leur force féodale. Ils s’apperçurent qu’en permettant aux communes d’envahir tous les pouvoirs, le leur aussi bien que leur existence sociale, étaient perdus, et qu’ainsi il était de leur intérêt de maintenir l’autorité et l’influence de la couronne, dont il était bien plus facile de tenir le pouvoir dans de certaines limites, que lorsque ce pouvoir était entre les mains du peuple, et dès lors leur ambition se borna à tenir leur rang naturel dans la grande machine politique; rang qu’ils occupent actuellement dans la constitution; comme il a été dit plus haut. Lors de la révolution, ils ont donc eu bien soin d’assurer à la couronne les moyens de résister aux prétentions populaires; et c’est en conséquence de cela qu’ils ont accumulé sur le souverain une foule de pouvoirs et de prérogatives qui seraient bien dangereux dans les mains d’un seul homme, s’ils n’étaient modifiés de la manière ci-dessus expliquée.
Dans la situation actuelle des choses, cet esprit d’opposition dérivant nécessairement des assemblées délibérantes, est circonscrit dans des bornes bien plus resserrées: il n’a plus pour objet d’envahir tous les pouvoirs, mais seulement d’y participer, et l’on ne connait plus que le parti ministériel et le parti, soi-disant, populaire, les membres de l’un cherchant à se maintenir dans les hautes situations qu’ils occupent, et ceux de l’autre à les en exclure et se mettre en leur place. A entendre ces derniers dans le sénat, on dirait qu’ils croient sincèrement qu’il existe dans la constitution des défauts essentiels que seuls ils peuvent corriger; mais l’expérience constante prouve que lorsqu’ils ont atteint leur but, ils ne sont pas moins attachés à l’intégrité de cette même constitution, telle qu’elle est, que ceux qu’ils ont ainsi déplacés. Que dis-je? Cette lutte entre les deux partis tend essentiellement au maintien de cette intégrité, ceux en pouvoir étant veillés de si près par leurs rivaux, qu’ils n’ôsent en abuser.
Mais quels sont ceux revêtus du pouvoir? Sont-ce les favoris, les mignons du souverain, comme autrefois? Non! Tout maître que le roi par la constitution paraisse être de conférer des grâces à qui bon lui semble, ce n’est pas lui, dans le fait, qui choisit ses ministres. Il ne peut pas, dans ce choix, consulter son inclination; il faut qu’il obéisse à l’opinion publique. Il faut de toute nécessité que ses ministres soient membres des deux chambres du parlement, et comme ce n’est pas lui qui peut les y introduire, il est obligé de les choisir parmi les membres existants. Ainsi limité dans son choix, il est tout naturel de croire qu’il ne le fera pas tomber sur d’autres que sur ceux auxquels des talens supérieurs ont acquis la confiance publique, et donnent une influence marquée dans le sénat impérial.
Je m’arrête ici, et avec l’admiration la plus profonde, je contemple cette clé de la voute constitutionnelle, qui si elle venait à tomber, entrainerait tout l’édifice dans sa chûte. Nous avons vu plus haut un homme revêtu de pouvoirs et de prérogatives immenses, enveloppé du manteau de l’inviolabilité et déclaré, pour ainsi dire, infaillible. Quelles armes terribles dans la main d’un despote! Et ce tableau est bien capable d’inspirer la terreur dans l’esprit des amateurs de la liberté. Mais combien est rassurante l’idée que ce même homme ne peut rien faire que par l’entremise de ministres que les talens et l’opinion publique ont placés à la tête de l’administration: que du moment que ces ministres, trompant la confiance que le peuple avait mise en eux, en trahissent les intérêts, ils s’en trouvent abandonnés, et sont forcés de céder la place à d’autres, également appellés à les remplacer par leurs talens et par l’opinion publique. On peut donc dire qu’en Angleterre, le peuple participe directement et virtuellement, et j’ajoute, essentiellement, dans l’administration de la chose publique; ce qui ne s’est jamais vu ni ne se voit encore dans aucun autre pays, sans en excepter mêmes nos voisins, tout républicains qu’ils soient. On voit donc par ce qui vient d’être dit, que quoique le souverain lui-même ne siège ni dans une chambre ni dans l’autre, il est cependant bien dûment représenté dans l’une et l’autre, puisque ses conseillers y siègent avec voix délibérative; ils sont là en personne pour soutenir les mesures à prendre, ou défendre celles déjà prises, en en expliquant la nécessité ou les motifs: de manière qu’en effet le roi communique toujours directement et sans intermédiaire avec les deux autres branches de la législature impériale; et avec cet avantage inapréciable, que ses serviteurs n’y siègent pas comme tels, mais bien comme représentans librement élus par le peuple, ou bien par droit imprescriptible d’hérédité.
Je ne puis conclure cet article sans faire remarquer que la marche, souvent irrégulière des gouvernemens des colonies, ne doit pas être attribuée aux individus ou aux partis, mais bien à l’organisation vicieuse des chartres constitutionnelles, en vertu desquelles les législatures provinciales agissent comme telles, et viendrait à l’appui, si cet appui était nécessaire, de l’assertion qu’une organisation législative ne peut-être bonne, que quand les élemens qui la composent sont analogues à ceux qui font partie de la législature impériale, et une telle analogie ne peut exister dans aucune des portions subordonnées de l’empire britannique.
Cette esquisse rapide de la constitution britannique, toute imparfaite qu’elle soit, suffira, j’espère, pour en donner une idée assez claire à mes compatriotes Canadiens, qui n’ont ni l’opportunité ni les moyens de l’étudier dans les auteurs qui en ont traité plus en grand. Depuis près d’un siècle et demi qu’elle existe, elle a non seulement résisté à ses ennemis, tant du dehors que du dedans, mais encore elle a conduit l’Angleterre au plus haut degré de gloire et de prospérité. Nous commençons à participer à ces avantages; tenons nous y donc fortement, et mettons notre confiance dans la sagesse et les vues bienfaisantes d’un gouvernement unique dans son espèce; c’est le vœu bien sincère d’un
VRAI CANADIEN.
Le Journal de Mr. Charles Le Raye se trouve à la suite d’un ouvrage intéressant publié à Boston en 1812, sous le titre de Description Topographique de l’état de l’Ohio, du Territoire de l’Indiana, de la Louisiane, &c. Ce journal, qui est rempli de réflexions intéressantes et de faits importants, pour la géographie et l’histoire naturelle, occupe les pages comprises entre la 158e. et la 204e. de l’ouvrage ci-dessus.
Mr. Le Raye, qui semble être un commerçant canadien, et un homme instruit, allait en 1801, faire la traite avec la tribu des Osages, quand le 23 d’Octobre, il fut fait prisonnier et pillé par un parti de Sioux qui étaient alors en guerre avec les Osages. Il fut leur prisonnier jusqu’au 26 Avril 1805, et pendant cet espace de tems, il eut occasion de voir plusieurs tribus, de l’un et de l’autre côté du Missouri, telles que les Ricaras, les Mandans, les Ménitures, les Corneilles, les Têtes-Plates, et les Serpents. Il eut permission d’accompagner un parti de chasseurs de la tribu des Ménitures ou Gros-Ventres, dans la plaine de la rivière à la Roche-Jaune, et dans les prairies supérieures du Missouri, près des Montagnes de Roches. Ces excursions lui fournirent l’occasion d’examiner plusieurs espèces d’animaux rares et inconnus de ces régions; et il est probablement le premier qui les ait observés et décrits avec exactitude et dont les observations aient été communiquées au public; puisque celles des observations des Capitaines Lewis et Clarke, qui ont rapport à ces contrées, n’ont été faites qu’entre 1804 et 1808, et n’ont été publiées qu’en 1814.
Ces circonstances donneront un plus grand prix aux observations de Mr. Le Raye. Ce sont les voyageurs instruits qui fournissent aux naturalistes les plus beaux et les plus solides matériaux. Nous ne pouvons regarder ceux qu’a fournis Mr. Le Raye que comme précieux, neufs pour la plupart et originaux: ils méritent donc l’attention de tous ceux qui veulent connaître les animaux de l’Amérique du Nord. Voici quelques passages extraits du journal de ce voyageur.
Page 165.—“Durant notre séjour, les sauvages tuèrent un daim de l’espèce de ceux qu’on appelle daims à longue queue. Il était plus long que le daim roux, d’une couleur plus brune, et avait le ventre blanc; son bois est court, menu et un peu applati; sa queue a près de dix-huit pouces de longueur. On dit qu’ils sont très nombreux dans ces plaines.”
Page 168.—“On trouve dans ces plaines appellées Prairie du Chien, une espèce d’animal plus petit que le renard gris, et qui ressemble beaucoup au chien. Il a les oreilles pointues et droites, et la tête presque toute semblable à celle du chien. Il a la queue longue, déliée et d’un brun obscur. Il creuse des trous et se terre dans un sol léger et argilleux, et dans les mêmes trous se retire un petit serpent tacheté, que les sauvages appellent le gardien du chien. Les sauvages ont sur ces chiens plusieurs idées superstitieuses. La tribu des Nez-Parcés, a pour tradition que l’espèce humaine est provenue de ce chien et du castor. Toutes les autres tribus les ont en grande vénération.”
Page 168.—“On tue fréquemment ici (sur la rivière des Sioux) un daim appellé daim mulet. Il est plus petit et d’une couleur plus foncée que le daim roux, et a de grandes cornes branchues. Il a de très grandes oreilles; sa queue a environ cinq pouces de long, et est couverte de poil noir très court, excepté à l’extrémité ou il y a une touffe de long poil noir.”
Page 168.—“On trouve dans ces prairies (celles de la rivière des Sioux) une espèce de blaireau dont la tête ressemble beaucoup à celle du chien; il a les jambes courtes et fort grosses à proportion de son corps, et est armé de longues et fortes griffes très propres à creuser la terre. Il a le corps un peu plus gros qu’un hérisson: son poil est d’un brun obscur, et sa queue ressemble visiblement à celle du hérisson; il fait des trous et s’enfouit dans la terre.”
Page 187.—“Ici (sur la rivière de la Pierre-Jaune,) nous tuâmes plusieurs moutons des Montagnes rocheuses. Le mâle, ou bélier des montagnes, est beaucoup plus grand que la femelle, et a les cornes beaucoup plus longues. Les cornes du mâle que nous tuâmes avaient trois pieds de longueur et cinq pouces de diamètre à la tête. Cet animal est plus haut et a le corps plus gros que le daim. Il est couvert d’un poil doux de couleur brune, laquelle devient graduellement plus claire en gagnant le ventre, qui est entièrement blanc. Ses cornes ressemblent beaucoup à celles du bélier ou mouton domestique, étant comme ces dernières tournées et rejettées en arrière, mais elles ont plusieurs nœuds raboteux. La queue ressemble à celle du daim roux. Quant aux jambes et aux pieds, ce sont ceux du mouton; mais le sabot est un peu plus long. Il est vite et grimpe par les fentes des rochers avec tant d’aise et d’agilité, qu’aucun autre animal ne le peut suivre, et il échappe par ce moyen aux loups. On estime sa chair aussi bonne que celle du daim.”
Page 189.—“Nous ne chassâmes que le buffle, le mouton de montagne et le cabri. Un parti fut envoyé pour gagner le sommet des montagnes, et passer de l’autre côté, tandis que les autres grimpaient pour les environner de toutes parts, excepté du côté de la rivière. Aussitôt que le signal eut été donné, par ceux qui étaient montés et avaient gagné le côté opposé, nous jettâmes ensemble un grand cri, et nous nous levâmes d’entre les herbes, et les animaux effrayés se mirent aussitôt à fuir, se précipitèrent du haut des rochers, et tombèrent sur des pierres, au bas du précipice, où nous en tuâmes soixante-un. Quelques uns d’eux tombèrent d’une hauteur de deux cents pieds; mais d’autres, qui étaient près du pied de la montagne, s’échappèrent. Il nous fallut plusieurs jours pour apprêter et accommoder la viande, que l’on coupe en tranches minces, et que l’on fait sécher au soleil ou à un feu lent.”
Page 189.—“Nous tuâmes un chat sauvage qui ressemblait au chat domestique, et était à-peu-près de la même grosseur. Il avait le poil de couleur pâle, et sa queue était presque aussi longue que son corps. Ce petit animal est très féroce, et tue quelquefois le cabri et le mouton, en se jettant sur leur cou, et en leur rongeant les nerfs et les artères, jusqu’à ce qu’ils tombent, après quoi il suce leur sang.”
Page 190.—“Un des sauvages tua un beau chat sauvage, plus gros de moitié que le chat domestique; son poil était long et extrêmement beau, tacheté de blanc et de noir, sur un fond d’un jaune brillant. Le poil du ventre était d’un jaune pâle, et sa queue avait environ vingt deux pouces de longueur. C’est la plus belle peau que j’aie jamais vue.”
Les autres quadrupèdes que Mr. Le Raye a vus, mais dont il n’a pas fait la description, sont: le castor, la loutre, l’ermine, la martre, le chat sauvage tacheté, l’ours blanc, l’ours noir, le lapin, le loup-cervier, le chat de montagne, le renard.—Journal Américain de 1818.
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Quadrupèdes trouvés pendant une expédition aux Montagnes rocheuses du grand continent de l’Amérique du Nord; par le Major Long.
Les expéditions des Américans à travers le vaste continent de l’Amérique septentrionale nous avaient déjà fait connaître quelques uns des mammifères qui peuplent cette partie encore inconnue du Nouveau-Monde. On y avait découvert le moufflon des montagnes, l’antelope à cornes bifurquées, l’ours terrible, &c.—Celle que vient d’exécuter le major Long ajoutera de nombreuses connaissances aux premières.
Il a trouvé quatre nouvelles espèces de chauve-souris; trois espèces du genre chien; trois espèces d’écureuils qui n’ont jamais été décrites; un cerf qui a quelque rapport avec le cerf de Virginie. Parmi les espèces déjà connues, mais sur lesquelles on désirait de plus amples renseignemens, on trouve le blaireau américain, dont l’existence avait paru douteuse, mais qui ne peut plus l’être, aujourd’hui, que le Muséum d’Histoire naturelle de Paris en possède un; la gerboise du Canada de Barton; le loir xanthognathe du docteur Leach; la marmotte de la Louisiane et le rat de la Floride.—Journal Français de 1825.
La Géologie est l’histoire de notre Globe. La globe que nous habitons est dans un tel état d’amorcellement qu’on ne trouve sur sa surface, que des ruines et des masures. Dans l’ordre naturel, les corps les plus pesants devraient se trouver dessous les moins pesants, par couches régulières, jusqu’aux corps les plus légers, qui devraient nécessairement être au-dessus des autres. Mais rien de tout cela sur notre globe: tout y est dans un désordre extrême. De là l’étude, ou la science de la géologie.
On croit, et avec raison sans doute, que nos terres habitables, ont été autrefois le fond de l’ancienne mer; de là, les sables, les pierres calcaires et les coquillages qui occupent, en grande partie, la surface de nos continens. On trouve ces matières sur les plus hautes montagnes, comme dans les plaines qui en sont les plus éloignées. Souvent même, des fleuves spacieux n’interrompent point les chaines de ces bancs de pierres et de coquillages, qu’ils croisent dans leurs cours; en sorte qu’avec un peu d’attention, on en peut facilement trouver les continuations, qui se prolongent d’un bord de ces fleuves à l’autre. Mais pour expliquer ces phénomènes, faut-il recourir à des hypothèses qui exigent des myriades de siècles? Ne suffit-il pas que la terre habitable d’à présent, ait été, depuis la création jusqu’au déluge, le fond de l’ancienne mer, pour donner une explication satisfesante de la formation des bancs de coquillages, et des pierres calcaires, ou imprégnées de cadavres d’animaux marins ou terrestres? Les géologues, en général, exigent pour ces différents résultats plus de siècles qu’il ne s’en est écoulé depuis la création du monde; on ne les entend guère parler que par millions de siècles; cela sans doute pour raccourcir la puissance du Créateur. Ils n’ôsent plus dire que le monde s’est créé tout seul, ou qu’il est l’effet du hazard; mais en admettant un être qui a créé la matière primitive, ils voudraient qu’on reconnût le Tems comme un second créateur, ou au moins, comme l’agent universel de toutes ces prétendues combinaisons, qui ont formé les différents corps que nous voyons sur la terre. Veut-on faire agir Dieu comme un ouvrier méchanique qui ne peut poser une pièce que l’une après l’autre?
Combien, dans l’hypothèse des philosophes, a-t-il fallu de siècles pour composer une couche de granite, de porphire ou de basalte, qu’on regarde comme les pierres primitives? Combien de siècles pour former les pierres secondaires, ou imprégnées de corps d’animaux? Combien encore de siècles pour former les craies, les houilles, ou charbon de terre, et les autres matières? Les Périodes de Mr. Du Luc ne me plaisent pas plus que les Époques de Mr. Buffon, s’il lui faut presqu’autant de siècles pour l’explication de son systême. Qu’on cherche, si l’on veut, des hypothèses, qui ne s’éloignent point du récit de l’Ecriture Sainte. Par exemple, quant aux coquillages; n’ont-ils pas pu, depuis la création jusqu’au déluge, s’accumuler à un nombre presqu’infini? Voyons le par un cas particulier; depuis plus de cinquante ans, que plus de cent bâtimens vont à la pêche sur les battures du Golphe St. Laurent, qui ont très peu d’étendue, s’est-on apperçu qu’elles aient diminué le moins du monde? D’ailleurs on ne peut croire que Dieu ait suivi pour la création des animaux le même ordre que pour la création de l’homme; il n’a pas sans doute créé un individu de chaque sexe; l’Ecriture ne dit cela en aucun endroit; au contraire, elle s’exprime de manière à faire entendre que Dieu créa un grand nombre d’animaux, qui parurent aussitôt couvrir la surface de la terre et remplir les eaux de la mer.
Mais, dira-t-on; l’Ecrivain sacré n’entendait pas que les six jours de la création, étaient des jours naturels de vingt quatre heures; le soleil même qui partage les jours ne fut créé que le quatrième. Quoi! est-ce que Celui qui n’a créé le soleil que le quatrième jour, ne pouvait pas mesurer la longueur des jours? et faut-il s’en rapporter aux suppositions des naturalistes, plutôt qu’à la parole de Dieu-même, qui à révélé à son écrivain, qu’il avait créé le ciel et la terre en six jours?
Si Mr. Du Luc me disait, que tout s’est opéré, suivant son systême, dans l’espace de ces six jours, je pourrais encore admettre ses idées. Fallait-il même six jours à l’Auteur de la nature pour créer l’univers? Un seul instant, sa seule volonté pouvait tout opérer; s’il a voulu diviser son ouvrage en six jours, il avait en cela ses vues, qui nous sont inconnues; mais l’homme n’en trouve pas moins une leçon divine de partager la semaine en sept jours, dont le septième est consacré au repos du Seigneur.
Pourquoi donc, par des recherches curieuses, chercher à pénétrer les mystères de Dieu? Dieu a dit, et tout a été créé; Dieu a dit, et tout a été fait. Croyons et adorons.
Que la géologie se borne à nous donner une histoire du globe tel que nous le voyons; qu’elle nous prouve le déluge par les ruines et les masures que nous y découvrons; étudions les pierres et les minéraux, les sédimens et les couches des différentes terres, pierres ou matières quelconques; analisons, décomposons, observons les angles rentrants et saillants des rivières, des fleuves et des grands continens; suivons les chaînes des montagnes; étudions en les matières qui les composent; cette étude est digne de l’homme. Reconnaissons que le déluge a renversé l’ancien ordre que nous aurions observé sur la terre, s’il n’eût pas eu lieu; puisque les grands abîmes s’étant ouverts, les eaux s’y sont engouffrées, et ont laissé à sec l’ancien lit de la mer; ce qui a donné naissance à nos continens. Veut-on une époque plus reculée des ruines qu’on observe sur la terre? cherchons la, au moment, où Dieu sépara les eaux d’avec la terre, c’est-à-dire, au troisième jour de la création. Cette époque fut, sans doute, une secousse terrible pour le globe, et si on admet, comme on le doit, que les pierres étaient déjà créées, on peut bien s’imaginer qu’elles furent alors brisées, renversées, et transportées d’un lieu à un autre, en sorte même que les plus pesantes auront pu être élevées au-dessus des plus légères, et comme alors, les animaux n’étaient pas encore créés, cela expliquerait pourquoi on n’en trouve aucun débris dans ces pierres primitives.
Mais il y a une difficulté qui nous arrête, et à moins d’admettre des millions d’années, on ne pourra point expliquer la formation des houilles, ou mines de charbon de terre. Jusqu’à présent les hypothèses de nos philosophes là-dessus, ne sont guères raisonables. Ils prétendent que le troisième jour de la création, jour bien long suivant eux, que Dieu créa les arbres et les plantes, que, durant une période de tems de quelques milliers d’années, ces plantes se sont accrues à une quantité prodigieuse, et furent ensuite consumées, et réduites en charbon, par le calorique qui était sur la terre; et observez, que suivant eux, ce calorique était la lumière que Dieu créa le premier jour. Ainsi cette création de la lumière, que quelques S. Pères et la plupart des interprêtes ont regardée comme le moment de la création des anges, n’est, suivant les philosophes, que la création d’une matière qui a servi à faire du charbon de terre. Mais ce calorique créé le premier jour, pouvant réduire ces plantes en charbon, ne pouvait guère laisser un libre cours à leur accroissement; d’ailleurs ces houilles ont dû être formées sur la terre alors habitable; mais si cette terre a été engloutie sous les eaux du déluge, comme il est probable d’après toutes les remarques possibles, que devient alors cette hypothèse? Les philosophes eux-mêmes se font une autre objection; comment les arbres et les plantes ont-ils pu pousser avant la création du soleil? Cette question est sérieuse, pour ceux qui admettent des siècles infinis, des époques ou des périodes, et le calorique comme nous l’avons vu, ne peut guère les contenter; mais pour un chrétien qui voit paraître le soleil, le lendemain de la création des arbres et des plantes, cette difficulté ne peut guères l’embarrasser. On aime à se faire des difficultés pour les combattre, et on finit par dire qu’elles sont inexplicables, et on en vient à la fin, jusqu’à dire que le récit de la création est fabuleux. N’est-ce pas l’hypothèse des époques qui a conduit le célèbre Rousseau à l’athéisme qui a fait le malheur de ses jours, et qui d’un homme à grands talens en a fait un misérable sophiste? Mais pour ne pas paraître éluder la question, comment est-ce donc que les houilles se sont formées? Si on ne le sait pas encore, qu’on cherche des hypothèses, qui ne répugnent point au récit des Ecritures Saintes, et si on n’en trouve point, pourquoi ne pourrait-on pas croire que Dieu les a créées, comme il a créé les autres substances? Pourquoi en effet, ne pas croire que Dieu a pu créer des matières secondaires, comme il aurait créé les primitives? On veut s’obstiner à croire que Dieu n’a créé que des matières simples, ou les élémens des choses sub-lunaires, et qu’il a laissé au Tems le soin de combiner ces élémens pour en produire les choses qui frappent nos yeux; et pendant une longueur de siècles sans fin, Dieu a attendu qu’une matière fût complètement formée pour procéder à la création d’autres élémens qui devaient produire d’autres matières, jusqu’à ce qu’enfin, tout étant prêt, Dieu aura trouvé le moment convenable de créer l’homme; et quel homme encore? une espèce d’automate, un homme qui n’ayant que le son de la voix, a été dans la nécessité de se faire un langage. Quelle absurdité! Eh bien! il y a eu des philosophes qui n’ont pas eu honte d’avancer de pareilles rêveries. Si Dieu n’a créé aucune matière dans un état de combinaison, sans doute qu’il n’a pas créé les eaux non plus; puisqu’il est reconnu qu’elles ne sont que la combinaison de deux airs différents.
Passons maintenant à une autre question. On a trouvé des cadavres de rhinocéros, d’éléphans, et même d’autres animaux dont on croit les races éteintes, sur les montagnes du nord. On conclut de là que la chaleur primitive était beaucoup plus considérable, puisque ces animaux pouvaient vivre à une telle latitude.—Sans doute que, s’il faisait si chaud alors sous la zône glaciale, les animaux qui habitaient la zône torride ne devaient guère être à leur aise. Pourquoi une telle prétention? Pour prouver que le globe est bien ancien, et qu’il a fallu bien des siècles pour que la chaleur ait diminué par degré, jusqu’au point où elle est réduite à présent. Pourquoi ne pas dire tout simplement que ces cadavres ont été chariés par les eaux du déluge, et que les lames en se retirant les ont déposés sur ces montagnes? Une grande quantité de ces animaux se sont dissous et ont disparu entièrement: d’autres se sont conservés dans un état de pétrification; d’autres enfin, parmi les plus gros, ont pu, par des causes particulières, se conserver dans un état presque naturel.
Avant que de terminer ces réflexions, il ne sera pas hors de propos de dire un mot du rapport de la terre avec le soleil. Je ne m’arrêterai pas à réfuter le systême de ce philosophe qui ne fait de la terre et des planètes que des éclats ou éclaboussures du soleil, enlevées par une comète; parce que je ne suis pas d’humeur à perdre mon tems pour combattre des chimères! Passons à quelque chose de plus solide. Avant la création du soleil et de la lune, la terre se soutenait sans doute, dans l’espace sans avoir besoin de force centri-pète et centri-fuge. Si nos philosophes eussent présidé à la création, ils auraient été embarrassés de s’y prendre d’une manière, qui leur aurait paru si peu raisonable. On m’accusera peut-être de vouloir tourner en ridicule une opinion universellement admise de nos jours; et il en couterait trop à des savans, qui dès leur enfance ont regardé la force centri-pète et centri-fuge comme mathématiquement prouvée, d’abandonner ce systême; et j’aurais, je l’avoue, le même faible qu’eux; j’admets que cette force est admirablement bien démontrée, et qu’elle paraît même naturelle à l’ordre des choses établies par le Créateur; mais je ne puis cependant me refuser de croire que cette loi n’était pas nécessaire aux ouvrages du Créateur, puisque la terre a existé avant que cette loi eût pu avoir lieu, le soleil et la lune n’étant pas encore créés.
Un ancien philosophe chinois, (Confucius,) si on en croit les traducteurs, disait que l’Auteur de la Nature avait désigné à chaque astre, l’orbite qu’il devait parcourir, et que les astres à l’envi allèrent se ranger à leurs places, et coururent avec joie remplir la carrière qui leur avait été prescrite. Celui qui a dit à la mer: Tu viendras jusques là, et sur ce grain de sable tu briseras l’orgueil de tes flots tumultueux, pouvait bien dire aux astres: Vous parcourrez tel chemin, et vous ne dévierez ni à droite, ni à gauche. Un tel ordre du créateur ne m’explique-t-il pas mieux la marche vagabonde des comètes qui passent d’un univers à l’autre, que tous les systêmes des philosophes? Mais nous sommes dans un siècle éclairé, et il nous faut des preuves et des démonstrations.
Pourquoi le soleil, ce corps si vaste, n’a-t-il pas été créé avant la terre, ou au moins, en même tems qu’elle? Demander pourquoi, et comment, quand il s’agit des œuvres de Dieu, c’est une impiété. Et qu’est-ce que le soleil dans l’espace des mondes créés? Qu’est-il même en comparaison des étoiles fixes? un grain de sable, un vrai atôme: et qu’est tout l’univers ensemble à l’œil de Dieu?
On ne réfléchit pas assez sur la toute-puissance du Créateur.—De là tant de systêmes frivoles et vuides de sens. On pose des principes, on les regarde comme vrais, ou au moins comme admis; on part de là, on marche d’argumens en argumens, de raisonnemens en raisonnemens, pour en venir aux conclusions qu’on prétend en tirer. Le tout est d’un style, qui captive l’esprit et l’entendement. Mais si le principe n’est que supposé; s’il est douteux, ou pour le dire sans détour, si le principe est faux, que deviennent tous ces raisonnemens? On sait en logique quelle différence il y a entre le conséquent et une conséquence. Combien donc, les jeunes gens qui commencent à se livrer à la lecture doivent se tenir sur leurs gardes! Les philosophes pervertissent la parole de Dieu en feignant de la suivre, et l’on ne s’en apperçoit que lorsqu’on est descendu avec eux dans l’abîme; ou plutôt, on est tellement aveuglé par leurs fausses lumières, qu’on ne s’apperçoit pas qu’on est déjà devenu impie.
Votre, &c.
J. M. B.
Quelle noblesse d’expression n’y a-t-il pas au commencement de ce livre! Comme les fureurs de Satan sont admirablement décrites! L’on voit un pinceau vigoureux qui nous trace avec un coloris éclatant, et les remords de ce malheureux, et sa jalousie du bonheur des humains. Dans sa douleur, il fait un parallèle entre sa situation première et son état présent. Sa rage s’excite insensiblement; il se répand en invectives contre l’Être suprême, auquel il voue vengeance. Il finit par se promettre un empire dans la demeure des humains. Mais pendant son discours soliloque, il se trahit par ses gestes furieux, et Uriel l’a reconnu. Cependant Satan regarde les plaines d’Eden; il admire les merveilles de la nature; il hume l’air suave du paradis terrestre; il est comparé au nocher cotoyant l’Afrique, qui passe les tours du Mosambique. Milton nous parle aussi de l’Arabie: on voit par là que cette comparaison est tout à la fois mercantile, géographique et marine; la voici:
.................. As when to them who sail
Beyond the Cape of Hope, and now are past
Mosambic, off at sea north-east winds blow
Sabian odours from the spicy shore
Of Araby the blest...................
Satan entre enfin dans le paradis, et sous la forme d’un vautour, va se percher sur l’arbre de la vie. Après quelques réflexions morales, le poëte nous donne la longueur géométrique d’Eden, dans les vers suivants:
..................Eden stretch’d her line
From Auran eastward to the royal towers
Of great Seleusia, built by grecian kings,
Of where the sun of Eden long before
Dwelt to Telassar.......................
On voit par la chose même que le poëte était bon arpenteur.—Il nous fait ensuite une description riche et détaillée, dans des vers flatteurs à l’oreille, de toutes les beautés et de tous les agrémens dont le paradis terrestre est rempli. Mais il est douloureux de remarquer qu’après toutes ces beautés, il y vient un amalgame de la mythologie avec le sujet même, qui est d’une nature si différente. Ce petit écart d’imagination commence ainsi:
..................While universal Pan,
Knit with the Graces and the Hours in dance,
Sat on th’eternal spring...................
Le démon qui va tenter Eve, après avoir contemplé les délices dont on jouit dans Eden, voit tout à coup paraître les procréateurs du genre humain; il admire leur beauté, leurs grâces et leurs attraits. Après une description charmante de ces deux êtres, cet ange de ténèbres se répand en accens douloureux; il gémit de voir assignée à nos premiers parens la place qu’il devait occuper; il pressent leur malheur, s’applaudit de leur fragilité, tout en les plaignant; il semble se déterminer à les perdre par devoir plutôt que par haine. Il s’avance, il les épie, il juge par leur conversation, qu’il leur est défendu de manger du fruit de l’arbre du bien et du mal. Après avoir exhalé ses fureurs causées par le dépit qu’il éprouve en voyant leur bonheur, il résoud de la manière dont il s’y prendra, pour les engager à manger du fruit défendu. S’applaudissant de ses projets, il s’avance auprès d’un lieu où la jeunesse militaire des cieux apprend le métier des héros. Ils ont des armes, des boucliers, des casques, des dards, &c. Ils revêtaient probablement ces armures par prévoyance, en cas d’invasion. Il paraît aussi qu’ils montaient la garde, dont le commandant était Gabriel. Nous rapporterons ce passage:
Betwixt these rocky pillars Gabriel sat,
Chief of the angelic guards awaiting night,
About him excercis’d heroic game
Th’unarmed youth of heaven, but night at hand,
Celestial armory, shields, elms, and spears,
Hung high with diamonds flaming, and with gold.
Uriel va avertir Gabriel qu’un démon est dans le paradis terrestre; il lui parle des maux que peut y causer cet ange de ténèbres, et l’assure qu’il ira à sa recherche, et le découvrira avant le lever du soleil.
Adam engage Eve à se retirer avec lui, pour se délasser par le sommeil, des légères occupations dont ils se recréent. Eve lui répond qu’elle est prête à le suivre; mais en même temps, elle fait une question scientifique sur l’utilité des astres; et Adam, qui possède la science infuse, lui dit que ces globes ont une route régulière, et que leur clarté est destinée aux nations qui ne sont pas encore nées. Il lui parle aussi des anges et des concerts séraphiques qu’ils entendent souvent dans le lointain. En s’entretenant ainsi, ils s’avancent tous deux vers le lieu de leur repos; ils y arrivent, et après avoir fait leur prière, ils se livrent au sommeil.—Milton fait ensuite quelques réflexions sur la commodité qu’il y a à ne porter aucun vêtement:
............... and eas’d the putting of
These troublesome disguises which we wear.
Gabriel ordonne à Zéphon et Thuriel, (sans doute le sergent et le caporal de la garde,) d’aller à la découverte de l’ange rebelle qu’Uriel a vu. Ils obéissent, et ils l’apperçoivent enfin sous la forme d’un crapaud qui troublait le sommeil d’Eve par des songes trompeurs et pernicieux. Zéphon le touche de sa lance, et Satan prend aussitôt sa forme ordinaire. Celui-là lui demande avec aigreur qui il est; le démon lui répond qu’il est un des premiers anges; mais Zéphon, qui le connaît bien, lui reproche ce qu’il est, en lui rappellant sa condition première. Satan le défie au combat: on lui répond avec mépris, et cependant tous trois s’approchent d’un lieu où est une compagnie céleste. Une altercation s’élève entre Satan et Gabriel; ils se font l’un à l’autre de terribles menaces. L’ange prouve à son ennemi qu’il est plus fort que lui, par la balance céleste qui penche de son côté. Satan s’enfuit aussitôt, en murmurant de rage.
Le commencement de ce livre présente le réveil d’Eve admirablement dépeint. C’est Adam qui la tire du sommeil, en lui adressant les paroles les plus tendres. Eve lui raconte un rêve chagrinant qui l’a assiégée toute la nuit. Ce songe fait pressentir au lecteur la chûte d’Eve, qui en fait le sujet. Adam rassure son épouse effrayée, par les discours qu’il croit les plus propres à lui rendre raison de son songe. Eve consolée s’agenouille avec son époux, et tous deux rendent hommage au Très-haut, leur créateur. Ils chantent, sans accompagnement, comme dit le poëte:—
More tunable than needed luth or harp.
Ils chantent un cantique de louanges. Ce devoir achevé, ils vont travailler à l’ornement de leur jardin. Dieu les voit, et appellant Raphaël, (que le poëte nous apprend, par provision, avoir marié Tobie à Sarah,) il lui dit d’aller recommander à Adam de remplir bien ses devoirs. Raphaël en obéissance, part et arrive promptement dans Eden: à son entrée, la garde s’est rangée, avertie par les sentinelles, pour lui faire honneur, comme le disent les vers suivants:
.................. Straight knew him all the band
Of angels under watch; and to his state
And to his message high in honour rise.
Adam le voit venir. Il était alors midi, temps auquel Eve était à faire les préparatifs du diner. Adam appelle son épouse; il lui propose de bien recevoir l’étranger céleste. Eve, selon la coutume des femmes de ménage, fait d’abord quelques difficultés, alléguant le manque de provisions. Néanmoins, elle va visiter son jardin et son verger, et elle en rapporte toutes sortes de fruits: elle met la main à l’œuvre; elle fait du lait d’amande; elle exprime le jus du raisin, et elle orne le tout avec des roses. L’ange arrive, et le père des hommes, qui a été au-devant de lui, le prie de s’arrêter dans sa demeure. Son offre est acceptée. Ils entrent dans la maison champêtre où Eve les attend. Raphaël la salue, et ils s’asseyent tous trois. Adam présente des fruits à son hôte, et il s’engage entr’eux une conversation sur les mets. Raphaël, pour prouver que les anges peuvent manger, appelle à son secours l’alchimie, la théologie, la métaphisique; mais ceci n’est pas complet: Milton aurait dû nous donner un systême anatomique du corps des anges; car il est juste et raisonnable que lorsque l’on apprend qu’un esprit peut manger et digérer, l’on connaisse aussi sa formation; faute de quoi, l’on nous passe l’incrédulité; car il est difficile de se persuader que des choses spirituelles soient capables de fonctions corporelles.
Après qu’ils ont mangé suffisamment et sans excès, Adam requiert de son convive qu’il lui décrive les mœurs des anges. Raphaël le fait, et le père des hommes, enchanté de ce discours, lui témoigne son admiration sur ce qu’il vient de dire. Après avoir encore conversé, Adam le prie de lui faire part de ce qu’il sait sur la révolte des anges. Alors celui-ci lui en fait le récit, et lui décrit d’une manière admirable qu’il y a dix millions de drapeaux, d’étandards et de bannières, entre l’avant et l’arrière-garde de l’armée angélique: tout cela, ajoute-t-il, est pour la distinction entre les hiérarchies. Il parle aussi d’écussons où il y a des devises séraphiques. Raphaël continue son récit. Dieu proclame la grandeur de son fils. Le soir, dit-il, on donne aux anges un repas, où il y a de l’ambroisie et du vin céleste. Ce souper fini, les anges commencent à s’endormir; mais Satan veille, n’ayant point pris part au souper. Il est transporté de jalousie; il veut tenter un esprit céleste, et entraine, par artifice, une partie des anges vers les lieux où est son royaume; et là, par un discours plein de détours, il leur propose insensiblement de se révolter contre Dieu. Abdiel, séraphim zélé pour la gloire de son créateur, s’y oppose avec chaleur; mais la foule, séduite par l’ange rebelle, ne veut pas l’écouter. Enfin Gabriel leur prédit avec énergie leur châtiment, s’ils ne prêtent pas l’oreille à sa voix. Il part et laisse là les factieux.
(La suite au numéro prochain.)
Avant d’entrer dans cet examen, observons que je n’entends pas parler des principes du gouvernement de la France à une époque qui se perd déjà dans la nuit des temps; ou pour en indiquer une déterminée, de celle où les Normans asservirent l’Angleterre. Suivant l’opinion de quelques savans jurisconsultes, les plus sages lois constitutionnelles de ce pays ne sont qu’une imitation fidèle de celles que l’on avait en France, jusqu’au jugement par jurés qui n’est, suivant eux, que l’épreuve par témoins, telle qu’elle y était pratiquée et qui s’y est graduellement éclipsée, tandis qu’en Angleterre, elle s’est modifiée de manière à porter cette institution au degré de perfection où nous la voyons parvenue, de nos jours. Je parle du gouvernement de France tel qu’il était avant la révolution, et tel qu’on l’a vu se former depuis la fin du règne de Louis XII. Que ferait en effet à la question l’existence antérieure d’un code de lois ou d’institutions en force, il y a des siècles, si elles étaient tombées en désuétude, oubliées ou violées; si ce n’était plus que des doctrines ou des opinions spéculatives, sans influence réelle sur les actions ou sur la conduite de ceux auxquels elles étaient destinées à servir de règle.
Quant au droit de celui qui gouvernait, on peut dire qu’à compter du règne de François I, il avait fini graduellement par se réduire à celui de la force. On sait ce qu’on peut penser de ce droit, d’après notre écrivain lui-même.
Les anciennes lois françaises qui avaient autrefois quelqu’analogie avec celles d’Angleterre, relativement à l’obligation de mettre en liberté celui qu’on emprisonne, si l’on n’a pas un corps de délit constaté, ou si on ne lui fait pas son procès, n’existaient plus même dans les souvenirs. Un citoyen était arraché à sa maison, à sa famille, trainé dans un cachot, et il ne se trouvait pas même un tribunal auquel il pût avoir recours avec efficacité, pour demander son élargissement ou l’instruction de son procès. Qui peut ignorer l’usage qu’on a fait du pouvoir monstrueux que l’on exerçait sous ce rapport? Des faits innombrables l’attestent. On se contentera de remarquer que sous l’administration de Fleury, qui assurément n’a pas été accusé de dureté, et même qui mit de la douceur dans la manière dont il l’exerça, il fut émané des milliers de lettres de cachet. Le détenu restait dans les prisons autant de temps que ceux qui avaient le pouvoir en main le jugeaient à propos. Ils n’avaient aucun compte à rendre de l’autorité qu’ils exerçaient au nom du souverain, en le retenant dans les fers. Il y languissait souvent des années. Souvent il n’en sortait que pour descendre dans le tombeau.
Portait-on une accusation contre un homme auquel on imputait quelque délit dans lequel l’autorité se trouvait intéressée: les ministres, au nom du roi, lui donnaient des commissaires de leur choix pour le juger; c’est-à-dire qu’il était condamné d’avance, s’ils avaient intérêt à le perdre.
Ce n’était pas tout encore. En vertu d’une ordonnance qui remonte à la fin du quinzième siècle, contre laquelle tout ce qu’il y avait d’hommes honnêtes avaient alors et depuis vainement réclamé, la procédure criminelle, qui auparavant se faisait publiquement, était secrette. Elle favorisait conséquemment les prévarications, en donnant aux preuves judiciaires une direction contraire aux premiers principes de la raison et de la justice.[1] On sent bien que c’était mettre le sort de l’accusé entre les mains de ses persécuteurs; et il faut remarquer que je viens de rapporter les expressions, non d’un écrivain partisan de la révolution ou du gouvernement représentatif, mais d’un de ses adversaires les plus décidés, d’un des plus grands admirateurs et des plus ardents apologistes du gouvernement qui l’a précédé.
Quant à la levée des impôts, quelle était la garantie des contribuables? Il était aussi passé en maxime comme établi en pratique, parce que presque toujours les faits deviennent bientôt des doctrines, que les rois de France avaient le droit d’établir, de prélever les impôts, et d’en dépenser le produit, par leur seule autorité, et à leur gré. Cette opinion était la conséquence naturelle du droit dont ils s’étaient mis en possession, de faire seuls tous les actes de législation. Aux termes des édits et ordonnances, ils émanaient de la certaine science, de la pleine puissance et autorité du roi.—Aussi l’un d’eux disait-il: l’état c’est moi.
Qui n’a pas entendu parler des dépenses du fastueux monarque dont on vient de citer ce mot foudroyant pour une nation, de l’éclat de sa cour, de la somptuosité de ses maisons royales, de ce que coutèrent à l’état le luxe de ses maîtresses, de ses enfans naturels, et en particulier de ceux qui étaient le fruit d’un double adultère avec une femme enlevée à son époux, et auxquels, par une loi digne de cette constitution, l’objet de l’admiration de notre écrivain, ce roi attribuait tous les droits d’une naissance légitime, en la légitimant aux termes de ses édits. Encore conserva-t-il quelques restes de respect pour lui-même, au milieu de désordres, poussés plus loin encore sous le régent Duc d’Orléans, dont l’administration démoralisa la France. Louis XV, à qui l’on a donné à juste titre l’épithète du Sardanapale de son siècle, put faire regretter Louis XIV. La France perdit sous son règne ses colonies, laissa écraser la Pologne: sa marine fut anéantie: son gouvernement devint l’objet du mépris de l’Europe.
La cour était l’école de tous les genres de luxe et de débauche. Il avait fallu trois ans pour vendre le mobilier de la marquise de Pompadour. Une femme sortie des maisons de débauche lui avait succédé; et logée dans des palais, entourée d’un faste asiatique, elle avait l’éclat et tenait une cour de reine.
Cependant on ne pouvait pas fournir aux frais d’un armement pour porter même quelque secours au Canada, pendant qu’on épuisait toutes les ressources, et que l’on prodiguait le sang de ses habitans, pour une défense qui devenait tous les jours de plus en plus impossible. Le pouvoir du bon plaisir dirigé par les mains des maîtresses et des courtisans entraina ces maux, et finit par amener la grande catastrophe de la révolution.
Encore un mot. On reconnaissait en France la nécessité de l’enrégistrement des lois, ou ce qui est la même chose, de leur promulgation, pour les mettre en force. Cet enrégistrement se faisait dans le parlement, qui avait conservé le droit de faire des remontrances. On les avait souffertes, on les avait abolies, on les avait permises de nouveau. Mais enfin comme il arrivait que le parlement prenait quelquefois le parti d’opposer des difficultés à l’enrégistrement des édits, surtout relativement aux impôts, le roi, dans ce cas, donnait des lettres de jussion et commandement, et si le parlement n’obtempérait point, le roi s’y rendait et tenait ce qu’on appellait, par un étrange abus des termes, un lit de justice, ordonnait l’enrégistrement, qui se faisait, et on mettait la loi en exécution.
Sans entrer dans d’autres détails, je me contenterai d’ajouter que le parlement de Paris avait lui-même solemnellement, dans ses remontrances en 1775, défini les Français, un peuple taillable et corvéable sans merci, sous le bon plaisir de son souverain. Et c’est là un royaume qui, suivant l’auteur de l’essai, avait une constitution! Et cette constitution est le chef-d’œuvre objet de son enthousiasme, de son admiration et de ses pompeux éloges. Et cet écrivain se dit Canadien, et apparemment sujet britannique! Que serait-ce si cet homme jouissait de quelque faveur de l’administration; s’il recevait une portion du revenu public, prélevé sur le peuple de ce pays, et destiné au soutien de son gouvernement et de notre constitution, tels qu’ils sont établis par la loi?
(A Continuer.)
Origine et Progrès de la Législation Française. |
Par Mme. Vve. du général Durand. 2e édition: en deux vols in-12; pp. 339. A vendre, à Montréal, chez MM. E. R. Fabre & Cie.
La cour de Napoléon n’était pas plus que les autres cours exempte des partis et des intrigues. L’ancienne noblesse, les gens nés de la révolution, et les militaires formaient trois partis différents. A la tête du premier était madame de Montesquiou, (gouvernante du Roi de Rome,) et son mari. Madame de Montebello était l’âme du second. Il était peu nombreux, et composé en grande partie d’intrigans en sous-ordre, mais soutenu par la considération que Marie Louise accordait à sa favorite. Le parti militaire était rangé sous les bannières du maréchal Duroc: il méprisait souverainement tout ce qui ne tenait pas à la profession des armes; et tandis que les deux autres partis se faisaient une guerre ouverte, “celui-ci jouait le rôle d’observateur, démasquant leurs bévues, et en profitant. L’empereur le favorisait secrètement; mais il n’en suivait pas moins son systême de neutraliser tous les partis, en cherchant à balancer leurs forces.—Chacun d’eux lui servait d’espion sur les deux autres, et il se trouvait instruit, par ce moyen, de tout ce qu’il pouvait avoir intérêt de connaître.”
Le plaisir bizarre et cruel que se donnait Napoléon de persifler les maris sur les aventures de leurs femmes, qu’il apprenait par le canal de sa police particulière, est la preuve de toute autre chose que de la bonté de son cœur. pp. 109, 110, 111.
Mais cette propensité singulière ne serait-elle pas rachetée par sa discrétion sur ses propres liaisons?
“C’est ici le cas de dire un mot des galanteries de Napoléon: on a débité et imprimé bien des mensonges à cet égard, et on lui a prêté des intrigues avec des femmes auxquelles il n’a jamais pensé. Un fait bien connu, c’est qu’il n’a jamais eu de maîtresse en titre. Il n’en faut pas conclure qu’il n’ait jamais eu d’inclinations passagères, de fantaisies; et l’on pense bien que dans le rang qu’il occupait, il ne lui était pas difficile de les satisfaire. Mais autant il aimait à divulguer les bonnes fortunes des autres, autant il était discret sur les siennes; et il était surtout bien éloigné de cette sotte jactance qui consiste à se vanter de faveurs qu’on n’a pas obtenues.”
Ne sommes-nous pas très français dans le sens du passage qui suit?
“Il ne faut pour gagner le cœur des Français que savoir sourire et saluer à propos.”
Il manquait à Marie Louise “cet air de familiarité qui peut se concilier avec la dignité, et qui suffit en France pour séduire la multitude.—Rendue à son intérieur, elle était douce, enjouée, affable, et adorée de tous ceux qui avaient des relations habituelles avec elle. Joséphine, au contraire, plus chérie dans le public, était moins aimée dans sa maison. Son but était toujours de produire de l’effet, tandis que Marie Louise était ennemie de toute affectation et de tout dehors emprunté.”
Les aumônes de Marie Louise, doubles de celles de Joséphine, ne faisaient aucun bruit. Elles étaient sous la direction d’un homme qui s’en appropriait une partie pour fournir à ses débauches. Joséphine se servait, entr’autres moyens, de deux hommes intègres, qui cherchaient les pauvres honteux et les secouraient. Ainsi, par ses soins judicieux, elle avait la réputation de faire des charités immenses.
Les cours présentent des singularités qui semblent renverser toutes les règles de la nature. On reprochait à Marie Louise d’étendre sa froideur jusqu’à son fils. “Ce n’était pourtant pas, dit l’auteur, par défaut d’affection; c’était plutôt par excès de sentiment! N’ayant jamais vu d’enfant, elle n’osait ni le prendre, ni le caresser: tant elle craignait de lui faire mal!......... L’empereur, au contraire, le prenait dans ses bras, toutes les fois qu’il le voyait, le caressait, le contrariait, le portait devant une glace, et lui faisait des grimaces de toute espèce.”
Avons-nous besoin d’une autre preuve que Napoléon se permettait des jouissances d’un genre particulier? Il est question du Roi de Rome.
“Lorsqu’il déjeunait, il le mettait sur ses genoux, trempait un doigt dans la sauce, le lui faisait sucer, et lui en barbouillait le visage!!”
Comme les habitudes et la manière de vivre ne laissent pas d’exercer une influence plus ou moins grande sur les opérations de l’esprit; que la digestion surtout soumet la plupart des hommes à des incommodités d’un genre plus ou moins gênant, il n’est peut-être pas hors de propos de rapporter que notre auteur dit que Napoléon n’avait pas de repas fixes; “qu’il mangeait quand il avait faim, et quand ses occupations le lui permettaient.”
Nous voudrions que les bornes que nous avons dû nous prescrire nous permissent d’entrer dans une foule de détails touchants sur l’enfance du Roi de Rome, dont Mme. de Montesquiou n’avait rien négligé pour développer sa sensibilité. Nous invitons nos lecteurs à se donner la douce satisfaction de les lire au long dans l’ouvrage même, de la page 134 à la page 140.
A propos du voyage de Napoléon en Hollande en 1811, nous sommes forcés d’observer que nous ne savons si c’est la contradiction inhérente dans l’esprit humain, ou l’amour immodéré de la toilette, qui fit pratiquer à l’impératrice une fraude sur la douane, rapportée comme suit:
“L’introduction des marchandises anglaises était alors sévèrement défendue. Toutes celles qu’on pouvait saisir étaient brulées sans miséricorde. Il en résultait que chacun cherchait à s’en procurer; car le vrai moyen de faire désirer une chose, c’est de la défendre; et la prohibition d’un objet ne fait qu’en rehausser le prix. La Belgique était encore pleine de marchandises anglaises cachées avec soin. Toutes les dames de la suite de l’impératrice en firent d’amples provisions: l’impératrice même voulut en avoir. Plusieurs voitures en furent chargées, non sans crainte que l’empereur n’en fût informé, et ne fît tout saisir, en arrivant en France.”
La bonne étoile de l’impératrice voulut que les douaniers, après mûre réflexion, n’arrêtassent pas les voitures, par respect pour l’empereur; car, dit l’auteur, “si on les eût arrêtées et confisquées, Napoléon, bien loin de le trouver mauvais, en aurait ri de tout son cœur, et probablement récompensé celui qui aurait eu le courage de faire son devoir.”
Il est remarquable que c’est pendant ce voyage qu’il arrêta le plan de sa funeste expédition de Russie, et jamais la cour de France ne fut plus brillante que pendant l’hiver qui suivit ce voyage.
Nous négligeons la conspiration de Mallet, comme nous avons passé sur l’exécution du duc d’Enghien. Ces faits appartiennent à l’histoire. Ils sont rapportés par Mme. Durand d’une manière claire et précise.
Le trait suivant mérite d’être connu:
Mme. de Montesquiou avait, dans les prières qu’elle faisait faire, matin et soir, au petit Napoléon, ajouté ces mots, après le retour de Russie: “Mon Dieu, inspire à papa le désir de faire la paix, pour le bonheur de la France et de nous tous.” “Napoléon se trouvait un soir dans les appartemens de son fils, à l’heure de sa prière; madame de Montesquiou n’y changea rien, et l’empereur entendit répéter les mots que nous venons de citer. Il sourit, et ne fit aucune réflexion à ce sujet.”
C’est à regret que nous terminons ici nos extraits. Nous aurions pourtant des particularités intéressantes à mettre sous les yeux du lecteur, sur la campagne de Russie, sur l’invasion du territoire français, et sur les évènemens qui ont immédiatement précédé la déplorable catastrophe de Napoléon.
Le second tome est rempli de traits et d’esquisses inédites sur la cour impériale de France; noblesse, généraux, ministres; économie domestique, manières, langage et opinions de Napoléon.—L’on y réfute avec succès des calomnies et des absurdités sans nombre, qu’on a débitées sur son compte.
Tout considéré, Napoléon, que notre auteur a jugé d’une manière impartiale, signalant ses défauts, son ambition immodérée surtout, figure avantageusement dans cet ouvrage, qui le fait mieux connaître, peut-être, que les relations de Las-Cases, d’O’Meara et de Montholon.
Parmi quelques pièces curieuses qui forment un appendice à ces Souvenirs, est le discours de Napoléon au corps législatif, le 1er. Janvier 1814. Ce document ne donne pas une idée du véritable caractère de Napoléon. C’est la production d’un homme dont l’adversité a perverti l’entendement...... Les idées et les expressions sont d’un maniaque.
Le calme de Mme. Durand est le gage le plus sûr de sa véracité. Son langage n’est ni celui de la passion, ni même celui des regrets. Presqu’à la même page, on lira l’éloge de la cour de l’empereur détroné, avec le panégyrique de la famille qui occupe aujourd’hui sa place. Elle ne peut taire, même devant ses maîtres actuels, l’expression de sa reconnaissance pour un homme dont elle n’avait reçu que des bienfaits. Elle n’a point partagé le rôle indigne et dégradant de cette foule de déserteurs qui ont lâchement abandonné celui de qui ils tenaient tout; aussi ne peut-elle s’empêcher de signaler leur désertion avec la noble indignation d’une âme honnête et sensible.
Nous connaissons les anciennes cours de l’Europe; nous venons de passer en revue celle d’une nouvelle dynastie, sous un gouvernement quasi despotique: voulons-nous les comparer avec les mœurs d’une cour républicaine, passons un hiver à Washington, avec l’aimable auteur de l’ouvrage dont le titre est en tête: nous y verrons que l’amour des honneurs, des titres, des dignités, est inhérent aux républicains comme aux monarchiques, et que dans tout état de société, l’homme est un être faible, léger et vain.
Nous ne croyons pas nous tromper en conjecturant que ce livre, que l’auteur nous dit n’être pas tout-à-fait une fiction, est l’ouvrage d’une femme. Quoiqu’il en soit, nous rendons hommage, avec plaisir, à des opinions libérales, et à des sentimens vertueux exprimés avec une élégante simplicité. Le sujet de ce petit roman, s’il ne remue pas fortement les passions, ne laisse pas que d’inspirer quelque intérêt. Avec moins d’art que Washington Irving, Paalding et Cooper, l’auteur à mis au jour un échantillon de la littérature américaine, qui n’est pas destiné à lui faire déshonneur.
Contraint de nous renfermer dans des bornes étroites, nous promettons quelques instans agréables à ceux de nos lecteurs qui voudront juger de l’ouvrage par eux-mêmes.
Histoire de George Dercy et de sa famille; par L. B. Picard, de l’Académie française: 3 vols. in-12: chez E. R. Fabre & Cie., Montréal.
Pourquoi allier la probité à la niaiserie? Pourquoi faut-il qu’un honnête homme soit nécessairement un ours ou un lourdaud. M. Picard nous rend compte, dans trois tomes pleins d’intérêt, du titre qu’il lui a plu de donner à son ouvrage, dont l’excellente morale n’en cède rien à la nouveauté et à l’art admirable des incidens. Lisez dix pages seulement du premier tome, vous êtes ennuyé, dégouté, et vous ne pouvez concevoir qu’un écrivain célèbre, qu’un académicien même, ait pu s’occuper d’un récit aussi fade, l’on serait même tenté de dire aussi puéril. Vous croyez lire l’histoire de Croque-Mitaine, ou les contes bleus ou jaunes qui faisaient les délices de votre enfance, mais qui cessèrent d’avoir des charmes pour vous, dès avant l’âge de neuf ans. Soyez tant soit peu plus patient, cher lecteur; vous allez être bientôt dédommagé. L’intérêt qu’a su mettre l’auteur dans des incidens si ordinaires, si naturels et si peu merveilleux pour un ouvrage purement d’imagination, atteste la possession d’un talent peu commun. Si l’on songe d’ailleurs que Mr. Picard a parsemé son livre de peintures aussi fortes que vraies, sur les mœurs du temps, et que la politique même y joue un rôle assez piquant, l’on se félicitera d’avoir dévoué quelques loisirs à connaître la nouvelle bourgeoisie française, les intrigues d’une élection dans les départemens, les ressources et les trames d’un chevalier d’industrie et d’un intrigant, avec la probité inébranlable, les vues droites, et le jugement infaillible d’un homme dont la niaiserie consiste à n’être ni méchant, ni fourbe, ni cupide, et qui, rencontrant partout des succès où d’autres les chercheraient en vain, démontre la vérité de ce vieil adage anglais: Honesty is the best policy.
Ha! mon habit, que je vous remercie!
Que je valus, hier, grâce à votre valeur!
Je me connais; et plus je m’apprécie,
Plus j’entrevois qu’il faut que mon tailleur,
Par une secrète magie,
Ait caché dans vos plis un talisman vainqueur,
Capable de gagner et l’esprit et le cœur.
Dans ce cercle nombreux de bonne compagnie,
Quels honneurs je reçus! quels égards! quel accueil!
Auprès de la maîtresse et dans un grand fauteuil:
Je ne vis que des yeux toujours prêts à sourire,
J’eus le droit d’y parler et parler sans rien dire.
Cette femme à grands falbalas
Me consulta sur l’air de son visage;
Un blondin sur un mot d’usage;
Un robin sur des opéras;
Ce que je décidai fut le nec plus ultrà.
On applaudit à tout; j’avais tant de génie!
Ah! mon habit, que je vous remercie!
C’est vous qui me valez cela.
De compliments faits pour une maîtresse
Un petit-maître m’accabla,
Et pour m’exprimer sa tendresse,
Dans ses propos guindés me dit tout Angola.
Ce poupart à simple tonsure,
Qui ne songe qu’à vivre, et ne vit que pour soi,
Oublia quelque tems son rabat, sa figure,
Pour ne s’occuper que de moi.
Ce marquis autrefois mon ami de collége,
Me reconnut enfin, et du premier coup-d’œil,
Il m’accorda par privilége,
Un tendre embrassement qu’approuvait son orgueil.
Ce qu’une liaison dès longtems établie,
M’a probité, des mœurs que rien ne dérégla,
N’eussent obtenu de ma vie,
Votre aspect, seul me l’attira.
Ah! mon habit, que je vous remercie!
C’est vous qui me valez cela.
Mais ma surprise fut extrême:
Je m’apperçus que sur moi-même
Le charme sans doute opérait.
J’entrais, jadis d’un air discret;
Ensuite suspendu sur le bord de ma chaise,
J’écoutais en silence et ne me permettais
Le moindre si, le moindre mais;
Avec moi tout le monde était fort à son aise,
Et moi je ne l’étais jamais;
Un rien aurait pu me confondre,
Un regard, tout m’était fatal;
Je ne parlais que pour répondre,
Je parlais bas, je parlais mal.
Un sot provincial arrivé par le coche
Eût été moins que moi tourmenté dans sa peau;
Je me mouchais presqu’au bord de ma poche,
J’éternuais dans mon chapeau.
On pouvait me priver sans aucune indécence
De ce salut que l’usage introduit;
Il n’en coutait de révérence
Qu’à quelqu’un trompé par le bruit.
Mais à présent, mon cher habit,
Tout est de mon ressort; les airs, la suffisance,
Et ces tons décidés qu’on prend pour de l’aisance,
Deviennent mes tons favoris:
Est-ce ma faute, à moi, puisqu’ils sont applaudis?
Dieu, quel bonheur pour moi, pour cette étoffe,
De ne point habiter ce pays limitrophe
Des conquêtes de notre roi!
Dans la Hollande il est une autre loi.
En vain j’étalerais ce galon qu’on renomme;
En vain j’exalterais sa valeur, son débit,
Ici, l’habit fait valoir l’homme;
Là, l’homme fait valoir l’habit.
Mais chez nous, (peuple aimable,) où les grâces, l’esprit,
Brillent à présent dans leur force,
L’arbre n’est point jugé sur ses fleurs, ou son fruit;
On le juge sur son écorce.
Sedaine.
———————
Dialogue entre un Cavalier et un Sourd.
C.—L’ami, connaissez-vous le chemin de Paris?
S.—Mon bon monsieur, je porte au marché des perdrix.
C.—Vous ne répondez pas à ce que je demande.
S.—Je peux vous les céder; il faut que je les vende.
C.—Vous êtes, mon ami, le plus fieffé des fous.
S.—Je les fais un prix juste, et c’est quarante sous.
C.—De vos fades propos mes oreilles sont lasses.
S.—Elles valent ce prix, étant fraiches et grasses.
C.—Je descends de cheval, et je vais vous frotter.
S.—Si vous n’en voulez pas, je peux les remporter.
———————
Epigramme sur un Paresseux.
Au paresseux Clément la lumière est ravie.
Clément dormait toujours; il fait, après sa mort,
Ce qu’il faisait pendant sa vie;
Clément dormait, et Clément dort.
Du Règne Militaire, pendant les quatre années qui ont suivi la Conquête, (1760-1764;) et de quelques Documents inédits qui ont particulièrement rapport au “Gouvernement de Montréal” durant partie de ce court période de l’Histoire du Canada, (1761-1764.)
Mr. Bibaud.—J’apprends que la publication de mon premier écrit, ou plutôt de l’Ordonnance et Règlement qui l’accompagne, a eu le bon effet de piquer la curiosité publique, et de porter, de suite, plusieurs Messieurs du Barreau de Montréal, des Trois-Rivières et de Québec, à faire des recherches, dont quelques-unes ont été couronnées du plus heureux succès. J’ai déjà reçu, de Québec, des documents précieux relatifs à l’organisation des cours de justice de ce gouvernement, durant la période entier du Règne militaire, et qui datent d’aussi loin que du 31 Octobre 1760: je vous les communiquerai prochainement. Je ne désespère pas de recevoir aussi ceux qui ont rapport au gouvernement des Trois-Rivières, sans trop ôser m’en flatter néanmoins. Quant à Montréal, je sais qu’un monsieur de cette ville, dont la modestie égale le patriotisme et les lumières, et que sa profession rend plus propre que bien d’autres à traiter ce sujet, a également eu le bonheur d’avoir dernièrement accès à des Régistres perdus de vue depuis longtems. Cette découverte le mettra à même, m’a-t-on dit, de fournir quelques renseignements sur l’administration de la justice, dans ce gouvernement, depuis 1760 à 1761: c’est exactement là la partie du Règne militaire qu’il s’agit de faire connaître, parce que l’absence de tous documents officiels y relatifs la tient encore dans l’ombre.
Pour moi, Mr. Bibaud, toutes les informations que je puis vous donner de plus, aujourd’hui, (et toujours relativement au Gouvernement de Montréal,) consistent en ce qui suit:
Montréal eut deux Gouverneurs durant le Règne militaire.
Mr. Thomas Gage, nommé tel—tout aussitôt après la reddition de Montréal, le fut jusqu’en Octobre 1763.
Durant ce tems, il publia 9 Ordonnances, 2 Réglements, et 1 Proclamation. Je parle d’après le titre même des pièces en ma possession.
Mr. Raphaël (Ralph) Burton, d’abord Gouverneur des Trois-Rivières, le devint de Montréal le 29 Octobre, 1763.
Il demeura dans cette charge jusqu’au 10 Août 1764; époque à laquelle le Règne militaire cessa, et général Murray fut proclamé “Gouverneur en Chef de la Province de Québec.”
Durant son administration, Mr. Burton publia 3 Ordonnances et 1 Placard.
Enfin, Maître Panet, notaire, fut nommé et agit comme “Greffier de Montréal.”
Suivent les date, titre et analise de ces différents documents:
1761.—Oct. 13.—Ordonnance et Réglement des Chambres de Justice du Gouvernement de Montréal, divisant la campagne en cinq districts, &c.[1]
—,,—Nov. 27.—Ordonnance contre les marchands qui, sans
1762.—Janvr. 13.—Ordonnance en explication de la dernière; et, en outre, prohibant le débit des boissons tant aux soldats qu’aux sauvages, et fixant la quantité qu’il en sera permis de vendre, à la fois, aux habitants.
—,,—Mars, 23.—Ordonnance défendant de tuer, prendre ou acheter des perdrix, dans certaine saison de l’année.
—,,—Avril, 15.—Ordonnance au sujet des contributions que faisaient payer aux miliciens divers officiers de milice.
—,,—Mai, 12.—Réglement pour le bois à fournir aux troupes cantonnées dans les campagnes, en hyver et en été.
—,,—Juillet, 26.—Ordonnance concernant la valeur de la monnaie française.
—,,—Oct. 12.—Ordonnance défendant aux Officiers de milice de se porter pourvoyeurs des Officiers des troupes.
1763.—Janvr. 13.—Ordonnance défendant l’exportation des farines et du bled hors du Gouvernement de Montréal.
—,,—Avril, 4.—Ordonnance établissant une douane à Montréal.
—,,—Mai, 17.—Proclamation de l’Article IV. du Traité de Paix, concernant la Cession du Canada à S. M. Britannique, et, d’une Déclaration de Mr. De Choiseul par rapport aux dettes dues aux Canadiens.
—,,—Mai, 27.—Réglement des Capitaines de milice de Montréal concernant le recouvrement des dettes ci-dessus mentionnées.
—,,—Oct. 29.—Ordonnance par laquelle il annonce sa nomination au Gouvernement de Montréal.
1764.—Janvr. 5.—Ordonnance concernant la poudre à tirer.
—,,—Janvr. 11.—Ordonnance à l’effet de réunir au domaine de la Seigneurie de Montarville, plusieurs terres concédées par Mr. De La Bruère, faute par les tenanciers d’avoir tenu feu et lieu.
—,,—Mai, 9.—Placard à l’effet de faire réparer, sous un certain tems, les chemins, ponts et fossés, tant dans la banlieue que dans les campagnes.
S’il est aucune de ces pièces, Mr. Bibaud, qu’il vous plaise publier, ou qu’aucun jurisconsulte désire connaître pour l’aider dans ses recherches sur l’histoire légale du Canada, et appuyer ses opinions sur ce sujet intéressant, je vous l’ai déjà dit et je vous le répète, elles sont toutes à votre disposition.
S. R.
Montréal, 1er Février 1827.
permission du gouverneur, allaient vendre des marchandises et boissons dans les campagnes.
Publiée dans le dernier numéro de ce Journal, page 57 et suivantes. |
[N. B.—L’épître à Mr. J. S. R. insérée dans le dernier numéro de la Saberdache, donna lieu dans le tems à la lettre qui suit.—Editeur.]
Montréal, 6 Juin 1814.
Mon cher Ami,—Il est quatre heures; la nappe est mise; la soupe...... fi donc!...... le potage est servi:—“Messieurs et dames, voulez-vous bien approcher et prendre vos sièges.” Je donne la main à madame la colonel O. et la fais asseoir à la droite du major, chevalier de V——, qui a, à sa gauche, Mme. R.; Mr. le colonel O. est vis-à-vis sa dame; Mr. P. en face de Mr. B.; Melle. N. à l’opposite du capitaine T.; et votre très humble serviteur tient le bas-bout de la table.
Peu de convives, mais bien choisis; tout plein de franche gaité; voilà la source du plaisir.
“Cà, garçon, enlevez cette soupe. Messieurs, une ronde.”—“Hola! qui frappe?—Mr. c’est le facteur.—Qu’il entre.”—“Quoi! deux lettres! Voyons ce que c’est. Certes, Messrs. c’est de la prose de J. D. M. et des vers de P. H. C. Permettez que.......—Non, non, non, ce sera pour le dessert.—Eh bien, soit.”
Avez-vous jamais vu le chevalier entre deux dames? Certes, comme il prend feu! et comme la sémillante colonel s’embrâse à la vue d’un cordon rouge! Oh cà! s’il vous plait, tout s’est passé convenablement; mais ... mais ... je crois que de part et d’autre on aura passé une nuit un peu agitée.
Nous voilà donc au dessert. Ouvrons la missive, que, par anticipation, j’appellerai délicieuse.
“Kingston, 2 Juin 1814.
(*) “Oh oui, mon très cher R., vous êtes l’homme des hommes, l’ami des amis, le bon par excellence; en un mot, le complaisant à l’archi-superlatif.”...... Quel début? mais il y a là de l’extraordinaire; poursuivons.—“Tous vos grammairiens, Lévizac, Restaut, Wailly, &c. &c. &c., tous vos académiciens, tous vos puristes, peuvent se réunir contre moi, il ne m’empêcheront pas de dire que vous êtes aimable à l’archi-superlatif, et que”...... Mais, qu’est-ce à dire! Mais il y a de la folie dans tout cela, mon cher ami! Si vous voyiez comme on me fixe! Le major même détourne les yeux de dessus sa voisine, pour un moment. Laissons J. D. M. et passons au poëte.
“Kingston, 1 Juin 1814.
O! qu’est-ce-que cela?—Messieurs, vuidons nos verres.
“Oui, triomphe Albion! Oui, ta terre propice
Des Orphelins français fut la tendre nourrice,” &c.
Quel bel éloge, qu’il est vrai! qu’il est bien mérité!
“C’est près de son berceau qu’on attendra la mort.”...
Mr. B. jette un cri d’admiration, il répète le vers, ... et le major essuie une grosse larme!
...................”La sombre politique
Quitte l’habit de deuil qui la rendait inique:
Sa voix devient plus douce, et lasse de tromper,
Du bonheur des Etats elle va s’occuper.”
Inique ne plait pas généralement; mais la belle idée renfermée dans ces quatre vers en fait recommencer la lecture: on revuide son verre, et l’on continue:
..................”La discorde tremblante
De ses flambeaux usés voit la flamme expirante.”
Je n’ai pas encore entendu un plus beau vers, s’écrient ensemble, avec enthousiasme, Messrs. B. et P.; ces trois hémistiches feront fortune.
“Généreuse Albion! le bonheur de la France
N’est dû qu’à tes trésors, n’est dû qu’à ta constance.”
Autre exclamation. Mr. B. et le major voudraient, cependant, efforts au lieu de trésors; la discussion s’engage; Mr. P. et autres l’emportent en faveur du poëte: les efforts, disent-ils, sont renfermés dans le mot de constance, et celui de trésors rend le vers d’autant plus riche, que les deux hémistiches présentent, à son aide, deux idées différentes, aussi vraies qu’habilement exprimées.
“Tu parlas à l’Europe, et l’Europe à ta voix
S’allia pour venger les peuples et les rois.”
Applaudissement général; battements de mains nouveaux.
“Puisse, après tant de maux, l’olive de la paix
Succéder aux lauriers et revivre à jamais!”
La lecture est finie; le fatal jamais, venu cent fois trop tôt, est prononcé. Cependant les convives, tout émerveillés, prêtaient encore l’oreille, intentique ora tenebant, lorsque madame R. preste à saisir l’occasion de les prévenir tous, les tira bientôt de leur ébahissement extatique, par cette charmante invitation: “Messieurs, à l’aimable P. H. C.”—Oh oui, fallait voir comme chacun s’empressait de verser et d’entonner!—Et Mr. B. de m’arracher les vers et de les relire tout haut, avec commentaire à la louange du poëte; et le major d’enchérir sur les beautés de la pièce, d’en demander, d’en exiger copie pour la communiquer au chevalier Prévost; et Mr. P. de dire que c’étaient les plus beaux vers que vous eussiez encore faits, à sa connaissance; et Mme. la colonel d’en solliciter aussi une copie; et Messrs. R. et T. de porter, une seconde fois, votre santé.
Ici finit la fête; les dames se retirant, nous les suivons.
N’oubliez pas de faire les révérences, les respects, les saluts et les amitiés de votre très humble serviteur, suivant qu’il appartiendra.
Votre ami,
J. S. R.
A Mr. P. H. C. à Kingston.
Intrépidité.—A l’attaque de Québec, en Octobre 1690, par Sir William Phipps, le premier coup de canon tiré de la place sur la flotte anglaise ayant abbatu le pavillon du vaiseau-amiral, “quelques Canadiens,” dit Charlevoix, “allèrent le prendre à la nage, et malgré le feu qu’on faisait sur eux, l’emportèrent à la vue de toute la flotte: il fut porté sur le champ à la cathédrale. Le même jour, vers les quatre heures après-midi, Mr. De Longueuil, accompagné de Maricourt, son frère, nouvellement arrivé de la Baie d’Hudson, passa en canot le long de la flotte anglaise, qu’il voulait observer. Quelques chaloupes se détachèrent pour l’enlever; mais il gagna la terre, et obligea par un très grand feu de mousquéterie, ceux qui le poursuivaient, à regagner leurs navires.”
Débit et Crédit, ou l’Epitaphe Marchande.—Mr. De La Chevrotiere, enseigne dans les troupes de la colonie, reçut, à la prise de Québec, (1759,) deux blessures, dont une dans le palais et l’autre dans les fesses. La paie d’un officier de son rang, sous le gouvernement français, à cette époque, était de 100 écus ou 300 livres. Durant sa convalescence, un jour, que ses amis l’entourraient et se montraient sensibles à ses souffrances, il se fait donner du papier, et il écrit gaîment:
Mon Epitaphe, si je meurs de mes blessures.
Ci-git La Chevrotière,
Qui, pour cent écus par an,
Reçut un coup au derrière
Et l’autre dans les dents.
Mr. de St. Ours.—“J’appris du marquis De Montcalm,” (dit le Père Germain, cité dans le dernier numéro de la Saberdache,) “la belle défence qu’avait faite en Juillet 1757, un officier canadien nommé Mr. De St. Ours. Il avait été envoyé à la découverte sur le lac St. Sacrement, lui onzième, dans un canot d’écorce. En doublant une langue de terre, il fut surpris par deux barges anglaises, qui, cachées en embuscades l’attaquèrent brusquement. La partie n’était pas égale. Une seule décharge faite à propos sur le canot aurait décidé de la victoire, ou de la vie de nos gens. Mr. De St. Ours, en homme sage, gagna à la hâte une île que formait dans le lac un rocher escarpé. Il fut vivement poursuivi par les ennemis. Mais il suspendit bientôt leur ardeur par une décharge qu’il fit faire sur eux, avec autant de prudence que de bonheur. Les ennemis, déconcertés pour quelques moments, revinrent bientôt à la charge; mais ils furent de nouveau si bien reçus, qu’ils prirent le parti de débarquer sur la grève, qui était à la portée du fusil. Le combat recommença avec plus d’opiniâtreté qu’auparavant, mais encore avec un succès toujours égal pour nous. Mr. De St. Ours s’appercevant que les ennemis n’étaient pas d’humeur à le venir attaquer dans son poste, et qu’il ne pouvait aller à eux, sans risquer de voir son canot couler bas, pensa à la retraite. Il la fit en homme d’esprit, comme il s’était défendu en homme de cœur. Il s’embarqua en présence des Anglais, qui, n’ôsant le poursuivre, se contentèrent de faire sur lui un feu continuel. Nous eûmes dans cette rencontre trois blessés, mais légèrement, dont Mr. De St. Ours était un; et Mr. De Grosbois, cadet dans les troupes de la colonie, fut tué sur la place.—Les ennemis, de leur aveu, étaient sortis de leur fort 37;—17 seulement y rentrèrent.”
Chacun son métier.—Un juge de paix avait fait quelques vers; il les envoie à un de ses amis, homme de lettres, en lui écrivant que ses occupations comme juge de paix l’avaient empêché de les travailler, et qu’il serait charmé de savoir de lui ce qu’il devoit en faire.—“Envoyez les à la Maison de Correction,” lui répondit son ami.
Les Sénécas[1] étant en guerre avec les Katabas, un parti des premiers rencontra un jeune et vigoureux guerrier ennemi qui s’occupait de la chasse. Il prit la fuite aussitôt qu’il les apperçut.—Il était si alerte et en même tems si bon tireur, qu’il leur tua tout en fuyant sept de leurs guerriers, avant qu’ils pussent se saisir de lui. Ils l’emmenèrent en triomphe dans leur pays, mais non sans chagrin; et quoiqu’il les eût remplis de douleur et de honte par la mort d’un si grand nombre des leurs, cependant l’estime que leur inspirait son courage, qu’ils le traitèrent beaucoup mieux que s’il se fût montré plus lâche. Il ne manqua pas d’être battu et fouetté à l’entrée de chacun de leurs villages, par les femmes et les enfants, comme il est d’usage en pareil cas, et fut enfin condamné à être brulé vif. On peut bien supposer que les traitements qu’il avait éprouvés depuis sa captivité, ne lui avaient pas laissé beaucoup de forces. Il avait été mal nourri, avait fait une longue marche étant garrotté, avait passé les nuits couché sur la terre nue, les bras et les jambes étendus et attachés, et avait été maltraité à l’entrée de chaque village.
Néanmoins lorsqu’il fut amené, dégagé de ses liens, au lieu de l’exécution, qui se trouvait près d’une rivière, il renverse tout à coup ceux qui étaient près de lui, s’élance et plonge dans la rivière, nageant entre deux eaux comme une loutre, et ne se montrant que pour respirer. Il gravit la côte opposée, et quoiqu’il eût beaucoup de raisons de ne pas perdre son tems, puisqu’il voyait un bon nombre de sauvages qui s’étaient jettés à l’eau pour le poursuivre, et qu’il entendait siffler les balles autour de lui, néanmoins son courage ne lui permit pas de les laisser ainsi sans avoir pris d’eux un congé dans les formes, en retour des honnêtetés qu’ils lui avaient faites, et de leurs bonnes intentions à son égard. Il leur tourne donc le dos, s’incline, se tappe de la main où l’on devinera sans peine; puis se retourne, fait son cri de guerre, et part comme un trait.
Il courut avec une telle rapidité qu’il se rendit le même jour, vers minuit, à un endroit, que ses ennemis, qui le poursuivaient de toutes leurs forces, ne purent atteindre qu’en deux jours. En se reposant, il découvrit cinq ennemis; il se cacha à quelque distance de leur campement, jusqu’à ce qu’il pût les surprendre pendant leur sommeil. Il se rappelle, et se ranime à ce souvenir, les indignités qu’il a éprouvées. Il était nud, déchiré, affamé, et il se retrouvait auprès des plus cruels ennemis qu’il savait avoir au monde: mais il voyait de quoi soulager ses besoins, avec une belle occasion de sauver sa vie, d’acquérir de l’honneur, et de s’assurer une douce vengeance. Il se glisse vers l’ennemi, se saisit d’un casse-tête, et les tue tous les cinq. Il les coupe ensuite en morceaux, d’une manière aussi affreuse que la férocité d’un sauvage pouvait le faire, excité par le double motif de la haine nationale et du ressentiment particulier. Il lève leur chevelure, s’habille, choisit le meilleur fusil et ce qu’il pouvait porter commodément de munitions. Il part ensuite le cœur content, et ne s’arrête pendant plusieurs jours, que pour se reposer un instant, un peu avant le jour. Aussitôt qu’il se vit libre, il dirigea sa course vers le lieu où il avait été fait prisonnier, et où il avait tué sept ennemis. Il les déterre, leur lève la chevelure, brule les corps, et arrive chez lui en sureté et en triomphe.
Quelques uns de ceux qui le poursuivaient arrivèrent deux jours après, au campement des cinq de leurs camarades qui avaient été tués, et furent tout surpris du spectacle qui s’offrit à leur yeux. Ils tinrent un bien sombre conseil, dont le résultat fut, que puisqu’il avait fait tant avant d’être pris et seulement en se défendant, et qu’il avait tué cinq des leurs dans l’état de dénuement, dans lequel il s’était enfui, maintenant qu’il était bien armé, il viendrait à bout d’eux; et ils retournèrent sur leurs pas.
Ou Tsonnonthouans. |
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Inconsistency in hyphenation has been retained.
Inconsistency in accents has been corrected or standardised.
When nested quoting was encountered, nested double quotes were changed to single quotes.
[The end of La Bibliothèque Canadienne, Tome IV, Numero 3, Fevrier, 1827. edited by Michel Bibaud]